🔊 “Bruno Liljefors” La Suède sauvage, au Petit Palais, du 1er octobre 2024 au 16 février 2025
“Bruno Liljefors” La Suède sauvage
au Petit Palais, Paris
du 1er octobre 2024 au 16 février 2025
Petit Palais
PODCAST – Entretien avec Sandra Buratti-Hasan, conservatrice du patrimoine au musĂ©e des Beaux-arts de Bordeaux, co-commissaire scientifique de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 30 septembre 2024, durée 15’42,
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :
Bruno Liljefors, Plongeons arctiques, 1901. Huile sur toile, 90×180 cm. The Thiel Galery, Stockholm. © Courtesy Thielska Galleriet, Stockholm / Photo Tord Lund.
Bruno Liljefors, Hibou grand-duc au coeur de la forĂŞt, 1895. Huile sur toile, 166×191 cm. Gothenburg Museum of Art, Gothenburg. © Gothenburg Museum of Art.
Bruno Liljefors, Lièvre variable, 1905. Huile sur toile, 86×115 cm. The Thiel Galery, Stockholm. © Courtesy Thielska Galleriet, Stockholm / Photo Tord Lund.
Bruno Liljefors, Paysage d’hiver aux bouvreuils pivoine, 1891. Huile sur toile, 40×50 cm. Collection privĂ©e
Bruno Liljefors, Chardonnerets, 1888. Huile sur panneau, 27×36 cm. Collection privĂ©e.
Commissariat général :
Annick Lemoine, conservatrice générale, directrice du Petit Palais
En collaboration avec Anne-Charlotte Cathelineau, conservatrice en chef au Petit Palais.
Commissariat scientifique :
Sandra Buratti-Hasan, conservatrice du patrimoine au musée des Beaux-arts de Bordeaux.
Carl-Johan Olsson, conservateur des peintures XIXe au Nationalmuseum de Stockholm.
Exposition conçue avec le Nationalmuseum de Stockholm.
Après deux expositions consacrées aux peintres suédois, Carl Larsson (2014) puis Anders Zorn (2017), le Petit Palais rend hommage à Bruno Liljefors et annonce le dernier acte de sa programmation autour de l’illustre trio suédois « ABC » dont le nom est tiré de l’association des premières lettres de chacun de leur prénom. Bruno Liljefors est une figure incontournable de la scène artistique scandinave de la fin du XIXe siècle. En le présentant pour la première fois au public français, le Petit Palais souhaite révéler la virtuosité picturale et l’apport original de Liljefors dans la construction de l’imaginaire de la nature suédoise. Cette exposition inédite présentera un ensemble d’une centaine d’oeuvres, peintures, dessins et photographies issus des collections des plus grands musées suédois tels que le Nationalmuseum de Stockholm, partenaire de l’exposition, de la Thiel Gallery, du musée de Göteborg, mais aussi de nombreuses collections privées.
Le parcours, à la fois chronologique et thématique, aborde les différents aspects de l’art de Liljefors, de ses inspirations et influences jusqu’à sa technique de travail très singulière.
Liljefors grandit à Uppsala, une ville au nord de Stockholm, entourée de vastes étendues sauvages. Le jeune homme s’entraîne à dessiner sur le vif dès son plus jeune âge et se révèle particulièrement doué notamment pour les caricatures et l’illustration. En 1879, il s’inscrit à l’Académie royale de peinture et rencontre Anders Zorn qui restera son ami toute sa vie. Après des voyages en Allemagne et en Italie, Liljefors se rend à Paris pour parfaire son apprentissage. Il s’établit quelques temps à Grez-sur-Loing au sud-est de Paris où réside une colonie d’artistes nordiques parmi lesquels se trouve Carl Larsson. Contrairement à ses amis peintres, Liljefors ne reste pas longtemps en France. Il retourne définitivement en Suède en 1884 où il se consacre exclusivement à la représentation de la nature suédoise et de ses animaux.
Observateur d’une grande finesse, Liljefors saisit sur le vif des familles de renards tapis dans les bois ou des lièvres filant dans la neige mais aussi des balbuzards pêcheurs aux sommets de pins maritimes, des eiders évoluant sur les eaux froides des archipels, des tétras paradant dans les forêts. Il travaille en immersion dans la nature et se sert de ses qualités d’acrobate et de gymnaste pour grimper aux arbres. Le peintre utilise également les techniques de chasse comme le camouflage et la construction d’affûts pour observer les animaux sans être vu. Son processus créatif inclut l’usage de la photographie pour penser ses compositions qui présentent souvent une ligne d’horizon haute voire absente plaçant ainsi le spectateur au coeur de la nature. Cette immersion est amplifiée par sa virtuosité à retranscrire la lumière et l’atmosphère si caractéristiques des pays scandinaves.
Même s’il s’en défend, ses recherches esthétiques sont largement influencées par le japonisme et l’art extrême-oriental. Liljefors aime agencer certaines de ses peintures au sein de grands cadres dorés formant des compositions inspirées des harimaze, estampes japonaises présentant plusieurs images indépendantes les unes des autres. Ces ensembles décoratifs, créés de manière subjective par l’artiste et associant des scénettes sans lien évident entre elles, laissent au spectateur la possibilité de construire sa propre narration.
Son art doit également se comprendre à l’aune des découvertes darwiniennes qui infusent la culture européenne au XIXe siècle. Dans le monde de Liljefors, les animaux, les plantes, les insectes et les oiseaux participent d’un grand tout où chacun a un rôle à jouer. À l’heure où la sauvegarde de la biodiversité est devenue un enjeu majeur, Liljefors, au-delà de son rôle de chantre de la nature suédoise, nous invite à mieux donner à voir l’ensemble du monde vivant dont nous faisons partie.
Bruno Liljefors, Une famille de renards,1886. Huile sur toile, 112×218 cm. Nationalmuseum, Stockholm. © Stockholm, Nationalmuseum / Photo Anna Danielsson.
Parcours de l’exposition
Après Carl Larsson, en 2014, et Anders Zorn, en 2017, c’est au tour du peintre Bruno Liljefors, le dernier du trio suédois, d’être exposé sur les cimaises du Petit Palais. Aujourd’hui méconnu, cet artiste fut pourtant célébré en son temps comme le « prince des animaliers ». À la fin du XIXe siècle, il a en effet participé au renouvellement du genre de la peinture animalière et contribué à forger l’imaginaire de la nature suédois toujours vif de nos jours. L’art de Liljefors nous fait surprendre des tétras en pleine parade au coeur de la forêt. Il nous hisse en haut des pins jusqu’au nid du balbuzard pêcheur et nous invite à la poésie dans l’immensité des nuits sans fin, « au bord de la vaste mer » de l’archipel de Stockholm. Sensible aux découvertes scientifiques des naturalistes, l’artiste s’intéresse non seulement aux animaux, mais surtout à la relation que ceux-ci entretiennent avec leur habitat. La diversité des espèces représentées fait écho à la soif de connaissances de la société alors en pleine mutation. À partir des années 1890, le courant symboliste qui imprègne le travail de nombreux artistes scandinaves pénètre également l’oeuvre de Liljefors. Ses toiles s’insèrent ainsi pleinement dans le mouvement du romantisme national suédois, qui met à l’honneur les paysages et les atmosphères caractéristiques du pays. Regroupant des oeuvres principalement issues des plus grandes collections publiques de Suède, mais aussi de nombreuses collections particulières, cette exposition présente le meilleur de la production de l’artiste, qui se concentre dans la première moitié de sa carrière. La centaine de tableaux, dessins et photographies montrés ici constitue la première exposition d’envergure jamais consacrée en France à l’artiste.
Premiers voyages : la leçon du plein air
Liljefors grandit à Uppsala, au nord de Stockholm, dans une ville alors entourée de vastes étendues sauvages. Il lit avidement toutes sortes d’albums naturalistes et s’entraîne à dessiner sur le vif lors de ses sorties par champs et marais. Le jeune homme griffonne du soir au matin et se révèle particulièrement doué pour les caricatures et l’illustration d’histoires pleines de vie, à la manière des bandes dessinées d’aujourd’hui. En 1872, il s’inscrit à l’Académie royale de Suède, où il côtoie Anders Zorn, l’un des futurs peintres les plus célèbres de Scandinavie, avec qui il restera ami toute sa vie. Comme Zorn, Liljefors conteste rapidement l’enseignement dispensé à l’Académie, jugé trop restrictif, et rejoint le groupe des « Opposants » qui militent pour l’instauration d’une « nouvelle peinture » en Suède. Liljefors quitte alors le pays et poursuit sa formation auprès du peintre animalier Carl Friedrich Deiker (1836-1892) à Düsseldorf, puis voyage en Bavière, en Italie, et en France. À l’instar de Carl Larsson, autre figure majeure de l’art suédois de cette époque, Liljefors séjourne à Grez-sur-Loing, au sud-est de Paris, où s’est établie une véritable colonie d’artistes nordiques. Le peintre bénéficie des leçons des artistes du « plein air » français, des peintres de l’école de Barbizon, des impressionnistes et des naturalistes, au premier rang desquels trône Jules Bastien-Lepage. Contrairement à Zorn et Larsson, qui séjournent longtemps en France, Liljefors regagne rapidement la Suède et consacre son art revivifié à la représentation de la nature locale.
« Décors naturels » : la tentation japonisante
Bruno Liljefors aime utiliser des formats originaux, verticaux ou très allongés. Il apprécie les compositions asymétriques et joue souvent sur la ligne d’horizon très haute, voire absente, pour plonger le spectateur dans la scène représentée. Bien qu’il s’en soit défendu, l’art japonais, la calligraphie, la peinture sur soie et les estampes sont pour lui de véritables sources d’inspiration. Ces modèles nippons furent diffusés en grand nombre en Europe dans les années 1860 et 1870, notamment au sein des expositions universelles ou industrielles. Chez Liljefors, la composition de chaque tableau ainsi que le regroupement de plusieurs toiles au sein d’un seul et même cadre s’apparentent aux bois gravés japonais agencés selon le procédé de l’harimaze. Irrégulièrement disposées, les images forment un ensemble décoratif remarquable et semblent n’entretenir aucune relation immédiate les unes avec les autres. Néanmoins, la proximité des scènes laisse au spectateur un espace mental qui lui permet de reconstituer le fil de la narration et d’inventer une histoire, toute subjective.
Le peintre grimpeur : dispositifs d’observation et processus créatif
Liljefors s’est donné pour but de révéler la beauté de la nature et son énergie vitale. Pour cela, il installe ses ateliers au plus près des espaces sauvages et il travaille en immersion aux alentours pour dessiner sur le motif pendant de longues heures. Infatigable chasseur depuis son enfance, il arpente aussi bien les landes et les marais que les forêts profondes. L’artiste met au point toutes sortes de dispositifs pour observer les animaux sans être vu. Il se camoufle et fabrique des affûts où il se cache pour regarder à sa guise. Le peintre est également acrobate et excellent gymnaste, ce qui lui permet de grimper dans les arbres, à des hauteurs vertigineuses, afin d’atteindre les nids des balbuzards pêcheurs, par exemple. Liljefors est ainsi en mesure de visualiser les moindres détails de la vie des animaux au quotidien. À travers le dessin, il capte leurs mouvements, leurs attitudes, mais il accorde aussi une grande importance à la photographie, qui participe pleinement à son processus créatif. Liljefors organise souvent ses compositions en fonction du champ de vision de l’être humain : la zone la plus importante de l’image est nette, tandis que la périphérie demeure floue, comme vue à travers le cristallin de l’oeil. Certaines photographies se retrouvent traduites à l’identique dans sa peinture, d’autres sont le substrat de nouvelles compositions où plusieurs éléments disparates se superposent.
Lectures darwiniennes : art du camouflage et spectacle de la chasse
À partir des années 1880, Liljefors trace un nouveau sillon dans l’histoire de la peinture animalière. Comme rarement auparavant, il s’attache à représenter les animaux dans leur environnement, pris sur le vif dans leur vie quotidienne. La naissance des animaux, leur apprentissage auprès de leurs parents, la « parade amoureuse », le nourrissage des petits et la chasse sont tous des éléments qui deviennent dignes de figurer sur la toile, dans des formats parfois très grands, réservés à l’époque à la peinture d’histoire. De plus, par sa connaissance approfondie des terres suédoises, Liljefors donne à voir des espèces peu familières des citadins de son temps. Son art reflète ainsi la soif de connaissances de la société de la fin du XIXe siècle, qui est bouleversée par la révolution industrielle et qui porte une attention nouvelle à ce qui persiste de la nature « sauvage ». L’art de Liljefors s’inscrit par conséquent dans le sillage des découvertes darwiniennes qui irriguent alors la culture européenne. Dans le monde de Liljefors, les animaux, les plantes, les insectes et les oiseaux participent d’un grand tout, où chacun a son rôle à jouer. Dans ce monde, les espèces sont le fruit d’une évolution permanente et d’adaptations, comme en témoigne le mimétisme protecteur, véritable art du camouflage, qui permet à certaines espèces de se fondre dans les couleurs de leur environnement. Pour mettre en évidence cette propriété fascinante, le peintre tend à toujours replacer l’animal au cœur de son habitat.
« Au bord de la vaste mer »
Vers 1890, la scène artistique suédoise évolue. Jusqu’alors dominante, la peinture d’histoire en vient à être considérée comme le vestige d’une époque révolue. Plusieurs intellectuels en vue prônent un renouveau de l’art national s’exprimant dans la représentation de paysages et d’atmosphères clairement identifiables. Dès les années 1880, de nombreux peintres prometteurs avaient quitté la Suède pour la France et se consacraient depuis lors à des motifs « français ». On les encourage désormais ainsi à rentrer au pays pour peindre la Suède. Gauguin était admiré pour s’être aventuré dans des régions inexplorées dans une quête d’affirmation d’identité. En Suède, les peintres portent principalement leur a en on sur les paysages sauvages et les particularités de la lumière nordique. Le crépuscule est par conséquent devenu emblématique du style appelé « romantisme national ». Si Bruno Liljefors poursuit dans la voie de la peinture animalière, il n’en demeure pas moins influencé par ces courants. C’est ainsi que, durant les années 1890, il accorde à la lumière et à l’atmosphère une place cruciale dans l’éventail de ses motifs de paysages, de la forêt à l’archipel.
Exposer la nature : le succès des dioramas
Au cours des années 1890, Bruno Liljefors participe à la production d’un certain nombre de dioramas exposant des animaux naturalisés dans une mise en scène qui reconstitue leur environnement d’origine. On fait appel à l’artiste en raison de ses connaissances en matière de comportement animal et de son talent artistique. L’exemple le plus connu est à ce titre le musée de Biologie de Stockholm, inauguré en 1893, créé à l’initiative du naturaliste et conservateur de musée Gustaf Kolthoff. Liljefors y fut engagé pour peindre les grandes toiles de fond du vaste diorama qui occupe la quasi-totalité du bâtiment. Il participa également à la disposition des spécimens naturalisés, de sorte que ses mises en scène rappellent souvent ses tableaux de chevalet. Installé dans un édifice caractéristique du style roman que national, le musée de Biologie fait à l’heure actuelle l’objet d’une restauration et devrait rouvrir ses portes en 2025.