🔊 “Brancusi” au Centre Pompidou, du 27 mars au 1er juillet 2024
“Brancusi”
au Centre Pompidou, Paris
du 27 mars au 1er juillet 2024
Centre Pompidou
PODCAST – Interview de ValĂ©rie Loth, attachĂ©e de conservation, Cabinet d’art graphique, MusĂ©e national d’art moderne, et commissaire associĂ©e de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 25 mars 2024, durée 27’36,
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :
Constantin Brancusi, DanaĂŻde, 1913. Bronze patinĂ© noir (et dorĂ© Ă la feuille), pierre (calcaire), 27,5 x 18 x 20,3 cm, (1) : 11,5 x 14 x 13,5 cm. Legs de Constantin Brancusi, 1957. Collection Centre Pompidou, Paris. MusĂ©e national d’art moderne – Centre de crĂ©ation industrielle. © Succession Brancusi – All rights reserved. Adagp, Paris 2024. CrĂ©dit photographique : Adam Rzepka – Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP.
Constantin Brancusi, Autoportrait dans l’atelier, Vers 1933 – 1934. NĂ©gatif gĂ©latino-argentique sur plaque de verre, 15 x 10 cm. Legs Constantin Brancusi, 1957. Collection Centre Pompidou, Paris. MusĂ©e national d’art moderne – Centre de crĂ©ation industrielle. © Succession Brancusi – All rights reserved. Adagp, Paris 2024. CrĂ©dit photographique : Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP.
Commissariat :
Ariane Coulondre, conservatrice, service des collections modernes, Musée national d’art moderne
Commissaires associées :
Julie Jones, conservatrice, Cabinet de la photographie, Musée national d’art moderne
Valérie Loth, attachée de conservation, Cabinet d’art graphique, Musée national d’art moderne
Avec plus de 120 sculptures, ainsi que des photographies, dessins et films de l’artiste, la grande rétrospective « Brancusi », organisée au Centre Pompidou, constitue un événement exceptionnel. Elle offre l’opportunité de découvrir toutes les dimensions de la création de cet immense artiste considéré comme l’inventeur de la sculpture moderne. La dernière exposition rétrospective Brancusi en France, et la seule, remonte à 1995 (sous le commissariat de Margit Rowell au Centre Pompidou). À la fois lieu de vie, de création et de contemplation, l’atelier de l’artiste, joyau de la collection du Musée national d’art moderne depuis son legs à la nation en 1957, forme la matrice de ce projet. En effet, le déménagement intégral de l’Atelier Brancusi dans le cadre des travaux de rénovation du Centre Pompidou est l’occasion unique de mettre en regard son contenu avec de nombreux autres chefs-d’oeuvre de l’artiste provenant des plus importantes collections internationales.
Un ensemble exceptionnel de sculptures, jouant sur le dialogue entre les plâtres de l’Atelier Brancusi et les originaux en pierre ou bronze, prêtés par de nombreuses collections privées et muséales (Tate Modern, MoMA, Guggenheim, Philadelphia Museum of Art, The Art Institute of Chicago, Dallas Museum of Art, Musée national d’art de Roumanie, Musée d’art de Craiova…) sont ainsi réunies.
Dès l’entrée, le parcours de visite privilégie une approche sensible, soulignant le choc de la découverte de son atelier parisien, situé impasse Ronsin dans le 15e arrondissement, fréquenté par de nombreux artistes et amateurs pendant plusieurs décennies.
Le coeur de l’exposition évoque les sources de sa création (Auguste Rodin, Paul Gauguin, l’architecture vernaculaire roumaine, l’art africain, l’art cycladique, l’art asiatique…) et éclaire le processus créatif de Brancusi : le choix de la taille directe, l’esthétique du fragment, le processus sériel, le travail de sublimation de la forme… La reconstitution d’une partie de l’atelier souligne la dimension matérielle de sa création (matériaux, outils, gestes). L’exposition replace la vie de Constantin Brancusi dans un contexte artistique et historique plus large grâce à un riche corpus documentaire (lettres, articles de presse, agendas, disques…). Cet ensemble offre une chronique de ses amitiés avec nombre d’artistes d’avant-garde, tels Marcel Duchamp, Fernand Léger ou Amedeo Modigliani.
Le parcours thématique, organisé autour des séries de référence de l’artiste, met en lumière les grands enjeux de la sculpture moderne : l’ambiguïté de la forme (Princesse X), le portrait (Danaïde, Mlle Pogany), le rapport à l’espace (Maiastra, L’Oiseau dans l’espace), le rôle du socle (Nouveau-né, Le Commencement du monde), les jeux de mouvement et de reflet (Léda), la représentation de l’animal (Le Coq, Le Poisson, Le Phoque) et le rapport au monumental (Le Baiser, La Colonne sans fin).
#ExpoBrancusi – Parcours de l’exposition
Il y a 120 ans, un jeune artiste roumain traversait l’Europe à pied pour venir s’installer à Paris. C’est là , dans la capitale en pleine effervescence culturelle, que Constantin Brancusi (1876-1957) invente une nouvelle manière de sculpter, un langage universel privilégiant la taille directe et les formes simples.
Très vite, son oeuvre exerce une grande fascination sur ses contemporains : nombre d’artistes et d’admirateurs se pressent dans son atelier, situé impasse Ronsin (15e arrondissement). À la fois lieu de vie, de création et de présentation de son travail, cet atelier est conçu par l’artiste comme une oeuvre en soi et légué à sa mort à l’État français. Cet ensemble exceptionnel forme la matrice de l’exposition, complété de prêts majeurs de collections internationales.
Proposant de découvrir à la fois le parcours de Brancusi, les sources de son oeuvre et les grands thèmes que l’artiste n’a cessé d’approfondir, l’exposition met en avant la diversité de sa création : la sculpture, la photographie, le film, le dessin… Cet hommage au père de la sculpture moderne célèbre sa puissance d’invention et sa quête inlassable de beauté. Il entend montrer un artiste vivant, pleinement inscrit dans son époque, dont la création se doit d’être toujours réactivée : « Il ne faut pas respecter mes sculptures. Il faut les aimer et jouer avec elles. », disait-il.
Blancheur et clarté
« Constantin Brancusi habite un atelier de pierre dans l’impasse Ronsin, rue de Vaugirard. Ses cheveux et sa barbe sont blancs, sa longue blouse d’ouvrier est blanche, ses bancs de pierre et sa grande table ronde sont blancs, la poussière de sculpteur qui recouvre tout est blanche, son Oiseau en marbre blanc est posé sur un haut piédestal contre les fenêtres, un grand magnolia blanc est toujours visible sur la table blanche. À une époque, il avait un chien blanc et un coq blanc. » Ces mots de l’éditrice américaine Margaret Anderson témoignent de l’extraordinaire impression de clarté qui saisit les visiteurs de l’atelier, accueillis par de multiples figures de Coqs, dressées vers le ciel. Symboliquement associé à la France, terre d’accueil de l’artiste, l’animal évoque aussi par son chant le lever du jour, l’idée de commencement qui imprègne tout l’art de Brancusi.
Aux sources d’un nouveau langage
Après avoir suivi une formation académique en Roumanie, Brancusi arrive à l’âge de 28 ans à Paris. Remarqué par Auguste Rodin, il devient brièvement son assistant en 1907. La puissante figure du maître fait office de repoussoir pour le jeune sculpteur. En 1907-1908, trois oeuvres majeures, Le Baiser, La Sagesse de la Terre et La Prière, montrent sa volonté de trouver sa propre voie. Brancusi rompt avec le modelage pour privilégier la taille directe. Il abandonne le travail d’après modèle pour réinventer la figure de mémoire. Tout en étant profondément original, son art apparaît comme le creuset de ce qu’il peut alors voir à Paris : les oeuvres antiques ou extra-européennes au musée du Louvre et au musée Guimet, mais également l’art de Paul Gauguin ou les recherches cubistes d’André Derain. Sa série autour du motif de la tête d’enfant éclaire son processus de fragmentation et de simplification des formes, visant à exprimer « l’essence des choses ».
Ligne de vie
Brancusi conservait tout : lettres, articles de presse, agendas, factures… Ses archives, acquises par le MusĂ©e national d’art moderne en 2001 et conservĂ©es Ă la Bibliothèque Kandinsky, rĂ©unissent plus de dix mille lettres, livres, disques, documents… Elles constituent une mine d’or pour connaĂ®tre la vie de l’artiste, ses amitiĂ©s, ses goĂ»ts, le replacer dans son Ă©poque et saisir la fascination qu’il exerce sur ses contemporains. Cet ensemble exceptionnel, dont une partie est exposĂ©e dans l’exposition, tĂ©moigne de la place centrale de Brancusi au sein de l’avant-garde internationale pendant plus d’un demi-siècle.
L’atelier
Dans l’atelier de Brancusi, tout ou presque naĂ®t de sa main : la grande cheminĂ©e en calcaire, les tabourets en bois ou les tables en plâtre servant Ă la fois de mobilier ou de socle… Dans ses photographies, l’artiste se met lui-mĂŞme en scène au travail, taillant, sciant ou modelant. Après la Seconde Guerre mondiale, s’il arrĂŞte quasiment de sculpter, il dĂ©place, regroupe et combine sans cesse ses oeuvres. Quand une oeuvre est vendue, il la remplace par son tirage en plâtre ou en bronze pour conserver l’unitĂ© de l’ensemble. C’est Ă l’intĂ©rieur de ce lieu, Ă la fois musĂ©e de sa crĂ©ation et oeuvre en soi, que Brancusi impose sa vision d’un environnement total. Ă€ son dĂ©cès en 1957, Brancusi lègue Ă l’État français son atelier, Ă charge pour celui-ci de le reconstituer. L’ensemble est installĂ© d’abord de manière partielle au Palais de Tokyo puis intĂ©gralement au Centre Pompidou. L’un des quatre espaces de l’atelier, celui avec les outils, est reconstituĂ© au coeur de l’exposition.
FĂ©minin et masculin
Chez Brancusi, la simplification des formes et la suppression des détails sont paradoxalement sources d’ambiguïté. Dès 1909, l’artiste entame une réflexion sur le motif du torse féminin. De sa Femme se regardant dans un miroir, nu encore classique, il ne retient que la courbe unissant les formes arrondies de la tête et de la poitrine pour aboutir à l’ambivalente Princesse X. Est-ce une vierge ou une verge ? L’image idéale de la femme ou un phallus dressé ? L’aspect équivoque de la sculpture fait scandale et lui vaut d’être refusée au Salon des indépendants de 1920. L’art de Brancusi joue du double sens et de la métamorphose. Le masculin et le féminin fusionnent en une même image, évoquant le thème de l’androgyne, déjà présent dans Le Baiser. Un même trouble s’exprime dans son Torse de jeune homme, au genre incertain. Perturbant l’ordre symbolique de la division des sexes, ces oeuvres font écho à l’esprit contestataire de Dada, porté à la même époque par ses amis Marcel Duchamp, Man Ray et Tristan Tzara.
Des portraits ?
Depuis ses débuts, le genre du portrait occupe une place centrale dans l’art de Brancusi. En s’éloignant du visible pour aller à l’essentiel, le sculpteur n’en délaisse pas moins la figure humaine, en particulier féminine. Alors que les titres des sculptures conservent les noms des amies ou compagnes qui inspirent le sculpteur (Margit Pogany, la baronne Frachon, Eileen Lane, Nancy Cunard, Agnes Meyer…), leurs personnalités tendent à se fondre et se confondre en un visage stylisé, ovale et lisse. Elles ne sont « ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ». Chacune se distingue par quelques signes élémentaires : yeux en amandes, chignon, bouclettes… Travaillant sans modèle, préférant reconstruire la figure de mémoire, Brancusi pose à travers ses portraits la question de la ressemblance et de la représentation. Dans ses portraits dessinés, une même ligne souple décline les figures en profils et silhouettes.
L’envol
Le motif de l’oiseau, qui comporte plus de trente variantes en marbre, bronze et plâtre, occupe Brancusi pendant trois décennies. Initiées en 1910, les Maïastras au corps bombé, cou allongé et bec grand ouvert font référence à un oiseau fabuleux des contes populaires roumains. Dans les années 1920, le sculpteur simplifie la forme, l’amincit et l’étire verticalement jusqu’à la limite de la rupture pour créer la série des Oiseaux dans l’espace. L’envol symbolise pour Brancusi le rêve de l’homme échappant à sa condition terrestre, son ascension vers le spirituel. En 1927-1928, un procès oppose le sculpteur aux douanes américaines qui refusent le statut d’oeuvre d’art à un Oiseau en bronze, perçu comme une pièce industrielle métallique. Vers 1930, le maharajah d’Indore lui commande deux Oiseaux pour un temple en Inde qui restera à l’état de projet. Ce caractère sacré, transcendant, transparaît dans le sous-titre de l’exemplaire exposé à New York en 1933 : « Projet d’Oiseau qui, agrandi, emplira le ciel ».
Lisse et brut
Dans les photographies prises dans l’atelier, Brancusi cadre souvent ses sculptures au plus près, exploitant le pouvoir d’évocation des matériaux. Les surfaces patiemment polies, sur lesquelles toute trace du geste est effacée, contrastent avec des morceaux bruts ou taillés grossièrement. Ce jeu de matière est autant tactile que visuel, comme le souligne par son titre sa Sculpture pour aveugles. Avec le travail en série, chaque sculpture est à la fois unique et multiple, souvent posée sur des socles superposés auxquels Brancusi porte un soin tout particulier. Composés de formes géométriques simples (croix, cube, disque…), ces supports créent un rythme ascensionnel dynamique et des jeux de correspondances. Brancusi remet en question le statut conventionnel de cet accessoire, traditionnellement utilisé pour surélever la sculpture et la distinguer de son environnement. Il convertit à plusieurs reprises certains socles en sculpture autonome, refusant toute hiérarchie entre le haut et le bas, entre le banal et le noble.
Reflet et mouvement
« Nous ne voyons la vie réelle que par les reflets. », écrit Brancusi. En polissant longuement le bronze, l’artiste obtient une surface brillante comme un miroir. De cette manière, la sculpture se projette au-delà d’elle-même et échappe à son strict contour. Les photographies et les films de l’artiste confirment sa fascination pour les éclats de lumière, parfois aveuglants, et leur pouvoir de métamorphose des formes. L’oeuvre en métal poli absorbe, reflète et distord l’image de son environnement et celle de toute personne qui s’en approche. Animée par ce jeu de reflets, perpétuellement mouvants et changeants, la sculpture devient, comme Brancusi la définit, « une forme en mouvement ». En posant certaines de ses oeuvres sur des roulements à bille, Brancusi fait véritablement tourner ses oeuvres sur elles-mêmes, à l’instar de Léda animée d’un mouvement circulaire comme un disque 78 tours sur un gramophone.
L’animal
Dans les années 1930 et 1940, plusieurs séries consacrées à la thématique de l’animal marquent une évolution vers des formes obliques ou horizontales. Au sein de ce bestiaire, deux groupes se distinguent : les volatiles (coqs, cygnes, oiseaux…) et les animaux aquatiques (poissons, phoques, tortues…). Avec de multiples versions, dans des matériaux et des formats variés, ses sculptures semblent répondre au principe naturaliste de l’espèce. Par la simplification des formes, Brancusi vise à la fois à atteindre une figuration symbolique de l’animal et à retranscrire son mouvement. Il explique : « Quand vous voyez un poisson, vous ne pensez pas à ses écailles, n’est-ce pas ? Vous pensez à sa rapidité, à son corps filant comme un éclair à travers l’eau… » Les images photographiques ou filmiques réalisées par le sculpteur témoignent également de son lien étroit à la nature et au vivant.
Le socle du ciel
Brancusi a toujours nourri l’espoir de réaliser des oeuvres monumentales, comme en témoigne la reprise inlassable du motif du Baiser, stylisé et développé à l’échelle architecturale, sous forme de colonne et de porte. Une première occasion s’offre à lui en 1926, quand il plante sa Colonne sans fin dans le jardin de son ami Edward Steichen à Voulangis. Née d’un modeste socle en bois, cette oeuvre radicale procède de la scansion verticale de l’espace par la répétition du même module, évoquant les piliers funéraires du sud de la Roumanie. C’est d’ailleurs dans son pays natal, à Târgu Jiu en 1937-1938, qu’il mène à bien son unique projet monumental. Sur un axe d’un kilomètre et demi traversant la ville, il place trois éléments symboliques : La Table du Silence, La Porte du Baiser et La Colonne sans Fin. Érigée en fonte métallisée à près de trente mètres de haut, cette dernière figure l’axis mundi, le trait d’union entre la terre et le ciel, offrant au regard de multiples perspectives.
#catalogue de l’exposition – Brancusi, sous la direction d’Ariane Coulondre aux éditions du Centre Pompidou