🔊 “Mamlouks” 1250 – 1517, au Louvre, du 30 avril au 28 juillet 2025
“Mamlouks” 1250 – 1517
au Louvre, Paris
du 30 avril au 28 juillet 2025

PODCAST – Entretien avec Carine Juvin, chargĂ©e de collection, Proche-Orient mĂ©diĂ©val, dĂ©partement des Arts de l’Islam, musĂ©e du Louvre, et commissaire scientifique de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 6 mai 2025, durée 35’34,
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :

Double page à nale d’un coran monumental, Égypte, Le Caire, vers 1360-1380. Encres, pigments et or sur papier. H. 74 cm, l. 96,5 cm. Dublin, Chester Beatty Library, CBL IS 1628. CC BY 4.0 Chester Beatty.

Carreau de revêtement à décor végétal, Égypte ou Syrie, XVe siècle. Céramique siliceuse, décor peint sous glaçure. H. 27,4 cm, l. 22,3 cm. Paris, musée du Louvre, département des Arts de l’Islam, OA 4047/125. © 2010 Musée du Louvre, dist. GrandPalaisRmn / Hughes Dubois.

École vénitienne, Réception d’une ambassade vénitienne par le gouverneur de Damas, Italie, Venise, 1511. Huile sur toile. H. 158 cm, l. 201 cm, Paris, musée du Louvre, département des Peintures, INV-100. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Gabriel de Carvalho.

Bouteille Ă dĂ©cor sinisant, Égypte ou Syrie, vers 1350-1360. Verre soufáé, Ă©maillĂ© et dorĂ©. H. 35 cm. Apt, trĂ©sor de la cathĂ©drale, PM 84000010. © RĂ©gion Provence-Alpes-CĂ´te d’Azur – Inventaire gĂ©nĂ©ral / photo FrĂ©dĂ©ric Pauvarel.

Panneau de cénotaphe, Égypte, fin du XIIIe- début du XIVe siècle. Bois, ivoire, décor assemblé et sculpté, L. 84,5 cm, H. 54 cm, ép. 5 cm. Paris, musée du Louvre, département des Arts de l’Islam, dépôt du musée des Arts décoratifs, AD 7673. © 2011 Musée du Louvre, dist. GrandPalaisRmn / Hughes Dubois.
Commissariat :
Commissariat général : Souraya Noujaïm, directrice du département des Arts de l’Islam, musée du Louvre.
Commissariat scientifique : Carine Juvin, chargée de collection, Proche-Orient médiéval, département des Arts de l’Islam, musée du Louvre.
Cette exposition, co-organisée par le musée du Louvre et le Louvre Abu Dhabi, sera présentée au Louvre Abu Dhabi du 17 septembre 2025 au 25 janvier 2026.
Au printemps 2025, le musée du Louvre consacre une grande exposition au sultanat mamlouk (1250 – 1517), retraçant l’histoire glorieuse et unique de cet empire égypto-syrien, qui constitue un âge d’or pour le Proche-Orient à l’époque islamique.
Réunissant 260 oeuvres issues de collections internationales, l’exposition explore la richesse de cette société singulière et méconnue, dont la culture visuelle marquera durablement l’histoire de l’architecture et des arts en Egypte, en Syrie, au Liban, en Israël/ Territoires palestiniens et en Jordanie.
À l’origine de cette dynastie est un système original d’esclaves militaires (appelés «mamlouks ») d’origine majoritairement turque puis caucasienne, achetés ou capturés puis éduqués à l’islam et aux disciplines guerrières dans les casernes du Caire ou dans les grandes villes syriennes. Ils forment ainsi une caste militaire, dont une partie est affranchie et grimpe les échelons de la hiérarchie militaire qui contrôle l’État. La dynastie des Mamlouks a construit sa légende sur sa puissance guerrière. Pendant plus de deux siècles et demi, le sultanat mamlouk a vaincu les derniers bastions des croisés, combattu et repoussé la menace des Mongols, survécu aux invasions de Tamerlan et maintenu à distance ses menaçants voisins turkmènes et ottomans avant de succomber à l’expansionnisme de ces derniers.
La société mamlouke est une mosaïque de populations, basée sur la diversité et la mobilité, qui a développé une culture complexe et protéiforme et a constitué le coeur culturel du monde arabe. Un monde où se croisent sultans, émirs et riches élites civiles activement engagés dans le mécénat. Une société plurielle où les femmes comme les minorités chrétiennes et juives ont une place. Un territoire stratégique où convergent l’Europe, l’Afrique et l’Asie et au sein duquel les personnes et les idées circulent au même titre que les marchandises et les répertoires artistiques. Textiles, objets d’art, manuscrits, peintures, ivoires, décors de pierre et de boiserie dévoilent un monde artistique, littéraire, religieux et scientifique foisonnant.
Plus de quarante ans après une première exposition dédiée à cette dynastie (Washington DC, 1981), le musée du Louvre réunit pour la première fois en Europe 260 oeuvres, dont un tiers provient des collections du Louvre, à côté de prêts nationaux et internationaux prestigieux.
L’exposition se déploie autour de cinq sections :
– l’identitĂ© mamlouke, Ă partir de grandes figures de sultans et d’émirs ;
– la sociĂ©tĂ©, plurielle et cosmopolite, oĂą cohabitent hommes et femmes, ulĂ©mas et soufis, gens de plume, marchands et artisans, minoritĂ©s chrĂ©tiennes et juives ;
– la richesse de ses cultures entremĂŞlĂ©es : militaire, religieuse, littĂ©raire et populaire, scientifique et technique ;
– les connexions avec le monde environnant, qui ont fait du sultanat mamlouk un autre « Empire du milieu » ;
– l’essence de l’art mamlouk et ses rĂ©alisations majeures, rĂ©unissant des oeuvres exceptionnelles de calligraphie, design, textiles, cĂ©ramique, verre Ă©maillĂ©, mĂ©tal incrustĂ© et boiseries.
À travers une scénographie spectaculaire réalisée par l’agence BCG et des espaces de médiation immersifs, l’exposition offre aux visiteurs une plongée captivante dans le monde des Mamlouks. Une série de portraits, égrenés au fil du parcours, propose de rencontrer des personnages historiques représentatifs de la société mamlouke, racontant des histoires singulières au sein de la grande Histoire.
L’occasion inédite de découvrir cet empire glorieux et pourtant méconnu, à travers des chefs-d’œuvre venus du monde entier, offrant un autre regard sur l’Egypte et le Proche-Orient médiévaux, alors au centre des échanges entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie.
Catalogue de l’exposition – Sous la direction de Carine Juvin. CoĂ©dition Louvre / Skira 2025.

Vase à inscription poétique, Égypte ou Syrie, première moitié du XIVe siècle. Céramique siliceuse, décor d’engobe et peint sous glaçure, H. 31,9 cm, D. 24,9 cm. Paris, musée du Louvre, département des Arts de l’Islam, MAO 618. © 2010 Musée du Louvre, dist. GrandPalaisRmn / Hughes Dubois.

Casque au nom du sultan Barsbay, Égypte (?), vers 1422-1438. Acier damasquiné d’or, H. max. 47,2 cm, D. max. 22,8 cm. Paris, musée du Louvre, département des Arts de l’Islam, OA 6130. © 2010 Musée du Louvre, dist. GrandPalaisRmn / Hughes Dubois.

Bassin dit « Baptistère de Saint Louis », Signé : Muhammad ibn al-Zayn, Syrie ou Égypte, vers 1330-1340. Alliage cuivreux ciselé, incrusté d’argent, d’or et de pâte noire, H. 23,2 cm, D. max. 50 cm. Paris, musée du Louvre, département des Arts de l’Islam, LP 16. © 2009 Musée du Louvre, dist. GrandPalaisRmn / Hughes Dubois.
Parcours de l’exposition
En 1250, au Caire, des esclaves militaires (en arabe mamlouk) prennent le pouvoir en Égypte puis au Bilad al-Sham (Syrie, Liban, Israël/Territoires palestiniens, Jordanie). Ces esclaves, cavaliers d’élite turcs, servaient la dynastie des Ayyoubides, fondée par Saladin (1138-1193), qui régnait sur ce territoire. Après avoir renversé les Ayyoubides, ces mamlouks instaurent un sultanat qui dure plus de deux siècles et demi jusqu’en 1517, date à laquelle il est intégré à l’Empire ottoman. Dans la seconde moitié du 13e siècle, les sultans mamlouks parviennent à arrêter l’avancée des Mongols, venus d’Asie, et à reconquérir les derniers territoires gagnés par les Francs lors des Croisades aux XIIe et XIIIe siècles. Les Mamlouks règnent sur une vaste région, contrôlant le commerce lucratif des épices venues de l’Asie du Sud-Est qui transite par la mer Rouge vers la Méditerranée et l’Europe. Le sultanat mamlouk est un État puissant avec pour capitale Le Caire, centre marchand et culturel attirant une population cosmopolite. Ses villes se couvrent de monuments et des productions artistiques caractéristiques connaissent un apogée, s’exportant en Europe, en Afrique et jusqu’en Chine. Contemporains de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance en Europe, les Mamlouks écrivent une page marquante de l’histoire du monde.
Prologue : la légende des Mamlouks
Après la conquête du sultanat par les Ottomans en 1517, le système d’acquisition d’esclaves militaires, originaires du Caucase (Circassiens), continue. Ces mamlouks constituent un corps de cavaliers au sein de l’armée ottomane d’Égypte, et leurs chefs, les Beys, regagnent un poids politique aux XVIIe et XVIIIe siècles. En 1798, lors de la campagne d’Égypte menée par le général Napoléon Bonaparte, les troupes françaises affrontent ces cavaliers mamlouks. Bonaparte admire leurs prouesses, au point de créer un corps de mamlouks dans la Garde impériale française entre 1801 et 1815. Les Mamlouks entrent ainsi dans la légende en Europe. En Égypte et en Syrie, la mémoire des sultans mamlouks est entretenue par leurs somptueux monuments et les nombreux ouvrages d’histoire composés sous leurs règnes, mais aussi par des récits populaires. Ainsi, le Roman de Baybars, mis par écrit dès le XVe siècle, s’inspire très librement de la vie de Baybars, sultan mamlouk fondateur (règne 1260-1277). Il s’est transmis au fil des siècles jusqu’à nos jours grâce aux conteurs captivant l’auditoire des cafés et a contribué à forger la légende des Mamlouks au Proche-Orient.
Qui sont les Mamlouks ?
Selon un système qui existe depuis le IXe siècle dans le monde islamique, les mamlouks sont des esclaves militaires. Ils sont achetés enfants ou adolescents parmi les Turcs kiptchak présents dans les steppes du sud de la Russie, puis parmi les peuples du Caucase (Circassiens), réputés excellents cavaliers et guerriers. Acheminés par des marchands vers Le Caire ou les grandes villes syriennes, ces enfants et adolescents sont revendus au sultan ou à ses officiers, les émirs, eux-mêmes d’origine mamlouke. Les mamlouks reçoivent une éducation religieuse et surtout militaire. Ils peuvent ensuite être affranchis et gravir les échelons de la carrière d’émir (officier militaire). Le sultan est désigné parmi les émirs les plus importants. Il n’y a pas de transmission héréditaire, les fils de mamlouks ne peuvent pas en principe devenir mamlouks eux-mêmes ; la caste se renouvelle ainsi régulièrement. Pourtant, certains sultans réussissent à installer leurs enfants comme successeurs. Les mamlouks forment ainsi une caste militaire à part de la société qu’ils dominent, parlant entre eux le turc et non l’arabe. Leur identité et leur légitimité reposent sur leur valeur guerrière et leur rôle de défenseurs des territoires de l’islam.
Grands règnes
Les étapes de l’histoire du sultanat sont retracées à travers une chronologie et cinq règnes marquants de grands sultans : Baybars (1260-1277), véritable fondateur de l’État mamlouk ; al-Nasir Muhammad ibn Qalawun (1293-1341, avec deux interruptions), à l’apogée de la puissance du sultanat ; Barquq (1382-1399), qui renforce le poids des mamlouks circassiens, originaires du Caucase ; Qaytbay (1468-1496), dont le long règne est marqué par un renouveau artistique ; Qanisawh al-Ghawri (1501-1516), dernier grand sultan, aux goûts raffinés. Un choix d’objets emblématiques et de prestige reflète leur univers et leur mécénat.
État et territoire
Le sultanat mamlouk s’étend en Égypte et au Bilad al-Sham jusque dans l’est de la Turquie actuelle et sur les lieux saints musulmans de La Mecque et Médine. Il a pour capitale politique Le Caire, siège du sultan qui y réside dans une citadelle. Au Bilad al-Sham, le territoire du sultanat mamlouk est organisé en gouvernorats, chacun autour d’une ville principale : Damas, Alep, Tripoli, Gaza, Hama, Karak et Safad. L’Égypte, plus centralisée, est divisée en sous-gouvernorats. Un réseau de poste assure les communications à partir du Caire. Les hautes charges de gouverneurs et de commandement sont occupées par les grands émirs qui s’appuient sur une administration civile. Les sultans sont légitimés par l’investiture du calife, descendant de la famille du prophète Muhammad et chef symbolique de la communauté musulmane.
Les émirs, une élite militaire
Les émirs sont des officiers militaires, en principe issus des rangs des mamlouks du sultan. Ils peuvent gravir différents échelons, définis par le nombre de cavaliers mamlouks qu’ils équipent : émirs « de 10 », « de 40 » et « de 100 », ces derniers aussi appelés « grands émirs ». Ils tirent leurs revenus de concessions foncières distribuées par le sultan et qui lui reviennent après leur mort. Ils mènent grand train et rivalisent dans la construction de leur palais et de complexes religieux et funéraires. Les nombreux objets à leurs noms témoignent de leur important mécénat.
La société du sultanat Mamlouk : une mosaïque
Au-delà de la caste militaire contrôlant le pays, la société de ce vaste territoire est une mosaïque de populations en termes de catégories sociales, d’ethnicités et de religions. Si la prédominance de la vie urbaine est sans conteste la marque du Proche-Orient mamlouk, les études récentes s’intéressent également aux sociétés rurales et bédouines (tribus arabes nomades). Les grandes villes se distinguent par leur cosmopolitisme, favorisé par un contexte géopolitique instable autour du sultanat. Les élites civiles tiennent un rôle considérable dans la vie économique, administrative et culturelle. Elles sont en relations régulières et nouent parfois des liens matrimoniaux avec les émirs mamlouks. À cet égard, les femmes constituent un des maillons de ces réseaux. D’importantes communautés chrétiennes, ainsi que des petites communautés juives et musulmanes chiites complètent cette mosaïque de la société mamlouke alors sous domination de l’islam sunnite.
Les classes urbaines
La très riche documentation écrite et matérielle d’époque mamlouke permet d’avoir une vision très précise des différentes classes urbaines, de leurs rôles, de leur culture et de leur impact dans la société. Elles sont dominées par les membres de l’administration et une importante classe juridique et religieuse, les ulémas, spécialistes des sciences religieuses et du culte (enseignants, juges, imams…). Les marchands et les artisans participent aussi d’une société urbaine éduquée et dynamique. Le statut de ces élites urbaines s’incarne dans des objets qui leur étaient destinés, conservés en nombre exceptionnel pour la période médiévale.
Les Femmes
Les femmes constituent en partie un angle mort du monde islamique médiéval, les sources écrites étant peu prolixes à leur égard. Dans la société urbaine, elles sont plutôt confinées dans la sphère intime. Toutefois, particulièrement au Caire, les femmes circulent dans les marchés, dans les cimetières, ou lors de célébrations publiques. Certaines ont une activité économique ou bien d’enseignement religieux – y compris auprès des hommes –, tandis que quelques autres, fortunées, sont de véritables femmes d’affaires. Quelques objets portent des dédicaces à des femmes de sultans ou d’émirs ; leur nom est alors omis par bienséance et seule la mention de leur titre permet de les identifier.
Les minorités religieuses
Les minorités musulmanes (chiites, druzes…) et juives sont peu documentées et ne semblent pas avoir joué un rôle significatif, mais l’histoire des importantes communautés chrétiennes d’Égypte et du Bilad al-Sham (région syrienne) peut être plus précisément écrite. Des archives juridiques mettent en lumière leurs interactions avec le pouvoir mamlouk. De nombreux manuscrits, quelques objets, des décors d’églises témoignent de la vigueur de ces communautés, en particulier celle des Coptes (chrétiens d’Égypte), malgré diverses vagues d’hostilité et de discriminations qui favorisent un mouvement accru de conversions à l’islam.
Des cultures en dialogue
Les membres de la société, différents dans leur statut, leur éducation et leur domaine d’activité, interagissent. Leurs cultures spécifiques dialoguent dans un univers commun. La culture équestre de la caste militaire et la culture littéraire des élites civiles se rencontrent et s’imprègnent mutuellement. Les courants mystiques et de dévotion populaire, comme les pratiques occultes (divination, magie), sont diffusés à travers la société entière. L’histoire, la littérature et les sciences participent d’une vie intellectuelle dense et d’une très vaste production écrite touchant à tous les domaines. La culture savante et la culture populaire y cohabitent. L’ensemble de la société est unifié par l’omniprésence du religieux, sous la forme de l’islam sunnite largement majoritaire dans la population et promu par les Mamlouks. Le dialogue entre ces composantes culturelles s’exprime sur différents supports : manuscrits, objets, mobilier et décor architectural.
Furusiyya : une culture militaire
Les Mamlouks sont les héritiers d’une culture équestre et militaire – la furusiyya – élaborée dès le Ixe siècle sous le califat de Bagdad à partir de diverses traditions. Elle repose sur un équipement militaire, une somme de connaissances techniques et des méthodes d’apprentissage, en partie transcrites dans des traités. La furusiyya inclut également les compétitions équestres, les carrousels, le polo et surtout la chasse. Celle-ci constitue une autre forme d’entraînement et de mise en scène des princes, parfois également pratiquée par les élites civiles.
La Loi et la Voie, entre tradition religieuse et courants mystiques
Les Mamlouks se présentent en défenseurs de la religion musulmane et de l’orthodoxie sunnite, fédérant autour d’eux la majorité des populations qu’ils gouvernent, notamment l’importante classe des ulémas (spécialistes des sciences religieuses et du culte). Grands bâtisseurs, ils fondent d’innombrables édifices religieux (mosquées, madrass…), dotés de mobilier et de manuscrits luxueux. Par ailleurs, le soufisme, courant mystique de l’islam, et le culte populaire des saints, connaissent une faveur et une influence grandissantes, imprégnant l’ensemble de la religiosité musulmane, depuis le cercle du sultan jusqu’aux plus humbles.
Culture littéraire
La période mamlouke se caractérise par son immense et diverse production littéraire, au-delà des classiques de la littérature arabe des IXe et Xe siècles, toujours appréciés.
La poésie est particulièrement vivante et omniprésente dans les livres et la vie sociale, jusque sur les objets. Le degré élevé d’éducation élargit l’audience des ouvrages et aussi le cercle des auteurs potentiels. Une littérature plus « populaire » de contes et de récits épiques, les sirat, est relayée par le théâtre d’ombres. Elle est appréciée de différents publics et adopte parfois une grande liberté de ton.
De la science à l’occulte
La pratique des mathématiques, de la médecine et de l’astronomie maintient son niveau d’excellence à la période mamlouke. De grands hôpitaux sont fondés ou rénovés au Caire, à Damas et à Alep. L’astronomie connaît de nouvelles avancées en Syrie au XIVe siècle. L’art et l’architecture témoignent des connaissances des Mamlouks en ingénierie et en géométrie complexe. Les pratiques occultes, alors complémentaires de la médecine et de l’observation des astres, connaissent un bel essor : le recours à la magie, aux talismans et à la divination est répandu dans l’ensemble de la population.
Un Orient connecté
La position stratégique du sultanat mamlouk dans le commerce des épices entre l’océan Indien et la mer Méditerranée et sa domination sur les lieux saints du Hijaz (péninsule arabique) et de Palestine en font un maillon central au sein d’un « Orient connecté », au croisement de nombreux itinéraires marchands, diplomatiques et spirituels. Les pouvoirs en place à l’est et au nord du sultanat – Mongols, Turkmènes, Ottomans – sont des voisins alliés ou ennemis, en interaction constante avec lui. Ils sont cruciaux pour son approvisionnement en esclaves militaires. Le sultanat mamlouk est en partie implanté en Afrique, importante pourvoyeuse d’or, d’ivoire, de bois précieux, mais aussi d’esclaves. Nombre d’étudiants, de marchands et de pèlerins du Maghreb, du Sahel et de la Corne de l’Afrique traversent son territoire. Dès la fin du XIIIe siècle, les Mamlouks et les Européens commencent aussi à établir des accords de commerce et de garantie pour leurs ressortissants, instaurant de fructueux et durables échanges.
Les Mamlouks et l’Europe
Dès la fin du XIIIe siècle, les Mamlouks établissent des relations commerciales avec la Couronne d’Aragon en Espagne et les Républiques de Gênes et de Venise. Au XVe siècle, les Florentins et les Vénitiens dominent les échanges avec le sultanat ; les Français sont présents dans une moindre mesure. Les Mamlouks tirent de grands bénéfices de la revente à l’Europe des épices, ou encore du sucre, tandis que les Européens exportent cuivre, étain ou draps de laine vers le sultanat. Les textiles et les objets mamlouks en céramique, en verre émaillé ou en métal incrusté sont alors très appréciés des Européens et inspirent leurs créations.
Un art mamlouk
La forte émulation au sein des élites du sultanat mamlouk, leur frénésie constructrice, l’aflux de richesses et l’intensité des échanges ont contribué à l’épanouissement d’un art luxueux. Celui-ci se caractérise par l’opulence des motifs, des matériaux et de la couleur. Certaines techniques de décor du verre et du métal, ou de boiseries assemblées, apparues aux XIIe et XIIIe siècles, connaissent alors leur apogée. La calligraphie et les motifs géométriques et floraux atteignent à cette période un raffinement nouveau, envahissant la surface des objets.
Tous ces éléments combinés fondent la forte identité de l’art mamlouk. La diffusion des modèles et la mobilité des artistes rendent souvent difficile la distinction entre les oeuvres produites en Syrie et celles réalisées en Égypte. Pour autant, l’art mamlouk n’est pas uniforme et témoigne de la créativité continue des artistes. Les dernières décennies du sultanat, en particulier, sont marquées par de nouvelles tendances en provenance de la sphère culturelle persane.
Une tradition calligraphique
La calligraphie, art majeur dans le monde islamique, a été particulièrement mise en avant à la période mamlouke. Elle est magnifiée sur tous types de supports. La calligraphie mamlouke hérite de la tradition irakienne, qui a développé depuis les IXe et Xe siècles différents styles d’écriture arabe (muhaqqaq, thuluth, naskh…). Divers traités techniques de calligraphie sont composés par des maîtres calligraphes mamlouks. Une variante du style thuluth, au tracé plus épais, est privilégiée pour les inscriptions sur les monuments et les objets, lesquels bénéficient aussi de compositions plus ornementales.
Un mode graphique
Le décor des surfaces, grandes ou petites, planes ou courbes, est marqué par différents principes : construction géométrique, compartimentation, équilibre, symétrie, dynamisme. Les concepteurs mamlouks s’appuient sur des traditions antérieures, notamment en géométrie, qu’ils développent et portent à un degré de raffinement nouveau. Le motif peut être simple et répété en série, ou complexe et de lecture ambiguë. Sa capacité d’expansion en dehors des limites du support ou le mouvement en boucle continue de certaines arabesques (entrelacs végétaux) suggèrent l’infini. Ces qualités esthétiques ont inspiré les arts décoratifs européens à partir de la Renaissance.
Apogée des techniques
Certaines techniques élaborées aux XIIe et XIIIe siècles connaissent leur apogée sous le sultanat mamlouk : le verre émaillé et doré, développé d’abord en Syrie ; le métal cuivreux incrusté d’or et d’argent, importé par des artisans de Mossoul (Irak) ; les boiseries à décor assemblé, sculpté et marqueté de traditions égyptienne et syrienne. Les décors gagnent en complexité et en opulence. L’art de la céramique, sous l’impulsion de modèles importés, se distingue également par une grande diversité de techniques et de décors. Son emploi pour orner les monuments se diffuse surtout au XVe siècle.
Un monde en soie : les textiles
Les sources historiques mamloukes sont riches de références aux textiles. Le don de robes d’honneur et de tissus précieux accompagne tous les événements officiels. Le sultanat importe des soies d’Iran, d’Italie et d’Anatolie (Turquie actuelle) et des cotons imprimés d’Inde. Il s’y fabrique aussi une grande variété de textiles : soieries, toiles de lin, de coton ou de laine à décor tissé, brodé, appliqué, imprimé. Les ateliers royaux ont le monopole des tiraz (soieries à bandes inscrites au nom du sultan). Les textiles participent à la circulation des motifs d’une région ou d’une technique à une autre.
Épilogue : le « Baptistère de saint Louis »
Parmi les oeuvres produites sous le sultanat des Mamlouks, un objet exceptionnel et mystérieux se distingue. C’est un bassin de métal incrusté recouvert de personnages et d’animaux. Il ne porte pas de large inscription indiquant pour qui il a été réalisé, mais l’artiste ciseleur qui l’a fabriqué, Muhammad ibn al-Zayn, l’a signé en six endroits différents. Nul ne sait comment il est arrivé en France, dès le XVe siècle, date à laquelle il est mentionné dans un inventaire du château royal de Vincennes. Il a servi plusieurs fois au baptême d’enfants royaux, dont celui de Louis XIII (en 1606). À la fin du XVIIIe siècle, on l’appelle « Baptistère de saint Louis » en référence au roi Louis IX (1214-1270), il est devenu un objet symbolique de la royauté et de l’histoire de France, alors qu’il entre dans les collections du musée du Louvre. À la fin du XIXe siècle, il regagne une part de son identité en tant qu’oeuvre du Proche-Orient médiéval. Orné de figures de sultans, d’émirs et de personnages de cour, il est un sommet de l’art du métal ciselé et incrusté. C’est aussi une oeuvre itinérante, reliant la Méditerranée orientale et l’Europe occidentale. Il incarne les références, la complexité et le raffinement de la société mamlouke.