đ âTina Modottiâ Lâoeil de la rĂ©volution, au Jeu de Paume, du 13 fĂ©vrier au 12 mai 2024
âTina Modottiâ Lâoeil de la rĂ©volution
au Jeu de Paume, Paris
du 13 février au 12 mai 2024
PODCAST – Interview de Isabel Tejeda, commissaire de l’exposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 12 fĂ©vrier 2024, durĂ©e 23â05,
© FranceFineArt.
(avec l’aimable traduction de Pascale FougĂšre)
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat :
Isabel Tejeda MartĂn, commissaire indĂ©pendante, professeure Ă la FacultĂ© de Beaux Arts de lâUniversitĂ© de Murcie en Espagne spĂ©cialisĂ©e en art.
AssistĂ©e dâEva M. Vives JimĂ©nez.
Le Jeu de Paume rend hommage Ă Tina Modotti (1896-1942) Ă travers une grande exposition, la plus importante jamais consacrĂ©e Ă Paris Ă cette photographe et activiste politique dâorigine italienne.
Le parcours exceptionnel de Tina Modotti nâa jamais cessĂ© de fasciner : essentiellement produite entre 1923 et 1930, son oeuvre frappe par son caractĂšre fulgurant. Câest au sein du Mexique postrĂ©volutionnaire que se forgent tant sa conscience politique que le style particulier, Ă la fois sensible et critique, avec lequel elle saisit sur le vif les mouvements sociaux et les inĂ©galitĂ©s sans jamais nĂ©gliger lâaspect esthĂ©tique de la photographie.
Lâexposition rassemble prĂšs de 240 tirages mais aussi des documents dâarchives et revues dâĂ©poque issus de prĂȘts de musĂ©es internationaux et de collections privĂ©es. Lâexposition retrace la carriĂšre unique de cette photographe et militante rĂ©volutionnaire, amie et interlocutrice de peintres tels Diego Rivera et Frida Kahlo.
« Je ne cherche pas Ă produire de lâart mais des photographies honnĂȘtes, sans avoir recours Ă des truquages ou Ă des artifices, alors que la majoritĂ© des photographes continuent Ă rechercher des effets artistiques ou Ă imiter dâautres expressions plastiques. Cela donne un produit hybride, qui ne nous permet pas de distinguer dans lâĆuvre sa caractĂ©ristique la plus significative : sa qualitĂ© photographique. » Tina Modotti, Sobre la fotografĂa [Sur la photographie], in Mexican Folkways, vol. 5, no 4, oct.-dĂ©c. 1929
Tina Modotti a passĂ© la majeure partie de son existence au coeur de la tourmente. Sa vie a Ă©tĂ© marquĂ©e par certains des Ă©vĂ©nements historiques mondiaux les plus importants des annĂ©es 1920 et 1930, quâelle a personnellement vĂ©cus, parfois en premiĂšre ligne. Elle Ă©migre aux Ătats-Unis dĂšs lâĂąge de 16 ans. A San Francisco, elle trouve un emploi de couturiĂšre avant dâĂȘtre employĂ©e comme mannequin pour un prestigieux magasin de mode, pour finalement se lancer pleinement dans le cinĂ©ma en 1918. Ă Los Angeles, en 1921, elle fait la rencontre dâEdward Weston : elle devient dâabord le modĂšle du photographe, puis son amante. En 1923, ils sâinstallent au Mexique, oĂč le couple ouvre son studio : dĂ©bute alors officiellement la carriĂšre photographique de Tina Modotti.
Son travail artistique se dĂ©veloppe au contact de la sociĂ©tĂ© intellectuelle et artistique mexicaine mais aussi du Parti communiste mexicain. Ses images fortes en font lâinstigatrice du photojournalisme dans le pays. Sur le plan crĂ©atif, elle a trouvĂ© sa place dans la bataille opposant le formalisme et lâart engagĂ© en tant que reflet et composante de la rĂ©alitĂ© sociale, un dĂ©bat crucial pendant ces annĂ©es oĂč le monde a radicalement changĂ©. Longtemps Ă©tudiĂ©e Ă travers le seul prisme de lâinfluence dâEdward Weston, lâĆuvre photographique de Modotti se dĂ©tache enfin, dans sa singularitĂ©. Câest Ă lâĂ©tude de Tina Modotti en tant que photographe quâinvite donc cette exposition chronologique et thĂ©matique conçue en cinq parties.
DĂšs le dĂ©but du parcours, le visiteur plonge dans la vie mouvementĂ©e de lâartiste libre et engagĂ©e. Cette premiĂšre partie fait revivre sa brĂšve carriĂšre Ă Hollywood Ă travers la projection dâun film muet pour lequel elle joue en 1920 : The Tigerâs Coast. Modotti abandonne le mannequinat puis le cinĂ©ma et met Ă profit ce talent de modĂšle lorsquâelle pose devant lâobjectif dâEdward Weston, dont les portraits rassemblĂ©s tĂ©moignent de la complicitĂ© entre les deux protagonistes. Cette section livre Ă©galement une autre image de lâartiste qui apparaĂźt dans un albumphotos familial dans lequel elle se montre tantĂŽt habillĂ©e en danseuse, tantĂŽt vĂȘtue dâun pantalon, illustrant dĂ©jĂ lâimage de lâanticonformiste quâelle dĂ©sire incarner.
Tina Modotti, Homme portant une poutre, 1928. Collection et archives de la FundaciĂłn Televisa, Mexico.
Tina Modotti, Paysanne zapotĂšque portant une cruche sur son Ă©paule, 1926. Collection et archives de la FundaciĂłn Televisa, Mexico.
Tina Modotti, Hommes lisant El Machete, vers 1929. Collection et archives de la FundaciĂłn Televisa, Mexico.
Tina Modotti, Paysanne zapotĂšque portant une cruche sur son Ă©paule, 1926. Collection et archives de la FundaciĂłn Televisa, Mexico.
La deuxiĂšme partie se concentre sur le dĂ©but de la pratique photographique de Modotti et le basculement vers une approche plus singuliĂšre au milieu des annĂ©es 1920. Si les premiers travaux montrent quâelle cherche timidement un regard personnel, ils ont gĂ©nĂ©ralement Ă©tĂ© orientĂ©s par le formalisme dâEdward Weston qui lâinitie Ă la discipline. Lâexposition met en scĂšne un dialogue esthĂ©tique et formel entre les oeuvres de la mĂȘme pĂ©riode des deux photographes pour qui la prĂ©cision du nĂ©gatif, le rendu dĂ©tail, une certaine puretĂ© de la gĂ©omĂ©trie se mĂȘlent Ă la recherche dâune forme dâabstraction. Mais en 1924 dĂ©jĂ , lâoeuvre « Rosas » sâĂ©loigne des prĂ©ceptes formalistes et annonce la « photographie incarnĂ©e » propre Ă Modotti.
Au coeur du parcours, lâexposition rĂ©vĂšle les traits originaux de son art qui passe de la perfection des formes abstraites Ă la photographie sociale dans une Mexique en pleine effervescence politique et sociale. La commande dâAnita Brenner pour son livre Idols Behind Altars [Des idoles derriĂšre les autels], publiĂ© en 1929, fait voyager Modotti et Weston Ă travers tout le pays immortalisant derriĂšre lâobjectif sa riche culture populaire architecturale et artistique. Ce travail remarquĂ© lui ouvre les portes du monde Ă©ditorial : elle collabore Ă des revues de premier plan comme Mexican Folkways, Horizonte, Forma ou El Machete, quâillustrent plusieurs exemplaires dâĂ©poque. Son amitiĂ© avec les muralistes, pour la plupart membres du Parti communiste mexicain, au premier rang desquels Rivera, la renforce dans son engagement politique et social jusquâĂ devenir ainsi la photographe « officielle » de ses fresques.
La suite de lâexposition est consacrĂ©e aux nombreux portraits du peuple mexicain quâelle rĂ©alise et notamment de paysans, porteurs, vendeuses sur les marchĂ©s, de lavandiĂšres et dâenfants misĂ©reux. Son reportage sur les femmes de Tehuantepec tĂ©moigne dâune volontĂ© de sâopposer Ă une conception des femmes comme objets de plaisir visuel. Modotti les reprĂ©sente comme des sujets qui travaillent, participent Ă la vie politique, souffrent ou sâoccupent de leurs semblables.
Le parcours sâachĂšve sur la photographie politique quâillustre avec virtuositĂ© la cĂ©lĂšbre Femme au drapeau. Elle sâattache Ă reprĂ©senter les travaux Ă©puisants et sans dignitĂ©, les inĂ©galitĂ©s et la misĂšre des zones urbaines, mais aussi les subjectivitĂ©s fĂ©minines, si Ă©loignĂ©es des stĂ©rĂ©otypes machistes entretenus par les classes bourgeoises, ainsi que les formes et les symboles de lâĂ©mancipation des classes laborieuses. Les Ćuvres du genre font apparaĂźtre une forme de mise en scĂšne militante comme Travailleur lisant (1927) qui prĂ©figurent certains des travaux effectuĂ©s par Walker Evans ou Dorothea Lange.
Croisant lâanalyse de lâoeuvre de Modotti avec les Ă©vĂ©nements historiques quâelle a traversĂ©s, cette exposition entend rompre avec le rĂ©cit romancĂ© que certaines biographies ont vĂ©hiculĂ©Ì Ă son sujet pour rĂ©vĂ©ler le regard prĂ©curseur dont est dotĂ©e cette citoyenne du monde engagĂ©e dans les luttes de son temps.
#ExpoTinaModotti â catalogue
Sous la direction dâIsabel Tejeda MartĂn Textes de Magaly AlcĂĄntara Franco et David Caliz Manjarrez, Claudio Natoli, Laura Branciforte, Rosa Casanova et Jorge Ribalta, Eva M. Vives et Isabel Tejeda MartĂn – Ădition française CoĂ©dition Jeu de Paume / Flammarion / FundaciĂłn MAPFRE