Agenda CulturelIncontournables 2Podcasts

🔊 “Worth” Inventer la haute couture, au Petit Palais, du 7 mai au 7 septembre 2025

Partage


“Worth” Inventer la haute couture

au Petit Palais, Paris

du 7 mai au 7 septembre 2025

Petit Palais


Entretien avec RaphaĂ«le Martin-Pigalle, conservatrice en chef du patrimoine, dĂ©partement des peintures modernes (1890-1914) au Petit Palais, et co-commissaire scientifique de l'exposition, par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă  Paris, le 5 mai 2025, durĂ©e 16’28. © FranceFineArt. (de gauche Ă  droite, Annick Lemoine, Sophie Grossiord, Marine Kisiel et RaphaĂ«le Martin-Pigalle)

PODCAST –  Entretien avec RaphaĂ«le Martin-Pigalle, conservatrice en chef du patrimoine, dĂ©partement des peintures modernes (1890-1914) au Petit Palais, et co-commissaire scientifique de l’exposition,


par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă  Paris, le 5 mai 2025, durĂ©e 16’28,
© FranceFineArt.
(de gauche à droite, Annick Lemoine, Sophie Grossiord, Marine Kisiel et Raphaële Martin-Pigalle)


previous arrow
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
next arrow
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
Worth; Inventer la haute couture
previous arrow
next arrow
©Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 5 mai 2025.

Extrait du communiqué de presse :

Anonyme, Robe du soir plongeant derriĂšre, entre 1920 et 1930. Épreuve gĂ©latino-argentique, 23 x 17 cm. Palais Galliera, musĂ©e de la Mode de la Ville de Paris. CCØ Paris MusĂ©es / Palais Galliera, musĂ©e de la Mode de la Ville de Paris.

Anonyme, Robe du soir plongeant derriĂšre, entre 1920 et 1930. Épreuve gĂ©latino-argentique, 23 x 17 cm. Palais Galliera, musĂ©e de la Mode de la Ville de Paris. CCØ Paris MusĂ©es / Palais Galliera, musĂ©e de la Mode de la Ville de Paris.

Antonio de La Gandara, Portrait d’Ida Rubinstein, 1913. Huile sur toile, 210 x 103 cm. © Collection Lucile Audouy, Paris.

Antonio de La Gandara, Portrait d’Ida Rubinstein, 1913. Huile sur toile, 210 x 103 cm. © Collection Lucile Audouy, Paris.

Anonyme, Andrée Caroline Worth, vers 1886. Tirage moderne, 24 x 18 cm. © Collection particuliÚre.

Anonyme, Andrée Caroline Worth, vers 1886. Tirage moderne, 24 x 18 cm. © Collection particuliÚre.

Nadar, La comtesse Greffulhe, 1886. Procédé photomécanique, 29 x 16,8 cm. Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris. CCØ Paris Musées / Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris.

Nadar, La comtesse Greffulhe, 1886. Procédé photomécanique, 29 x 16,8 cm. Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris. CCØ Paris Musées / Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris.

Commissariat général :

Annick Lemoine, conservatrice générale, directrice du Petit Palais

Miren Arzalluz, directrice du Musée Guggenheim, Bilbao, directrice honoraire du Palais Galliera

Commissariat scientifique :

Sophie Grossiord, directrice par intĂ©rim du Palais Galliera, conservatrice gĂ©nĂ©rale du patrimoine, responsable des collections mode dĂ©but du XXe siĂšcle jusqu’à 1947

Marine Kisiel, conservatrice du patrimoine, responsable des collections mode du XIXe siĂšcle, Palais Galliera

Raphaële Martin-Pigalle, conservatrice en chef du patrimoine, département des peintures modernes (1890-1914) au Petit Palais

assistĂ©es d’Alice Freudiger, assistante d’exposition au Palais Galliera.




Avec la contribution exceptionnelle du Palais Galliera, le Petit Palais présente une exposition consacrée à la maison de couture Worth.

Charles Frederick Worth (1825-1895), fondateur d’une maison qui incarne l’apogĂ©e du luxe parisien, est une figure incontournable de l’histoire de la mode. NĂ© en Angleterre, celui qu’on qualifie aisĂ©ment d’inventeur de la haute couture, fonde en 1858 la maison «_Worth & Bobergh_ » au 7 rue de la Paix, Ă  Paris. Cette maison qui portera ensuite le seul nom de «_Worth_», devient le symbole du raffinement et du savoir-faire français et s’étend sur quatre gĂ©nĂ©rations et prĂšs d’un siĂšcle.

PrĂ©sentĂ©e sur 1 100 m2 dans les vastes galeries du Petit Palais, cette rĂ©trospective inĂ©dite rassemble plus de 400 piĂšces — vĂȘtements, accessoires, objets d’art, peintures et arts graphiques— et a pour ambition de mettre en lumiĂšre aussi bien les crĂ©ations que les figures marquantes de la maison Worth. Outre la collection du Palais Galliera, l’exposition bĂ©nĂ©ficie de prĂȘts rares et prestigieux en provenance de musĂ©es internationaux tels que le Philadelphia Museum of Art, le Metropolitan Museum of Art, le Victoria and Albert Museum, le Palazzo Pitti, ainsi que de nombreuses collections privĂ©es.

Le parcours suit une chronologie s’étendant du Second Empire Ă  l’entre-deux-guerres et montre comment la griffe Worth, grĂące Ă  la vision internationale de son fondateur, est devenue une rĂ©fĂ©rence incontestĂ©e, contribuant Ă  consolider la place de Paris comme capitale mondiale de la mode.

La premiĂšre partie de l’exposition retrace les dĂ©buts de la maison, son essor et sa clientĂšle, de 1858 Ă  la veille de la PremiĂšre Guerre mondiale. ArrivĂ© Ă  Paris en 1846, Charles Frederick Worth dĂ©bute comme commis chez Gagelin, un marchand renommĂ©, avant de se faire rapidement un nom.

En 1858, il fonde la maison « Worth & Bobergh » avec le Suédois Otto Gustav Bobergh, au premier étage du 7 rue de la Paix.

La maison habille la princesse de Metternich, la cour impĂ©riale jusqu’à l’ImpĂ©ratrice EugĂ©nie elle-mĂȘme, imposant sa domination sur la mode parisienne. En 1870, aprĂšs la sĂ©paration avec Bobergh, la griffe devient « Worth ». Des tenues de jour aux manteaux d’opĂ©ra, de la tea-gown (robe d’intĂ©rieur) aux robes de bal, l’exposition illustre le style Worth, inimitable, Ă  travers un ensemble de silhouettes portĂ©es au grĂ© d’une journĂ©e.

L’exposition met Ă©galement en lumiĂšre des clientes prestigieuses, telles que l’Italienne Franca Florio, l’AmĂ©ricaine Lady Curzon et l’emblĂ©matique comtesse Greffulhe, modĂšle de la duchesse de Guermantes dans l’oeuvre de Marcel Proust. Des portraits peints par Carolus-Duran, La Gandara ou encore Louise Breslau jalonnent l’exposition et tĂ©moignent de la volontĂ©, pour ces femmes fortunĂ©es, de se voir reprĂ©sentĂ©es dans leurs plus belles robes Worth. En 1895, le dĂ©cĂšs de Charles Frederick marque un tournant dans l’histoire de la maison, alors reprise par ses fils, Jean-Philippe et Gaston.

L’exposition fait revivre la mythique rue de la Paix avec ses maisons de couture telles Paquin, Doucet et Doeuillet. Le couturier Poiret, qui ouvre son propre atelier en 1903, fait ses armes chez Worth. Documents et photographies viennent illustrer le fonctionnement de cette maison oĂč des milliers de personnes oeuvrent au quotidien : de l’atelier de couture Ă  celui d’emballage en passant par l’atelier du photographe jusqu’aux luxueux salons qui accueillent une clientĂšle internationale.

La derniĂšre section se concentre sur le nouvel Ăąge d’or de la maison, au dĂ©but du XXe siĂšcle. Sous la direction de Jean-Philippe et Gaston Worth, la maison poursuit son expansion. À cette Ă©poque, la mode fait un retour au style du Premier Empire, tout en rĂ©pondant aux nouvelles aspirations de la sociĂ©tĂ© avec des silhouettes plus Ă©purĂ©es, Ă  la fois droites et fuselĂ©es. La maison s’affirme par ses crĂ©ations, soutenues par la presse spĂ©cialisĂ©e, notamment La Gazette du Bon Ton.

À partir des annĂ©es 1920, les fils de Gaston, Jean-Charles et Jacques, prennent la relĂšve. Worth entre alors pleinement dans la modernitĂ©. La maison propose Ă  chaque collection de nombreux manteaux, capes, robes de jour et du soir. Le « bleu Worth » s’impose. En 1924, est lancĂ© son premier parfum, Dans la Nuit, suivi de nombreux autres dont les flacons ont Ă©tĂ© conçus par Lalique comme Vers le Jour, Sans Adieu et Je reviens. L’exposition fait renaĂźtre ce dernier grĂące Ă  un dispositif olfactif exceptionnel proposĂ© en collaboration avec l’OsmothĂšque, Conservatoire International des Parfums.

Cette rĂ©trospective est ponctuĂ©e par quatre vidĂ©os rĂ©alisĂ©es, par le journaliste LoĂŻc Prigent, dĂ©voilant les secrets de la confection de quatre vĂȘtements iconiques et les coulisses de leur mannequinage. Des extraits de films complĂštent le propos, tandis que des stations d’écoute plongent les visiteurs dans l’effervescence et le quotidien de ces maisons de couture. Enfin, un parcours enfant, dĂ©diĂ© aux 7-10 ans, leur propose de vivre l’aventure de la mode en aidant le cĂ©lĂšbre couturier Ă  inventer la haute couture.

L’exposition s’affirme comme une immersion totale dans l’histoire d’une institution mythique qui a su imposer le luxe et l’élĂ©gance Ă  la française. Une page de l’histoire de la mode se dĂ©ploie, celle du systĂšme de la mode tel que nous le connaissons aujourd’hui avec ses dĂ©filĂ©s et ses stratĂ©gies de commercialisation, celle de l’invention de la figure du grand couturier dont les crĂ©ateurs de mode se rĂ©clament encore aujourd’hui.

Louis BĂ©roud, L’Escalier de l’opĂ©ra, 1877. Huile sur toile, 65 x 55 cm. MusĂ©e Carnavalet - Histoire de Paris. CCØ Paris MusĂ©es / MusĂ©e Carnavalet - Histoire de Paris.

Louis BĂ©roud, L’Escalier de l’opĂ©ra, 1877. Huile sur toile, 65 x 55 cm. MusĂ©e Carnavalet – Histoire de Paris. CCØ Paris MusĂ©es / MusĂ©e Carnavalet – Histoire de Paris.

Nadar, Charles Frederick Worth, 1892. Tirages sur papier albuminé monté sur carton, 42,5 x 30 cm. Diktats, Lille, France. © Librairie Diktats.

Nadar, Charles Frederick Worth, 1892. Tirages sur papier albuminé monté sur carton, 42,5 x 30 cm. Diktats, Lille, France. © Librairie Diktats.

Man Ray, Photographie de Jean-Charles Worth, vers 1925. Tirage d’exposition Ă  partir du vintage de la collection Juliet Man Ray, 22,5_x 17,7 cm. © MAN RAY TRUST / ADAGP, Paris 2025. Image Telimage, Paris

Man Ray, Photographie de Jean-Charles Worth, vers 1925. Tirage d’exposition Ă  partir du vintage de la collection Juliet Man Ray, 22,5_x 17,7 cm. © MAN RAY TRUST / ADAGP, Paris 2025. Image Telimage, Paris


Parcours de l’exposition

Avec quatre gĂ©nĂ©rations et prĂšs d’un siĂšcle d’existence, Worth occupe une place Ă  part dans le paysage des maisons de mode. Worth est en effet le nom d’un homme, Charles Frederick, et de ses descendants qui se succĂšdent Ă  la tĂȘte de la maison. C’est aussi un mythe : celui d’une enseigne, fondĂ©e Ă  Paris en 1858, dont le dĂ©veloppement dicte bientĂŽt une nouvelle forme d’organisation Ă  l’industrie de la haute couture. Worth s’impose rapidement comme une rĂ©fĂ©rence, confortĂ©e par l’usage de la griffe que le fondateur transforme en y apposant sa signature manuscrite, et par une sĂ©rie d’innovations. Charles Frederick Worth adapte les principes sĂ©riels de la confection aux formes individualisĂ©es de modĂšles rĂ©putĂ©s uniques. Il met en place la saisonnalitĂ© des collections et la pratique des dĂ©filĂ©s, favorisant la commercialisation et le rayonnement de ses crĂ©ations Ă  travers le monde entier. Nombreux sont les legs que le systĂšme de la mode aura reçus de l’astucieux couturier – vite dĂ©peint par ses contemporains comme un tyran autocrate et gĂ©nial –, mais aussi de ses fils et petits-fils, souvent effacĂ©s derriĂšre la figure du patriarche. Retraçant l’histoire de la maison, de sa fondation par Charles Frederick Worth et son associĂ©, le SuĂ©dois Otto Bobergh, jusqu’aux premiĂšres dĂ©cennies du XXe siĂšcle, l’exposition revient pour la premiĂšre fois Ă  Paris, en oeuvres et en images, sur une dynastie et une griffe mythiques. Le parcours invite Ă  suivre l’évolution d’une mode sans cesse renouvelĂ©e, tout en restituant sa place Ă  une adresse lĂ©gendaire : le 7 rue de la Paix. Aux cĂŽtĂ©s des maisons concurrentes, c’est un univers mĂ©connu, voire invisible, qui se rĂ©vĂšle, oĂč travaille le microcosme aussi discret qu’essentiel des couturiĂšres et des premiĂšres d’atelier, des tailleurs, des dessinatrices, des manutentionnaires et autres commis.


Worth & Bobergh

FormĂ© en Angleterre dans deux maisons de nouveautĂ©s, Charles Frederick Worth traverse la Manche en 1846 et entre, Ă  Paris, chez Gagelin. Devenu premier commis de ce marchand renommĂ©, le jeune Worth affine ses talents dans la vente des soieries, chĂąles en cachemire et « confections », ces robes, mantelets et manteaux de cour produits en sĂ©rie puis adaptĂ©s aux clientes, qui contribuent Ă  la notoriĂ©tĂ© de l’enseigne. Ayant rapidement acquis une place prĂ©pondĂ©rante dans l’affaire, il s’associe en mai 1853 Ă  ses deux dirigeants. Cependant l’énergie de Charles Frederick Worth dĂ©passe rapidement celle de ses associĂ©s. En 1858, c’est en partenariat avec le SuĂ©dois Otto Gustav Bobergh que naĂźt la maison Worth & Bobergh, au premier Ă©tage du 7 rue de la Paix. Proche des Tuileries, l’adresse, appelĂ©e Ă  devenir mythique, permet Ă  Worth de se projeter vers la cour impĂ©riale. BientĂŽt la princesse de Metternich, Ă©pouse de l’ambassadeur d’Autriche en France, lancera la carriĂšre du couturier en portant ses toilettes, convoitĂ©es par les femmes de la cour et jusqu’à l’impĂ©ratrice, avec qui Worth noue une relation qui survivra Ă  l’Empire. La reconnaissance impĂ©riale et le dynamisme du Second Empire seront les clĂ©s du succĂšs de Worth & Bobergh. Charles Frederick Worth fait Ă©voluer la forme de la crinoline, stimule les maisons de soieries lyonnaises et laisse libre cours Ă  son goĂ»t pour les garnitures, dentelles, broderies, passementeries et galons, qui habillent ses modĂšles de maniĂšre toujours plus prononcĂ©e. Il bouleverse ainsi la mode de son temps et se crĂ©e une position sans pareille dans le paysage de la couture parisienne. Son Ă©pouse, Marie Vernet, interlocutrice primordiale des clientes comme de son Ă©poux, joue un rĂŽle fondamental dans l’établissement et le dĂ©veloppement de la maison.


Worth & Bobergh devient Worth

En 1870, Charles Frederick Worth et Otto Gustav Bobergh mettent un terme Ă  douze ans de collaboration. La vitalitĂ© rapidement retrouvĂ©e de la France, que cĂ©lĂšbre l’Exposition universelle de 1878, offre au couturier un théùtre dans lequel sa maison prospĂ©rera. MalgrĂ© des prix exorbitants, les commandes affluent du monde entier. La griffe Worth est partout, attisant curiositĂ© et admiration, et permet au crĂ©ateur d’imposer ses vues et ses modĂšles Ă  des clientes dont la docilitĂ© face Ă  ses diktats n’est cependant pas toujours acquise. Si Charles Frederick Worth est proche du couple impĂ©rial sous le Second Empire, les changements politiques n’altĂšrent pas les liens Ă©troits qu’il entretient avec ses contemporains – aristocrates, scientifiques, Ă©crivains, artistes, qui accompagnent parfois leurs Ă©pouses dans ses salons. À ses cĂŽtĂ©s, ses fils Gaston et Jean-Philippe le secondent, le premier dans l’administration de la maison, le second dans la crĂ©ation. La signature autographe de Charles Frederick Worth, qui, vers la fin des annĂ©es 1880, envahit la griffe, en dit long sur la renommĂ©e de la maison parisienne dont il n’est dĂšs lors plus nĂ©cessaire de prĂ©ciser l’adresse. C’est le triomphe du style tapissier, caractĂ©risĂ© par une surcharge dĂ©corative. La crinoline, qui ne survit pas Ă  l’Empire, laisse place Ă  une robe dont le volume de la jupe est reportĂ© dans le dos : tournures et faux-culs, qui amplifient l’arriĂšre des silhouettes, supportent d’exubĂ©rantes accumulations d’étoffes, de rubans et de noeuds qu’une traĂźne prolonge le soir. C’est un sillage de garnitures et de passementeries que dessine la mode Worth, nourrie de rĂ©fĂ©rences Ă©clectiques et puisant dans une variĂ©tĂ© d’étoffes : soies, velours, damas, brocarts, souvent associĂ©s et contrastants.


24 heures dans la vie d’une femme

L’établissement progressif de la IIIe RĂ©publique, aux lendemains de la guerre franco-prussienne de 1870, ouvre une Ăšre prospĂšre pour la maison Worth. Une clientĂšle diversifiĂ©e et toujours plus nombreuse frĂ©quente, rue de la Paix, une maison au lustre sans guĂšre d’équivalent. L’aristocratie, la haute bourgeoisie, les riches clientes Ă©trangĂšres et les actrices dĂ©laissent dĂ©sormais leurs couturiĂšres pour les « grands couturiers », et trouvent chez Worth une mode en constante Ă©volution, habillant les diffĂ©rents moments de la journĂ©e. Dans la derniĂšre dĂ©cennie du XIXe siĂšcle, alors que Jean-Philippe Worth succĂšde Ă  son pĂšre, disparu en 1895, la maison continue d’offrir Ă  ses clientes ces robes du soir que l’on associe encore largement au nom de Worth aujourd’hui. La traĂźne s’allonge, les drapĂ©s s’effacent au profit d’une silhouette fluide oĂč les lignes l’emportent sur l’accumulation d’étoffes des pĂ©riodes antĂ©rieures. De riches garnitures animent toujours ces robes coupĂ©es dans des soieries opulentes. Dentelles, jais, perles, fleurs artificielles participent de la théùtralitĂ© que Jean-Philippe Worth affectionne Ă  son tour. Ce n’est pas tout : outre des tea-gowns, robes d’intĂ©rieur adoptant souvent la ligne princesse (sans couture Ă  la taille) que Worth a inventĂ©e, la maison propose Ă  ses clientes des robes de jour, tailleurs et manteaux structurĂ©s que portent les femmes dans leurs activitĂ©s quotidiennes et mĂȘme sportives. À rebours, les extraordinaires bouillonnements d’étoffes des capes et manteaux du soir accompagnent les sorties nocturnes et jouent de leurs effets de matiĂšres et de formes sous la lumiĂšre des Ă©clairages artificiels.


Historicisme et travestissement

La tendance historicisante qui imprĂšgne la mode en ce dernier tiers du XIXe siĂšcle est omniprĂ©sente chez Worth et persiste malgrĂ© les changements qui affectent la silhouette. De la Renaissance au XVIIIe siĂšcle, de multiples influences, habilement conjuguĂ©es, marquent les collections et en enrichissent la lecture. CrevĂ©s, manches bouffantes surdimensionnĂ©es, cols MĂ©dicis, guipures, jabots et manchettes, fichus, noeuds, ruchĂ©s et falbalas, basques, plis Watteau
, les citations sont nombreuses. De la tea-gown Ă  la robe du soir, du collet (cape courte) au manteau d’opĂ©ra, les musĂ©es amĂ©ricains en conservent d’éloquents tĂ©moignages. En effet, la clientĂšle d’outre-Atlantique, avide de nouveautĂ©s, se presse au 7 rue de la Paix. Cette richesse d’influences se lit Ă©galement Ă  travers les motifs. Ainsi, le tissu Tassinari & Chatel « Reine des fleurs » utilisĂ© pour une robe du soir tire-t-il son origine de la chambre de Madame du Barry Ă  Versailles. La tea gown de la comtesse Greffulhe reprend pour sa part les motifs en mĂ©daillon d’un velours ottoman du XVIe siĂšcle. AnimĂ© d’une passion familiale pour le travestissement, Worth donne libre cours Ă  sa prodigieuse crĂ©ativitĂ© lors de mĂ©morables bals costumĂ©s organisĂ©s Ă  Paris, Londres, New York, qui contribuent Ă  son immense renommĂ©e. La prĂ©dilection de la maison pour l’historicisme s’y exprime pleinement. Nombre de costumes s’inspirent de portraits cĂ©lĂšbres des maĂźtres anciens.


Clientes et moments d’exception

PrisĂ©es des tĂȘtes couronnĂ©es et de l’aristocratie, les crĂ©ations de Worth rayonnent dans les cours europĂ©ennes. La robe de mariĂ©e, la robe de prĂ©sentation, le manteau de cour et la robe de cĂ©rĂ©monie figurent parmi les spĂ©cialitĂ©s de la maison. Tant et si bien que Worth choisit, pour se reprĂ©senter Ă  l’Exposition universelle de 1900, de mettre Ă  l’honneur les prĂ©paratifs d’une robe de prĂ©sentation Ă  la cour. En 1867, Worth livre la robe de l’impĂ©ratrice Élisabeth d’Autriche, mieux connue sous le nom de Sissi, lors de son couronnement de reine de Hongrie. La maison crĂ©e aussi les garde-robes des tsarines, exposĂ©es au 7 rue de la Paix avant leur expĂ©dition en Russie, pour les couronnements d’Alexandre III, en 1883, et de Nicolas II, en 1896. Les liens avec les cours d’Espagne et du Portugal sont Ă©galement Ă©troits. Quoique la reine Victoria prĂ©fĂšre les toilettes des couturiĂšres anglaises, l’aristocratie britannique affectionne les crĂ©ations de la maison Worth. Pour preuve, Worth ouvre au tout dĂ©but du XXe siĂšcle une succursale Ă  Londres, au moment oĂč les prĂ©paratifs du couronnement d’Édouard VII battent leur plein. Mises Ă  l’honneur dans cette salle, les toilettes de l’Italienne Franca Florio, de l’AmĂ©ricaine et Britannique Mary Victoria Leiter, ainsi que de l’extraordinaire comtesse Greffulhe, modĂšle de la duchesse de Guermantes de Proust, rappellent jusqu’oĂč s’étend le rĂšgne de Worth sur la mode internationale.


Rue de la Paix – Les Ateliers Worth

La cĂ©lĂšbre enfilade des salons Worth, peuplĂ©e de clientes et de vendeuses, offre l’image publique de la maison. L’envers du dĂ©cor se dĂ©ploie dans les Ă©tages de l’immeuble que Worth occupe en s’agrandissant, tout au long de son existence, au 7 rue de la Paix. Sur huit niveaux, du sous-sol au septiĂšme Ă©tage, des balcons sur rue aux cours intĂ©rieures, se rĂ©partit un univers de mĂ©tiers et de savoir-faire, ainsi qu’une petite sociĂ©tĂ© humaine comptant un bon millier de personnes dĂšs les annĂ©es 1870. Au deuxiĂšme Ă©tage, les dessinateurs cĂŽtoient les modĂšles, l’atelier des tailleurs ainsi que le centre nĂ©vralgique de la maison : la manutention de la confection. C’est lĂ  que les coupons sont stockĂ©s, avant de passer par les mains des coupeurs qui livreront, en piĂšces dĂ©tachĂ©es, les Ă©lĂ©ments d’un patron aux couturiĂšres et tailleurs chargĂ©s de les assembler. Les ateliers, aux troisiĂšme et quatriĂšme Ă©tages, associent ces Ă©lĂ©ments essentiellement Ă  la machine. Ainsi, l’artisanat d’exception qu’est la haute couture peut-il produire des vĂȘtements dans des quantitĂ©s considĂ©rables. L’ornementation viendra les singulariser, permettant Ă©galement la modulation du prix. Les 10 000 piĂšces qui sortent chaque annĂ©e de la maison, vers 1900, seront ainsi individualisĂ©es au moyen de garnitures : passementeries, rubans, perles, qui en feront des piĂšces quasiment uniques. Des rĂ©fectoires et des cuisines pour le personnel cĂŽtoient, dans les Ă©tages, une mĂ©canicienne, des bureaux et des magasins. Un atelier de photographie installĂ© sous les toits permet, enfin, la prise de vue des crĂ©ations et, par lĂ , le dĂ©pĂŽt des modĂšles, rempart face Ă  la contrefaçon.


Un nouvel Ăąge d’or. La Maison Worth Ă  l’orĂ©e du XXe siĂšcle

À l’orĂ©e du XXe siĂšcle, le succĂšs de la maison demeure incontestĂ©. Les talents de gestionnaire de Gaston Worth, fils de Charles Frederick, la font alors prospĂ©rer. Worth a conservĂ© une impressionnante clientĂšle française et internationale issue de l’aristocratie, de la haute bourgeoisie et du monde artistique. La maison entretient des liens Ă©troits avec l’univers du théùtre. Actrices et divas, parmi lesquelles Eleonora Duse ou Ida Rubinstein, franchissent le seuil du 7 rue de la Paix. Un retour au Premier Empire (1804-1815), auquel Worth ne fait pas exception, s’observe chez les couturiers autour de 1910. Les collections dĂ©clinent nombre de modĂšles Ă  la silhouette droite et fuselĂ©e, dont l’élĂ©gante Gazette du Bon Ton assure une constante publicitĂ©. En 1914, dans l’album Le Vrai et le Faux Chic, le caricaturiste Sem range les frĂšres Worth parmi les rares reprĂ©sentants du vrai chic parisien : « Ils continuent la tradition de leur noble maison en la rajeunissant d’une fantaisie moderne. » Quelques annĂ©es aprĂšs l’échec de la tentative de collaboration avec Paul Poiret, la maison rĂ©pond en effet au nouveau mode de vie adoptĂ© par la clientĂšle, comme en tĂ©moigne un exceptionnel tailleur datĂ© vers 1913, exposĂ© dans cette salle. La PremiĂšre Guerre mondiale voit la maison s’investir dans les oeuvres de bienfaisance et se transformer en hĂŽpital. Les titres Ă©vocateurs de certains modĂšles, « MobilisĂ© » ou « Artilleur », dont les dessins sont conservĂ©s aux Archives de Paris, rĂ©sonnent en Ă©cho Ă  la duretĂ© des temps.


Les années 1920

« Une des plus anciennes maisons de couture, et nĂ©anmoins l’une de celles qui ont su le mieux non seulement s’adapter au goĂ»t moderne, mais encore le devancer et l’inspirer, telle est la meilleure dĂ©finition de Worth », proclame Vogue France le 1er avril 1924. Sous l’égide de Jean-Charles et Jacques, fils de Gaston Worth, la maison s’inscrit de fait pleinement dans la modernitĂ©, comme en tĂ©moignent les photographies des dĂ©pĂŽts de modĂšles conservĂ©es par centaines aux Archives de Paris. Un nombre impressionnant de manteaux, capes, robes de jour ou du soir se dĂ©cline au grĂ© des collections. RĂ©vĂ©lant les talents de coloriste de Jean-Charles, le « bleu Worth » s’impose Ă  travers plusieurs nuances. HĂ©ritier d’une tradition de somptuositĂ©, le couturier propose robes Ă  traĂźne et manteaux du soir agrĂ©mentĂ©s de broderies, souvent dĂ©centrĂ©es, et de bijoux en trompe-l’oeil. « La mode du soir chez Worth garde un caractĂšre somptueux », titre Vogue France le 1er janvier 1925. La prĂ©dilection du crĂ©ateur pour l’Art dĂ©co est perceptible. Les motifs confĂšrent aux modĂšles un statut d’objets d’art. Le couturier en vue, auquel le Time consacre sa couverture le 13 aoĂ»t 1928, entretient une proximitĂ© avec le milieu artistique qui le conduit Ă  collaborer avec Jean Dunand ou Ă  utiliser des textiles dessinĂ©s par Raoul Dufy. Reprenant en 1929 Ă  son compte la dĂ©marche de son grand-pĂšre Charles Frederick, Jean-Charles appose, en guise de signature, son monogramme ou ses initiales, parfois surdimensionnĂ©s, sur quelques modĂšles.

Catalogue de l’exposition – Worth. Inventer la haute couture – Éditions Paris MusĂ©es

Textes de Miren Arzalluz, Alex Aubry, Elizabeth Block, Carole Damour, William DeGregorio, Sophie Grossiord, Émilie Hammen, Amy de la Haye, CĂ©sar Imbert, Marine Kisiel, Camille Kovalevsky, RaphaĂ«le Martin-Pigalle, Fabrice Olivieri, Anastasia Ozoline, Pascale Pavageau et Wilfried Zeisler. ConsacrĂ© au couturier Charles Frederick Worth (1825-1895) et Ă  la maison qu’il a fondĂ©e, cet ouvrage en retrace la chronologie sur quatre gĂ©nĂ©rations, de 1858 Ă  1954. Une vaste fresque qui se dĂ©ploie au fil d’une riche iconographie et de textes scientifiques dĂ©crivant un tournant majeur dans l’histoire de la mode de la fin du XIXe et du dĂ©but du XXe siĂšcle : l’invention de la haute couture. Du Second Empire aux AnnĂ©es folles, une page d’histoire s’écrit : la mise en place de la figure du grand couturier et de techniques de crĂ©ation et de commercialisation nouvelles, fondatrices du fonctionnement actuel de la mode. Ce livre de rĂ©fĂ©rence tĂ©moigne de savoir-faire d’exception mis au service d’une crĂ©ativitĂ© Ă©blouissante. Un ouvrage de rĂ©fĂ©rence, qui tĂ©moigne d’un monde naissant mĂȘlant crĂ©ativitĂ© et savoir-faire d’exception.

 

Worth, Veste de femme, vers 1895. Velours de soie avec appliquĂ© de soie et appliquĂ© inversĂ© (fourrure de remplacement). Philadelphia museum of Art, États-Unis d’AmĂ©rique. © Gift of Mrs. George B. Roberts, Philadelphia museum of Art.

Worth, Veste de femme, vers 1895. Velours de soie avec appliquĂ© de soie et appliquĂ© inversĂ© (fourrure de remplacement). Philadelphia museum of Art, États-Unis d’AmĂ©rique. © Gift of Mrs. George B. Roberts, Philadelphia museum of Art.

Worth, Robe du soir dite « Robe aux lys », vers 1896. Velours de soie noir, incrustations de satin de soie duchesse blanc ivoire en forme de branche de lys bordĂ©es d’un cordonnet de fils d’argent dorĂ©. Broderies de perles, paillettes, strass et fils mĂ©talliques d’argent dorĂ©. Palais Galliera, musĂ©e de la Mode de la Ville de Paris. CCØ Paris MusĂ©es / Palais Galliera, musĂ©e de la Mode de la Ville de Paris.

Worth, Robe du soir dite « Robe aux lys », vers 1896. Velours de soie noir, incrustations de satin de soie duchesse blanc ivoire en forme de branche de lys bordĂ©es d’un cordonnet de fils d’argent dorĂ©. Broderies de perles, paillettes, strass et fils mĂ©talliques d’argent dorĂ©. Palais Galliera, musĂ©e de la Mode de la Ville de Paris. CCØ Paris MusĂ©es / Palais Galliera, musĂ©e de la Mode de la Ville de Paris.

Worth, Robe d’intĂ©rieur ou tea-gown, vers 1896-1897. Soie façonnĂ©e Ă  fond en satin vert et motifs en velours coupĂ© bleu, dentelle de coton mĂ©canique, doublure en taffetas de soie changeant vert et bleu. Palais Galliera, musĂ©e de la Mode de la Ville de Paris. © Stanislas Wolff.

Worth, Robe d’intĂ©rieur ou tea-gown, vers 1896-1897. Soie façonnĂ©e Ă  fond en satin vert et motifs en velours coupĂ© bleu, dentelle de coton mĂ©canique, doublure en taffetas de soie changeant vert et bleu. Palais Galliera, musĂ©e de la Mode de la Ville de Paris. © Stanislas Wolff.