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“Jean Hélion” La prose du monde, au Musée d’Art moderne de Paris, du 22 mars au 18 août 2024

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“Jean Hélion” La prose du monde

au Musée d’Art moderne de Paris

du 22 mars au 18 août 2024

Musée d’Art moderne de Paris


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©Sylvain Silleran, présentation presse, le 21 mars 2024.

Texte Sylvain Silleran

Jean Hélion, L’Atelier, 1953. Huile sur toile. Achat réalisé avec le concours du Fonds du patrimoine – ministère de la Culture et la Société des amis du Musée d’Art Moderne de Paris, 2023. Musée d’Art Moderne de Paris. Photo Courtesy Applicat-Prazan. © ADAGP, Paris, 2024.

Jean Hélion, L’Atelier, 1953. Huile sur toile. Achat réalisé avec le concours du Fonds du patrimoine – ministère de la Culture et la Société des amis du Musée d’Art Moderne de Paris, 2023. Musée d’Art Moderne de Paris. Photo Courtesy Applicat-Prazan. © ADAGP, Paris, 2024.

Jean Hélion, Nature morte à la citrouille, 1948. Huile sur toile, 116 x 80,8 cm. Musée des Beaux-Arts de Nantes. Photo © RMN-Grand Palais / Gérard Blot. © ADAGP, Paris, 2024.

Jean Hélion, Nature morte à la citrouille, 1948. Huile sur toile, 116 x 80,8 cm. Musée des Beaux-Arts de Nantes. Photo © RMN-Grand Palais / Gérard Blot. © ADAGP, Paris, 2024.

Les carrés cernés de grosse lignes noires de ses débuts rappellent les tableaux de son ami Mondrian. Pourtant la peinture de Jean Hélion et singulière par son refus d’opposer abstraction et figuration. Pour lui ces deux champs se fondent dans une même quête de l’essence des choses. Rapidement les formes se penchent, s’assouplissent, les aplats prennent de la nuance. Un indigo s’assombrit face à des rouges vibrants, l’ocre gris rougeoie et brûle en terre de Sienne, un jaune citronné vole toute la lumière du tableau d’à côté. Il y a un peu de Matisse dans ces formes découpées s’assemblant comme des bouts de papier pour évoquer des personnages, une femme à la tête penchée, un homme cravaté attablé.

Quelques contours se précisent et la figure apparait, Edouard, Charles coiffés d’un canotier, visage remplissant tout le cadre. Des études au fusain; un parapluie, un journal plié ont une gravité de drapé classique tout en gardant la légèreté du quotidien. La peinture explore la banalité dans ce qu’elle a de si anodin qu’elle est habituellement invisible, jusqu’à une allumette brûlée jetée sur le parquet. Un homme au parapluie, une femme à sa fenêtre, un cycliste qui passe, les hommes sont gris, des hommes-machines métalliques refusant de révéler leur nature, nous laissant nous refléter dans leur surface brillante. Puis viennent les aplats de couleur, une vivacité tranchée qui vient des années d’abstraction. Un homme monte un escalier, un autre fume une cigarette, des salueurs saluent en soulevant leur chapeau…

Jean Hélion peint à contre-courant, de la figuration qui ne l’est pas tout à fait, une recherche abstraite qui n’en est pas vraiment non plus. Des nus renversés, des corps qui perdent leurs limites, cessent un moment d’être corps pour le redevenir un peu plus loin, comme des illusion d’optique. Un journalier lit le journal, totalement absorbé par son action, prêt à devenir journal lui-même et se froissant déjà. Chez Hélion les personnages se croisent sans se rencontrer, chacun est occupé à son geste, allumer sa cigarette, être assis, il faut être, juste être, voilà bien la difficulté.

Des poissons au pastel, un hareng, un autoportrait au fusain, les draps d’un lit défait, un journal chiffonné, des gants, des chaussures accompagnent un glissement vers le figuratif. Jean Hélion racontera que marqué par la guerre, il se mit à peindre ce dont il rêvait en captivité: non des triangles ou des cercles, mais des choses concrètes, des femmes, du pain, de la nourriture. Cette incursion dans le réalisme trouve son matériau dans le coin de son atelier. Devant la fenêtre et les toits de Paris, une citrouille se reflète dans un miroir. Des natures mortes aux pains, hareng fumé, un chou sculptural sur un tabouret, des oignons et poireaux, un drapé de torchon posé sur une chaise s’enracinent dans le classicisme mais sans rien abandonner de l’expérience de l’instant; et toujours la citrouille corne d’abondance pour exorciser la faim.

Le Goûter, reliefs d’un repas interrompu, des sardines couchées sur une tranche de pain, des sacs de pommes et de noix, deux tasses à café, et sur le pantalon jeté à la hâte, une combinaison de femme abandonnée. Le réalisme est brutal, alourdi par un trait insistant, l’air se met à manquer, il est temps de sortir de l’atelier. Dehors, deux mannequins dans une vitrine dansent de leurs bras, pantins aux gestes de dieux hindous. Un boucher passe derrière l’étal d’un fleuriste. Les fleurs éclatent d’un rouge de sang frais comme des terribles éclaboussures. Une terre labourée redevient formes, dans cette glaise modelée renait l’abstrait.

Dans le bric-à-brac du marché aux puces tout s’amoncelle dans une effervescence chromatique, l’urgence du peintre perdant la vue. Le détail s’efface devant la couleur. Jean Hélion retrouve les thèmes qui lui furent familiers, les chapeaux, les parapluies, les chaises, un chapeau de paille qui rappelle celui de Van Gogh. Il dispose ces objets sur une table recouverte d’un drap comme un joueur de bonneteau préparant son coup. Le modèle se révolte, bouscule le chevalet et finit par piétiner le peintre à terre. L’artiste seul face à son reflet peint le miroir tout entier en guise d’autoportrait. Il s’est fondu dans le tableau. Il disparaitra bientôt. L’image se morcelle comme une vitre brisée avant de redevenir abstraite.

Sylvain Silleran


Extrait du communiqué de presse :

Commissaire
Sophie Krebs

Commissaire invité
Henry-Claude Cousseau
assistés d’Adélaïde Lacotte




Le Musée d’Art Moderne de Paris propose une exposition rétrospective de l’oeuvre de Jean Hélion (1904 – 1987), peintre et intellectuel dont l’oeuvre traverse le XXᵉ siècle : Jean Hélion est l’un des pionniers de l’abstraction qu’il introduisit en Amérique dans les années 1930, avant d’évoluer vers une figuration personnelle à l’aube de la seconde guerre mondiale.

Revenu en France après la guerre et salué dans les années 1960 par la nouvelle génération des peintres de la Figuration narrative comme Gilles Aillaud ou Eduardo Arroyo, Jean Hélion bénéficiera de son vivant de nombreuses expositions dans les galeries et les institutions françaises et internationales comme celle du MAM en 1977 et 1984 – 85, la dernière rétrospective ayant été présentée au Centre Pompidou en 2004. Malgré son importance et sa singularité, son oeuvre reste aujourd’hui encore peu connue du public.

Organisée de manière chronologique, l’exposition Jean Hélion, La prose du monde rassemble plus de 150 oeuvres (103 peintures, 50 dessins, des carnets ainsi qu’une abondante documentation), rarement présentées au public, provenant de grandes institutions françaises et internationales ainsi que de nombreuses collections privées.

Né en 1904 en Normandie, Jean Hélion s’oriente d’abord vers des études d’architecture à Paris. Après une brève expérience montmartroise en 1929, il se lie à Théo van Doesburg et Piet Mondrian, s’oriente vers l’abstraction géométrique et participe au groupe Art Concret ainsi qu’à la création du collectif Abstraction-Création qui rassemblera les meilleurs représentants de l’art abstrait entre les deux guerres. Ami de Calder, Arp et de Giacometti, il est également proche de Max Ernst, de Marcel Duchamp ou de Victor Brauner.

En 1929, il commence la rédaction des Carnets, réflexion sur la peinture qu’il poursuivra jusqu’en 1984. Jean Hélion est également proche des écrivains de son temps : Francis Ponge, Raymond Queneau, René Char, André du Bouchet… et n’a de cesse de les associer à son parcours artistique.

À partir de 1934, Jean Hélion s’installe aux États-Unis où il se lie d’amitié avec Marcel Duchamp. Il devient l’un des acteurs les plus importants de l’abstraction et une figure éminente de la vie artistique américaine, conseiller auprès de grands collectionneurs.

Pourtant dès le milieu des années 1930, ses formes s’animent, préfigurant un retour à la figure humaine. Fidèle à son intuition, Jean Hélion se détourne alors de l’abstraction en 1939 au moment où celle-ci commence à s’imposer sur la scène internationale, pour s’intéresser davantage à la figure humaine et « au réel ».

Pressentant la fragilité des choses au moment où éclate le second conflit mondial, Hélion procède alors à une reconstruction de l’image à partir de son langage abstrait : les œuvres qui en résultent présentent des scènes de rue tirées du quotidien où toute sentimentalité est absente.

Interrompant sa carrière de peintre, Hélion s’engage pendant la guerre aux côtés de l’armée française; il est fait prisonnier en 1940. Le récit de son évasion They Shall Not Have Me, publié en 1943 et récemment traduit en français deviendra un best-seller.

De retour à Paris en 1946, marié à Pegeen Vail (fille de Peggy Guggenheim), il peine à trouver sa place sur la scène parisienne. Malgré tout, il réinvente la figuration en abordant différents styles et nombreux sujets : le nu (Nu renversé, 1946), le paysage (Le Grand Brabant, 1957), la nature morte (Nature morte à la citrouille, 1946 ou Citrouillerie, 1952), l’allégorie (À rebours, 1947, Jugement dernier des choses, 1978 – 79), la peinture d’histoire (Choses vues en mai, 1969) et vue d’atelier (L’atelier, 1953 acquis récemment par le MAM avec le soutien des Amis du Musée d’Art Moderne et le Fonds du Patrimoine). Paris, la rue, les choses où se mêle le songe, sont une source d’inspiration inépuisable pour écrire sa « prose du monde ».

À la fin de sa vie, perdant progressivement la vue, son oeuvre entremêle volontairement les motifs qui l’ont hanté depuis toujours. Sa peinture oscille entre dérision et gravité (Le Peintre piétiné par son modèle, 1983), rêve et éblouissement heureux.

L’exposition est accompagnée d’un catalogue publié sous la direction de Sophie Krebs et Henry-Claude Cousseau, commissaires de l’exposition, et préfacé par Fabrice Hergott, avec les contributions de Vincent Broqua, Pierre Brullé, Éric de Chassey, Céline Chicha-Castex, Oliver Koerner Von Gustorf, Brigitte Léal, Guitemie Maldonado, François-René Martin, Emmanuel Pernoud.

Exposition réalisée avec la participation de la BNF, l’IMEC (L’Institut mémoires de l’édition contemporaine) et de l’Association Jean Hélion.