đ âObjets en questionâ ArchĂ©ologie, ethnologie, avant-garde, au musĂ©e du quai Branly â Jacques Chirac, du 11 fĂ©vrier au 22 juin 2025
âObjets en questionâ ArchĂ©ologie, ethnologie, avant-garde
au musĂ©e du quai Branly â Jacques Chirac, Paris
du 11 février au 22 juin 2025

PODCAST –Â Entretien avec :
Alexandre Farnoux, Professeur dâarchĂ©ologie et dâhistoire de lâart grec Ă Sorbonne UniversitĂ©,
Polina Kosmadaki, Conservatrice dâart moderne et contemporain et Conservatrice en chef du DĂ©partement des Peintures au musĂ©e Benaki dâAthĂšnes,
Philippe Peltier, Conservateur gĂ©nĂ©ral du patrimoine, ancien responsable de lâUnitĂ© patrimoniale OcĂ©anie-Insulinde au musĂ©e du quai Branly â Jacques Chirac,
et Effie Rentzou, Professeure de littĂ©rature française Ă Princeton University, commissaires de lâexposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 10 fĂ©vrier 2025, durĂ©e 24â03,
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :

Statuette fĂ©minine. N° inventaire MA2708. 2700-2300 av J.-C. – Cycladique ancien II (2800-2300 av J.-C.)-3e millĂ©naire av. J.-C- idole de la variĂ©tĂ© de SpĂ©dos. Groupe de Syros (3e millĂ©naire av. J.-C.) MatĂ©riaux et techniques, Marbre, Ronde-bosse (sculpture), gravĂ© = gravure (sexe, ventre). Dimensions, 39,3 cm ; Largeur : 13,3 cm ; Profondeur : 5 cm. Localisation : Paris, musĂ©e du Louvre. © GrandPalaisRmn (musĂ©e du Louvre) / StĂ©phane MarĂ©challe.

Revue Minotaure n°1. Ăditions Albert Skira (Paris), 1933. Source gallica.bnf.fr / BibliothĂšque nationale de France.

Harpe arquĂ©e. N° inventaire 71.1901.35.29. LĂ©gende, Harpe Ă 5 cordes, anthropomorphe (homme), avant 1901. Usage de l’objet, Instrument de musique. MatĂ©riaux et techniques, Bois, peau, perles. Dimensions, 76 x 35 x 16 cm, 1716 g. Continent, Afrique. Pays, Congo, rĂ©publique dĂ©mocratique Haut Oubangui. © musĂ©e du quai Branly – Jacques Chirac, photo Patrick Gries, Bruno Descoings.
Commissariat
Alexandre Farnoux, Professeur dâarchĂ©ologie et dâhistoire de lâart grec Ă Sorbonne UniversitĂ©
Polina Kosmadaki, Conservatrice dâart moderne et contemporain et Conservatrice en chef du DĂ©partement des Peintures au musĂ©e Benaki dâAthĂšnes
Philippe Peltier, Conservateur gĂ©nĂ©ral du patrimoine, ancien responsable de lâUnitĂ© patrimoniale OcĂ©anie-Insulinde au musĂ©e du quai Branly â Jacques Chirac
Effie Rentzou, Professeure de littérature française à Princeton University
Le commissariat de lâexposition a Ă©tĂ© conçu en partenariat scientifique avec le musĂ©e Benaki dâAthĂšnes et lâĂcole française dâAthĂšnes. Avec le soutien de la Fondation Marc Ladreit de LacharriĂšre.
Quâest-ce quâun objet dâart ? Quâen dire ? Comment le prĂ©senter ? Objets en question prĂ©sente le dialogue fertile et dynamique entre recherche scientifique et art dâavant-garde autour de ces questions pendant la pĂ©riode de lâentre-deux guerres en France.
En prĂ©sentant des oeuvres dâart, des notes, des croquis, des publications, lâexposition Ă©voque cette approche expĂ©rimentale et rend compte des croisements entre archĂ©ologie, ethnologie, anthropologie et pratique artistique, en mettant lâaccent sur le surrĂ©alisme.
Ă partir des annĂ©es 1930, plusieurs revues liĂ©es aux avant-gardes artistiques sont les supports dâune nouvelle dynamique. Cahiers dâart (1926-1965), Minotaure (1933-1939) et Documents (1929-1930) en particulier, crĂ©ent un dĂ©cloisonnement sans prĂ©cĂ©dent des disciplines en mettant en dialogue des reproductions photographiques dâoeuvres antiques, modernes et extraeuropĂ©ennes. Galeries, musĂ©es, collections accompagnent ce mouvement. Cette mise en regard inĂ©dite soustrait oeuvres et objets Ă lâautoritĂ© de lâhistoire de lâart classique, tout en en faisant naĂźtre des nouveaux sens.
Parmi les collaborateurs et intervenants de ces revues, Pablo Picasso, Georges Henri et ThĂ©rĂšse RiviĂšre, AndrĂ© Breton, Michel Leiris, Charles Ratton, Joan MirĂł, BrassaĂŻ, Claude Cahun ou encore Georges Bataille, aux cĂŽtĂ©s dâarchĂ©ologues, dâethnologues et de conservateurs de musĂ©es ou galeristes, partagent une curiositĂ© commune pour lâart appartenant Ă un passĂ© lointain, lâart non-occidental, mais aussi pour lâart populaire et lâart du quotidien. Leur approche expĂ©rimentale donne naissance Ă une nouvelle perception des objets, des lieux, des Ă©poques. Ils interrogent le concept mĂȘme de musĂ©e en posant ces questions fondamentales : Quâest-ce que lâobjet ? Quâest-ce que lâart ?
ComposĂ©e de quatre sections thĂ©matiques, conçues comme des constellations oĂč oeuvres et archives manuscrites dessinent une figure et produisent du sens, lâexposition crĂ©e des interactions, parfois dissonantes, entre univers et cultures diffĂ©rents.

Autel zoomorphe. N° inventaire 71.1931.74.1086. Objet rituel Ă©voquant Ă la fois un oiseau et une antilope par la reprĂ©sentation de deux cornes. Ă 17 cm. Date de l’Ćuvre, avant 1931. Usage de l’objet, On place cet objet dans le silo de mil. Cet objet, avec d’autres (fagot de bois, jarre emmurĂ©e dans laquelle on met tremper le mil avant de le semer) porte le mĂȘme nom. D’habitude la calebasse est suspendue dans une peau de chĂšvre. Cette calebasse reprĂ©sente un grand oiseau. Pour effectuer les sacrifices, on met tous ces objets dans la jarre et on sacrifie un poulet blanc. MatĂ©riaux et techniques. Calebasse couverte de sang coagulĂ©. Dimensions, 19 x 18 x 18 cm, 788 g. Continent, Afrique. Pays, Mali. Informations gĂ©ographiques complĂ©mentaires, Dyabougou. Population, Bamana. © musĂ©e du quai Branly – Jacques Chirac, photo Thierry Ollivier, Michel Urtado.

Masque anthropo-zoomorphe. N° inventaire, 71.1931.74.645. Les deux cornes de devant manquent, le fabricant n’ayant pas eu de quoi les mettre. Trou d’aĂ©ration sur la droite. si le masque a trois cornes, il est appelĂ© Ciwaranin, s’il a deux cornes, il est appelĂ© Koba. Date de l’Ćuvre, 1926. Usage de l’objet, SculptĂ© en 1926 environ par un forgeron de Bougouni, appelĂ© Tamba, qui s’installa ensuite dans le village de Gamanko / Kolena. MatĂ©riaux et techniques, Bois de gangu, cauris, graines de « timini », Ă©clats de miroir, verrroterie europĂ©enne. Enduit de beurre de karitĂ©. Dimensions, 70 x 19,5 x 30 cm, 2194 g. Continent, Afrique. Pays, Mali. Informations gĂ©ographiques complĂ©mentaires, Kita. Population, Bamana. © musĂ©e du quai Branly – Jacques Chirac, photo Claude Germain.

Masque fĂ©minin. N° inventaire 71.1902.38.1. Masque d’Ă©paule. Bois avec costume en fibres (manquant ). Paul Brocard, Entre 1850 et 1902. Usage de l’objet, La sortie de ce masque favorise l’abondance et la feconditĂ© du village. MatĂ©riaux et techniques. Bois (Afzelia africanas). Dimensions, 119 x 62 x 42,5 cm, 31940 g. Continent, Afrique. Pays, GuinĂ©e. Population, Baga. © musĂ©e du quai Branly – Jacques Chirac, photo Claude Germain.
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PrĂ©ambule : Lâobjet invisible dâAlberto Giacometti
L’objet invisible dâAlberto Giacometti est emblĂ©matique du propos de l’exposition. Selon le tĂ©moignage d’AndrĂ© Breton, lâartiste aurait finalisĂ© le visage de cette sculpture grĂące Ă un masque militaire dĂ©couvert par hasard aux Puces. L’objet dĂ©nichĂ© donne la solution Ă un blocage artistique et finalise une oeuvre qui illustre le caractĂšre ambigu de l’objet, Ă la fois perceptible et insaisissable. Le rĂ©sultat procĂšde du « cadavre exquis » par lâassociation dâun masque militaire et dâune figure humaine penchĂ©e sur un objet absent. Le titre de l’oeuvre, L’objet invisible, fait penser aux strates invisibles de l’humain, l’inconscient, le refoulĂ©, autant de matiĂšres impalpables que des « fouilles » et le terrain chercheraient Ă rĂ©vĂ©ler.
Constellation 1 : Terrains
Issu du vocabulaire de lâethnographie, le terrain est le lieu horizontal de la collecte et de la quĂȘte dâobjets qui sont autant de traces de lâactivitĂ© humaine. Le terrain peut ĂȘtre parcouru lors dâune prospection scientifique, dâun voyage dâĂ©tude mais aussi lors de la visite dâun musĂ©e, dâune usine ou dâun marchĂ© aux Puces. Le terrain comme concept dĂ©coupe ainsi transversalement ethnographie, archĂ©ologie et art. Les objets qui y sont recueillis sont documentĂ©s par le carnet, le croquis, la photographie, le film ou lâenregistrement. Parfois dĂ©pourvus dâĂ©tat civil, arrachĂ©s Ă leur milieu, ces objets Ă©mergent dans toute leur Ă©trangetĂ© et deviennent source dâinspiration ou de questionnement pour les artistes. Cette premiĂšre constellation est articulĂ©e autour dâune statuette cycladique du 3e millĂ©naire avant notre Ăšre, exemple de surgissement inattendu dâun objet.
Constellation 2 : Fouilles
Le terme « fouilles » est empruntĂ© Ă lâarchĂ©ologie : les fouilles procĂšdent verticalement par strate en un cheminement labyrinthique dans le temps. Elles rĂ©vĂšlent par excavation une stratigraphie et mettent en lumiĂšre lâorigine cachĂ©e et inconsciente de ce quâelles rĂ©vĂšlent. RelevĂ©s de fouilles ou clichĂ©s de dĂ©couvertes accompagnent le surgissement de lâobjet enfoui. Cette section se concentre sur la mĂ©thode de recherche des trois domaines principaux de lâexposition (archĂ©ologie, ethnologie et crĂ©ation artistique) dĂ©voilant une certaine idĂ©e de lâorigine de la production humaine. La fouille archĂ©ologique est alors la mĂ©taphore dâune remontĂ©e dans le temps, Ă la crĂ©ation originelle. Câest dans cette « origine » que lâart des avant-gardes cherche les sources de sa modernitĂ©, tandis que les surrĂ©alistes tentent de rĂ©vĂ©ler lâinconscient et sa force latente. Au coeur de cette constellation se trouve un masque Nimba de GuinĂ©e, reproduit en illustration dâun article de Georges Henri RiviĂšre publiĂ© en septembre 1926 dans les Cahiers dâArt sous le titre « ArchĂ©ologismes ».
Constellation 3 : Cadavres exquis
Issu du domaine de lâart, et plus prĂ©cisĂ©ment du SurrĂ©alisme, le terme « Cadavre exquis » dĂ©signe le collage ou le montage par juxtaposition hasardeuse de mots ou dâimages. Il en rĂ©sulte un ensemble inattendu ou insolite, mais Ă©vocateur de sens. AppliquĂ©s aux objets, le « Cadavre exquis » manifeste le caractĂšre hybride de certaines oeuvres. Il illustre la remise en cause des classifications traditionnelles et lâexpĂ©rimentation de nouvelles associations, dans une dĂ©marche scientifique ou artistique. La mise en page des revues de lâĂ©poque suit le mĂȘme principe dâassemblage et de combinaisons inattendues dâobjets archĂ©ologiques, ethnographiques et artistiques. Ce principe de juxtaposition autorise un comparatisme qui agit comme un dĂ©fi Ă la mĂ©thode scientifique de classification. Il est aussi au coeur des mĂ©thodes dâexposition de lâĂ©poque, qui rendent visible ce processus de dĂ©classification.
Constellation 4 : Double musée
Lâexpression « double musĂ©e » est empruntĂ©e au dĂ©bat musĂ©ographique de lâentredeux-guerres. Elle est consacrĂ©e par la ConfĂ©rence de Madrid de 1936, organisĂ©e par lâInstitut de CoopĂ©ration intellectuelle. Cette derniĂšre prĂ©conise, pour rĂ©pondre Ă lâafflux des objets dans les collections publiques, de distinguer deux maniĂšres dâexposer : la premiĂšre, destinĂ©e au grand public, encourage une musĂ©ographie spectaculaire et valorisante, la seconde, Ă lâattention des spĂ©cialistes, propose un stockage commode et accessible. Le terme « double musĂ©e » gĂ©nĂšre une sĂ©rie de clivages et construit un modĂšle thĂ©orique de pensĂ©e qui oppose lâoeuvre dâart au document, lâunicum Ă la sĂ©rie, mais aussi le beau et le laid, le noble et lâignoble. Elle conduit Ă se poser la question : « quâest-ce quâune oeuvre dâart ? Quâest-ce qui fait dâun objet, une oeuvre ? »
#Trois questions aux commissaires de lâexposition
Quels sont les raisons qui expliquent, dans la pĂ©riode de lâentre-deux-guerres, le questionnement du statut de lâobjet dâart ?
Lâune des grandes raisons est la refondation de lâethnographie et de lâarchĂ©ologie. De nouvelles mĂ©thodes dâenquĂȘte de terrain ou de fouilles sont mises en place. Tout objet, mĂȘme le plus banal devient un document. Il doit ĂȘtre collectĂ© et traitĂ© au mĂȘme titre quâune sculpture ou une inscription. Marcel Mauss, thĂ©oricien de la pensĂ©e ethnographique, considĂšre quâun objet banal dit plus sur la sociĂ©tĂ© quâune belle sculpture. Pendant ces mĂȘmes annĂ©es, en France, le mouvement artistique dominant, le SurrĂ©alisme, se pose la question de savoir si une peinture peut retranscrire ce qui est pour eux lâexpression la plus parfaite de la psychĂ© humaine, les rĂȘves. Afin de transcrire ces Ă©tats, ils inventent des assemblages dâobjets hĂ©tĂ©roclites pour traduire les dĂ©sirs les plus profonds de lâhomme. Dans ces objets surrĂ©alistes, la valeur de chaque chose est transformĂ©e par association. Ils ouvrent au monde des songes.
En quoi les revues dâavant-garde ont-elles contribuĂ© Ă changer le regard portĂ© sur lâobjet dâart ?
Les revues dâart contribuĂšrent au dĂ©bat en publiant de nombreux articles sur les dĂ©couvertes archĂ©ologiques ou ethnographiques. Ces articles sont abondamment illustrĂ©s par des images dâobjets, parfois tout juste dĂ©couverts. Ces photographies sont souvent de trĂšs belle qualitĂ©. Par le jeu de lumiĂšre ou dâĂ©chelle, par leur angle de vue ou leur attention aux dĂ©tails, elles donnent Ă voir ce qui nâĂ©tait pas vu. Par ailleurs, ces revues mĂȘlent sur une mĂȘme page des photographies dâobjets relevant de cultures trĂšs diffĂ©rentes, suscitant ainsi des rencontres qui changent le regard. En 1936, la revue Cahiers dâart consacre un numĂ©ro spĂ©cial Ă lâExposition surrĂ©aliste dâobjets qui a lieu Ă la galerie Charles Ratton. Lâobjet y est Ă©tudiĂ© sous toutes ses formes. On pourrait citer de nombreux autres exemples comme la publication par BrassaĂŻ dans Minotaure de photographies de sculptures involontaires, ces morceaux de papier chiffonnĂ©s ou pliĂ©s du quotidien qui remettent en question le statut de la sculpture. Ou encore lâarticle de Breton, toujours dans Minotaure, oĂč il dĂ©finit la beautĂ© convulsive, ce moment oĂč un mouvement vient Ă expiration, prenant pour exemple les capes de plumes dâHawaii. Et la revue Documents juxtapose des totems dâAmĂ©rique du Nord et des mosaĂŻques romaines, tandis que Georges Bataille Ă©crit sur les monnaies gauloises dans lesquelles il reconnaĂźt un art de lâhybride.
Comment ces rĂ©flexions se traduisent-elles dans les musĂ©es Ă cette pĂ©riode et quel en est lâhĂ©ritage aujourdâhui ?
Une grande question se pose alors aux musĂ©es dâethnographie et dâarchĂ©ologie. Comment montrer les nombreuses sĂ©ries dâobjets collectĂ©s lors de missions dâexÂploration scientifique ? Mais aussi comment montrer des objets qui participent de rituels comme les masques ? Doit-on traiter les premiers comme des documents et les seconds comme oeuvres dâart ? Pour rĂ©soudre ce dilemme, dans les annĂ©es 1930, les musĂ©es dâethnographie, notamment celui du TrocadĂ©ro Ă Paris, inventent deux façons dâexposer : soit dans des galeries dâĂ©tude oĂč les sĂ©ries sont alignĂ©es, soit dans des salles dites « de trĂ©sors » ou quelques objets exceptionnels sont expoÂsĂ©s, isolĂ©s et valorisĂ©s par une lumiĂšre spĂ©cifique. On pense aussi au musĂ©e des AntiquitĂ©s nationales, Ă la salle dâarchĂ©ologie comparĂ©e ou sont confrontĂ©es des piĂšces archĂ©ologiques françaises Ă des objets venus de contrĂ©es lointaines. Câest aussi lâĂ©poque oĂč les archĂ©ologues, tout comme les ethnologues, redonnent toute leur place aux objets du quotidien, considĂ©rĂ©s comme aussi importants que des objets rituels. De nos jours, cette rĂ©volution marque toujours les musĂ©es. Certains prĂ©sentent des rĂ©serves ou des galeries dâĂ©tude et des espaces oĂč certaines piĂšces sont mises en valeur (on pense ici au Pavillon des Sessions au musĂ©e du Louvre). Les musĂ©es nâhĂ©sitent Ă©galement pas Ă montrer des objets de la vie quotidienne, souvent exposĂ©s comme des oeuvres remarquables. Les regards sont aujourdâhui plus ouverts.
#Les revues
La revue Documents fut dirigĂ©e par Georges Bataille en collaboration avec le musĂ©ologue Georges-Henri RiviĂšre et lâhistorien dâart et Ă©crivain Carl Einstein. Elle a pour sous-titre « Doctrines, archĂ©ologie, beaux-arts, ethnographie ». Paraissantsur un temps trĂšs court entre avril 1929 et janvier 1931, elle eut cependant une trĂšs grande influence dans les milieux artistiques et intellectuels. Michel Leiris la considĂ©rait comme « une machine de guerre contre les idĂ©es reçues ». Son approche traitait chaque objet comme un document. Quant Ă sa mise en page, en juxtaposant oeuvres dâart contemporaines, objets ethnographiques et archĂ©ologiques, photographies dĂ©routantes, elle remettait en question le sens de la culture et de la civilisation.
La revue Minotaure parut entre 1933 et 1939. Elle fut créée par lâĂ©diteur Albert Skira, puis dirigĂ©e par le critique et Ă©diteur TĂ©riade et sous lâĂ©gide dâAndrĂ© Breton, elle devint un des organes des recherches surrĂ©alistes. Ă chaque numĂ©ro, un artiste, dont entre autres Pablo Picasso, Marcel Duchamp, Max Ernst, Diego Rivera, et RenĂ© Magritte, Ă©tait commissionnĂ© pour crĂ©er la couverture. Son titre Ă©voque une figure hybride qui permet de conjuguer dans ses pages la GrĂšce prĂ©classique, lâethnographie et lâart moderne. Avec Minotaure la GrĂšce devient autre, elle nâest plus la matrice de la civilisation occidentale, mais une GrĂšce premiĂšre et sauvage qui conteste les catĂ©gories artistiques Ă©tablies.
La revue Cahiers dâart fut fondĂ©e en 1926 par Christian Zervos, Ă©diteur et critique dâart dâorigine grecque, installĂ© Ă Paris. Avec ses 97 numĂ©ros, cette revue dâavant-garde a connu une longĂ©vitĂ© exceptionnelle. Depuis ses dĂ©buts, elle a fait coexister dans ses pages l’art moderne avec des hommages aux civilisations anciennes, principalement prĂ©historiques. Dans les annĂ©es 1920, Zervos et ses collaborateurs de l’Ă©poque, TĂ©riade et lâarchitecte Le Corbusier, participent au courant d’insoumission Ă l’ordre Ă©tabli. Il publia des numĂ©ros spĂ©ciaux consacrĂ©s aux arts extra-europĂ©ens : en 1927, sur « lâart nĂšgre », en 1929 sur lâart dâOcĂ©anie. ParallĂšlement, il sâintĂ©ressa Ă lâarchĂ©ologie mĂ©diterranĂ©enne et publia en 1934 un numĂ©ro dĂ©diĂ© Ă lâart grec. Il utilisa de maniĂšre originale la photographie en noir et blanc qui, soutenue par une mise en page remarquable, permet d’identifier visuellement les liens formels entre les oeuvres appartenant Ă des temps, lieux et milieux trĂšs divers. Ă partir de 1930, Zervos se tourne vers les artistes surrĂ©alistes et leurs cercles et collabore avec Man Ray, AndrĂ© Breton, Dora Maar, Tristan Tzara pour des articles et numĂ©ros spĂ©ciaux comme le numĂ©ro sur l’objet de 1936.
#Les musées
Le musĂ©e dâEthnographie du TrocadĂ©ro fut créé en 1878. AprĂšs une pĂ©riode dâactivitĂ© assez importante, le manque de fonds et la PremiĂšre Guerre mondiale entrainĂšrent peu Ă peu un abandon des galeries et des collections. NommĂ© directeur en 1928, lâanthropologue Paul Rivet, avec lâaide du musĂ©ologue Georges-Henri RiviĂšre, modernisa la prĂ©sentation en sâappuyant sur une nouvelle approche ethnologique dont le champ dâĂ©tude Ă©tait alors en pleine rĂ©volution. Ils organisĂšrent de nombreuses expositions et le musĂ©e devint un foyer intellectuel frĂ©quentĂ© par de nombreux artistes liĂ©s aux avant-gardes de lâĂ©poque. En 1935 lâancien bĂątiment fut dĂ©truit. Ă sa rĂ©ouverture en 1937 il prit le nom de MusĂ©e de lâHomme, Homme dont il prĂ©sentait lâhistoire, la vie et les diffĂ©rentes formes de civilisations.
Le musĂ©e des AntiquitĂ©s nationales fut créé en 1862. ConsacrĂ© Ă lâarchĂ©ologie de la France, il avait pour mission de prĂ©senter une histoire de la nation. DĂšs son origine il fut installĂ© au chĂąteau de Saint-Germain-en-Laye, restaurĂ© par EugĂšne Millet, un Ă©lĂšve dâEugĂšne Viollet le Duc. Pendant toute la premiĂšre partie du 20e siĂšcle il connut une expansion constante, sâouvrant Ă dâautres rĂ©gions du monde. En 1921, Henri Hubert, archĂ©ologue proche de Marcel Mauss, inaugura la salle dâarchĂ©ologie comparĂ©e oĂč il fit voisiner objets archĂ©ologiques et ethnographiques des cinq continents.
Le musĂ©e du Louvre ferma ses portes lors de la PremiĂšre Guerre mondiale, les collections ayant Ă©tĂ© mises Ă lâabri partout en France. Il rouvre en 1920 et son directeur, Henri Verne, dĂ©cide de redistribuer les collections qui nâont cessĂ© de sâenrichir, particuliĂšrement Ă la suite des fouilles archĂ©ologiques dans le pourtour mĂ©diterranĂ©en. Cette rĂ©organisation, qui se poursuivra de 1927 Ă 1939, redonne une cohĂ©rence Ă un parcours qui veut retracer une histoire universelle de lâart. Elle sâaccompagne de la crĂ©ation de huit dĂ©partements spĂ©cialisĂ©s et la prĂ©sentation des collections archĂ©ologiques dans de nouvelles salles claires Ă lâarchitecture simple.