âLe dĂ©cor impressionnisteâ
Aux sources des Nymphéas
au MusĂ©e de lâOrangerie, Paris
du 2 mars au 11 juillet 2022

PODCAST – Interview de Anne Robbins, conservatrice peinture, musĂ©e dâOrsay, co-commissaire de l’exposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 1er mars 2022, durĂ©e 20’37.
© FranceFineArt.

Extrait du communiqué de presse :






Commissariat :
Sylvie Patry, conservatrice gĂ©nĂ©rale, directrice de la conservation et des collections, musĂ©e dâOrsay
Anne Robbins, conservatrice peinture, musĂ©e dâOrsay
AssistĂ©es de : Isabelle GaĂ«tan, chargĂ©e dâĂ©tudes documentaires au musĂ©e dâOrsay
En 1952, dans une formule restĂ©e cĂ©lĂšbre, AndrĂ© Masson saluait Les NymphĂ©as de Monet, installĂ©s Ă lâOrangerie 25 ans auparavant, comme la « chapelle Sixtine de lâImpressionnisme ». Avec cette comparaison si Ă©logieuse, Masson contribuait Ă remettre Ă lâhonneur un ensemble alors nĂ©gligĂ© ; surtout, portant ainsi les NymphĂ©as au pinacle de lâart mural, il en affirmait avec force la fonction Ă©minemment dĂ©corative. Le dĂ©cor impressionniste. Aux sources des NymphĂ©as invite Ă explorer cette dimension essentielle : Les NymphĂ©as, que Monet lui-mĂȘme, dĂšs 1915, appelle ses « grandes dĂ©corations », sont le couronnement de cinq dĂ©cennies de pratique et de rĂ©flexion de lâartiste – et plus largement des impressionnistes – autour de la question de la « dĂ©coration », notion cruciale tout au long du XIXe siĂšcle.
En effet, si les impressionnistes nâont pas reçu les commandes officielles espĂ©rĂ©es pour les mairies, les gares et autres Ă©difices publics quâĂ©rigent le Second Empire et la IIIe RĂ©publique, ils ont toutefois, au fil de leur carriĂšre, rĂ©alisĂ© nombre de peintures et dâobjets dĂ©coratifs. Caillebotte, Cassatt, CĂ©zanne, Monet, Morisot, Pissarro, Renoir, mais aussi Marie et FĂ©lix Bracquemond et Manet, se sont ainsi essayĂ© Ă des techniques, formats et motifs variĂ©s, redĂ©finissant chacun(e) Ă leur maniĂšre lâidĂ©e mĂȘme de « dĂ©coratif ». Cette notion paradoxale, alors Ă la fois positive et dĂ©prĂ©ciative, est au coeur de la pratique artistique, de la pensĂ©e esthĂ©tique et sociale de la fin du XIXe siĂšcle. « Ă’a Ă©tĂ© le rĂȘve de toute ma vie de peindre des murs », confiait Degas, comme en Ă©cho Ă Renoir qui voulait « transformer des murs entiers en Olympe ». Les impressionnistes ont ainsi pris part Ă la rĂ©flexion sur la place du beau dans la vie quotidienne, que redĂ©finissent alors lâindustrialisation et la diffusion Ă une Ă©chelle inĂ©dite des arts visuels et des objets. On connaĂźt lâapport de Gauguin et des Nabis Ă cette question du dĂ©cor. On oublie que, de la fin des annĂ©es 1860 au dĂ©but du XXe siĂšcle, les impressionnistes sâen sont emparĂ©s et ont brouillĂ© les frontiĂšres et la hiĂ©rarchie entre tableaux de chevalet et dĂ©corations.
Cet aspect de lâimpressionnisme reste en effet largement mĂ©connu et nâa Ă ce jour jamais fait lâobjet dâune exposition. Le dĂ©cor Impressionniste. Aux sources des NymphĂ©as sâinterroge sur la part que ces artistes ont pu prendre Ă lâĂ©laboration dâun nouveau langage dĂ©coratif au tournant du siĂšcle – examinant pour la premiĂšre fois les relations aussi complexes que fascinantes, trop longtemps ignorĂ©es, entre lâimpressionnisme et la dĂ©coration.
Bien des oeuvres impressionnistes aujourdâhui prĂ©sentĂ©es et regardĂ©es comme des tableaux de chevalet ont dâabord Ă©tĂ© conçues comme des dĂ©corations, exĂ©cutĂ©es pour les demeures de collectionneurs aventureux, ou pour celles des artistes eux-mĂȘmes. Le jeune CĂ©zanne couvre dans les annĂ©es 1860 les murs de la maison paternelle du Jas de Bouffan de grandes peintures murales aussi Ă©tranges quâambitieuses. Monet exĂ©cute pour le chĂąteau du collectionneur Ernest HoschedĂ©, prĂšs de Paris, un ensemble de paysages destinĂ© Ă une des piĂšces de rĂ©ception. Dans lâappartement parisien de son marchand Paul DurandâRuel, il orne de fleurs et de fruits les portes dâun grand salon, rapidement considĂ©rĂ© comme une vĂ©ritable vitrine de lâimpressionnisme. Morisot passe commande Ă Monet pour dĂ©corer son salonâatelier, tandis que Caillebotte fleurit en peinture les portes et murs de sa maison du PetitâGennevilliers. Tous font entrer dans ces intĂ©rieurs le « rĂ©el » de la vie moderne ou de la nature observĂ©e, souvent revivifiĂ©e par leur connaissance des arts du Japon, quâils admirent sans mesure. ParallĂšlement, Renoir peint pour la villĂ©giature familiale du peintre JacquesâEmile Blanche Ă Dieppe des dessusâdeâporte inspirĂ©s de Wagner. Les annĂ©es suivantes, il explore aussi les possibilitĂ©s dĂ©coratives du nu fĂ©minin, aboutissant au manifeste que constitue Les Baigneuses. Essai de peinture dĂ©corative, dit aussi Les Grandes Baigneuses, (1884-1887, Philadelphia Museum of Art). Ces ensembles nâont pas Ă©tĂ© conservĂ©s in situ et sont aujourdâhui dispersĂ©s. Le dĂ©cor impressionniste. Aux sources des NymphĂ©as en rassemble certains et les prĂ©sente pour la premiĂšre fois en tant que dĂ©corations, cĂ©lĂ©brant ainsi cette « magnificence lĂ©gĂšre », selon lâhistorien de lâart MeierâGraefe qui vantait en 1912 «la joie que ressent le spectateur devant ces dĂ©corations [de Renoir] qui laissent bien loin derriĂšre elles tous les essais dĂ©coratifs de notre Ă©poque ».
Un autre aspect de lâexposition concerne les menus objets, Ă©ventails ou cĂ©ramiques créés par les impressionnistes. Ces productions tĂ©moignent de leur intĂ©rĂȘt pour la dĂ©coration au sens large et reflĂštent leur rĂ©action Ă un « Ă©tat mental de lâart industriel qui sâeffondre de plus en plus ». Le constat dressĂ© par Pissarro pourrait ĂȘtre de Renoir, qui ne rĂ©dige pas moins de quatre textes en ce sens. Avec Degas et Morisot, ils se tournent vers la rĂ©alisation dâĂ©ventails, ayant prĂ©vu de leur consacrer une salle de leur quatriĂšme exposition collective de 1879. Leur forme singuliĂšre autorise des jeux de compositions et des perspectives audacieuses qui se retrouvent aussi dans leurs tableaux. Les impressionnistes sâaventurent sur de nombreux supports et formats « dĂ©coratifs » â comme le carrĂ© ou la frise â accordant la primautĂ© Ă des qualitĂ©s jugĂ©es alors essentiellement dĂ©coratives, exaltant la couleur et prĂŽnant le refus de la narration.
Cette composante dĂ©corative, inscrite dans la conception mĂȘme du tableau impressionniste, a Ă©galement prĂ©sidĂ© Ă la rĂ©ception du mouvement par ses contemporains. SitĂŽt exposĂ©es, les Ćuvres impressionnistes furent dĂ©nigrĂ©es par une partie du public et de la critique sur lâargument que celles-ci nâĂ©taient rien dâautre que de vulgaires « dĂ©corations », sans substance ni signification. Le critique Louis Leroy Ă qui lâon doit, en 1874, lâusage du qualificatif « impressionniste », compare en effet les tableaux quâexpose alors Monet Ă du simple « papier peint ». La nouvelle Ă©cole est souvent dĂ©finie comme « coloriste et dĂ©corative », câestâĂ âdire assimilĂ©e Ă une production mineure fondĂ©e sur le seul agrĂ©ment superficiel des sens et des effets de surface. Mais Ă mesure quâĂ©voluent les notions de dĂ©coration et du dĂ©coratif â devenant dĂšs la fin des annĂ©es 1880 un mode dâorganisation plastique, une promesse de renouveau pour toutes les expressions artistiques â câest bien un « gĂ©nie dĂ©coratif » propre Ă Monet et aux impressionnistes (selon le mot de FĂ©lix FĂ©nĂ©on) que saluent enfin leurs contemporains.
Production dâoeuvres dĂ©coratives par nature et destination, ou Ă titre dâexpĂ©rimentation ; exploration et transformation de lâidĂ©e de « dĂ©coratif » ; rĂŽle de cette notion ambiguĂ« dans lâĂ©closion du «scandale » de lâimpressionnisme : Ă partir de la fin des annĂ©es 1850, origines du mouvement, jusquâaux annĂ©es 1920 â achĂšvement des NymphĂ©as, les liens entre les impressionnistes et la dĂ©coration sont Ă la fois variĂ©s, fĂ©conds et centraux Ă bien des Ă©gards. Le dĂ©cor Impressionniste. Aux sources des NymphĂ©as propose dâexplorer cette autre histoire de lâimpressionnisme, et de dĂ©couvrir des oeuvres de Bracquemond, Caillebotte, Cassatt, CĂ©zanne, Degas, Manet, Monet, Morisot, Pissarro et Renoir venant du monde entier, pour certaines rarement ou jamais prĂ©sentĂ©es en France. Par le biais dâune centaine de peintures, dessins et objets, lâexposition rĂ©vĂšle comment les impressionnistes ont tracĂ© un chemin nouveau, guidĂ©s par la conviction que, selon le mot de Renoir, lâart est avant tout fait pour « mettre un peu de gaietĂ© sur un mur ».
Cette exposition est organisĂ©e par lâEtablissement public du musĂ©e dâOrsay et de lâOrangerie â ValĂ©ry Giscard dâEstaing, en partenariat exceptionnel avec la National Gallery, Londres.
Publication – Catalogue de lâexposition sous la direction de Sylvie Patry et Anne Robbins, coĂ©dition musĂ©es dâOrsay et de lâorangerie / Hazan.

