âJudith Hopfâ Ănergies
BĂ©tonsalon â centre dâart et de recherche & Le Plateau Frac Ăle-de-France, Paris
du 22 septembre au 11 décembre 2022
Frac Ăle-de-France
Bétonsalon

PODCAST – Interview de Ămilie Renard, directrice de BĂ©tonsalon – centre dâart et de recherche,
de Xavier Franceschi, directeur du Frac Ăle-de-France,
et de François Aubart, commissaire d’exposition indĂ©pendant, Ă©diteur et enseignant Ă lâĂcole nationale supĂ©rieure dâarts de Paris-Cergy (ENSAPC), commissaires de l’exposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 20 septembre 2022, durĂ©e 20’57.
© FranceFineArt.
(Ămilie Renard, Judith Hopf, Xavier Franceschi et François Aubart)

Extrait du communiqué de presse :



Commissaires de lâexposition :
François Aubart, commissaire dâexposition indĂ©pendant, Ă©diteur et enseigne Ă lâĂcole nationale supĂ©rieure dâarts de Paris-Cergy (ENSAPC)
Xavier Franceschi, directeur du Frac Ăle-de-France
Ămilie Renard, directrice de BĂ©tonsalon – centre dâart et de recherche
Le Plateau sâassocie Ă BĂ©tonsalon pour accueillir une exposition en deux volets de Judith Hopf, du 22 septembre au 11 dĂ©cembre 2022. Depuis les annĂ©es 2000, lâartiste allemande rĂ©alise des sculptures et des films alimentĂ©s par des rĂ©flexions sur les relations que les ĂȘtres humains entretiennent avec la technologie. Pour cette premiĂšre exposition monographique en France, orchestrĂ©e par trois commissaires : François Aubart, Xavier Franceschi et Ămilie Renard, Judith Hopf rĂ©unit des oeuvres existantes et inĂ©dites. Son titre, Ănergies, dĂ©signe ce qui alimente chacun de nos appareils Ă©lectriques au quotidien, envisagĂ© selon un point de vue autant technique que philosophique.
Alors quâĂ BĂ©tonsalon les oeuvres tournent autour de la consommation dâĂ©nergie, au Plateau câest de sa production dont il est question. Judith Hopf rĂ©alise pour lâoccasion plusieurs oeuvres qui Ă©voquent la transformation des phĂ©nomĂšnes mĂ©tĂ©orologiques que sont la pluie et le soleil en Ă©lectricitĂ©. Cette maĂźtrise de lâenvironnement sâexprime Ă©galement dans des sculptures rĂ©alisĂ©es Ă partir de panneaux solaires grignotĂ©s comme un gruyĂšre ou trouĂ©s pour que lâon puisse voir Ă travers et observer ce quâils cachent, ce quâil y a derriĂšre. Lâinstrumentalisation du paysage que lâartiste nous donne Ă voir, anime par ailleurs les sculptures dâanimaux qui Ă©voquent Ă leur tour une nature devenue production sĂ©rielle, dĂ©shumanisĂ©e, un monde oĂč la rationalitĂ© lâemporte sur lâattention au vivant.
Cette exposition sâappuie sur des oppositions entre Ă©volution naturelle et croissance bornĂ©e pour composer des mises en scĂšne cinglantes et dâautant plus corrosives que câest notre quotidien quâelles reprĂ©sentent. PĂ©trie de rĂ©flexions sur la consommation Ă©nergĂ©tique, Ănergies nous rappelle que nombre de nos actions et de nos activitĂ©s dĂ©pendent de la conversion de ressources naturelles en puissance et quâen outre, en cette pĂ©riode de communication par visioconfĂ©rence, il en faut de grandes quantitĂ©s, Ă©lectriques et humaines, pour monter des expositions. Les Phone Users, des sculptures de personnages occupĂ©s Ă consulter leurs tĂ©lĂ©phones, qui se rĂ©pondent de BĂ©tonsalon au Plateau, peuvent en ĂȘtre la mĂ©taphore. Ils continueront de communiquer jusquâĂ devoir annoncer Ă lâautre : « je nâai plus de batterie. »
Ădito – Avis de tempĂȘte
Il nâest pas rare que le travail de Judith Hopf dĂ©clenche un lĂ©ger sourire, voire un rire franc. TrĂšs tĂŽt, ses Ćuvres suscitent ce type de rĂ©action bien que pour lâartiste lâhumour ne soit pas une fin en soi. Son travail est plutĂŽt nourri dâinterrogations sur les relations entre les ĂȘtres humains et leurs outils. Lâartiste explore ainsi les modes de production et de consommation que les technologies initient autant que les dĂ©pendances quâelles engendrent et lâexpansion quâelles alimentent. Depuis les annĂ©es 2000, Judith Hopf rĂ©alise des sculptures et des films qui mettent en scĂšne des situations et utilisent des matĂ©riaux marquĂ©s par ces prĂ©occupations. Citons Ă titre dâexemple sa sĂ©rie de sculptures Laptop Men (2018) : ces figures gĂ©omĂ©triques en mĂ©tal qui Ă©voquent dâĂ©tranges mobiliers urbains ou des sculptures modernes, sâavĂšrent reprĂ©senter un corps au travail, flĂ©chi, tenant un ordinateur portable. Faits du mĂȘme matĂ©riau, le corps et lâordinateur ont fusionnĂ© en une seule entitĂ© dont on ne sait laquelle contrĂŽle lâautre. Chez Judith Hopf, cette rĂ©flexion sur lâaliĂ©nation aux nouvelles technologies est souvent accompagnĂ©e dâune attention aux outils et processus qui permettent de rĂ©aliser ses piĂšces. Ainsi, Trying to Build a Mask (Tentant de construire un masque, 2012-2019) est une sĂ©rie de masques rĂ©alisĂ©s Ă partir dâemballages dâappareils Ă©lectroniques qui ont Ă©tĂ© pliĂ©s, scannĂ©s puis reproduits Ă lâimprimante 3D. Son titre indique une activitĂ© et laisse entendre la possibilitĂ© dâĂ©chec que toutes les technologies prĂ©tendent Ă©radiquer. En utilisant ces emballages jetables pour pratiquer ce qui ressemble Ă un passe-temps, Judith Hopf approche la technologie par son versant fĂ©tichiste et met en doute la course Ă la rĂ©ussite et Ă lâaccomplissement, tant vantĂ©e par lâesprit du capitalisme.
Les prĂ©occupations de Judith Hopf pour les modes contemporains de production et de consommation se manifestent Ă la fois dans les matĂ©riaux quâelle utilise et les formes quâelle produit. Les objets quâelle rĂ©alise semblent pris entre deux Ă©tats, entre le sublime quâils Ă©voquent et le ridicule ou la dĂ©ception quâils engendrent rĂ©ellement. Si lâoeuvre de Judith Hopf nous fait souvent sourire, câest pour cela. Câest parce quâelle reprĂ©sente des situations ou des objets toujours prĂȘts Ă basculer dâun Ă©tat Ă un autre, entre ce quâils sont factuellement, ce quâils pourraient ĂȘtre et ce quâils prĂ©tendent ĂȘtre ; entre leur Ă©tat et la fiction Ă laquelle ils voudraient nous faire croire. Lâoeuvre de Hopf est gorgĂ©e des paradoxes qui tapissent notre quotidien. Ils apparaissent lĂ avec toute leur Ă©trangetĂ©. Peut-ĂȘtre est-ce pour cela que son travail est parfois qualifiĂ© de cartoonesque, parce que les pires violences humaines y apparaissent dans toute leur stupiditĂ©.
Cette exposition Ă BĂ©tonsalon et au Plateau est lâoccasion pour Judith Hopf de prĂ©senter des oeuvres anciennes et rĂ©centes ainsi que des productions inĂ©dites. Son titre, Ănergies, dĂ©signe ces flux invisibles et continus qui traversent aussi bien nos appareils Ă©lectriques que chacun·e dâentre nous, qui dĂ©pensons tant dâĂ©nergie Ă les utiliser, faisant bien souvent corps avec eux. Judith Hopf mĂ©tamorphose ces Ă©lĂ©ments qui alimentent notre quotidien pour nous inviter Ă les observer plus quâĂ les consommer. Lâartiste nous rappelle Ă quel point nos activitĂ©s dĂ©pendent de la conversion de ressources naturelles en puissance, et Ă quel point nos reprĂ©sentations de la nature la rĂ©duisent Ă une ressource disponible.
Au Plateau, on dĂ©couvre lâimposante sculpture en mĂ©tal dâun brin dâherbe rĂ©alisĂ©e avec une prĂ©cision industrielle. Cette qualitĂ© monumentale invite Ă contempler un Ă©lĂ©ment unique extrait dâun ensemble : la pelouse, une plante autant quâun dĂ©cor, largement exploitĂ©e Ă la ville comme Ă la campagne, dans les parcs et les jardins, ces paysages culturels, autant que dans les champs pour le pĂąturage. Dans les deux cas, elle a une fonction prĂ©cise, indispensable mais galvaudĂ©e. En reprĂ©sentant de façon majestueuse un Ă©lĂ©ment unique parmi une foule de semblables auxquels on ne porte aucune attention, Judith Hopf renverse les valeurs, celles des matĂ©riaux, de lâimportance, de la grandeur et de la signifiance. Elle rappelle Ă©galement que lâherbe, comme toutes les plantes, croĂźt grĂące Ă lâeau et Ă la lumiĂšre ; deux sources dâĂ©nergie figurĂ©es dans des peintures murales de pluie et de soleil, des Ă©vĂšnements climatiques lâun comme lâautre convertibles en Ă©lectricitĂ©, des traits de pluie, des rayons de soleil bien alignĂ©s, parallĂšles et tout Ă fait ordonnĂ©s. Cette possibilitĂ© de les rendre productifs et de les maĂźtriser sâexprime dans une troisiĂšme peinture murale qui reprĂ©sente un champ de panneaux solaires, un motif gĂ©omĂ©trique rĂ©pĂ©titif qui orne nos paysages. Câest Ă©galement avec des panneaux solaires que Judith Hopf rĂ©alise une nouvelle sculpture qui fait basculer ce matĂ©riau dans un monde fantasmagorique oĂč il est percĂ© de larges cercles. Il est peut-ĂȘtre devenu un objet dysfonctionnel, un matĂ©riau mallĂ©able, grignotĂ© comme un gruyĂšre, pour que lâon puisse voir le ciel Ă travers.
Lâinstrumentalisation du paysage qui sâexprime dans ces oeuvres anime Ă©galement ses sculptures dâanimaux. Flock of Sheep (Troupeau de moutons, 2014) rĂ©unit un petit attroupement de blocs de bĂ©ton sommairement moulĂ©s dans des cartons dâemballage, certains montĂ©s sur quatre tiges mĂ©talliques Ă la maniĂšre de pattes. Leurs tĂȘtes, brossĂ©es dâun geste sommaire, leur confĂšrent une humeur, un sourire ou un air morose, sans quâils ne se distinguent pour autant les uns des autres. Leurs corps, composĂ©s en sĂ©rie avec des matĂ©riaux industriels, rappellent plus lâarchitecture brutaliste et la planification que des singularitĂ©s. Ils Ă©voquent une nature devenue production sĂ©rielle, dĂ©sincarnĂ©e, un monde oĂč la rationalitĂ© lâemporte sur lâattention au vivant. Depuis 2015, Judith Hopf rĂ©alise Ă©galement des serpents, ces animaux dont Gilles Deleuze Ă©voque la souplesse exemplaire dans « Post-scriptum sur les sociĂ©tĂ©s de contrĂŽle », pour exprimer un Ă©tat dâasservissement qui prĂŽne lâadaptabilitĂ© comme moyen de rĂ©pondre Ă toutes les demandes sociales (1) . Ceux-lĂ sont constituĂ©s de barres de bĂ©ton, toutes de mĂȘme section, jointes les unes aux autres selon des angles diffĂ©rents : produits dâun systĂšme rigide aux variations infinies, leur souplesse est figĂ©e. Leurs dents sont constituĂ©es de fines bandes de papier sur lesquelles des e-mails sont imprimĂ©s, ils semblent pris dans des correspondances possiblement perfides. La forme de consommation inconsidĂ©rĂ©e qui teinte lâexposition Ă BĂ©tonsalon rĂ©sonne avec la transformation de la nature en Ă©nergie au Plateau. On aurait tort cependant de voir dans cette double exposition un programme clairement Ă©noncĂ©. Les nombreux retournements et dĂ©placements que Judith Hopf opĂšre, en reprĂ©sentant des scĂšnes si communes quâelles en deviennent Ă©tranges ou sarcastiques, ou encore en utilisant des matĂ©riaux pour manipuler leurs sens, sont autant dâinvitations Ă penser des alternatives, Ă percevoir autrement les Ă©nergies environnantes plutĂŽt quâĂ les consommer toujours plus et plus vite. Ănergies sâappuie sur des oppositions entre Ă©volution naturelle et croissance bornĂ©e pour composer des mises en scĂšne cinglantes et dâautant plus corrosives que câest notre quotidien quâelle reprĂ©sente. Dâailleurs, on trouvera Ă©galement en creux de cette exposition en deux volets une rĂ©flexion sur lâart et sa production, dans un choix de matĂ©riaux qui cherche des alternatives Ă la production effrĂ©nĂ©e. Ănergies nâest pas sans rappeler quâen cette pĂ©riode de communication par visioconfĂ©rence, il en faut de grandes quantitĂ©s, Ă©lectriques et humaines, pour monter des expositions. Les Phone Users qui cherchent probablement Ă se joindre entre BĂ©tonsalon et Le Plateau peuvent en ĂȘtre la mĂ©taphore, ils tentent peut-ĂȘtre de communiquer sans pouvoir sâannoncer les uns aux autres : « Jâai presque plus de batterie. »
François Aubart, Xavier Franceschi, Ămilie Renard, commissaires de lâexposition
1 Gilles Deleuze, « Post-scriptum sur les sociĂ©tĂ©s de contrĂŽle ». Pourparlers. 1972-1900, Paris, les Ăditions de Minuit, 1990, p. 240-247.
Judith Hopf (nĂ©e en 1969, Karlsruhe, Allemagne) vit et travaille Ă Berlin. Ses oeuvres ont Ă©tĂ© exposĂ©es dans de nombreuses institutions internationales : Ă SMK â National Gallery of Denmark, Copenhague (2018); KW Institute for Contemporary Art, Berlin (2018); Hammer Museum, Los Angeles (2017); Museion, Bolzano (2016); Neue Galerie, Kassel (2015); PRAXES, Berlin (2014); Kunsthalle Lingen, Lingen (2013); Studio Voltaire, Londres (2013); Fondazione Morra Greco, Naples (2013); Schirn Kunsthalle Frankfurt, Francfort (2013); MalmĂž Konsthall, MalmĂž (2012); Grazer Kunstverein, Graz (2012); Badischer Kunstverein, Karlsruhe (2008); Portikus, Francfort (2007); Secession, Vienne (2006); Caso Institute for Art and Design, Utrecht (2006). Elle a participĂ© Ă de nombreuses biennales et expositions collectives, telles que Lenbachhaus, Munich (2018); Mudam, Luxembourg (2017); La Biennale de MontrĂ©al (2016); 8th Liverpool Biennial, Liverpool (2014); Sculpture Center, New York (2014); Triennale for Video Art, Mechelen (2012); dOCUMENTA13, Kassel (2012); Kunsthalle Basel (2011); Kunsthall Oslo, Oslo (2010). Judith Hopf enseigne Ă lâĂ©cole dâart supĂ©rieure de Francfort, la StĂ€delschule.