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🔊 “Objets en question” ArchĂ©ologie, ethnologie, avant-garde, au musĂ©e du quai Branly – Jacques Chirac, du 11 fĂ©vrier au 22 juin 2025

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“Objets en question” ArchĂ©ologie, ethnologie, avant-garde

au musĂ©e du quai Branly – Jacques Chirac, Paris

du 11 février au 22 juin 2025

Quai Branly


Entretien avec Alexandre Farnoux, Professeur d’archĂ©ologie et d’histoire de l’art grec Ă  Sorbonne UniversitĂ©, de Polina Kosmadaki, Conservatrice d’art moderne et contemporain et Conservatrice en chef du DĂ©partement des Peintures au musĂ©e Benaki d’AthĂšnes, de Philippe Peltier, Conservateur gĂ©nĂ©ral du patrimoine, ancien responsable de l’UnitĂ© patrimoniale OcĂ©anie-Insulinde au musĂ©e du quai Branly – Jacques Chirac, et de Effie Rentzou, Professeure de littĂ©rature française Ă  Princeton University, commissaires de l’exposition, par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă  Paris, le 10 fĂ©vrier 2025, durĂ©e 24’03, © FranceFineArt.

PODCAST –  Entretien avec :
Alexandre Farnoux, Professeur d’archĂ©ologie et d’histoire de l’art grec Ă  Sorbonne UniversitĂ©,
Polina Kosmadaki, Conservatrice d’art moderne et contemporain et Conservatrice en chef du DĂ©partement des Peintures au musĂ©e Benaki d’AthĂšnes,
Philippe Peltier, Conservateur gĂ©nĂ©ral du patrimoine, ancien responsable de l’UnitĂ© patrimoniale OcĂ©anie-Insulinde au musĂ©e du quai Branly – Jacques Chirac,
et Effie Rentzou, Professeure de littĂ©rature française Ă  Princeton University, commissaires de l’exposition,


par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă  Paris, le 10 fĂ©vrier 2025, durĂ©e 24’03,
© FranceFineArt.


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Objets en question.
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©Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 10 février 2025.

Extrait du communiqué de presse :

Statuette féminine. N° inventaire MA2708. 2700-2300 av J.-C. - Cycladique ancien II (2800-2300 av J.-C.)-3e millénaire av. J.-C- idole de la variété de Spédos. Groupe de Syros (3e millénaire av. J.-C.) Matériaux et techniques, Marbre, Ronde-bosse (sculpture), gravé = gravure (sexe, ventre). Dimensions, 39,3 cm ; Largeur : 13,3 cm ; Profondeur : 5 cm. Localisation : Paris, musée du Louvre. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle.

Statuette fĂ©minine. N° inventaire MA2708. 2700-2300 av J.-C. – Cycladique ancien II (2800-2300 av J.-C.)-3e millĂ©naire av. J.-C- idole de la variĂ©tĂ© de SpĂ©dos. Groupe de Syros (3e millĂ©naire av. J.-C.) MatĂ©riaux et techniques, Marbre, Ronde-bosse (sculpture), gravĂ© = gravure (sexe, ventre). Dimensions, 39,3 cm ; Largeur : 13,3 cm ; Profondeur : 5 cm. Localisation : Paris, musĂ©e du Louvre. © GrandPalaisRmn (musĂ©e du Louvre) / StĂ©phane MarĂ©challe.

Revue Minotaure n°1. Éditions Albert Skira (Paris), 1933. Source gallica.bnf.fr / Bibliothùque nationale de France.

Revue Minotaure n°1. Éditions Albert Skira (Paris), 1933. Source gallica.bnf.fr / Bibliothùque nationale de France.

Harpe arquée. N° inventaire 71.1901.35.29. Légende, Harpe à 5 cordes, anthropomorphe (homme), avant 1901. Usage de l'objet, Instrument de musique. Matériaux et techniques, Bois, peau, perles. Dimensions, 76 x 35 x 16 cm, 1716 g. Continent, Afrique. Pays, Congo, république démocratique Haut Oubangui. © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Patrick Gries, Bruno Descoings.

Harpe arquĂ©e. N° inventaire 71.1901.35.29. LĂ©gende, Harpe Ă  5 cordes, anthropomorphe (homme), avant 1901. Usage de l’objet, Instrument de musique. MatĂ©riaux et techniques, Bois, peau, perles. Dimensions, 76 x 35 x 16 cm, 1716 g. Continent, Afrique. Pays, Congo, rĂ©publique dĂ©mocratique Haut Oubangui. © musĂ©e du quai Branly – Jacques Chirac, photo Patrick Gries, Bruno Descoings.

Commissariat

Alexandre Farnoux, Professeur d’archĂ©ologie et d’histoire de l’art grec Ă  Sorbonne UniversitĂ©

Polina Kosmadaki, Conservatrice d’art moderne et contemporain et Conservatrice en chef du DĂ©partement des Peintures au musĂ©e Benaki d’AthĂšnes

Philippe Peltier, Conservateur gĂ©nĂ©ral du patrimoine, ancien responsable de l’UnitĂ© patrimoniale OcĂ©anie-Insulinde au musĂ©e du quai Branly – Jacques Chirac

Effie Rentzou, Professeure de littérature française à Princeton University

Le commissariat de l’exposition a Ă©tĂ© conçu en partenariat scientifique avec le musĂ©e Benaki d’AthĂšnes et l’École française d’AthĂšnes. Avec le soutien de la Fondation Marc Ladreit de LacharriĂšre.




Qu’est-ce qu’un objet d’art ? Qu’en dire ? Comment le prĂ©senter ? Objets en question prĂ©sente le dialogue fertile et dynamique entre recherche scientifique et art d’avant-garde autour de ces questions pendant la pĂ©riode de l’entre-deux guerres en France.

En prĂ©sentant des oeuvres d’art, des notes, des croquis, des publications, l’exposition Ă©voque cette approche expĂ©rimentale et rend compte des croisements entre archĂ©ologie, ethnologie, anthropologie et pratique artistique, en mettant l’accent sur le surrĂ©alisme.

À partir des annĂ©es 1930, plusieurs revues liĂ©es aux avant-gardes artistiques sont les supports d’une nouvelle dynamique. Cahiers d’art (1926-1965), Minotaure (1933-1939) et Documents (1929-1930) en particulier, crĂ©ent un dĂ©cloisonnement sans prĂ©cĂ©dent des disciplines en mettant en dialogue des reproductions photographiques d’oeuvres antiques, modernes et extraeuropĂ©ennes. Galeries, musĂ©es, collections accompagnent ce mouvement. Cette mise en regard inĂ©dite soustrait oeuvres et objets Ă  l’autoritĂ© de l’histoire de l’art classique, tout en en faisant naĂźtre des nouveaux sens.

Parmi les collaborateurs et intervenants de ces revues, Pablo Picasso, Georges Henri et ThĂ©rĂšse RiviĂšre, AndrĂ© Breton, Michel Leiris, Charles Ratton, Joan MirĂł, BrassaĂŻ, Claude Cahun ou encore Georges Bataille, aux cĂŽtĂ©s d’archĂ©ologues, d’ethnologues et de conservateurs de musĂ©es ou galeristes, partagent une curiositĂ© commune pour l’art appartenant Ă  un passĂ© lointain, l’art non-occidental, mais aussi pour l’art populaire et l’art du quotidien. Leur approche expĂ©rimentale donne naissance Ă  une nouvelle perception des objets, des lieux, des Ă©poques. Ils interrogent le concept mĂȘme de musĂ©e en posant ces questions fondamentales : Qu’est-ce que l’objet ? Qu’est-ce que l’art ?

ComposĂ©e de quatre sections thĂ©matiques, conçues comme des constellations oĂč oeuvres et archives manuscrites dessinent une figure et produisent du sens, l’exposition crĂ©e des interactions, parfois dissonantes, entre univers et cultures diffĂ©rents.

Autel zoomorphe. N° inventaire 71.1931.74.1086. Objet rituel Ă©voquant Ă  la fois un oiseau et une antilope par la reprĂ©sentation de deux cornes. Ø 17 cm. Date de l'Ɠuvre, avant 1931. Usage de l'objet, On place cet objet dans le silo de mil. Cet objet, avec d'autres (fagot de bois, jarre emmurĂ©e dans laquelle on met tremper le mil avant de le semer) porte le mĂȘme nom. D'habitude la calebasse est suspendue dans une peau de chĂšvre. Cette calebasse reprĂ©sente un grand oiseau. Pour effectuer les sacrifices, on met tous ces objets dans la jarre et on sacrifie un poulet blanc. MatĂ©riaux et techniques. Calebasse couverte de sang coagulĂ©. Dimensions, 19 x 18 x 18 cm, 788 g. Continent, Afrique. Pays, Mali. Informations gĂ©ographiques complĂ©mentaires, Dyabougou. Population, Bamana. © musĂ©e du quai Branly - Jacques Chirac, photo Thierry Ollivier, Michel Urtado.

Autel zoomorphe. N° inventaire 71.1931.74.1086. Objet rituel Ă©voquant Ă  la fois un oiseau et une antilope par la reprĂ©sentation de deux cornes. Ø 17 cm. Date de l’Ɠuvre, avant 1931. Usage de l’objet, On place cet objet dans le silo de mil. Cet objet, avec d’autres (fagot de bois, jarre emmurĂ©e dans laquelle on met tremper le mil avant de le semer) porte le mĂȘme nom. D’habitude la calebasse est suspendue dans une peau de chĂšvre. Cette calebasse reprĂ©sente un grand oiseau. Pour effectuer les sacrifices, on met tous ces objets dans la jarre et on sacrifie un poulet blanc. MatĂ©riaux et techniques. Calebasse couverte de sang coagulĂ©. Dimensions, 19 x 18 x 18 cm, 788 g. Continent, Afrique. Pays, Mali. Informations gĂ©ographiques complĂ©mentaires, Dyabougou. Population, Bamana. © musĂ©e du quai Branly – Jacques Chirac, photo Thierry Ollivier, Michel Urtado.

Masque anthropo-zoomorphe. N° inventaire, 71.1931.74.645. Les deux cornes de devant manquent, le fabricant n'ayant pas eu de quoi les mettre. Trou d'aĂ©ration sur la droite. si le masque a trois cornes, il est appelĂ© Ciwaranin, s'il a deux cornes, il est appelĂ© Koba. Date de l'Ɠuvre, 1926. Usage de l'objet, SculptĂ© en 1926 environ par un forgeron de Bougouni, appelĂ© Tamba, qui s'installa ensuite dans le village de Gamanko / Kolena. MatĂ©riaux et techniques, Bois de gangu, cauris, graines de "timini", Ă©clats de miroir, verrroterie europĂ©enne. Enduit de beurre de karitĂ©. Dimensions, 70 x 19,5 x 30 cm, 2194 g. Continent, Afrique. Pays, Mali. Informations gĂ©ographiques complĂ©mentaires, Kita. Population, Bamana. © musĂ©e du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain.

Masque anthropo-zoomorphe. N° inventaire, 71.1931.74.645. Les deux cornes de devant manquent, le fabricant n’ayant pas eu de quoi les mettre. Trou d’aĂ©ration sur la droite. si le masque a trois cornes, il est appelĂ© Ciwaranin, s’il a deux cornes, il est appelĂ© Koba. Date de l’Ɠuvre, 1926. Usage de l’objet, SculptĂ© en 1926 environ par un forgeron de Bougouni, appelĂ© Tamba, qui s’installa ensuite dans le village de Gamanko / Kolena. MatĂ©riaux et techniques, Bois de gangu, cauris, graines de « timini », Ă©clats de miroir, verrroterie europĂ©enne. Enduit de beurre de karitĂ©. Dimensions, 70 x 19,5 x 30 cm, 2194 g. Continent, Afrique. Pays, Mali. Informations gĂ©ographiques complĂ©mentaires, Kita. Population, Bamana. © musĂ©e du quai Branly – Jacques Chirac, photo Claude Germain.

Masque féminin. N° inventaire 71.1902.38.1. Masque d'épaule. Bois avec costume en fibres (manquant ). Paul Brocard, Entre 1850 et 1902. Usage de l'objet, La sortie de ce masque favorise l'abondance et la fecondité du village. Matériaux et techniques. Bois (Afzelia africanas). Dimensions, 119 x 62 x 42,5 cm, 31940 g. Continent, Afrique. Pays, Guinée. Population, Baga. © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain.

Masque fĂ©minin. N° inventaire 71.1902.38.1. Masque d’Ă©paule. Bois avec costume en fibres (manquant ). Paul Brocard, Entre 1850 et 1902. Usage de l’objet, La sortie de ce masque favorise l’abondance et la feconditĂ© du village. MatĂ©riaux et techniques. Bois (Afzelia africanas). Dimensions, 119 x 62 x 42,5 cm, 31940 g. Continent, Afrique. Pays, GuinĂ©e. Population, Baga. © musĂ©e du quai Branly – Jacques Chirac, photo Claude Germain.


  

PrĂ©ambule : L’objet invisible d’Alberto Giacometti

L’objet invisible d’Alberto Giacometti est emblĂ©matique du propos de l’exposition. Selon le tĂ©moignage d’AndrĂ© Breton, l’artiste aurait finalisĂ© le visage de cette sculpture grĂące Ă  un masque militaire dĂ©couvert par hasard aux Puces. L’objet dĂ©nichĂ© donne la solution Ă  un blocage artistique et finalise une oeuvre qui illustre le caractĂšre ambigu de l’objet, Ă  la fois perceptible et insaisissable. Le rĂ©sultat procĂšde du « cadavre exquis » par l’association d’un masque militaire et d’une figure humaine penchĂ©e sur un objet absent. Le titre de l’oeuvre, L’objet invisible, fait penser aux strates invisibles de l’humain, l’inconscient, le refoulĂ©, autant de matiĂšres impalpables que des « fouilles » et le terrain chercheraient Ă  rĂ©vĂ©ler.

Constellation 1 : Terrains

Issu du vocabulaire de l’ethnographie, le terrain est le lieu horizontal de la collecte et de la quĂȘte d’objets qui sont autant de traces de l’activitĂ© humaine. Le terrain peut ĂȘtre parcouru lors d’une prospection scientifique, d’un voyage d’étude mais aussi lors de la visite d’un musĂ©e, d’une usine ou d’un marchĂ© aux Puces. Le terrain comme concept dĂ©coupe ainsi transversalement ethnographie, archĂ©ologie et art. Les objets qui y sont recueillis sont documentĂ©s par le carnet, le croquis, la photographie, le film ou l’enregistrement. Parfois dĂ©pourvus d’état civil, arrachĂ©s Ă  leur milieu, ces objets Ă©mergent dans toute leur Ă©trangetĂ© et deviennent source d’inspiration ou de questionnement pour les artistes. Cette premiĂšre constellation est articulĂ©e autour d’une statuette cycladique du 3e millĂ©naire avant notre Ăšre, exemple de surgissement inattendu d’un objet.

Constellation 2 : Fouilles

Le terme « fouilles » est empruntĂ© Ă  l’archĂ©ologie : les fouilles procĂšdent verticalement par strate en un cheminement labyrinthique dans le temps. Elles rĂ©vĂšlent par excavation une stratigraphie et mettent en lumiĂšre l’origine cachĂ©e et inconsciente de ce qu’elles rĂ©vĂšlent. RelevĂ©s de fouilles ou clichĂ©s de dĂ©couvertes accompagnent le surgissement de l’objet enfoui. Cette section se concentre sur la mĂ©thode de recherche des trois domaines principaux de l’exposition (archĂ©ologie, ethnologie et crĂ©ation artistique) dĂ©voilant une certaine idĂ©e de l’origine de la production humaine. La fouille archĂ©ologique est alors la mĂ©taphore d’une remontĂ©e dans le temps, Ă  la crĂ©ation originelle. C’est dans cette « origine » que l’art des avant-gardes cherche les sources de sa modernitĂ©, tandis que les surrĂ©alistes tentent de rĂ©vĂ©ler l’inconscient et sa force latente. Au coeur de cette constellation se trouve un masque Nimba de GuinĂ©e, reproduit en illustration d’un article de Georges Henri RiviĂšre publiĂ© en septembre 1926 dans les Cahiers d’Art sous le titre « ArchĂ©ologismes ».

Constellation 3 : Cadavres exquis

Issu du domaine de l’art, et plus prĂ©cisĂ©ment du SurrĂ©alisme, le terme « Cadavre exquis » dĂ©signe le collage ou le montage par juxtaposition hasardeuse de mots ou d’images. Il en rĂ©sulte un ensemble inattendu ou insolite, mais Ă©vocateur de sens. AppliquĂ©s aux objets, le « Cadavre exquis » manifeste le caractĂšre hybride de certaines oeuvres. Il illustre la remise en cause des classifications traditionnelles et l’expĂ©rimentation de nouvelles associations, dans une dĂ©marche scientifique ou artistique. La mise en page des revues de l’époque suit le mĂȘme principe d’assemblage et de combinaisons inattendues d’objets archĂ©ologiques, ethnographiques et artistiques. Ce principe de juxtaposition autorise un comparatisme qui agit comme un dĂ©fi Ă  la mĂ©thode scientifique de classification. Il est aussi au coeur des mĂ©thodes d’exposition de l’époque, qui rendent visible ce processus de dĂ©classification.

Constellation 4 : Double musée

L’expression « double musĂ©e » est empruntĂ©e au dĂ©bat musĂ©ographique de l’entredeux-guerres. Elle est consacrĂ©e par la ConfĂ©rence de Madrid de 1936, organisĂ©e par l’Institut de CoopĂ©ration intellectuelle. Cette derniĂšre prĂ©conise, pour rĂ©pondre Ă  l’afflux des objets dans les collections publiques, de distinguer deux maniĂšres d’exposer : la premiĂšre, destinĂ©e au grand public, encourage une musĂ©ographie spectaculaire et valorisante, la seconde, Ă  l’attention des spĂ©cialistes, propose un stockage commode et accessible. Le terme « double musĂ©e » gĂ©nĂšre une sĂ©rie de clivages et construit un modĂšle thĂ©orique de pensĂ©e qui oppose l’oeuvre d’art au document, l’unicum Ă  la sĂ©rie, mais aussi le beau et le laid, le noble et l’ignoble. Elle conduit Ă  se poser la question : « qu’est-ce qu’une oeuvre d’art ? Qu’est-ce qui fait d’un objet, une oeuvre ? »


#Trois questions aux commissaires de l’exposition

Quels sont les raisons qui expliquent, dans la pĂ©riode de l’entre-deux-guerres, le questionnement du statut de l’objet d’art ?

L’une des grandes raisons est la refondation de l’ethnographie et de l’archĂ©ologie. De nouvelles mĂ©thodes d’enquĂȘte de terrain ou de fouilles sont mises en place. Tout objet, mĂȘme le plus banal devient un document. Il doit ĂȘtre collectĂ© et traitĂ© au mĂȘme titre qu’une sculpture ou une inscription. Marcel Mauss, thĂ©oricien de la pensĂ©e ethnographique, considĂšre qu’un objet banal dit plus sur la sociĂ©tĂ© qu’une belle sculpture. Pendant ces mĂȘmes annĂ©es, en France, le mouvement artistique dominant, le SurrĂ©alisme, se pose la question de savoir si une peinture peut retranscrire ce qui est pour eux l’expression la plus parfaite de la psychĂ© humaine, les rĂȘves. Afin de transcrire ces Ă©tats, ils inventent des assemblages d’objets hĂ©tĂ©roclites pour traduire les dĂ©sirs les plus profonds de l’homme. Dans ces objets surrĂ©alistes, la valeur de chaque chose est transformĂ©e par association. Ils ouvrent au monde des songes.

En quoi les revues d’avant-garde ont-elles contribuĂ© Ă  changer le regard portĂ© sur l’objet d’art ?

Les revues d’art contribuĂšrent au dĂ©bat en publiant de nombreux articles sur les dĂ©couvertes archĂ©ologiques ou ethnographiques. Ces articles sont abondamment illustrĂ©s par des images d’objets, parfois tout juste dĂ©couverts. Ces photographies sont souvent de trĂšs belle qualitĂ©. Par le jeu de lumiĂšre ou d’échelle, par leur angle de vue ou leur attention aux dĂ©tails, elles donnent Ă  voir ce qui n’était pas vu. Par ailleurs, ces revues mĂȘlent sur une mĂȘme page des photographies d’objets relevant de cultures trĂšs diffĂ©rentes, suscitant ainsi des rencontres qui changent le regard. En 1936, la revue Cahiers d’art consacre un numĂ©ro spĂ©cial Ă  l’Exposition surrĂ©aliste d’objets qui a lieu Ă  la galerie Charles Ratton. L’objet y est Ă©tudiĂ© sous toutes ses formes. On pourrait citer de nombreux autres exemples comme la publication par BrassaĂŻ dans Minotaure de photographies de sculptures involontaires, ces morceaux de papier chiffonnĂ©s ou pliĂ©s du quotidien qui remettent en question le statut de la sculpture. Ou encore l’article de Breton, toujours dans Minotaure, oĂč il dĂ©finit la beautĂ© convulsive, ce moment oĂč un mouvement vient Ă  expiration, prenant pour exemple les capes de plumes d’Hawaii. Et la revue Documents juxtapose des totems d’AmĂ©rique du Nord et des mosaĂŻques romaines, tandis que Georges Bataille Ă©crit sur les monnaies gauloises dans lesquelles il reconnaĂźt un art de l’hybride.

Comment ces rĂ©flexions se traduisent-elles dans les musĂ©es Ă  cette pĂ©riode et quel en est l’hĂ©ritage aujourd’hui ?

Une grande question se pose alors aux musĂ©es d’ethnographie et d’archĂ©ologie. Comment montrer les nombreuses sĂ©ries d’objets collectĂ©s lors de missions d’ex­ploration scientifique ? Mais aussi comment montrer des objets qui participent de rituels comme les masques ? Doit-on traiter les premiers comme des documents et les seconds comme oeuvres d’art ? Pour rĂ©soudre ce dilemme, dans les annĂ©es 1930, les musĂ©es d’ethnographie, notamment celui du TrocadĂ©ro Ă  Paris, inventent deux façons d’exposer : soit dans des galeries d’étude oĂč les sĂ©ries sont alignĂ©es, soit dans des salles dites « de trĂ©sors » ou quelques objets exceptionnels sont expo­sĂ©s, isolĂ©s et valorisĂ©s par une lumiĂšre spĂ©cifique. On pense aussi au musĂ©e des AntiquitĂ©s nationales, Ă  la salle d’archĂ©ologie comparĂ©e ou sont confrontĂ©es des piĂšces archĂ©ologiques françaises Ă  des objets venus de contrĂ©es lointaines. C’est aussi l’époque oĂč les archĂ©ologues, tout comme les ethnologues, redonnent toute leur place aux objets du quotidien, considĂ©rĂ©s comme aussi importants que des objets rituels. De nos jours, cette rĂ©volution marque toujours les musĂ©es. Certains prĂ©sentent des rĂ©serves ou des galeries d’étude et des espaces oĂč certaines piĂšces sont mises en valeur (on pense ici au Pavillon des Sessions au musĂ©e du Louvre). Les musĂ©es n’hĂ©sitent Ă©galement pas Ă  montrer des objets de la vie quotidienne, souvent exposĂ©s comme des oeuvres remarquables. Les regards sont aujourd’hui plus ouverts.


#Les revues

La revue Documents fut dirigĂ©e par Georges Bataille en collaboration avec le musĂ©ologue Georges-Henri RiviĂšre et l’historien d’art et Ă©crivain Carl Einstein. Elle a pour sous-titre « Doctrines, archĂ©ologie, beaux-arts, ethnographie ». Paraissantsur un temps trĂšs court entre avril 1929 et janvier 1931, elle eut cependant une trĂšs grande influence dans les milieux artistiques et intellectuels. Michel Leiris la considĂ©rait comme « une machine de guerre contre les idĂ©es reçues ». Son approche traitait chaque objet comme un document. Quant Ă  sa mise en page, en juxtaposant oeuvres d’art contemporaines, objets ethnographiques et archĂ©ologiques, photographies dĂ©routantes, elle remettait en question le sens de la culture et de la civilisation.

La revue Minotaure parut entre 1933 et 1939. Elle fut créée par l’éditeur Albert Skira, puis dirigĂ©e par le critique et Ă©diteur TĂ©riade et sous l’égide d’AndrĂ© Breton, elle devint un des organes des recherches surrĂ©alistes. À chaque numĂ©ro, un artiste, dont entre autres Pablo Picasso, Marcel Duchamp, Max Ernst, Diego Rivera, et RenĂ© Magritte, Ă©tait commissionnĂ© pour crĂ©er la couverture. Son titre Ă©voque une figure hybride qui permet de conjuguer dans ses pages la GrĂšce prĂ©classique, l’ethnographie et l’art moderne. Avec Minotaure la GrĂšce devient autre, elle n’est plus la matrice de la civilisation occidentale, mais une GrĂšce premiĂšre et sauvage qui conteste les catĂ©gories artistiques Ă©tablies.

La revue Cahiers d’art fut fondĂ©e en 1926 par Christian Zervos, Ă©diteur et critique d’art d’origine grecque, installĂ© Ă  Paris. Avec ses 97 numĂ©ros, cette revue d’avant-garde a connu une longĂ©vitĂ© exceptionnelle. Depuis ses dĂ©buts, elle a fait coexister dans ses pages l’art moderne avec des hommages aux civilisations anciennes, principalement prĂ©historiques. Dans les annĂ©es 1920, Zervos et ses collaborateurs de l’Ă©poque, TĂ©riade et l’architecte Le Corbusier, participent au courant d’insoumission Ă  l’ordre Ă©tabli. Il publia des numĂ©ros spĂ©ciaux consacrĂ©s aux arts extra-europĂ©ens : en 1927, sur « l’art nĂšgre », en 1929 sur l’art d’OcĂ©anie. ParallĂšlement, il s’intĂ©ressa Ă  l’archĂ©ologie mĂ©diterranĂ©enne et publia en 1934 un numĂ©ro dĂ©diĂ© Ă  l’art grec. Il utilisa de maniĂšre originale la photographie en noir et blanc qui, soutenue par une mise en page remarquable, permet d’identifier visuellement les liens formels entre les oeuvres appartenant Ă  des temps, lieux et milieux trĂšs divers. À partir de 1930, Zervos se tourne vers les artistes surrĂ©alistes et leurs cercles et collabore avec Man Ray, AndrĂ© Breton, Dora Maar, Tristan Tzara pour des articles et numĂ©ros spĂ©ciaux comme le numĂ©ro sur l’objet de 1936.


#Les musées

Le musĂ©e d’Ethnographie du TrocadĂ©ro fut créé en 1878. AprĂšs une pĂ©riode d’activitĂ© assez importante, le manque de fonds et la PremiĂšre Guerre mondiale entrainĂšrent peu Ă  peu un abandon des galeries et des collections. NommĂ© directeur en 1928, l’anthropologue Paul Rivet, avec l’aide du musĂ©ologue Georges-Henri RiviĂšre, modernisa la prĂ©sentation en s’appuyant sur une nouvelle approche ethnologique dont le champ d’étude Ă©tait alors en pleine rĂ©volution. Ils organisĂšrent de nombreuses expositions et le musĂ©e devint un foyer intellectuel frĂ©quentĂ© par de nombreux artistes liĂ©s aux avant-gardes de l’époque. En 1935 l’ancien bĂątiment fut dĂ©truit. À sa rĂ©ouverture en 1937 il prit le nom de MusĂ©e de l’Homme, Homme dont il prĂ©sentait l’histoire, la vie et les diffĂ©rentes formes de civilisations.

Le musĂ©e des AntiquitĂ©s nationales fut créé en 1862. ConsacrĂ© Ă  l’archĂ©ologie de la France, il avait pour mission de prĂ©senter une histoire de la nation. DĂšs son origine il fut installĂ© au chĂąteau de Saint-Germain-en-Laye, restaurĂ© par EugĂšne Millet, un Ă©lĂšve d’EugĂšne Viollet le Duc. Pendant toute la premiĂšre partie du 20e siĂšcle il connut une expansion constante, s’ouvrant Ă  d’autres rĂ©gions du monde. En 1921, Henri Hubert, archĂ©ologue proche de Marcel Mauss, inaugura la salle d’archĂ©ologie comparĂ©e oĂč il fit voisiner objets archĂ©ologiques et ethnographiques des cinq continents.

Le musĂ©e du Louvre ferma ses portes lors de la PremiĂšre Guerre mondiale, les collections ayant Ă©tĂ© mises Ă  l’abri partout en France. Il rouvre en 1920 et son directeur, Henri Verne, dĂ©cide de redistribuer les collections qui n’ont cessĂ© de s’enrichir, particuliĂšrement Ă  la suite des fouilles archĂ©ologiques dans le pourtour mĂ©diterranĂ©en. Cette rĂ©organisation, qui se poursuivra de 1927 Ă  1939, redonne une cohĂ©rence Ă  un parcours qui veut retracer une histoire universelle de l’art. Elle s’accompagne de la crĂ©ation de huit dĂ©partements spĂ©cialisĂ©s et la prĂ©sentation des collections archĂ©ologiques dans de nouvelles salles claires Ă  l’architecture simple.