🔊 “Harriet Backer (1845-1932)” La musique des couleurs, au Musée d’Orsay, du 24 septembre 2024 au 12 janvier 2025
“Harriet Backer (1845-1932)” La musique des couleurs
au Musée d’Orsay, Paris
du 24 septembre 2024 au 12 janvier 2025
MusĂ©e d’Orsay
PODCAST – Entretien avec LeĂŻla Jarbouai, conservatrice en chef, arts graphiques et peintures – musĂ©e d’Orsay,
et avec Estelle BĂ©guĂ©, chargĂ©e d’études documentaires – musĂ©e d’Orsay, co-commissaires de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 23 septembre 2024, durée 19’54,
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :
Harriet Backer (1845-1932), Blanchiment du linge [Blekevollen], 1886-1887. Huile sur toile, 90,5 X 110 cm. Bergen, Kode Bergen Art Museum. © Kode / Dag Fosse.
Harriet Backer (1845-1932), Intérieur, le soir [Aften, interiør], 1896. Huile sur toile, 54 X 66 cm. Oslo, National museum. © National Museum / Børre Høstland.
Harriet Backer, (1845-1932), Le Mont Einund [Einunfjell], 1897. Huile sur toile, 51 X 78 cm. Bergen, Kode Bergen Art Museum. © Kode / Dag Fosse.
Harriet Backer (1845-1932), Intérieur de la stavkirke [Interiør fra Uvdal stavkirke], 1909. Huile sur toile, 114,7 X 134,8 cm. Bergen, Kode Bergen Art Museum. © Kode / Dag Fosse.
Commissariat :
Leïla Jarbouai, conservatrice en chef, arts graphiques et peintures, musée d’Orsay
Estelle Bégué, chargée d’études documentaires, musée d’Orsay
Vibeke Waallann Hansen, conservatrice au musĂ©e national d’Oslo
Tove Haugsbø, conservatrice senior au Kode Bergen Art Museum
Carina Rech, conservatrice au Nationalmuseum, Stockholm
Exposition initiée par le National Museum, Oslo et le Kode Bergen Art Museum, et organisée en collaboration avec le Nationalmuseum, Stockholm et le musée d’Orsay, Paris.
Le musée d’Orsay présente la première rétrospective de la peintre norvégienne Harriet Backer. Largement méconnue en dehors des frontières de son pays, elle a pourtant été la peintre femme la plus renommée en Norvège à la fin du XIXe siècle. Célèbre pour son usage de coloris riches et lumineux, elle a réalisé une synthèse très personnelle des scènes d’intérieur et de la pratique du plein-air, puisant aussi bien son inspiration dans le courant naturaliste que dans les innovations de l’impressionnisme à travers une touche libre et un très grand intérêt porté aux variations de la lumière. Elle est aussi connue dans son pays natal pour ses portraits sensibles du monde rural et son intérêt pour les intérieurs d’églises.
Ă€ une Ă©poque oĂą, en Norvège, les femmes n’étaient pas considĂ©rĂ©es comme des citoyennes Ă part entière, elle s’est hissĂ©e Ă la force du pinceau comme une figure importante de la scène artistique norvĂ©gienne de son temps. Membre du conseil d’administration et du comitĂ© d’acquisition de la Galerie nationale de Norvège pendant vingt ans, elle ouvre au dĂ©but des annĂ©es 1890 une Ă©cole de peinture oĂą elle forme des artistes importants de la gĂ©nĂ©ration suivante, tel Nikolai Astrup, Halfdan Egedius et Helga Ring Reusch. Elle est soutenue par le collectionneur Rasmus Meyer, Ă©galement grand mĂ©cène d’Edvard Munch. Alors que la peinture de Backer a beaucoup Ă©voluĂ© d’un point de vue stylistique au cours de sa longue carrière, elle est restĂ©e fidèle Ă un nombre resserrĂ© de sujets et sa pratique est toujours fondĂ©e sur l’étude sur le motif. Après avoir Ă©voquĂ© la formation de l’artiste dans les grandes capitales culturelles de l’époque que sont notamment Munich et Paris, l’exposition prĂ©sentera Ă©galement le cercle des proches d’Harriet Backer, des artistes femmes scandinaves, Ă©galement formĂ©es Ă travers l’Europe et qui partagent ses engagements fĂ©ministes. Le parcours abordera ensuite les grands thèmes de prĂ©dilection de l’artiste : les intĂ©rieurs rustiques, les peintures d’églises traditionnelles norvĂ©giennes, les paysages et son sens très particulier des natures mortes. L’exposition consacrera une large place aux reprĂ©sentations de scènes musicales. Il s’agit en effet d’une composante importante dans la vie de Backer, dont la soeur Agathe Backer Grøndahl fut une musicienne renommĂ©e en Norvège, et un sujet central dans son oeuvre oĂą les vibrations de la touche rendent perceptibles les notes de musique.
Cette exposition rejoint un des axes majeurs de programmation du musĂ©e d’Orsay qui propose, en parallèle des prĂ©sentations des figures les plus emblĂ©matiques, des dĂ©couvertes des artistes moins cĂ©lèbres mais essentiels pour comprendre les grandes Ă©volutions de l’art de la seconde moitiĂ© du XIXe siècle. La Norvège fait l’objet d’une attention toute particulière en raison du dynamisme de sa scène artistique et des liens privilĂ©giĂ©s que les artistes entretenaient avec les avant-gardes parisiennes.
Harriet Backer (1845-1932), Femme cousant à la lueur de la lampe [Syende kvinne ved lampelys], 1890. Huile sur toile collée sur panneau de bois, 37 X 44,1 cm. Oslo, National museum. © National Museum / Børre Høstland.
Harriet Backer (1845-1932), Intérieur bleu [Blått interiør], 1883. Huile sur toile, 84 X 66 cm. Oslo, National museum. © National Museum / Børre Høstland.
Harriet Backer, (1845-1932), Nature morte avec plante en pot [Oppstilling med alkemugge] 1912. Huile sur toile, 69,5 X 61,2 cm. Bergen, Kode Bergen Art Museum. © Kode / Dag Fosse.
Parcours de l’exposition
Comprenant 89 oeuvres, dont 88 peintures et 1 objet (une boĂ®te de peinture) et elle se dĂ©ploie Ă travers un parcours thĂ©matique organisĂ© comme suit : Introduction / 1 – Une formation europĂ©enne / 2 – Cercle d’artistes femmes scandinaves / 3 – Chez moi, l’atelier musical / 4 – IntĂ©rieurs rustiques / 5 – Rites et reflets, intĂ©rieurs d’églises / 6 – ExtĂ©rieur / 7 – La vie silencieuse
Introduction
Méconnue en dehors des frontières de son pays, Harriet Backer a été la peintre femme la plus célèbre en Norvège à la fin du XIXe siècle. Elle a réalisé une synthèse très personnelle des scènes d’intérieur et de la pratique du plein-air, puisant aussi bien son inspiration dans le courant réaliste que dans les innovations de l’impressionnisme à travers une touche libre, une palette qui s’éclaircit progressivement et un très grand intérêt porté aux variations de la lumière. Alors que la peinture de Backer a beaucoup évolué d’un point de vue stylistique au cours de sa longue carrière, elle est restée fidèle à un nombre resserré de sujets et à l’étude directe sur le motif. Soeur d’une compositrice renommée dont elle était très proche, elle a placé la musique au coeur de son travail, tant comme sujet que comme modèle, en cherchant à suggérer une atmosphère, une émotion, un instant, au moyen de la touche, du rythme et de couleurs subtiles. De retour en Norvège au début des années 1890 après une formation dans les grandes capitales artistiques européennes Munich et Paris, elle ouvrit une école mixte de peinture qui devint l’une des plus importantes du pays avant la création de l’Académie des beaux-arts. Participant à de nombreux jurys d’expositions, Backer fut aussi, pendant vingt ans, membre du conseil d’administration et du comité d’acquisition de la Galerie nationale de Norvège.
1. Une formation européenne : Munich et Paris
Harriet Backer manifeste dès l’enfance un goĂ»t prononcĂ© pour le dessin et la peinture. Comme de nombreux artistes norvĂ©giens, elle poursuit sa formation dans les grandes capitales artistiques de l’Europe de l’Ouest et du centre. En compagnie de sa soeur Agathe qui Ă©tudie le piano, elle se rend Ă Berlin puis Ă Florence. Elles s’installent en 1874 Ă Munich qui abrite une dynamique communautĂ© d’artistes scandinaves. Backer y fait la connaissance de certains de ses amis les plus proches notamment Eilif Peterssen et Kitty Kielland. Dès ses premiers voyages, Backer se forme aussi en copiant les maĂ®tres anciens dans les musĂ©es et s’intĂ©resse tout particulièrement Ă la peinture hollandaise du XVIIe siècle. C’est Ă Paris qu’elle effectue son plus long sĂ©jour. Elle y rĂ©side dix ans Ă partir de 1878 et s’inscrit Ă l’acadĂ©mie de Mme TrĂ©lat de Vigny, une Ă©cole rĂ©servĂ©e aux femmes, très apprĂ©ciĂ©e par les artistes nordiques oĂą enseignent LĂ©on Bonnat, Jean-LĂ©on GĂ©rĂ´me et Jules Bastien-Lepage. Backer, jusqu’alors fĂ©rue de peinture d’Histoire, s’intĂ©resse au naturalisme et observe Ă©galement les impressionnistes.
2. Cercle d’artistes femmes scandinaves
À Munich puis à Paris, Harriet Backer rencontre des artistes venues de Norvège, Suède, Danemark et Finlande qui partagent son ambition de devenir des peintres professionnelles. De nombreuses femmes scandinaves viennent se former dans des ateliers privés en Allemagne et en France car les Ecoles et Académies des Beaux-Arts leur sont encore fermées. En 1875, à Munich, Harriet Backer se lie à Kitty Kielland, paysagiste et militante pour les droits des femmes avec qui elle partage toute sa vie son logement-atelier. Leur compagnonnage bouscule les normes de genre de l’époque. Une union aussi étroite entre deux femmes peintres n’était cependant pas rare au tournant du XXe siècle, la majorité d’entre elles restant célibataires pour garder leur indépendance personnelle et professionnelle. Dans les années 1880, à Paris, Backer retrouve nombre d’artistes des pays du Nord qui complètent leur formation dans cette capitale artistique. Elles s’y professionnalisent, construisent leurs propres réseaux, exposent au Salon et gagnent une reconnaissance publique et critique. Ces artistes femmes vivent ensemble et se représentent dans des portraits croisés où l’atelier a un rôle symbolique de pièce à soi, où se conquiert l’indépendance par la création.
3. Chez moi, l’atelier musical
Harriet Backer grandit dans un milieu musical. Sa soeur Agathe Backer Grøndahl est l’une des plus importantes compositrices norvégiennes de son temps. Son neveu Johan Backer Lunde, fils de son autre soeur Inga, est également compositeur. Comme beaucoup de femmes de la bourgeoisie, Backer maîtrise le piano. L’instrument de musique trône au coeur de son appartement, à Paris et à Kristiania (Oslo) et ses amis mélomanes se retrouvent pour des concerts intimistes. La peinture Chez moi (1887) montre l’autrice Asta Lie au piano dans l’appartement-atelier que Backer partage à Paris avec Kitty Kielland. Ce thème de la femme au piano infuse l’oeuvre de Backer tout au long de sa carrière. Il est associé dans l’exposition aux portraits de ses proches, souvent réunis autour de la musique. Davantage qu’un thème, la musique est un modèle pour Backer : elle souhaite que le tableau soit « une musique pour l’oeil ». Comme beaucoup d’artistes de son temps, elle voit dans la musique l’aspiration et le modèle de tout art. Au moyen de la touche, de la composition et de la couleur, elle crée des rythmes et des harmonies colorées qui traduisent les impressions produites par la musique.
4. Intérieurs rustiques
« Peu importe que j’aie promis d’arrĂŞter de peindre des intĂ©rieurs, de me tourmenter avec des lignes de perspective et de me battre avec des pieds de chaise. Dès que j’entre dans une pièce aux couleurs bleues et rouges sur des meubles rustiques ou des murs mats et brillants, oĂą la lumière rĂ©flĂ©chie par les arbres et le ciel entre par une fenĂŞtre ou une porte, je ne tarde pas Ă me retrouver devant une toile ». C’est ainsi que Harriet Backer dĂ©crit sa fascination pour les intĂ©rieurs ruraux lors d’une conversation avec le peintre Christian Krohg. Elle aborde ce motif en 1881 lors d’un voyage d’étude en Bretagne avec les peintres Kitty Kielland et Germain Pelouse. Harriet Backer peint alors deux fermes, respectivement le matin et le soir, en explorant la manière dont la lumière transforme les couleurs et les atmosphères selon les heures du jour ; une approche qui rappelle celle des impressionnistes. Elle continue d’explorer ces motifs lors de ses diffĂ©rents sĂ©jours en Norvège en offrant indirectement une vision de la vie quotidienne, simple et authentique, des paysannes et paysans contemporains, sans en faire toutefois son sujet principal.
5. Rites et reflets, intérieurs d’églises
Après son retour en Norvège en 1888, les intĂ©rieurs d’Ă©glises et les rituels religieux deviennent des sujets importants pour Harriet Backer. Ils participent grandement Ă sa renommĂ©e dans son pays natal. Dans un contexte politique de revendication d’une identitĂ© norvĂ©gienne propre, sa prĂ©fĂ©rence va aux Ă©difices anciens, mĂ©diĂ©vaux, construits avant la colonisation danoise puis suĂ©doise. Les Ă©glises qu’elle reprĂ©sente sont pour la plupart luthĂ©riennes. Le LuthĂ©ranisme est le plus ancien courant protestant du Christianisme et est toujours la religion la plus rĂ©pandue en Norvège. Harriet Backer peint inlassablement les Ă©glises en dĂ©pit des conditions matĂ©rielles parfois compliquĂ©es, dues Ă la vĂ©tustĂ© ou au grand isolement des bâtiments, insistant sur les Ă©lĂ©ments architecturaux qui donnent Ă ces Ă©difices une atmosphère toute singulière. Elle s’attache ainsi aux jeux de lumière et de couleurs sur les boiseries vernissĂ©es, sur la pierre ou sur les bancs patinĂ©s par le temps et dĂ©crit les cĂ©rĂ©monies religieuses du quotidien, traduisant ainsi tout Ă la fois son altruisme pour ses contemporains et sa vision de la foi, humble, personnelle et centrĂ©e sur l’introspection.
6. Extérieur
Harriet Backer s’intĂ©resse tardivement au paysage. Ses premiers essais connus datent de l’étĂ© 1884. Ils sont influencĂ©s par le naturalisme de Jules Bastien-Lepage dont elle a suivi l’enseignement Ă Paris et coĂŻncident avec le goĂ»t pour la peinture de plein air très en vogue chez les artistes nordiques. Ses paysages associent un intense travail sur la couleur et une touche très libre rappelant l’impressionnisme. Backer rĂ©side de juin Ă octobre 1886 Ă la ferme de Fleskum, près d’Oslo, avec certains de ses amis très proches rencontrĂ©s Ă Munich. Cette colonie artistique improvisĂ©e initie un mouvement profond dans la peinture de toute l’Europe du Nord. Le travail conjoint de Kitty Kielland et Eilif Petersen aboutit en effet Ă l’Ă©closion d’un nĂ©o-romantisme national qui exalte la puissance intrinsèque des paysages et des identitĂ©s nordiques. Il accompagne l’intensification des revendications d’autonomie politique des pays scandinaves. Backer ne s’engage dans cette voie qu’Ă la dĂ©cennie suivante, avec des paysages centrĂ©s sur des formes plus denses, aux teintes assombries et mystĂ©rieuses qui théâtralisent la nature norvĂ©gienne.
7. La vie silencieuse
En 1903, Harriet Backer s’installe dans un atelier situĂ© Hansteensgate 2 Ă Kristiania (Oslo), oĂą elle vit et travaille jusqu’à la fin de sa vie, Ă cĂ´tĂ© de ses amies peintres Kitty Kielland et Asta Nørregaard. Vers 1910, elle renoue avec les natures mortes pour la première fois depuis ses annĂ©es munichoises. Elle peint la vie secrète et silencieuse des choses, comme elle peignait les figures dans leurs intĂ©rieurs. Elle explore les rapports entre couleur et forme avec quelques objets et plantes qui reviennent d’un tableau Ă l’autre. Certaines de ses reprĂ©sentations de vases et de pommes rappellent les tableaux de CĂ©zanne, dont elle fut qualifiĂ©e de « soeur » par son Ă©lève Henrik Sørensen. L’autre motif dĂ©veloppĂ© au dĂ©but du XXe siècle est celui de la fenĂŞtre. Elle en simplifie les dĂ©tails et se concentre sur ce foyer de lumière, lieu de passage entre l’intĂ©rieur et l’extĂ©rieur, un motif rĂ©current dans son oeuvre. Backer disposait d’un second atelier, près de son atelier personnel, oĂą, fait exceptionnel pour l’époque, elle formait des Ă©lèves femmes et hommes. Cet enseignement complĂ©tait ses revenus car elle peignait si lentement qu’elle ne pouvait vivre de la seule vente de ses tableaux. Comme professeur elle incitait chacun Ă dĂ©velopper son style propre. Backer eut une influence considĂ©rable sur toute une jeune gĂ©nĂ©ration d’artistes norvĂ©giens.