🔊 “Songlines” au musée du quai Branly – Jacques Chirac, Paris, du 4 avril au 2 juillet 2023
“Songlines”
Chant des pistes du désert australien
au musée du quai Branly – Jacques Chirac, Paris
du 4 avril au 2 juillet 2023
PODCAST – Interview de StĂ©phanie Leclerc-Caffarel, Responsable de collections OcĂ©anie, musĂ©e du quai Branly – Jacques Chirac,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 3 avril 2023, durée 12’06.
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :
Commissaire générale
Margo Neale, National Museum Lead Indigenous Curator, National Museum of Australia, Canberra
Commissariat collectif
Aînés des communautés Aṉangu Pitjantjatjara Yankunytjatjara, Ngaanyatjarra et Martu
Référente scientifique
Stéphanie Leclerc-Caffarel, Responsable de collections Océanie, musée du quai Branly – Jacques Chirac, Paris
Plongée au coeur du monde des premières nations australiennes, l’exposition Songlines invite à une traversée de plusieurs régions désertiques du centre et de l’ouest de l’Australie, sur la piste des Sept Soeurs, l’un des récits fondateurs les plus vastes et les plus importants de ce pays-continent. Entièrement conçue par les communautés autochtones dont les savoirs et les oeuvres sont présentés, l’exposition propose au visiteur d’expérimenter une perception aborigène du monde, scénographie immersive à l’appui.
Songlines. Chant des pistes du désert australien* retrace l’une des plus grandes épopées que compte l’Australie autochtone. Une histoire dans laquelle Sept Sœurs sont poursuivies sans relâche par un sorcier ayant la capacité de se métamorphoser à tout moment. Au fil de cette course poursuite, les protagonistes parcourent plusieurs régions du centre et de l’ouest du pays, passant par trois états et trois déserts. Leur périple, sans cesse réitéré, marque les territoires. Les rencontres entre les Sept Soeurs et le sorcier se reflètent et se rejouent dans les paysages, les cours d’eau souterrains et le ciel nocturne, notamment dans la constellation d’Orion et l’amas d’étoiles des Pléiades.
Avec près de vingt installations multimédia et plus de deux cents peintures, photographies et objets d’art, l’exposition s’articule autour du DomeLab, un dispositif immersif de 7 mètres de hauteur et six mètres de diamètre sous lequel les visiteurs découvrent les oeuvres d’art rupestre du site de Walinynga (Cave Hill) représentant l’histoire des Sept Soeurs et une animation de ce récit à partir d’oeuvres clés présentées dans l’exposition. Sous le dôme, conçu et développé pour offrir une expérience multidimensionnelle et multisensorielle, les visiteurs se laissent transporter. En passant d’une oeuvre et d’une installation à l’autre, comme autant de portails qui ouvrent sur les lieux ainsi racontés, ils sont invités à « suivre la piste » de chants ancestraux, qui façonnent les paysages comme le rapport au monde de l’Australie aborigène.
Mémoire des populations aborigènes
Depuis des dizaines de millénaires, la mémoire des populations autochtones d’Australie se propage à travers les paroles des Aînés, des histoires que l’on conte en peinture, en cérémonies et en chants. Transmises de génération en génération, ces songlines – ou « chants des pistes » – guident les pas des membres des communautés aborigènes à travers les territoires auxquels ils appartiennent. Bien plus que des récits légendaires, ce sont de véritables corridors de savoirs, des chemins tracés au fil des voyages et qui renferment les règles fondamentales de la cohabitation sociale ainsi que des connaissances écologiques, astronomiques ou géographiques essentielles à la vie. Les songlines représentent à la fois une voie spirituelle, des codes moraux et l’instrument qui permet de nommer, de localiser les sites importants où trouver l’eau et la nourriture, essentiels à la survie dans le désert, et de s’en souvenir. Selon Margo Neale, conservatrice en chef au National Museum of Australia et commissaire générale de l’exposition : « Songlines est un terme transculturel, un passeport vers un savoir profond, ancré dans les territoires que nous partageons aujourd’hui. Ce sont nos histoires fondatrices, celles de la création du continent australien, essentielles au sentiment d’appartenance de tous ses habitants ».
Un projet de sauvegarde
Née d’un projet lancé en 2010 par un groupe d’Aînés aṉangu, issus des terres APY (Aṉangu Pitjantjatjara Yankunytjatjara) dans le centre de l’Australie, l’exposition est une première mondiale de par son ampleur et sa complexité. Ce projet avait pour finalité de préserver les récits des Sept Soeurs pour les générations futures et, plus largement, de donner à voir et à comprendre ce que sont les songlines au plus grand nombre. Réalisé par le National Museum of Australia avec le soutien de the Australian National University, il a obtenu de la part du Conseil de recherches australien les fonds qui ont permis d’entreprendre le programme de recherche sans précédent intitulé Alive with the Dreaming! Songlines of the Western Desert (Vivre avec le Rêve, les songlines du Désert Occidental) duquel découle l’exposition. Grâce à cette mobilisation, les recherches pluridisciplinaires puisant dans les champs des savoirs aborigènes comme occidentaux ont permis d’intégrer les données collectées aux archives numériques de la base Aṟa Irititja, gérée par membres des communautés autochtones à Alice Springs.
*Traduction de Jacques Chabert pour le titre français de l’ouvrage The Songlines de Bruce Chatwin : Le Chant des pistes de Bruce Chatwin © Éditions Grasset & Fasquelle, 1988.
Songlines. Chant des pistes du désert australien est une exposition itinérante internationale produite par le National Museum of Australia avec le soutien constant des gardiens traditionnels de la Loi et des savoirs aborigènes sur l’histoire des Sept Soeurs. Cette exposition est soutenue par le gouvernement australien par l’intermédiaire du ministère des affaires étrangères et du commerce (DFAT).
Parcours de l’expositionÂ
Introduction
L’exposition Songlines. Chant des pistes du désert australien prend la forme d’un voyage qui suit un récit mythique : celui des Sept Soeurs (les sept étoiles de l’amas stellaire des Pléiades) qui fuient à travers les déserts pour échapper à la traque incessante d’un sorcier. C’est à la fois une épopée mêlant tragédie et comédie et un récit de création de la Terre, dans lequel le territoire joue un rôle essentiel. Proche des anciens mythes grecs dans lesquels les dieux se transforment pour séduire et enlever les femmes qu’ils désirent, cette saga en diffère toutefois par une tonalité parfois plus grivoise, voire paillarde. Au fil de l’exposition, des Aînés originaires des trois déserts, et des groupes linguistiques martu, ngaanyatjarra et aṉangu pitjantjatjara yankunytjatjara (APY), racontent l’histoire des Sept Soeurs. Leurs témoignages sont placés dans le parcours où les peintures se transforment en portails vers différents sites, enrichis par des dispositifs audiovisuels donnant à voir les cérémonies inma, ces chants et danses rituels durant lesquels l’histoire s’incarne. Cette exposition, originale par sa forme qui mêle peintures, objets traditionnels et dispositifs multimédia, répond à une demande venue des Aînés aṉangu de les aider à préserver et à transmettre un patrimoine en voie de disparaître. À l’origine, les histoires étaient interprétées par les gardiens de chaque Pays qui faisaient revivre les actions des Ancêtres là où elles avaient eu lieu. Alors que l’accès à nombre de sites est devenu plus difficile, et que les détenteurs de ce savoir vieillissent et sont moins nombreux, il est devenu nécessaire de trouver de nouveaux modes de conservation et de transmission. Songlines. Chants des pistes du désert australien répond à cette nécessité. Elle est la première exposition de ce genre, qui tente de présenter, dans un espace muséal, un récit fondateur aborigène en utilisant les moyens mis en oeuvre par les populations aborigènes elles-mêmes, à la fois propres à leur culture et plus universels. Son commissariat réunit ainsi des représentants respectés de chacune des communautés et désignés par celles-ci ; ils sont originaires des Pays martu et aṉangu pitjantjatjara yankunytjatjara (APY) et ngaanyatjarra. Ce ne sont pas de simples référents ou conseillers, mais les dépositaires des savoirs culturels présentés dans l’exposition conçue en collaboration avec le National Museum of Australia.
Pays MARTU
Tandis que les Minyipuru (Sept Soeurs) voyagent vers l’est à travers le Pays martu, elles laissent derrière elles une série de marques dans le paysage. Ces jalons retracent leurs échappées alors qu’elles fuient le sorcier qui les pourchasse, connu dans le Pays martu sous le nom de Yurla. Ces récits ne se contentent pas d’alerter sur les conséquences qu’il y a à enfreindre les règles de bonne conduite mais transmettent aussi des savoirs nécessaires à la survie dans le désert : où trouver des plantes médicinales, de la nourriture et de l’eau. Les femmes narguent et provoquent Yurla, « celui qui se métamorphose », qui possède le pouvoir magique de diviser son corps en différentes parties capables de continuer la poursuite de manière autonome. Le trajet suivi par les Minyipuru à travers le Pays martu est représenté, dans cette exposition, par deux songlines principales : la première couvre 100 kilomètres au nord de Telfer et Punmu, elle est figurée dans cette section de l’exposition par quatre peintures ; la deuxième couvre 600 kilomètres en suivant la Canning Stock Route (piste historique de l’ouest australien), du sud-est de Parnngurr jusqu’à Pangkapini, où elle quitte le Pays martu. Gardiens des sites et des histoires, les Aînés qui ont créé ces oeuvres ont grandi en menant des vies traditionnelles dans le désert – au temps du pujiman (bushman) – jusque dans les années 1950 et 1960 qui marquent leurs premières rencontres avec des Blancs. Leur connaissance de cette contrée de dunes et leur habileté à y circuler restent aujourd’hui intactes.
Territoires APY
Dans les territoires Aṉangu Pitjantjatjara Yankunytjatjara (APY), le poursuivant des Sept Soeurs, celui qui se métamorphose sans cesse, est connu sous le nom de Wati Nyiru, et le nom collectif des Soeurs – Minyipuru – devient Kungkarangkalpa. Alors qu’il pourchasse toujours les Soeurs avec une obstination qui touche à l’obsession, vers le sud depuis Irawa Bore (puits d’Irawa), Wati Nyiru prend conscience de sa véritable nature de sorcier à Walinynga (Cave Hill, la Colline de la Grotte) lorsqu’il ne reconnaît plus l’empreinte de son propre pied. Ici, comme ailleurs, les connaissances sont transmises par des dispositifs anciens et nouveaux. L’inma, ou performance cérémonielle, est le mode premier de communication d’un savoir et une façon de préserver les anciennes traditions. Dans la « Salle des métamorphoses » (Shape-shifting room) à travers des céramiques, les Aînés ont trouvé une façon imaginative de représenter à la fois les Sept Soeurs et les nourritures du bush dont Wati Nyiru prend l’apparence pour tenter les Soeurs. Grâce aux nouvelles technologies et à la réalité virtuelle, le Dôme qui surplombe la salle d’exposition propose un voyage immersif sur les terres aborigènes, mêlant les mondes anciens et contemporains.
Territoires NPY
Dans les histoires et les oeuvres venues des territoires ngaanyatjarra, la tonalité du récit se fait plus sombre et les actions de Wati Nyiru plus sinistres. Le thème central est son obsession pour la Soeur aînée et les peintures se concentrent sur plusieurs événements clés : la capture de cette Soeur, la cuisson et l’ingestion de kuniya, une variété de python (python tapis) et l’une des formes prises par « celui qui se métamorphose », ainsi que la transformation des Soeurs en étoiles. L’accent est également mis, ici, sur une cartographie du Pays établie en fonction des liens de parenté, reliant les sites et les personnes via le récit de leurs connexions. Les relations entre les personnes et les sites sont cartographiées en fonction de leurs liens de parenté avec les Ancêtres qui peuplent le récit. Les rituels de danses et de chants – les cérémonies inma – réactivent les significations universelles du Tjukurrpa (le Rêve). Le drame des Sept Soeurs se déploie, dans ces contrées, le long de deux songlines : celle de Kuru Ala au sud et celle de Wanarn au nord.
Derniers chants
Bien que le parcours propose une conclusion à son voyage sur la piste des Sept Soeurs, l’histoire elle-même est sans fin. Les Soeurs et celui qui les pourchasse continuent de rejouer leur périple dans la topographie des territoires et, chaque nuit, au sein des Pléiades et de la constellation d’Orion. Les peintures présentées dans les derniers espaces du parcours marquent aussi la fin du voyage qu’est la vie pour certains gardiens de l’histoire des Sept Soeurs. Finis les grands gestes, les peintures monumentales inspirées d’une saga épique, les couleurs denses, la description et l’énergie de la passion dans la quête de l’amour, du plaisir, de l’esprit, de la peur. Ne reste que l’essence puissante du Tjukurrpa, le Rêve.