đ âGoni Shifronâ FOR INTĂRIEUR, Ă Fabre, Paris, du 20 juin au 3 octobre 2020
âGoni Shifronâ FOR INTĂRIEUR
Ă Fabre, Paris
du 20 juin au 3 octobre 2020
Alexandra Fau
Fabre
Goni Shifron
PODCAST – Interview de Goni Shifron,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 19 juin 2020, durĂ©e 13â56. © FranceFineArt.
© Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, visite de l’exposition avec Goni Shifron, Alexandra Fau et Annabelle Ponroy, le 19 juin 2020.
Extrait du communiqué de presse :
Fabre est le fruit de collaborations inĂ©dites entre une psychanalyste, une commissaire dâexposition et un artiste. Avant mĂȘme de sâenvisager, Fabre se voyait plutĂŽt comme une aventure singuliĂšre offerte Ă tous dans un lieu intimiste qui privilĂ©gie la rencontre avec lâAutre. Un moment en suspens oĂč lâĂ©coute de la parole des artistes embraye des idĂ©es, des concepts, des valeurs qui nous rassemblent.
AprĂšs trois expositions monographiques inĂ©dites (LaĂ«titia Badaut Haussmann, Alexandre et Florentine Lamarche-Ovize, Jean-Pascal Flavien), Fabre sâadapte, Ă©tonne, se transforme chaque fois un peu plus au grĂ© des invitations. Lâenvie premiĂšre dâĂ©chapper aux cadres imposĂ©s, aux formats et aux rythmes conventionnels, de soutenir la crĂ©ation contemporaine reste intact. Et Fabre, ouvert Ă lâinattendu de ce que lâoeuvre dâart nous fait.
Biographie
GONI SHIFRON, nĂ©e en IsraĂ«l en 1986, a grandi dans un Kibboutz au nord de la GalilĂ©e, face au Liban. Un lieu oĂč lâau-delĂ de la frontiĂšre est inaccessible et se (re)dĂ©finit perpĂ©tuellement. Devenue artiste, elle rĂ©investit ces espaces en tension, rĂ©active le souvenir des actions ritualisĂ©es de cette communautĂ© agricole et sâinterroge sur notre espace de vie, souple, dĂ©risoire ou instableâŠElle utilise la mise en espace (installation, sculpture, objet) et la mise en action (performance) pour composer des actions et des Ă©difices silencieux, fidĂšle Ă une esthĂ©tique du monochrome et de lâĂ©lĂ©mentaire.
Goni Shifron a Ă©tĂ© formĂ©e Ă partir de 2006 Ă lâĂcole Nationale des Arts du Cirque de Rosnysous-Bois puis a Ă©tudiĂ© les arts plastiques Ă la Sorbonne Paris 1. Elle intĂšgre en 2012 lâĂcole Nationale SupĂ©rieure des Arts DĂ©coratifs, diplĂŽmĂ©e en 2016 de la section ScĂ©nographie. Elle poursuit sa recherche lors de rĂ©sidences, Ă la Villa Belleville (2017), Atelier MĂ©dicis – CrĂ©ation en cours (2018), ou lors de prĂ©sentations publiques (Nuit Blanche â Onirisme Collectif, 2017, CongrĂšs des Sciences dâOslo, 2019). En parallĂšle, elle collabore avec lâInstitut MĂ©taphorique (soutenu par la Fondation Daniel et Nina Carasso). Au sein de ce collectif de Recherche, Art et Sciences, elle participe Ă trois cycles de rĂ©sidences Ă Paris (Laboratoire dâAubervilliers), au Pays Basque et Ă JĂ©rusalem.
Goni Shifron poursuit actuellement son activité artistique à Paris, et mÚne ses recherches et collaborations artistiques entre la France et Israël.
Pour visiter lâexposition, uniquement sur rendez-vous via le mail contact@fabredeglantine.com
Adresse : 20 rue Fabre d’Eglantine – 75012 paris
Lâexposition – vue par Annabelle Ponroy
Le travail de Goni Shifron rend hommage Ă cette vĂ©ritĂ© inconfortable dans laquelle nous nous tenons, entre la nĂ©cessitĂ© dâun lieu et le savoir de son Ă©phĂ©mĂšre. VĂ©ritĂ© qui tĂ©moigne dâune faille en nous qui ne serait pas un accident de lâhistoire, mais consubstantielle de la vie, en prendre acte permet dâagir, de participer, de crĂ©er, plutĂŽt que de dĂ©primer durablement. La rencontre avec cette vĂ©ritĂ© est une rencontre rĂ©pĂ©tĂ©e Ă partir de laquelle nous avons Ă rĂ©inventer et cette rĂ©invention nâest jamais sans douleur et dans un inachĂšvement nĂ©cessaire et perpĂ©tuel. Cette conscience-lĂ , appelle Ă une responsabilitĂ© politique en tant quâelle pousse Ă toujours chercher un nouveau chemin. â LâidĂ©e de la responsabilitĂ© est attachĂ©e Ă ce concept de la libertĂ© comme commencement â (H. Arendt – La crise de la culture). Soit une libertĂ© qui dans le courage quâelle suppose, oblige Ă risquer un style, câest-Ă -dire une singularitĂ©. SingularitĂ© qui dans le mĂȘme temps oĂč elle sâautorise une libertĂ©, sâoblige Ă quitter sa maison, câest-Ă -dire le lieu de son confort. â Un citoyen câest quelquâun qui un jour sort de sa maison pour aller sur la place publique. â La question de savoir oĂč nous tenir dans le monde, renvoi tout un chacun Ă des inquiĂ©tudes
trĂšs archaĂŻques.
Le premier lieu que nous avons habitĂ© est teintĂ© pour toujours dâune ambivalence impossible Ă rĂ©sorber, Ă savoir que le premier de nos lieux, est toujours susceptible dâĂȘtre trop doux ou trop froid, trop proche ou trop lointain, impossible Ă habiter ou impossible Ă quitter. Avec ceci qui sera la tache de toute notre vie, qui est que ce lieu premier que nous espĂ©rons suffisamment confortable pour pouvoir grandir, il faudra le quitter. Lâexpression populaire â lutte fratricide â dit cette vĂ©ritĂ© essentielle, Ă savoir quâil nây a quâun seul territoire pour tous les frĂšres, nous venons tous du mĂȘme ventre, entendez ! Nous sommes tous pris dans une mĂȘme insĂ©curitĂ© territoriale des origines, trop aimĂ© autant que mal aimĂ©. Ce qui nous effraie, câest autant dâavoir Ă partir que dâavoir Ă rester. LâindiffĂ©renciĂ© est aussi angoissant que lâinconnu. Quel nâest pas notre trouble, dâun mĂȘme berceau pour trois monothĂ©ismes ? Nous en sommes tout autant ravis, sidĂ©rĂ©s, quâhorrifiĂ©s. Que tout cela sâorigine du mĂȘme lieu nous plonge dans un sentiment â dâinquiĂ©tante Ă©trangetĂ© â, dans un certain type de malaise. Nos lieux sont sans cesse autant Ă conquĂ©rir quâĂ quitter. Ă jamais nous serons des intranquilles de nos territoires, toujours en risque de rĂ©veiller en nous, soit lâinsĂ©curitĂ© de nâavoir jamais eu de lieu accueillant, soit lâhorreur dâavoir connu une trop grande proximitĂ©. Comment comprendre autrement les guerres de territoires qui de toujours ont occupĂ© les hommes, pris entre passion des origines et peur de lâexil. Nous sommes tous dâanciens expulsĂ©s, le caractĂšre exilĂ© de lâhomme sur terre est irrĂ©sorbable dâoĂč sa nĂ©cessitĂ© inquiĂšte dâun abri Ă quitter.
Goni attrape cette vĂ©ritĂ© saisissante dans cette nomination â lieu non rĂ©solu â et jâajouterais non rĂ©solu, parce quâirrĂ©solvable. Lorsque jâai pris connaissance du travail de Goni, je suis littĂ©ralement, comme tombĂ© dedans. Câest ce que jâappelle une rencontre, soit un moment qui vient nommer pour vous quelque chose qui, vous concernant, vous emmĂšne ailleurs. Vers un nouveau commencement. Câest ce que jâattends de Fabre, dâincessants nouveaux commencements dans des modalitĂ©s incalculĂ©es parce quâincalculables.
Lâexposition par Goni Shifron
Lâinvitation Ă investir lâespace de Fabre a fait rĂ©sonner en moi une expression en hĂ©breu : â Beiti hou mivtzari â ( ŚŚŚȘŚ ŚŚŚ ŚŚŚŠŚšŚ )qui signifie : â Ma maison est ma forteresse â. ConsidĂ©rer comme une forteresse un espace aussi familier quâune maison me perturbe et mâinspire. Ce quâil y a de personnel sâefface et le lien que nous tissons avec lâĂ©difice que lâon habite se trouve mis Ă nu. Le â chez soi â est un espace de protection solide mais qui peut nous enfermer, (nous faire) disparaĂźtre ou sâeffondrer Ă tout moment.
Jâai un rĂȘve qui revient souvent depuis quelques annĂ©es. Dans ce rĂȘve, jâai un autre appartement que jâai oubliĂ© depuis longtemps. Un lieu que jâai nĂ©gligĂ©, oĂč jâai laissĂ© des affaires personnelles, oĂč je nâai pas payĂ© le loyer. Je nâai prĂ©venu personne que je nây habite plus. Ce lieu est presque inaccessible dans le rĂȘve mais son existence se rappelle soudain Ă moi.
Cette sensation dâun foyer impersonnel, fragile mais qui agit comme un ancrage et un refuge, me ramĂšne aux rĂ©cits de mes grands-parents, nĂ©s dans les annĂ©es 30 dans un Kibboutz situĂ© prĂšs de la frontiĂšre libanaise. Je leur demande de me dĂ©crire leur maison dâenfance. « Nous nâavions pas vraiment une maison, cela a changĂ© souvent dâemplacement tout en restant dans lâenceinte du Kibboutz. Il y avait une chambre avec un lit, une chaise, une table, une fenĂȘtre. Il nây avait pas dâaffaires personnelles. Le sentiment de lâappartenance Ă©tait la communautĂ© et non pas le matĂ©riel⊠».
Une maison peut ĂȘtre construite, dĂ©truite, reconstruite. Jâobserve ce rapport friable Ă lâhabitat. Je mâintĂ©resse Ă la destruction comme une remise Ă zĂ©ro Ă partir de laquelle une rĂ©Ă©dification est dĂ©jĂ pensĂ©e pour ĂȘtre dĂ©truite. Est-il possible de fortifier un lieu aussi prĂ©caire ?
Jâobserve des images de maisons dĂ©truites en Cisjordanie, jâobserve ces tas de dĂ©bris, le squelette dâun espace qui servait de toit. Si je dois reconstruire je me demande quelle est la premiĂšre Ă©tape pour se sentir protĂ©gĂ© ?
Je souhaite traduire cette sensation dâune fortification friable pour la ramener Ă lâĂ©tat de lâĂȘtre. Dans un espace vide, observer ces lieux « non-rĂ©solus » me ramĂšne Ă moi-mĂȘme, Ă mon for intĂ©rieur.
Je recherche lâessence de ce refuge, une structure architecturale entiĂšrement fermĂ©e, Ă Ă©chelle humaine, mais fractionnĂ©e en deux. Cela devient un angle avec un sol et un toit. Cet angle symbolise tout Ă la fois lâenfermement de la forteresse et la maison ouverte. Je lis chez Bachelard que les â coins â mĂ©ritent dâĂȘtre analysĂ©s : âLe coin est un refuge qui nous assure une premiĂšre valeur de lâĂȘtre : lâimmobilitĂ©. Il est le sĂ»r local, le proche local de mon immobilitĂ©. â (Gaston Bachelard, La PoĂ©tique de lâEspace).
Autour dâune piĂšce sculpturale inspirĂ©e par ces rĂ©flexions, des lieux interrogĂ©s lors de mes recherches in situ peuvent figurer dâautres lieux non-rĂ©solus : Une base militaire dĂ©saffectĂ©e Ă la frontiĂšre entre IsraĂ«l et la Syrie, un camp de travail abandonnĂ© prĂšs de la mer Morte et enfin lâimage dâun cube de sel ramassĂ© dans la mer Morte. Ce sont tous des lieux inaccessibles au milieu de nulle-part, des forteresses du passĂ© Ă une Ă©chelle humaine. Des lieux de passage dans lesquels, autrefois, quelquâun est passĂ© et sâest senti protĂ©gĂ©âŠ
Lâexposition – vue par Alexandra Fau
â Jâai un rĂȘve qui revient souvent depuis quelques annĂ©es. Dans ce rĂȘve, jâai un autre appartement que jâai oubliĂ© depuis longtemps. Un lieu que jâai nĂ©gligĂ©, oĂč se trouvent encore des affaires personnelles. Je nâai pas payĂ© le loyer. Je nâai prĂ©venu personne que je nây habite plus. Ce lieu est presque inaccessible dans le rĂȘve mais son existence se rappelle soudain Ă moi â. G. Shifron
Ce sont ces rĂ©miniscences dâun lieu premier qui prĂ©figure lâexposition For IntĂ©rieur de Goni Shifron chez Fabre Ă partir du 20 juin 2020. En dĂ©pit de ce que les Ă©vĂšnements rĂ©cents font surgir, nous nous sommes attachĂ©s Ă ce titre choisi avant le dĂ©but du confinement. Tout dâabord parce quâil rĂ©sonne tel un oxymore ; il laisse entendre cet entĂȘtement Ă vouloir croire en lâassurance dâune stabilitĂ© indĂ©fectible, alors que lâexistence se voit en proie aux doutes, aux tourments de lâintime. Câest prĂ©cisĂ©ment ce lieu non rĂ©solu qui chez Goni Shifron, cristallise ce sentiment mĂȘlĂ© dâattachement et dâanticipation au renoncement pour des biens matĂ©riels dont on sait quâils peuvent nâĂȘtre que mirages ou bien rapidement rĂ©duits Ă nĂ©ant. nâĂ©tait quâune machine, un outil animĂ© » (La nature du gothique).
â Une maison peut ĂȘtre construite, dĂ©truite, reconstruite, jâobserve ce rapport friable Ă lâhabitat. Je mâintĂ©resse Ă la destruction comme une remise Ă zĂ©ro Ă partir de laquelle une rĂ©Ă©dification est dĂ©jĂ pensĂ©e pour ĂȘtre dĂ©truite. Est-il possible de fortifier un lieu aussi prĂ©caire ? â
La structure primordiale en coin de For IntĂ©rieur constitue un prĂ©alable Ă toute Ă©dification personnelle au mĂȘme titre que le clou dâĂ©dification en cuivre dans lâarchitecture primitive sumĂ©rienne (environ 2000 ans av. J-C.). â Cet angle symbolise tout Ă la fois lâenfermement de la forteresse et la maison ouverte.
Pour apprĂ©cier pleinement cette sensation, Goni Shifron a pris soin dâanesthĂ©sier lâappartement haussmannien, en canalisant la lumiĂšre venue de lâextĂ©rieur et en estompant la prĂ©sence de la vĂ©gĂ©tation urbaine. Tout y est attĂ©nuĂ©, par une perturbation douce. Un sol en liĂšge vient amollir la dĂ©marche et absorber le bruit des pas. Les tons chair privilĂ©giĂ©s par lâartiste dans le choix des diffĂ©rents revĂȘtements (argile, liĂšge, sable) laisse entendre une sorte de disparition du â sujet â ou tout du moins une forme de mimĂ©tisme entre une histoire architecturale et une autre, plus personnelle.
Pour For IntĂ©rieur, lâartiste sâen remet Ă lâhabitat primordial, avec cette matĂ©rialisation dâun coin recouvert dâargile, fortification de lâintime dont la lumiĂšre naturelle vient timidement Ă©clairer le creux. Dans cet environnement quasi monochrome, tendu vers une forme dâabstraction, le vestige de la ruine y est patent, jamais grandiloquent.
Dans For IntĂ©rieur, la jeune artiste diplĂŽmĂ©e de lâEnSAD (section scĂ©nographie) en 2016 esquisse une architecture primordiale en perte dâancrage. â Que construit-on sur des fondations muables ? â semble suggĂ©rer cette image de reporter de palestiniens rĂ©cupĂ©rant des pierres de la destruction de lâaĂ©roport de Gaza le 16 aoĂ»t 2010, en amorce de lâexposition.
Dans cette nouvelle histoire qui sâĂ©crit chez Fabre ; lâartiste Goni Shifron a souhaitĂ© y implanter son dĂ©sert, celui dans lequel elle a vĂ©cu enfant avec ses parents jusquâĂ lâĂąge de 16 ans. Une expĂ©rience radicale qui fait suite Ă une prime enfance passĂ©e dans un Kibboutz. Le dĂ©sert ainsi matĂ©rialisĂ© reprĂ©sente lâenvers suspendu et neutralisĂ© de la partie habitable du monde pour Michel Foucault. Certains voient aussi le dĂ©sert comme une hĂ©tĂ©rotopie de crise pour des adolescents en quĂȘte dâutopie. Pour beaucoup, le dĂ©sert apparait Ă la fois comme espace dâillusion et de compensation.
Dans les diffĂ©rents projets de Goni Shifron, les lieux Ă©voquĂ©s sont tous situĂ©s. Ils ouvrent pour autant sur une abstraction comme les vues photographiques dâune base militaire dĂ©saffectĂ©e, au seuil de lâespace administrĂ© par lâONU entre IsraĂ«l et la Syrie. â JâaccĂšde Ă cet espace Ă lâaube. Jâobserve lâhorizon qui est un ailleurs : un lieu oĂč je ne peux pas me rendre. Un lieu de lâautre. LĂ bas, je ne pourrai jamais y aller. Je ne pourrai jamais voir. ConcrĂštement ce que je vois est un vide. Un horizon dĂ©sertique â.
DĂ©jĂ dans lâune de ses premiĂšres piĂšces Yesodot, (de lâhĂ©breu â ŚŚĄŚŚŚŚȘ â : fondations, a une signification liĂ©e Ă la notion de lâĂ©lĂ©mentaire, dâune base, du fondement), lâartiste sâemparait de son histoire familiale, celle de son arriĂšre-grand-pĂšre qui fut un des pionniers du Kibboutz Kfar Guiladi, situĂ© aujourdâhui dans lâEtat dâIsraĂ«l. Ce retour aux origines lui a permis dâentrevoir lâĂ©volution de conception des premiers camps nomades. Chez Fabre, lâartiste revient sur les traces de ses ancĂȘtres avec ces photographies des baraquements dâun camp de travail situĂ© en bordure de la mer Morte. En relisant les Ă©crits de son arriĂšre grand-pĂšre, Goni Shifron admire combien â sa vie est conduite par le â faire â et jamais le â possĂ©der â. Ce dernier dĂ©ambule dâun lieu Ă lâautre Ă©pris dâune croyance forte selon laquelle ce sont ses expĂ©riences qui enrichissent davantage sa vie. La dĂ©couverte de ce passĂ© Ă la fois si proche et si lointain de nos modes de vie actuels, dans ce quâil vĂ©hicule de nos aspirations, Ă tour Ă tour, plus de connexions avec la nature, dâautosuffisance, dâadĂ©quation avec un mode de vie ascĂ©tique, prend aujourdâhui une valeur particuliĂšre. â Nous avions vĂ©cu sur notre intelligence et ne lâavions pas utilisĂ©e convenablement, Ă©loignĂ©s que nous Ă©tions de la vie dans ce quâelle a de crĂ©ateur et de proche de la nature â, tels sont les mots relevĂ©s par Goni Shifron dans le livret qui accompagne Yesodot (p.56-57). Comment ne pas y voir un Ă©cho avec le moment de refonte auquel nous aspirons ; de la reprise en main de lâindividu afin quâil ne puisse plus â ĂȘtre perçu comme une variable dâajustement â (Jean-Miguel Pire dans Otium â Art Education DĂ©mocratie, Ă©ditions Actes Sud, 2020) ?
Dans lâoeuvre Yesodot lâartiste et quelques performeurs dĂ©finissent sur un tas de sel des fondations temporaires Ă lâaide dâoutils en bois rudimentaires. Ils agencent 54 briques creuses au repli central, avant de dĂ©cider de dĂ©placer ce fragment de territoire vers dâautres lieux. Et, de tout recommencer. Son oeuvre rĂ©side dans lâesquisse de ces â lieux de passage, dans lesquels, autrefois, quelquâun est passĂ© et sây est senti protĂ©gé⊠â
Comme pour Yesodot, For IntĂ©rieur revĂȘt les contours dâune â action monochrome â rĂ©duite Ă lâessentiel, marquĂ©e par le calme et le silence. DâoĂč Ă©mane une grande force. Tout comme les blocs de glace de Fluids, constructions Ă©phĂ©mĂšres dâAlan Kaprow rĂ©alisĂ©es en 1967 en plusieurs lieux de Pasadena, les cristaux ou le cube de sel ramassĂ© dans la mer Morte photographiĂ© par Goni Shifron sont des unitĂ©s Ă©lĂ©mentaires appelĂ©es Ă disparaĂźtre. Lâartiste invitera Ă les manipuler le temps dâun cycle de performances menĂ© le temps de lâexposition For IntĂ©rieur. Faisant Ă©cho Ă ce â type de pratique gestuelle (qui) donne Ă la vie trĂšs peu et beaucoup Ă la fois : une infime prise de conscience. De quelle prise de conscience sâagit-il ? Kaprow suggĂšre : du pouvoir mĂ©taphorique de la vie, dâun rĂ©sidu de visibilitĂ© de ce quâil appelle un â presque-art ââŠ
Durant tout ce cycle de performances chez Fabre, le public, par petits groupes de douze personnes, sera invitĂ© Ă agencer ces petits cubes de cire, de cĂ©ramique et de pierre concassĂ©e pour se partager un territoire donnĂ©, avant de le remettre en jeu. Cette dynamique invitera le public-acteur Ă se conformer au reste de la communautĂ©, dans un souci de cohĂ©sion et/ou de transmission patrimoniale. La performance TĂ (de lâhĂ©breu ŚȘŚ â â : cellule) incitera sans nul doute Ă adopter des comportements et des travers bien connus, car trop humainsâŠ