“L’écologie des choses” à la Maison de la culture du Japon, du 30 avril au 26 juillet 2025
“L’écologie des choses” Regards sur les artistes japonais et leurs environnements de 1970 à nos jours
à la Maison de la culture du Japon, Paris
du 30 avril au 26 juillet 2025
Texte Sylvain Silleran

Hiroshi YOSHIMURA, Letter Garden, vers 1987, plantes et papier calque, environ 10 × 15 cm . The Museum of Modern Art, Kamakura & Hayama. © Yoko Yoshimura – Photo : Ryo Kubo.

Shingo YOSHIDA, The Summit, 2020, vidéo 16/9, couleur, son, 15’41 ». Collection Frac Sud – Cité de l’art contemporain, Marseille. © Shingo Yoshida.

Mieko SHIOMI, Water Music (1964), multiple de 1991 par ReFlux Editions, New York, petite bouteille en verre remplie d’eau, étiquette blanche et illustration en noir (conception George Maciunas), 6.5 x 4 x 1 cm. Collection Frac Sud – Cité de l’art contemporain, Marseille. © Mieko Shiomi – Photo : Adèle Mélice-Dodart.

Takako SAITO, Games, 1976, impression numérique sur papier filigrané, 48 x 32.9 cm. Collection MAMC+, Saint-Étienne. © Takako Saito, ADAGP Paris 2025 – Photo : Yves Bresson / Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole.
l’écologie des choses
Maison du Japon
De l’écologie, celle d’un peuple qui intègre la nature et ses esprits dans son expérience de vie, qui a su conserver l’humilité de l’homme face aux forces naturelles et leur pouvoir dévastateur, il ne sera pas vraiment question. L’écologie est ici, comme le titre l’indique, celle des choses, une écologie désincarnée, de l’abstraction, un concept tapé à la machine. Sous l’impulsion d’un commissariat français, même l’écriture inclusive s’invite à la maison du Japon, avait-on vraiment besoin de ces tristes et absurdes dogmes ?
Cette question abstraite de l’écologie est posée dans les années 60 et 70 par une première génération d’artistes japonais. Loin d’un Kiyoshi Awazu et de sa défense humaniste d’un homme connecté à la nature, ils créent le concept de Mono-ha, l’école des choses. Il s’agit d’une approche brute des matériaux, du bois, de l’aluminium, du carton, d’une forme épurée jusqu’à n’en être plus une. La simplicité d’instructions sorties d’une machine à écrire sur les petits cartons de Mieko Shiomi invitent à une attitude contemplative. Un petit flacon contient la musique de l’eau, il attend qu’on le débouche et laisse s’écouler la mélodie. La tentative de poésie hippie de Yoko Ono (dessine une carte pour te perdre, ris pendant une semaine) propose non pas des œuvres mais des potentiels d’œuvres, l’idée d’une œuvre devrait suffire…
Takako Saito propose des jeux, des boîtes de bois renfermant des billes de verre, celles avec lesquelles on jouait dans les cours d’écoles, des petits bouts de bois, des rubans, des énigmes labyrinthiques solitaires. Des cartes de carton brut, de papier kraft proposent d’inventer de nouvelles formes ludiques. Son motif récurrent de silhouette de tête de profil est remplie de forêts, de vagues, de foules, d’un inventaire d’objets comme un rébus. Petit à petit la tête d’efface, les choses qu’elle contient s’éparpillent, il reste le jeu et se règles mystérieuses si il y en a.
De l’art minimal de Kishio Suga, carrés de métal ondulé, formes de bois articulées, on passe à celui bien plus massif de Noboru Takayama. Ses traverses de bois noires du bitume dont elles sont laquées sont immenses. Elles sont bien rangées, alignées au sol, puis disposées debout contre le mur, jeu de dominos ou mikado géant menaçant de basculer dans le chaos. Ici encore tout n’est que potentiel, la matière se dérobe à nos sens, elle n’est qu’hypothèse. Hitoshi Nomura avec Tardiology donne enfin corps au matériau. Sa haute tour de carton ondulé se dresse bien dans la cour de l’atelier, elle ploie sous son propre poids, bientôt elle s’effondre sur elle-même.
Sur des écrans bien proprement alignés, des images de nature, des nuages, des fleurs des champs oscillant tranquillement dans la brise. Hiroshi Yoshimura s’intéresse aux sons de la nature, à la musique des choses. Sur ses disques vinyles multicolores, l’ambient music relie le monde intérieur avec celui de la nature. Le musicien cherche à saisir le monde qui vibre, les ruisseaux qui serpentent, les nuages qui défilent devant sa fenêtre. Ses Sound letters sont des lettres remplies de billes, des enveloppes de calque translucide couvertes de signes formant une partition avant-gardiste.
Des nuages découpés dans du carton blanc flottent au-dessus de nous tels un mobile un peu enfantin. La nouvelle génération d’artistes conceptuels Hideki Umezawa et Koichi Sato proposent des projections, racontant les trajectoires de l’eau, depuis les forêts, les montagnes jusqu’aux barrages de béton, leurs tunnels et leurs tuyauteries, les machineries productives. Quelques galets échoués dans un coin rappellent le temps si long de la nature. Sachiko Kazama travaille sur le littoral et ses métamorphoses. Les rivages japonais se couvrent de digues, de grues, de pylônes. De longs panoramas dessinés au stylo à bille sur les rouleaux de papiers d’une caisse enregistreuse montrent la nature oblitérée, un paysage défunt où s’activent pelleteuses et bulldozers. En filigrane on devinera peut-être une évocation de la catastrophe de Fukushima.
Hélas, cette écologie des choses reste désincarnée, flottant dans le monde de l’idée, dans une abstraction peu accessible, froide et élitiste comme un Que Sais-Je ?. Où ont donc disparu la joie, la surprise, la découverte d’un ailleurs qui finit par devenir un ami, l’humanité simple et chaleureuse qui caractérisent les expositions de la maison du Japon ?
Sylvain Silleran

Hitoshi NOMURA, Tardiology, 1968-1969, photographie, tirage noir et blanc, 108,8 x 153.8 cm. Collection MAMC+, Saint-Étienne. © Hitoshi Nomura – droits réservés – Photo : Cyrille Cauvet.

Sachiko KAZAMA, New Matsushima (Abumijima), 2022, dessin sur aluminium, 55 x 73 x 2.7 cm. © Sachiko Kazama – Courtesy of the Artist and MUJIN-TO Production – Photo : Kenji Morita.
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat :
Muriel Enjalran, directrice du Frac Sud – Cité de l’art contemporain
Alexandre Quoi, adjoint à la direction, responsable du département scientifique, MAMC+ Saint-Étienne Métropole
Élodie Royer, commissaire indépendante et chercheuse (Doctorat SACRe-ENS Ulm)
Conseiller scientifique :
Hajime Nariai, conservateur en chef, National Museum of Modern Art, Tokyo
En 2025, la Maison de la culture du Japon à Paris, en partenariat avec le Frac Sud – Cité de l’art contemporain et avec le concours du Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole (MAMC+), organise un projet d’exposition en deux volets à Paris et Marseille, qui s’attache à relier des pratiques d’artistes japonais de différentes générations à l’aune d’enjeux écologiques. Réunissant une cinquantaine d’oeuvres dont certaines en provenance du Japon et encore jamais montrées en France, cette double exposition révèle toute la richesse d’une scène artistique japonaise encore peu connue du public.
Du 30 avril au 26 juillet 2025, l’exposition L’Écologie des choses proposera à la Maison de la culture du Japon à Paris une lecture renouvelée des liens unissant des pratiques artistiques apparues à la fin des années 1960 au Japon, dans un contexte de reconstruction et d’industrialisation massive, à celles d’artistes contemporains en prise avec les enjeux environne-mentaux actuels. Au travers de dialogues inédits, elle propose ainsi de réévaluer comment certaines oeuvres pionnières issues de mouvements artistiques majeurs au Japon tels que Mono-ha (L’école des choses) ou Fluxus portaient déjà un regard attentif à nos milieux de vie dans une dimension sociale et écologique, intime et collective. Si les pratiques de Noboru Takayama ou Kishio Suga (Mono-ha) font par exemple appel à la mémoire et l’histoire inhérente de nos environnements par le truchement et la confrontation de matériaux bruts, qu’ils soient d’origine naturelle ou industrielle, celles d’Hideki Umezawa et Koichi Sato ou d’Hiroshi Yoshimura investissent le médium sonore pour composer des paysages musicaux et visuels en réponse à certaines architectures et créer ainsi des lueurs de calme dans des lieux inattendus. Des approches non sans écho à celles privilégiées par certaines artistes Fluxus réunies ici (Yoko Ono, Mieko Shiomi et Takako Saito) et leur recours au langage.
Mais plus qu’une simple relecture, l’enjeu de cette exposition est aussi de souligner la singularité avec laquelle ces artistes font appel à leur médium et à leur sensibilité, n’hésitant pas à bousculer leurs pratiques et leurs matériaux, pour concevoir et partager des oeuvres plus attentives à nos manières d’habiter. Autrement dit, des artistes ayant fait le choix, à mesure que la société se transformait, d’une certaine écologie envers les choses.
Artistes présenté.e.s : Sachiko Kazama, Keita Mori, Hitoshi Nomura, Yoko Ono, Takako Saito, Koichi Sato, Mieko Shiomi, Kishio Suga, Noboru Takayama, Hideki Umezawa, Shingo Yoshida, Hiroshi Yoshimura.
Le second volet de l’exposition, intitulé L’Écologie des relations — La Forêt amante de la mer, se tiendra au Frac Sud – Cité de l’art contemporain à Marseille du 6 février au 13 septembre 2026 sous le commissariat d’Élodie Royer. À partir d’une mise en dialogue inédite d’artistes japonais contemporains en France, ce deuxième temps s’attachera à rendre palpables les relations et les liens qui nous unissent à nos milieux de vie — ces liens devenus de plus en plus précaires et précieux, à mesure que les modes de vie modernes ont entrainé avec eux nombre de perturbations environnementales. De temporalités et de géographies plurielles, leurs pratiques ont comme point nodal le Japon — au carrefour de son territoire, son histoire et sa cosmogonie, ici réunies à l’aune d’une certaine écologie des relations, telle que défendue dans l’ouvrage de Shigeatsu Hatakeyama, à la croisée de la fable écologique et du récit de Lutte pour la préservation du littoral, qui donne son sous-titre à l’exposition.