🔊 “MANON” au Centre culturel Suisse, Paris, du 9 mai au 18 juillet 2021
“MANON”
au Centre culturel Suisse, Paris
du 9 mai au 18 juillet 2021
PODCAST – Interview de Claire Hoffmann, responsable de la programmation arts visuels du Centre culturel suisse et commissaire de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 7 mai 2021, durée 13’33,
© FranceFineArt.
©Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, visite de l’exposition avec Claire Hoffmann, le 7 mai 2021.
Extrait du communiqué de presse :
commissaire de l’exposition : Claire Hoffmann, responsable de la programmation arts visuels du Centre culturel suisse
Depuis le milieu des années 1970, l’artiste suisse Manon ne cesse d’interpeller par son sens radical de la performance, de la mise en scène et de l’installation. De manière subversive, elle aborde la transformation sociétale, le féminisme et la révolution sexuelle, s’inscrivant ainsi dans le débat actuel sur les relations de domination ou les notions d’identité et de genre.
Ses séries de photographie ou photo-performances tracent la création et transformation de son personnage – Manon. Elle se/le décline allant de corps sexualisé, figure androgyne et jeu de travestie (La dame au crâne rasé, 1977-78 ou Elektrokardiogramm 303/304, 1979), à des séries de mascarade d’identités possibles, jusqu’aux portraits plus récents où transpercent fragilité, âge et maladie (Borderline, 2007 ou Hôtel Dolores, 2008). Dès sa toute première oeuvre Le boudoir rose saumon (1974) s’instaure cette ambiguïté entre l’intime et sa théâtralisation, le vécu et l’artifice. Cet univers bondé de bibelots, de parures, d’objets fétiche, explosion d’une hyperféminité luxuriante, était sa chambre à coucher personnelle.
Très tôt, Manon développe aussi une pratique de performances installatives : des environnements immersifs ou des scenarii voyeuristes, excluants. Les relations de pouvoir homme-femme, l’exhibitionnisme et le renversement de rôles constituent leur point de départ. Ainsi s’enferme-t-elle avec les visiteur.euse.s pour échange de regard en face à face, devient femme dangereuse captive enchainée, ou encore expose six hommes comme des objets de désir dans une vitrine.
Manon, qui s’est choisi son propre nom pour s’extirper du nom du père (ou du mari) participe de ce volet de la seconde vague du féminisme qui s’approprie le corps et la sexualité de manière performative. Elle use du déploiement de cette féminité exacerbée comme d’une stratégie féministe pour questionner les rôles et contraintes hétéronormatives, interrogeant les positions d’objectification, de pouvoir et de regard.
A ce jour elle poursuit son travail de photographie et d’installations d’envergure, ainsi qu’une pratique d’écriture quotidienne pour creuser son champ de travail existentiel.
L’exposition est présentée dans diverses versions au Kunsthaus Zofingen, au Centre culturel suisse à Paris puis à la Fotostiftung Schweiz à Winterthur et fait l’objet d’une publication chez Scheidegger & Spiess.
Le terreau de l’existencepar Claire Hoffmann
texte publié dans la publication Manon, Scheidegger & Spiess, 2019
Lors d’une rencontre préparatoire en vue de l’exposition, Manon apporte un morceau de satin couleur saumon. C’est la couleur que doit avoir le baldaquin drapé au-dessus du boudoir couleur saumon, lequel baldaquin est recousu à chaque fois, en fonction de la configuration de l’espace et de la hauteur du lieu d’exposition. C’est cette teinte-là précisément, dans ce tissu fluide et brillant, que Manon avait cherchée en vain en Suisse lors de la création du boudoir en 1974 ; elle l’a trouvée finalement à Paris, au Marché Saint-Pierre. Et récemment retrouvée, toujours à Paris, chez un marchand de tissu. Selon Manon, Das lachsfarbene Boudoir (Le boudoir rose saumon) est sa première oeuvre, son
« degré zéro ». Quelques années plus tard, Manon vit à Paris (1977-1980), une phase décisive. Là voient le jour les séries emblématiques d’une jeune femme tondue qui passe ses nuits à se costumer et se métamorphoser, qui pose devant un mur carrelé en trompe-l’oeil, dans un escalier en manteau de fourrure, sur une terrasse en hauteur où son crâne lisse se détache devant les tours du 13e arrondissement ; Manon est installée chez son amie et icône glamour Susi Wyss, dont elle garde l’appartement (et les chats) en son absence. Quand, plus de 40 ans plus tard, se tient à Paris sa première exposition personnelle, ces moments de réflexion photographique et le cocon poudré-satiné ne peuvent faire défaut. Manon replace alors ses anciens environnements in situ dans l’espace d’exposition aux allures de basilique du Centre culturel suisse. S’y ajoutent de nouvelles oeuvres, d’autres lieux et atmosphères qui, par leur intimité désarmante, leur présence physique et dureté à la fois, s’inscrivent à la suite de l’oeuvre des débuts – sans nier l’écart temporel entre les deux.
Prochaine rencontre à Zurich, près du lac. L’artiste y vient tous les jours, le matin, elle s’assoit au bord de l’eau avec son carnet. Elle écrit, pense, se sent au bon endroit, se ressource, fait le plein d’énergie par son travail. C’est là qu’elle nous convie pour poursuivre les échanges sur les projets d’exposition. On feuillette les différentes propositions pour la couverture du livre, on s’interroge sur la pose d’un sol en linoléum carrelé dans les salles d’exposition, et voilà que la conversation change de sujet. Des vicissitudes sur l’organisation et les conditions générales, matérielles et financières, surgit soudain une vie – sa vie – clairement, concrètement. L’essentiel, la teneur même se fait jour. Manon nous entraîne alors dans des péripéties personnelles, qui pour certaines remontent loin dans sa biographie, elle raconte des moments charnières, des épisodes douloureux, et comment sa conception de la vie et de son propre travail artistique en a été marquée. « Mon histoire, c’est mon terreau. Mais je voudrais que d’autres puissent y trouver leur propre terreau, des choses qui leur correspondent. » Les expositions de Zofingen et de Paris donnent à voir, hormis des oeuvres des périodes antérieures de l’artiste, des travaux spécialement conçus pour ces espaces, notamment la grande installation Lachgas (Gaz hilarant) avec un lit médical et une robe rouge, avec des ampoules qui entourent le socle noir comme le miroir d’une loge. Cette oeuvre se situe au point de bascule de la vie, là où celle-ci se resserre et se fragilise, où l’éclat de surface est parsemé de cassures, de froideur et de profonde humanité pourtant, là où transparaît la vulnérabilité de l’existence humaine, physique et spirituelle. Elle montre que ce « terreau » personnel, que Manon ne cesse de travailler et de cultiver, constitue un fond commun d’où peuvent poindre des images et des sensations à même de tous nous toucher, dans notre propre existence.
Biographie – Extraits adaptĂ©s du texte de Brigitte Ulmer et Sandro Fischli publiĂ© dans Manon, Scheidegger & Spiess, 2019
Manon, de son vrai nom Rosmarie Küng, naît en 1940 à Berne et grandit à Saint-Gall. À l’âge de 15 ans, elle s’installe à l’hôtel et fréquente l’école d’arts appliqués de Saint-Gall. Elle travaille d’abord comme modèle, styliste, graphiste, décoratrice de vitrines, dessinatrice et créatrice de mode, avant de pratiquer la photographie au début des années 70. Elle explore l’autoportrait à partir de clichés de photomaton et l’auto-mise en scène glamour avec des décors élaborés qu’elle conçoit avec son mari Urs Lüthi, avec qui elle collabore notamment pour questionner l’androgynie et le travestissement. Parmi ses premières oeuvres photographiques, on trouve Polaroids (1973-1974) et Fetischbilder (Images fétiches, 1974) suivies de nombreuses séries qu’elle décrit comme photo-performance dont La dame au crâne rasé (1977/1978) dans laquelle, elle se construit une identité fluctuante alors qu’elle réside à Paris. La série Einst war sie MISS RIMINI (Elle fut jadis MISS RIMINI, 2003) poursuit son travail sur le thème de la construction identitaire tout comme Edgar (2006) où elle se glisse dans la peau d’un alter ego masculin. Avec les portraits grand format et colorés
de la série Borderline (2007), l’artiste s’explore résolument elle-même. En 2008 Manon commence un nouveau cycle photographique intitulé Hotel Dolores composé de prises de vues de trois hôtels thermaux désaffectés à Baden ; elle en modifie les intérieurs pour en faire jaillir des histoires et les peupler de personnages qu’elle incarne. Depuis 2004 elle poursuit aussi une activité de photographies quotidiennes pour la série de Diaries, qui sonde l’espace personnel du vécu.
En parallèle de sa pratique photographique, Manon élabore des environnements immersifs qui donnent souvent lieu à des performances. Sa première installation Das lachsfarbene Boudoir (Le boudoir rose saumon, 1974) s’inspire de sa chambre sous les toits de la Augustinergasse à Zurich – petit univers rempli d’objets fétiches, de plumes et de tissus brillants. Son plus grand environnement à ce jour : Reise nach Siberien (Voyage en Sibérie, 2015) créé pour le Kunsthaus d’Interlaken où elle construit une chambre froide, une morgue, dans laquelle le public est saisi par un froid glacial. Dernièrement, début printemps 2018, elle conçoit Der Wachsaal (La salle d’observation) pour la galerie Last Tango.
C’est en 2008 que le Helmhaus de Zurich, présente la première exposition qui rassemble l’ensemble de son oeuvre, elle est reprise un an plus tard au Swiss Institute de New York. La même année, l’artiste est récompensée par le Prix Meret Oppenheim et le Prix de la Fondation Fontana-Gränacher. Elle reçoit également en 2013 le Grand prix culturel de la Ville de Saint-Gall.
Manon travaille également avec des échantillons, citations d’oeuvres d’art et d’histoire du cinéma, coupures de journaux. Sa pratique quotidienne de l’écriture, qui l’accompagne depuis longtemps, a été publié en extrait dans le livre Federn / Feathers en 2020.
Aujourd’hui, Manon vit et travaille à Zurich.