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“Un oeil passionné” Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten, à la Fondation Custodia, du 27 avril au 7 juillet 2024

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“Un oeil passionné”
Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten

à la Fondation Custodia, Paris

du 27 avril au 7 juillet 2024

Fondation Custodia


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©Sylvain Silleran, visite presse, le 26 avril 2024.

Texte Sylvain Silleran

Charles Donker (né à Utrecht en 1940), Crabe (« Cancer Pagurus ») dans une boîte, 1971. Eau-forte ; troisième état. 204 x 200 mm (coup de planche) ; 392 x 282 mm (feuille). Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2015-P.23.

Charles Donker (né à Utrecht en 1940), Crabe (« Cancer Pagurus ») dans une boîte, 1971. Eau-forte ; troisième état. 204 x 200 mm (coup de planche) ; 392 x 282 mm (feuille). Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2015-P.23.

Joaquin Sorolla y Bastida, (Valence 1863 – 1923 Cercedilla), La Plage de Valence, vers 1901. Huile sur toile. 28,3 x 48,4 cm. Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2022-S.47.

Joaquin Sorolla y Bastida, (Valence 1863 – 1923 Cercedilla), La Plage de Valence, vers 1901. Huile sur toile. 28,3 x 48,4 cm. Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2022-S.47.

John Constable (East Bergholt 1776 – 1837 Londres), Vue de jardins à Hampstead, avec un sureau, vers 1821-1822. Huile sur carton. 17,6 x 14 cm. Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2019-S.58.

John Constable (East Bergholt 1776 – 1837 Londres), Vue de jardins à Hampstead, avec un sureau, vers 1821-1822. Huile sur carton. 17,6 x 14 cm. Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2019-S.58.

Camille Corot (Paris 1796 – 1875 Ville-d’Avray), Un faubourg de ville (Rochefort-sur-Mer, Charente), 1851. Huile sur papier, marouflé sur toile. 24,5 x 38 cm. Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2013-S.29.

Camille Corot (Paris 1796 – 1875 Ville-d’Avray), Un faubourg de ville (Rochefort-sur-Mer, Charente), 1851. Huile sur papier, marouflé sur toile. 24,5 x 38 cm. Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2013-S.29.

Gherardo Cibo (Rome ou Gênes 1512 – 1600 Rocca Contrada), Paysage avec une chasse au cerf. Plume et encre brune, lavis bleu et brun, rehauts de gouache blanche, sur papier bleu. 198 x 244 mm. Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2013-T.1.

Gherardo Cibo (Rome ou Gênes 1512 – 1600 Rocca Contrada), Paysage avec une chasse au cerf. Plume et encre brune, lavis bleu et brun, rehauts de gouache blanche, sur papier bleu. 198 x 244 mm. Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2013-T.1.

311 – Un œil passionné – Douze ans d’acquisitions de Ger Luijten
fondation Custodia

Voici une exposition avec un thème inhabituel pour la fondation. Une exposition-florilège avec pour fil conducteur la personnalité de Ger Luijten disparu brutalement il y a un an. Retour sur douze ans de travail de conservation, d’enrichissement des collections, de partage avec le public avec ce mélange d’érudition pointue, de curiosité, et toujours une touche de légèreté comme si cette excellence n’était pas le fruit d’un travail prodigieux. Une belle tête de jeune homme fin XVIIIéme d’Antoine Berjon regarde une Diane aux airs napolitains de Bernardo Cavallino au son d’un violoniste d’Hilaire Ledru. Une héritière de la Renaissance rencontre un Saint Augustin flamand, très ligne claire. Le portrait intime d’une femme cousant devant sa cheminée, la lumière d’une bougie l’éclairant en rehauts de gouache blanche. On passe semble t-il du coq à l’âne, dégustant ces quelques merveilles tel l’amateur d’estampes de Daumier feuilletant le contenu d’un carton.

Le moelleux d’un paysage où se déroule une chasse au cerf laisse place à une vue de 1567 de la ville d’Huy depuis les collines, ses délicatesses de plume s’estompant dans le lointain. Une auberge au bord d’une route hollandaise nous semble le décor parfait pour un roman d’aventures. Des couples dansent dans une pastorale plutôt coquine de Jan Thomas. D’une pointe de pinceau absolument virtuose, il colore les étreintes d’une violence trouble, l’euphorie tourne au vinaigre. Dans un coin de forêt, les arbres se contorsionnent sous le vent d’un orage. Un paysage de montagne aux gris ocres de rochers, des dunes du bord de mer sous une lumière estivale, une plaine sombre et mélancolique de Georges Michel, un village tranquille de Théodore Rousseau. Quel voyage! Il n’y a qu’un pas d’oliviers aux feuilles scintillantes au soleil de Tivoli au clapotis tranquille du canal de Oude Wetering où est amarrée une péniche.

Pas besoin de partir si loin, restons dans un coin de l’atelier de Fantin-Latour: une chaise, un carton à dessin, un châssis retourné contre le mur. Il ne faut pas grand-chose pour raconter une longue histoire. De même un bout de ciel au-dessus du Louvre par Demachy, une vue sur les toits de Degas montrent qu’il peut suffire d’une lucarne pour peindre le monde. Le tableau d’une cascade peint par Simon Denis pourrait n’être qu’un paysage romantique du XVIIIéme. Mais sur un talus une femme est assise, elle dessine, son enfant à son côté, il s’agit d’Elisabeth Vigée Le Brun. Des portes s’ouvrent sur de nouvelles dimensions surprenantes, reliant les artistes, les destins, les visions.

Un enfant à la fenêtre feint d’étudier une plante, mais un carreau cassé trahit le garnement. La gravure raconte des histoires populaires, du folklore, les aléas de la vie conjugale. Les mendiants festoyant de Pieters Serwouters sombrent dans une scène orgiaque, chaotique, la satire grinçante. Même chaos que celui engendré par un montreur d’images gravé par Maulbertsch. La foule distraite y devient la proie de gredins embusqués. La morale de ces histoires est illustrée par La Parabole des vierges folles et vierges sages de Jan Saenredam, merveilleux travail du burin. Les drapés y dévoilent les détails anatomiques de sorte qu’on ne distingue plus les habillées des batifoleuses nues, le vertueuses ne seraient pas si éloignées des pécheresses… Quelle audace!

Sous le regard de la douce Vierge dans les nuages de Federico Barocci, une superbe manière noire de Wallerant Vaillant. Sa tête de jeune garçon oppose son regard tendre à celui de l’autoportrait de Samuel van Hoogstraten, jeune artiste se regardant avec intensité dans le miroir qui lui fait face. Goya, lui, grave un autoportrait en s’observant de profil du coin de l’œil.

Une porte est ouverte dans le coin d’une cuisine déserte, l’eau coule d’un robinet dans la lumière de la fenêtre. Il n’y a personne, juste un silence lumineux et doré comme chez Vermeer. Ce tableau de Petrus van Schendel pourrait annoncer le XXéme siècle qui vient, la modernité et ses abstractions.

L’époque contemporaine est aussi là. Car Ger Luijten visitait chaque semaine des ateliers d’artistes, toujours à l’affût de nouveaux talents pour enrichir et prolonger la collection de Frits Lutz dans le présent. Les dessins de Rein Dool ou Ger Boosten, les expériences d’Anna Metz martyrisant ses plaques de cuivre sont quelques témoignages de ces belles rencontres. Les paysages mélancoliques de Siemen Dijkstra, ses gravures sur bois à fond perdu totalisant jusqu’à une vingtaine de couleurs s’enracinent dans les siècles précédents pour tracer un nouveau chemin.

Au milieu d’une salle trône la prophétesse Débora de Goltzius, la dernière acquisition de Ger Luijten pour la fondation Custodia. La posture défiante, la main nerveusement appuyée sur les hanches, noueuse comme un chêne, elle contemple le monde. Son drapé est gonflé par le vent, massif et majestueux, et en même temps s’envolant comme une aile. La prophétesse a des airs rustiques de porteuse de pain, de rude moissonneuse, les pieds bien ancrés dans la terre.

Enraciné et tourné vers l’avenir, quelle belle métaphore. Prenons ainsi le temps de fermer cette belle page avant d’entamer de nouvelles aventures avec l’arrivée de Stijn Alsteens à la direction de la fondation.

Sylvain Silleran

Abraham Teerlink (Dordrecht 1776 – 1857 Rome), Étude de rochers et de végétation. Graphite et aquarelle. 643 x 475 mm. Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2020-T.51.

Abraham Teerlink (Dordrecht 1776 – 1857 Rome), Étude de rochers et de végétation. Graphite et aquarelle. 643 x 475 mm. Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2020-T.51.

Johan Gudmann Rohde (Randers 1856 – 1935 Hellerup) Jeune fille cousant, 1893. Lithographie sur Chine appliqué. 33,6 x 32,7 cm (coup de planche) ; 38 x 37,5 cm (feuille). Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2021-P.5.

Johan Gudmann Rohde (Randers 1856 – 1935 Hellerup) Jeune fille cousant, 1893. Lithographie sur Chine appliqué. 33,6 x 32,7 cm (coup de planche) ; 38 x 37,5 cm (feuille). Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2021-P.5.

Artiste français ou italien, XVIIe siecle, Portrait de François Langlois, dit Ciartres, vers 1630-1635. Huile sur toile. 91,5 x 68,5 cm. Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2010-S.61.

Artiste français ou italien, XVIIe siecle, Portrait de François Langlois, dit Ciartres, vers 1630-1635. Huile sur toile. 91,5 x 68,5 cm. Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris, inv. 2010-S.61.


Extrait du communiqué de presse :

Ger Luijten a dirigé la Fondation Custodia pendant douze ans entre juin 2010 et son décès prématuré en décembre 2022. Cet érudit passionné, esprit curieux et grand connaisseur, n’a eu de cesse de rester fidèle à l’esprit du collectionneur Frits Lugt, fondateur de l’institution. Il l’expliquait lui-même en 2021 : « Je cherche à me mettre dans la tête de Frits Lugt pour imaginer comment il aurait réagi devant une oeuvre et comment elle pourrait s’insérer dans la collection existante ».

Au cours de ses années de directorat, Ger Luijten a mis au service de la Fondation Custodia son expérience et son oeil avisé afin de mener une politique d’acquisition dynamique et courageuse. Il a eu à coeur de renforcer les points forts de la collection de la Fondation (art néerlandais XVIe-XVIIIe siècles), de compléter des fonds amorcés par Frits Lugt ou par ses successeurs (peinture danoise XIXe siècle) mais aussi de développer ses goûts propres (études à l’huile).

Parmi les quelques 10 000 oeuvres entrées dans les collections depuis 2010, certaines ont été présentées au public à l’occasion d’expositions, d’autres sont ici dévoilées. Afin de rendre hommage à cette politique d’acquisition active et enthousiaste, la Fondation Custodia expose aujourd’hui un florilège d’environ cent quarante oeuvres.

Le visiteur est invité à découvrir cet ensemble remarquable au fil d’un parcours organisé par technique (dessins, estampes, tableaux, études à l’huile, lettres et manuscrits). La variété des écoles témoigne de la diversité des collections. En effet, si les écoles hollandaise et flamande sont bien sûr richement représentées, des dessins danois côtoient des estampes britanniques et un dessin allemand, une esquisse espagnole. Des noms célèbres avoisinent des artistes moins connus et des oeuvres dont les auteurs restent à identifier. Toutes ces oeuvres ont en commun un éclat particulier et une richesse poétique, reflet de la personnalité et du goût de Ger Luijten.




Dessins de Maîtres

La collection de dessins anciens assemblée par Frits Lugt, enrichie par ses successeurs à la direction de la Fondation Custodia, est l’une des plus importantes – tant en nombre qu’en qualité – aujourd’hui en mains privées. Ger Luijten a su mettre au service de sa politique d’acquisition l’oeil du professeur de dessin qu’il fut à ses débuts, celui de l’expert qu’il était devenu. Ses nombreux achats viennent harmonieusement enrichir et compléter cet ensemble remarquable. L’intérêt pour les techniques du dessin, l’érudition et une poésie certaine rythment cette section. L’exposition s’ouvre sur une magistrale feuille du Maître des Albums Egmont réalisée vers 1580-1600, Triomphe de Neptune. On ne connait toujours pas l’identité de cet énigmatique artiste maniériste, redécouvert par Philip Pouncey en 1958. À ses côtés, sont exposés plusieurs paysages introduits par le séduisant Gherardo Cibo (1512-1600). Les recherches de ce dessinateur, amateur, botaniste, érudit et théoricien des techniques artistiques se distinguent par leur caractère foncièrement expérimental dont notre Paysage avec une chasse au cerf est l’un des aboutissements. Certaines feuilles sont essentielles dans la connaissance et l’identification d’un artiste. C’est le cas de la Vue de la ville d’Huy, de l’artiste malinois Hendrick Gijsmans (1544 1611/12), autrefois connu sous le nom d’« Anonyme Fabriczy ». Cette feuille, la deuxième connue à porter une signature de l’artiste, fait partie d’un ensemble de dessins exécutés à la plume et à l’encre qui représentent des paysages, des vues de villes et de villages réalisés par Gijsmans au cours d’un voyage à Rome entrepris depuis les Pays-Bas. Au siècle suivant, nombre d’artistes du Nord – flamands comme hollandais – se sont aussi laissé séduire par les paysages et la lumière d’Italie. Sont présentés dans l’exposition des exemples de feuilles au lavis dues à ces peintres voyageurs : Jan Both (1618-1652), Karel du Jardin (1626-1678), Jan Worst (vers 1645-après 1686), Caspar Adriaensz. Van Wittel, dit Gaspare Vanvitelli (1653-1736) et Jan Frans van Bloemen, dit Orizzonte (1662 1749). Parmi les feuilles capitales du Siècle d’or hollandais entrées dans les collections de la Fondation sous le directorat de Ger Luijten, l’Autoportrait à la fenêtre de Samuel van Hoogstraten (1627 1687) se distingue. Le jeune artiste, assis devant une fenêtre ouverte semble fixer le spectateur, sa plume d’oie posée sur une feuille de papier devant lui. C’est très probablement son maître, Rembrandt lui-même, qui aurait corrigé, de trois traits puissants de sa plume, le contour du bras et de l’épaule droits du modèle. Le XVIIIe siècle hollandais est illustré par des artistes qui semblent avoir répondu à l’exhortation de Samuel van Hoogstraten en 1678 aux jeunes artistes : « Entrez donc, ô jeune peintre ! dans les bois entourés de rivières […] afin de peindre […] des perspectives boisées, ou d’engranger, […] la riche nature dans votre livre de dessin » (Samuel van Hoogstraten, Introduction à la haute école de l’art de peinture, 1678, trad. fr. Jan Blanc, Genève, 2006, p. 25). Ainsi, Franciscus Andreas Milatz (1763-1808) nous offre une vue de Forêt aux environs de Bloemendaal redevable, sur bien des points, à ses éminents prédécesseurs du Siècle d’or. Ce dessin n’en trahit pas moins une sensibilité au romantisme naissant, tout comme l’admirable Étude de rochers et de végétation réalisée depuis les montagnes italiennes par Abraham Teerlink (1776-1857). Trois dessins français et deux feuilles italiennes viennent enrichir cet ensemble. Les noms de Nicolas Delobel (1693-1763) et Hilaire Ledru (1769-1840) illustrent la volonté de Ger Luijten de défendre les oeuvres d’artistes moins connus qui suscitent néanmoins l’intérêt grandissant et légitime du public comme des historiens de l’art. La Diane en buste du Napolitain Bernardino Cavallino (1616-1656) met en lumière l’oeuvre graphique de cet artiste baroque dont on ne connait que sept autres feuilles. L’exposition se poursuit avec une sélection de paysages français du XIXe siècle de notre fonds, récemment mis à l’honneur à l’occasion de l’exposition présentée en 2023 à la Fondation Custodia, Dessins français du XIXe siècle : quatre feuilles par Camille Corot (1796-1875), Paul Huet (1803-1869), Rosa Bonheur (1822-1899) et Louis Cabat (1812 1893). Enfin, deux artistes danois signent des représentations sensibles de figures féminines : le Portrait d’une jeune femme, oeuvre de jeunesse de Lorenz Frølich (1820-1908) – datée de 1840 – rejoint l’ensemble déjà considérable d’oeuvres de l’artiste assemblées par l’ancien directeur Carlos van Hasselt. Au contraire, aucune oeuvre de l’artiste Harald Slott-Møller (1864-1937) ne faisait partie de nos collections jusqu’à l’acquisition du très poétique Interiør (Femme se coiffant) qui clôt ce chapitre consacré aux dessins.


Les estampes en partage

Le rôle joué par Ger Luijten dans le monde de l’estampe fut essentiel. Rédacteur depuis le début de sa carrière de la fameuse série des Hollstein – indispensables catalogues raisonnés des estampes flamandes et hollandaises –, il a également permis au public de découvrir toutes les spécificités de ce medium par des publications et des expositions exigeantes telles que Hieronymus Cock. La gravure à la Renaissance (2013). Les planches présentées ici sont le reflet de ses connaissances, vastes, et de ses centres d’intérêt, nombreux. La Fondation Custodia peut s’enorgueillir de posséder des épreuves rares dont seuls quelques exemplaires sont parvenus jusqu’à nous. Ainsi, l’Enfant regardant par la fenêtre, gravure au burin d’un artiste anonyme allemand du XVIe siècle est l’un des quatre exemplaires connus de cette planche. La signification de cette oeuvre reste énigmatique mais semble évoquer la fragilité de la vie. Le spectaculaire Panorama du Tibre à Rome avec l’île Tiberine signé par Willem van Nieulandt (1584-1635) se déploie sur trois feuilles gravées. Suivant la tradition flamande, Van Nieulandt inclut plusieurs figures de genre dans cette vue urbaine, y compris des pêcheurs examinant leurs prises, et au centre, assis dans une petite barque, un dessinateur vu de dos : peut-être un autoportrait voilé ? Les légendes en trois langues suggèrent un public international pour cette estampe ambitieuse dont on ne connaît toutefois que très peu d’exemplaires à ce jour. Le parcours se poursuit par l’évocation de l’intérêt scientifique d’un cabinet de curiosité. Le Trocha nacrier (trochus niloticus), gravé par Wenceslaus Hollar (1607-1677) appartient à une série de quarante-sept coquillages qui aurait peut-être inspiré à Rembrandt son célèbre Cornus Marmoreus. L’exactitude scientifique mêlée à la poésie simple émanant de cette oeuvre s’accorde en tous points à l’esprit de la collection de la Fondation Custodia. Les représentations de la vie quotidienne occupent une place essentielle dans l’art néerlandais du XVIIe siècle. Pour son étude fondamentale consacrée aux scènes de genre dans l’estampe hollandaise, Ger Luijten avait choisi avec Eddy de Jongh la charmante planche de Karel du Jardin, Le Savoyard, comme couverture du catalogue de l’exposition présentée en 1997 au Rijksmuseum, Mirror of Everyday Life [miroir de la vie quotidienne]. Près de dix ans plus tard, il put faire l’acquisition d’un exemplaire de cette eau-forte pour la Fondation Custodia. Découvrir et comprendre les interprétations dissimulées dans les oeuvres passionnait Ger Luijten. Les livres d’emblèmes et les allégories ont particulièrement aiguisé sa curiosité et de nombreuses oeuvres savantes et complexes sont venues rejoindre la collection de la Fondation sous son directorat. Ainsi, en 2019, il a pu acquérir la même rare série d’estampes d’après Marten van Cleve dont il avait déjà enrichi le fonds du Rijksmuseum à Amsterdam : douze plaisanteries sur les rapports entre les hommes et les femmes. La série a été créée vers 1570 et constitue un excellent exemple de représentations de plaisanteries sexuelles ambiguës, genre courant dans les arts graphiques de l’Europe du Nord au XVIe siècle. De même, l’allégorie gravée par Raphaël Sadeler I (1561-vers 1632) d’après Joos van Winghe (1542-1603), La Richesse engendre la folie ou la série de Jan Saenredam (1565-1607), Parabole des vierges sages et des vierges folles enthousiasment notre curiosité. Au fil de cette section, la multiplicité des techniques de l’estampe peut être appréciée : le clair-obscur (Anonyme, La « Nymphe de Fontainebleau » assise dans un paysage avec un chien de chasse, un cerf, une chèvre et deux bovins), la manière noire (Wallerant Vaillant, Portrait de jeune garçon), l’aquatinte et feuille d’or sur papier vélin teinté brun (Maria Katharina Prestel, Le Triomphe de la vérité sur la jalousie) ou encore une estampe rehaussée d’aquarelle (Louis-Jean Desprez, Indulgences plénières ou « Mission Sicilienne »). Thématique chère à Frits Lugt et à ses différents successeurs, le portrait d’artiste représente une partie importante de la collection de la Fondation Custodia. Dans ses acquisitions, Ger Luijten a été particulièrement attentif à cette iconographie. Les portraits (Melchior Loch) et autoportraits (Johannes Lutma, Arthur Pond, Francesco de Goya, Pieter Christoffel Wonder, Henri Fantin Latour) d’artistes nous livrent avec justesse une image intime de leurs auteurs. Enfin, à l’instar des dessins danois exposés, l’art de la gravure au Danemark au XIXe siècle est représenté par Christen Købke avec Le Vieux marin (eau-forte, 1836), et par Johan Gudmann Rohde Jeune femme en train de coudre (lithographie imprimée sur Chine, 1893, d’après Vilhelm Hammershøi).


Tableaux : des choix érudits

Tout au long de ses douze années de mandat à la Fondation Custodia, Ger Luijten a veillé à compléter l’ensemble choisi de peintures principalement du Siècle d’or hollandais réunies par Frits Lugt. Une sélection de quatorze oeuvres est présentée dans l’exposition. Véritable coup d’éclat, le premier achat de Ger Luijten dès son arrivée à la tête de la Fondation fut un portrait de l’éditeur et marchand François Langlois (vers 1589- 1647), entouré d’objets d’art. Si le nom de son auteur reste à découvrir, l’intérêt de cette toile tant du point de vue de l’histoire de l’art que de l’histoire des collections constitue un apport capital à notre institution. À ses côtés sont accrochés deux portraits ovales, en pendants, par l’artiste originaire de Haarlem Jan de Braij (vers 1627-1697), parfaits exemples de la tradition du Siècle d’or hollandais. Ces panneaux représentent Lambert Schatter et Eva van Beresteyn, âgés respectivement de 22 ans et 19 ans, et furent vraisemblablement réalisés à l’occasion du mariage des jeunes gens. Les oeuvres sont exposées dans leurs cadres d’origine, détail auquel Ger Luijten accordait une importance particulière. De la même façon, le tableau de Simon Kick (1603-1651) a reçu un cadre en noyer datant de l’époque de sa réalisation. Typique de la peinture néerlandaise du XVIIe siècle, les scènes de « corps de garde » n’étaient jusqu’en 2021 pas représentées dans notre collection. L’acquisition de la magistrale Scène de genre avec soldats jouant aux dés est venue combler ce manque. Il s’agit sans aucun doute d’une acquisition majeure. Sous le pinceau de l’artiste, la subtilité des textures et des matières s’anime dans un délicat camaïeu de brun, de gris et de beige. À droite de la composition, un homme debout, tourné vers le spectateur, plonge son regard dans le nôtre et nous convie à la table de jeu. Pourrait-il s’agir de l’artiste lui-même ? Diane et ses compagnes découvrant la grossesse de Callisto, toile peinte par Jacob van Loo vers 1650, a permis d’introduire sur les cimaises de la Fondation Custodia un genre nouveau, la peinture mythologique. Parmi les peintures d’histoire, aucun thème n’a été aussi souvent représenté par Jacob van Loo que celui mettant en scène la déesse Diane. L’amoncellement de tissus qui se voit en bas à droite de la composition est une démonstration de ses talents de coloriste. D’autres allégories (Cornelis Saftleven, Allégorie de la folie humaine), peintures d’histoire (Cornelis de Vos, Alexandre le Grand et la famille de Darius et Esaias van de Velde, Énée, Anchise et Ascagne fuyant Troie en flammes), religieuses (Abraham Bloemaert, Loth et ses filles), natures mortes (Jan Weenix, Esquisse d’un paon et de trophées de chasse) et paysages (Adam Pijnacker, Paysage boisé avec des bergers conduisant une vache et Hendrick Schepper, Vue de la maison de Vredeveldt) complètent cette sélection de tableaux anciens. Enfin, quatre portraits en miniature illustrent la diversité et la qualité des collections. On y retrouve notamment le Portrait de Charles-Henry Delacroix, frère aîné du célèbre Eugène Delacroix, peint à l’aquarelle sur ivoire par leur oncle Henri-François Riesener vers 1799-1800. Au verso du portrait se voit une petite miniature rectangulaire sur carton, tracée d’une autre main, figurant un oeil féminin à demi dissimulé par des nuées. Ce motif, préservant l’anonymat du modèle, fait écho à l’engouement né à la fin du XVIIIe siècle en Angleterre pour les miniatures représentant l’oeil de l’être aimé ou « lover’s eye ». Quant à Anne-Louis Girodet (1767-1824), il se dépeint encore jeune homme de profil gauche dans un Autoportrait au papillon réalisé vers 1790. L’artiste semble examiner avec une attention amusée un papillon. Cette occupation conjuguée à l’inscription « Frivolité » qui se lit au verso du cadre pourrait indiquer une aimable fantaisie, simple divertissement d’artiste. Il n’en est rien. Girodet se plait, comme à son habitude, à manier avec habileté des évocations symboliques et des références antiques qui donnent à sa composition une tout autre saveur.


Un ensemble idéal d’études à l’huile

L’acquisition d’oeuvres d’importance dans le domaine des études à l’huile figure parmi les plus brillantes contributions que Ger Luijten ait apportées à la Fondation Custodia. Leur présentation dans un accrochage à touche-touche dans l’escalier de l’hôtel Turgot est même devenue une signature de la Fondation Custodia. S’appuyant sur le legs de Carlos van Hasselt d’une soixantaine de spécimens du genre, il s’est efforcé de constituer un panorama complet de l’esquisse peinte en plein air avant l’Impressionnisme. Il a consacré une exposition importante à ce phénomène, Sur le motif, présentée à la Fondation Custodia, à Washington et à Cambridge en 2020-2022. Dans cette section, les visiteurs sont invités à un voyage poétique et sensible à la découverte du pleinairisme européen. Ainsi, Camille Corot (1796-1875) nous livre la vue d’Un faubourg de ville (Rochefort-sur-Mer, Charente) réalisée au cours de l’été 1851. Dans ce paysage où le ciel bleu est le seul horizon, la lumière et ses contrastes ne cessent d’être au coeur de la peinture de l’artiste et de la réflexion sur son art. Cette vue urbaine est une succession de formes géométriques enchevêtrées, liées par la touche de Corot, qui compose essentiellement avec des triangles, des rectangles et rend l’œuvre harmonieuse. Un peu plus loin, nous suivons Edgar Degas (1834-1917) à Rome sous un ciel lumineux dont les variations de mauve, rose, bleu et blanc sont rendues à l’aide de touches larges. Sa Vue du Quirinal, vraisemblablement réalisée sur le motif, date du début de la carrière de l’artiste, vers 1856-1858. C’est à Paris que nous entraîne Johan Barthold Jongkind (1819-1891) avec une rare huile sur papier datant du premier séjour du jeune peintre dans la capitale française, Le Quai d’Orsay à Paris. L’artiste ne s’y intéresse pas tant au fleuve proprement dit qu’à l’activité humaine qui l’anime. La Fondation Custodia conserve un bel ensemble d’œuvres et de documents concernant le peintre néerlandais Jongkind mais, jusqu’à récemment, ne possédait pas d’esquisse à l’huile de sa main. Acquisition majeure effectuée en 2019, la Vue de jardins à Hampstead, avec un sureau du Britannique John Constable (1776- 1837) se distingue par sa poésie mélancolique. On retrouve dans cette huile sur carton la spontanéité qui caractérise la touche de Constable. Elle est le fleuron des dix-neuf oeuvres peintes de la main d’artistes britanniques acquises sous le directorat de Ger Luijten qui forment un admirable ensemble. L’oeil avisé de Ger Luijten, attentif aux innovations picturales des artistes scandinaves, a sélectionné plusieurs esquisses réalisées par eux. Le Norvégien Johan Christian Dahl (1788-1857), observateur méthodique de la nature, peint en 1825 les Rochers près de Lohmen en Saxe. Le véritable sujet de notre étude est l’étincelante lumière du soleil qui, tombant de l’angle supérieur droit de la composition, dessine le contour des troncs d’arbres et des rochers couverts de mousse. C’est la rencontre et le dialogue entre la lumière et l’obscurité auxquels s’est attaché Martinus Rørbye (1803-1848) dans son Couloir du monastère des Capucins à Palerme (1840). Le point de vue adopté par l’artiste, en face d’un large escalier en pierre qui descend vers une crypte, permet au spectateur de percevoir la scène à travers des yeux qui se sont habitués à la pénombre. Pas de ciel non plus dans la Vue de L’Abbaye d’Alpirsbach près de Freudenstadt ( Forêt-Noire) peinte à la fin des années 1830 par Frederik Sødring (1809-1862). Dans une composition caractéristique de son approche, Sødring aborde son motif sous un angle informel et insolite. Ce parcours s’achève sur La Plage de Valence (1901) dépeinte par Joaquín Sorolla y Bastida. La petite toile est avant tout une étude atmosphérique dans laquelle l’artiste étudie les modulations de la lumière irradiante. Cette oeuvre simple et contemplative est la première esquisse de l’école espagnole à entrer dans nos collections.


Lettres d’artistes

Frits Lugt avait le goût pour les manuscrits autographes. Il avait commencé en 1917 en acquérant les deux dernières lettres de Rembrandt en mains privées. Ger Luijten a continué à enrichir cette collection ; selon ses propres mots, les autographes « complètent intimement la connaissance du travail de l’artiste ». Ainsi sont proposées à la lecture des précieuses missives de Francisco de Goya y Lucientes à Leocadia Zorrilla, Antonio Canova à Teresa Couty, Jean-Auguste-Dominique Ingres à Luigi Calamatta, Théodore Géricault à Mme Trouillard, Paul Cézanne à Victor Chocquet, Henri Fantin-Latour à Otto Scholderer. d’Édouard Manet, le volume contenant quarante- six lettres rédigées entre 1864 et 1882 adressées à Félix Bracquemond est présenté aux côtés d’une lettre envoyée par Paul Gauguin à Daniel de Monfreid (1900), illustrée d’une gravure sur bois. Un mot d’Henri Matisse à Gustave Kahn (1916), accompagnée d’un autoportrait de l’artiste malade, figure aussi parmi les pièces présentées. Parmi les autres trésors épistolaires, on relèvera les noms de Giorgio Vasari (1511-1574) et d’Ernst Ludwig Kirchner (1880-1938).


Livres anciens

Ger Luijten était un véritable bibliophile et ses nombreux champs d’intérêt se reflètent dans le choix des livres anciens ou précieux qu’il a ajoutés au beau fonds constitué par Frits Lugt et ses successeurs : écrits sur l’art, livres à dessiner et toute autre source utile pour histoire de l’art, mais aussi la littérature néerlandaise ancienne, les livres de fêtes ou les livres d’emblèmes, souvent choisis pour la qualité de leurs illustrations. Opuscule d’un auteur presque inconnu, les Linguae vitia et remedia de Antonius de Burgundia (Anvers 1631) traite en 45 emblèmes des péchés de la langue – insultes, blasphémies, calomnies – et leurs remèdes, mais séduit surtout par son illustration réaliste et inventive, due à un artiste de l’entourage de Abraham van Diepenbeeck (1595-1675). Malgré son petit format, il s’agit de l’une des réalisations les plus originales de l’art du livre flamand du XVIIe siècle. Édition posthume du livre à dessiner du maître vénitien, les Studi di pittura già dissegnati da Giambattista Piazzetta (Venise 1760) offrent la particularité que chacune des 24 planches a été gravée en double, une première fois par Francesco Bartolozzi (1727-1815), une seconde par Marco Pitteri (1702-1782). Le livre, un des derniers achats de Ger Luijten, contient un minuscule autoportrait de Piazzetta (1682-1754), seule eau-forte gravée par l’artiste.


Révéler ses contemporains

Ger Luijten avait à coeur d’ouvrir les portes de la Fondation aux artistes contemporains parmi lesquels Arie Schippers, Gèr Boosten, Jozef Van Ruyssevelt, Marian Plug, Gérard de Palézieux, Siemen Dijkstra, Anna Metz, Charles Donker et Peter Vos. Faire connaître au public français les créations graphiques de ces artistes – principalement figuratifs – est un défi que Ger Luijten a relevé avec éclat. L’exposition s’achève sur une sélection de quelques oeuvres contemporaines. Ger Luijten a découvert le travail de Gèr Boosten alors qu’il dirigeait le Rijksprentenkabinet à Amsterdam. À la suite de leur rencontre, la Fondation Custodia a consacré en 2015 une exposition à l’oeuvre dessiné et gravé de l’artiste. À cette occasion, l’album présenté, Carnet de Poilly-lez-Gien (2013) avait fait l’objet d’une publication en facsimilé. Ger Luijten a également participé à la meilleure connaissance de l’oeuvre de Jozef Van Ruyssevelt dont La Boule de verre traduit l’émerveillement de l’artiste devant le spectacle quotidien des choses. Le Crabe (« Cancer Pagurus ») dans une boîte, gravé en 1971 par Charles Donker, est l’une des 354 eaux-fortes de cet artiste acquises par la Fondation Custodia au cours des années. Cette nature morte inhabituelle, réaliste dans son exécution mais aux accents surréalistes, a très vite été considérée comme une oeuvre majeure. En 2020, le public français découvrait avec éblouissement les impressionnantes gravures sur bois en couleurs de Siemen Dijkstra à la Fondation Custodia. Organisée à l’initiative de Ger Luijten, cette exposition portait le titre À bois perdu, évocation de la technique utilisée par l’artiste mais également de son inquiétude pour la disparition des forêts de la Drenthe, où il vit et travaille.