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🔊 “Nicolas de Staël” au Musée d’Art moderne de Paris, du 15 septembre 2023 au 21 janvier 2024

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“Nicolas de Staël”

au Musée d’Art moderne de Paris

du 15 septembre 2023 au 21 janvier 2024

MusĂ©e d’Art moderne de Paris


Interview de Charlotte Barat-Mabille, commissaire d’exposition - Musée d’Art moderne de Paris, et co-commissaire de l’exposition, par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 14 septembre 2023, durée 15’50, © FranceFineArt.

PODCAST –  Interview de Charlotte Barat-Mabille, commissaire d’exposition – MusĂ©e d’Art moderne de Paris, et co-commissaire de l’exposition,


par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 14 septembre 2023, durée 15’50,
© FranceFineArt.


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Nicolas de Sta‘l
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©Anne-Fréderique Fer, vernissage presse, le 14 septembre 2023.

Extrait du communiqué de presse :

Nicolas de Staël dans son atelier rue Gauguet, été 1954. Photo © Ministère de la Culture - Médiathèque du patrimoine et de la photographie, Dist. RMN-Grand Palais / Denise Colomb. © RMN-Grand Palais.

Denise ColombNicolas de StaĂ«l dans son atelier rue Gauguet, Ă©tĂ© 1954. Photo © Ministère de la Culture – MĂ©diathèque du patrimoine et de la photographie, Dist. RMN-Grand Palais / Denise Colomb. © RMN-Grand Palais.

Nicolas de Staël, Le Saladier, 1954. Huile sur toile, 54 x 65 cm. Collection particulière. © ADAGP, Paris, 2023.

Nicolas de Staël, Le Saladier, 1954. Huile sur toile, 54 x 65 cm. Collection particulière. © ADAGP, Paris, 2023.

Nicolas de Staël, Agrigente, 1954. Huile sur toile, 60 x 81 cm. Collection privée / Courtesy. Applicat-Prazan, Paris. © ADAGP, Paris, 2023 / Photo Annik Wetter.

Nicolas de Staël, Agrigente, 1954. Huile sur toile, 60 x 81 cm. Collection privée / Courtesy. Applicat-Prazan, Paris. © ADAGP, Paris, 2023 / Photo Annik Wetter.

Commissaires :
Charlotte Barat-Mabille, commissaire d’exposition
Pierre Wat, historien de l’art, critique d’art

Conseillère scientifique
Marie du Bouchet


Le Musée d’Art Moderne de Paris consacre une grande rétrospective à Nicolas deStaël (1914-1955), figure incontournable de la scène artistique française d’après-guerre. Vingt ans après celle organisée par le Centre Pompidou en 2003,l’exposition propose un nouveau regard sur le travail de l’artiste, en tirant parti d’expositions thématiques plus récentes ayant mis en lumière certains aspects méconnus de sa carrière (Antibes en 2014, Le Havre en 2014, Aix-en-Provence en2018).

La rétrospective rassemble une sélection d’environ 200 tableaux, dessins,gravures et carnets venus de nombreuses collections publiques et privées, en Europe et aux Etats-Unis. À côté de chefs-d’oeuvre emblématiques tels que le Parc des Princes, elle présente un ensemble important d’oeuvres rarement, sinon jamais, exposées, dont une cinquantaine montrées pour la première fois dans un musée français.

Organisée de manière chronologique, l’exposition retrace les évolutions successives de l’artiste, depuis ses premiers pas figuratifs et ses toiles sombres et matiérées des années1940, jusqu’à ses tableaux peints à la veille de sa mort prématurée en 1955. Si l’essentiel de son travail tient en une douzaine d’années, Staël ne cesse de se renouveler et d’explorer de nouvelles voies : son « inévitable besoin de tout casser quand la machine semble tourner trop rond » le conduit à produire une oeuvre remarquablement riche et complexe, « sans esthétique a priori ». Insensible aux modes comme aux querelles de son temps, son travail bouleverse délibérément la distinction entre abstraction et figuration, et apparaît comme la poursuite, menée dans l’urgence, d’un art toujours plus dense et concis : « c’est si triste sans tableaux la vie que je fonce tant que je peux », écrivait-il.

La rétrospective permet de suivre pas à pas cette quête picturale d’une rare intensité, en commençant par ses voyages de jeunesse et ses premières années parisiennes, puis en évoquant son installation dans le Vaucluse, son fameux voyage en Sicile en 1953, et enfin ses derniers mois à Antibes, dans un atelier face à la mer.

La vie de Staël a d’emblée créé un mythe autour de son art : de son exil après la révolution russe jusqu’à son suicide tragique à l’âge de 41 ans, la vie du peintre n’a cessé d’influer sur la compréhension de son oeuvre. Sans négliger cette dimension mythique, la rétrospective entend rester au plus près des recherches graphiques et picturales de Staël, afin de montrer avant tout un peintre au travail, que ce soit face au paysage ou dans le silence de l’atelier. Enfant exilé devenu voyageur infatigable, l’artiste est fasciné par les spectacles du monde et leurs différentes lumières,qu’il se confronte à la mer, à un match de football, ou à un fruit posé sur une table. Variant inlassablement les outils, les techniques et les formats (du tableautin à la composition monumentale), Staël aime « mettre en chantier » plusieurs toiles en parallèle, les travaillant par superpositions et altérations successives. Le dessin joue, dans cette exploration, un rôle prépondérant dont une riche sélection d’oeuvres sur papier souligne le caractère expérimental.

Un extrait du documentaire Nicolas de Staël, la peinture à vif de François Lévy-Kuentz, co-écrit avec Stéphane Lambert et Stephan Lévy-Kuentz et produit par Martin Laurent, Temps Noir, en coproduction avec ARTE France, sera présenté en permanence dans les salles de l’exposition et diffusé dans son intégralité sur ARTE le 24 septembre 2023.

Le catalogue de l’exposition permet d’approfondir encore la connaissance du travail du peintre,grâce Ă  des textes sur sa relation aux maĂ®tres du passĂ© et Ă  son contemporain Georges Braque,ou encore son rapport au paysage et Ă  la nature morte. L’ouvrage contient Ă©galement unentretien des commissaires avec Anne de StaĂ«l, fille aĂ®nĂ©e de l’artiste, ainsi que le texte intĂ©gral etinĂ©dit du « Journal des annĂ©es StaĂ«l » de Pierre Lecuire, Ă©crivain, Ă©diteur et ami proche de StaĂ«l.

L’exposition Nicolas de StaĂ«l est organisĂ©e par le MusĂ©e d’Art Moderne de Paris en Ă©troite collaboration avec la Fondation de l’Hermitage Ă  Lausanne, oĂą elle sera prĂ©sentĂ©e du 9 fĂ©vrier au 9 juin 2024.

#catalogue aux Éditions Paris Musées.


Parcours de l’exposition

Introduction
« C’est si triste sans tableaux, la vie, que je fonce tant que je peux. »
Né à Saint-Pétersbourg en 1914, Nicolas de Staël a 3 ans lorsque éclate la révolution russe. Forcé de fuir avec sa famille, très tôt orphelin, cet exilé n’aura de cesse de rechercher de nouveaux horizons, de nouvelles sensations – et donc de nouvelles manières de peindre. Si l’essentiel de son oeuvre tient en une quinzaine d’années, son travail se renouvelle constamment : son « inévitable besoin de tout casser quand la machine semble tourner trop rond »l’amène à expérimenter sans relâche. Sa pratique de peintre s’inscrit dans une France de l’après-guerre où la dispute entre partisans de l’abstraction et défenseurs de la figuration fait rage. Indifférent aux querelles de son temps, Staël déteste les étiquettes et refuse de choisir, préférant peindre « sans esthétique a priori ». Il en résulte une oeuvre libre et personnelle, qui manifeste la sensibilité toujours vive de ce peintre vis-à-vis de ce qui l’entoure : qu’il se confronte à la mer, à un match de foot ballou à un fruit posé sur une table, l’artiste est captivé par les spectacles du monde et leurs lumières toujours variables. Interrompue par son suicide à l’âge de 41 ans, la trajectoire de Staël apparaît rétrospectivement comme la poursuite,menée dans l’urgence, d’un art toujours plus dense et plus concis. Face au paysage ou dans le silence de l’atelier, ses évolutions successives témoignent d’une quête picturale d’une rare intensité, dont la puissance, jusqu’à aujourd’hui,demeure intacte.

Le voyage d’un peintre (1934-1947)
Les années de formation de Nicolas de Staël sont faites de voyages et de rencontres. S’il étudie l’art à Bruxelles, le jeune peintre cherche vite à élargir ses horizons : après deux étés passés à sillonner le sud de la France puis l’Espagne, il parcourt pendant un an le Maroc où il rencontre Jeannine Guillou, une peintre qui deviendra sa compagne. Il travaille avec ardeur, détruisant beaucoup et hésitant sur la voie à suivre. « Je sais que ma vie sera un continuel voyage sur une mer incertaine, écrit-il, c’est une raison pour que je construise mon bateau solidement. » Faites de déplacements et de haltes, ces années de maturation sont à la fois dures et exaltantes, sur fond d’ambition et d’extrême pauvreté. Staël l’apatride s’engage en novembre 1939 dans la Légion étrangère ; démobilisé en septembre 1940, il vit pendant trois ans à Nice puis s’installe à Paris. En 1942, il se tourne vers l’abstraction, tendance alors en plein essor. Le peintre explore ce nouveau langage dans des oeuvres dominées par des tons sombres, que Jeannine décrit comme « sans fin torturées, repeintes, massacrées, bousculées ». Au sortir du conflit, Staël expose à la galerie Jeanne Bucher : sa carrière est lancée. En 1946, la mort tragique de Jeannine suite à un avortement thérapeutique signe la fin de cette première époque.

Rue Gauguet (1948-1949)
Située près du parc Montsouris, la rue Gauguet devient dès 1947 le point d’ancrage du peintre : le lieu où Staël, qui s’est marié avec Françoise Chapouton, va trouver un véritable atelier et un toit pour sa famille. Avec ses huit mètres de hauteur sous plafond, l’atelier « tient du puits, de la chapelle et de la grange », écrit le critique Patrick Waldberg, qui décrit « sa blancheur austère et son atmosphère d’activité intense, mais recluse ».
Adossant ses toiles contre le mur, Staël conçoit plusieurs oeuvres en même temps, passant de l’huile à l’encre deChine, de la toile au papier. À la fin des années 1940, dans ce lieu inondé de lumière, sa palette s’éclaircit. Aux élansobscurs des toiles précédentes succède une manière de peindre moins violente, plus organique. Peu à peu, sescompositions se desserrent : les faisceaux dynamiques et enchevêtrés laissent place à des formes plus amples, plusstables et aériennes.
Renouvelant constamment sa pratique, Staël se méfie de la répétition comme des étiquettes. Ce peintre que l’on ditabstrait déclare alors, à rebours de l’époque, que « les tendances non figuratives n’existent pas », affirmant que « lepeintre aura toujours besoin d’avoir devant les yeux, de près ou de loin, la mouvante source d’inspiration qu’estl’univers sensible ».

Condensation (1950)
En 1950, le travail de Staël se densifie : des masses plus amples et ramassées s’agencent à la surface de la toile. Desétudes sur papier jusqu’au tableau dans sa version définitive, il multiplie les étapes, travaille longuement et sansrelâche ses compositions. Les tableaux racontent leur propre genèse : les couches de couleur se superposent,laissant apparaître, sur les bords de formes énigmatiques, d’autres couleurs sous-jacentes, tel un secret entrevu. Lapeinture se fait étalement, recouvrement, travail de la matière. « Je manie le couteau et la brosse de plein fouet », dit-ilalors. L’ambition est claire : « faire de mieux en mieux et toujours plus simple ». Bien qu’abstraites formellement, ses toiles semblent habitées par une présence physique du monde : Staël parle àleur sujet des « images de la vie » qu’il reçoit « en masses colorées », « à mille vibrations ». Il se tient fièrement à l’écartde ce qu’il désigne comme le « gang de l’abstraction avant » – par allusion ironique au « gang des Tractions Avant »,célèbre bande de malfaiteurs de l’après-guerre. Cette année-là, le Musée national d’art moderne acquiert une première toile du peintre, tandis que Jacques Dubourgdevient officiellement son marchand et que des toiles commencent à se vendre aux États-Unis.

Fragmentation (1951)
Les tableaux de l’année 1951 apparaissent, rétrospectivement, comme une réaction à ceux de l’année 1950, Staëlremettant en jeu les acquis de l’année précédente. Après la condensation, ce sera donc la fragmentation : aprèsles formes concentrées, vient le règne des formes fragmentées, faites de tesselles colorées que l’on diraitempruntées au monde de la mosaïque. Ce nouveau vocabulaire offre à l’artiste une grande liberté. Tantôt ilconstruit, par accumulation de ces formes en pavés, tantôt il ouvre son tableau à une spatialité nouvelle etdynamique, quasi aérienne. Les références au monde extérieur, déjà là, à l’état latent, dans les tableaux de 1950, émergent plus nettement. Staël,malgré l’époque, malgré la critique, revient courageusement vers la figuration : au tout début de l’année 1952, unesimple tesselle, forme abstraite s’il en est, devient une pomme, tandis que le jaillissement vertical des petits pavés decouleur évoque soudain un bouquet de fleurs. À son nouvel ami René Char, pour lequel il réalise un ensemble degravures sur bois, il écrit : « Tu m’as fait retrouver d’emblée la passion que j’avais, enfant, pour les grands ciels, lesfeuilles en automne et toute la nostalgie d’un langage direct. »

Un an dans le paysage (1952)
En 1952, les références au monde sensible deviennent explicites. Staël élargit alors son champ visuel, sortant del’atelier pour s’adonner au paysage et travailler en plein air, sur le motif. Entre joie et urgence, « des couleurs plein lesmains à ciel ouvert », il peint plus de deux cent quarante oeuvres. La majorité sont des petits ou moyens formats surcarton, travaillés directement face au paysage, en Île-de-France, en Normandie et dans le Midi. Chaque lieu, chaquerégion engendre ses propres impressions et ses manières de faire. À Mantes-la-Jolie ou Gentilly, l’art de Staël atteintun équilibre entre observation et abstraction. Au Lavandou, il peint sur la plage et s’émerveille de la lumière « vorace »et « fulgurante » du Sud, qui lui procure des sensations nouvelles : « À force d’être bleue, la mer devient rouge. » EnNormandie, ses paysages se font plus atmosphériques et traduisent les subtiles nuances de la mer et du ciel. À Paris, le 26 mars, Staël assiste au match de football France-Suède au Parc des Princes. Le tableau magistral qu’il entire est exposé au Salon de mai et fait sensation. Pas de côté dans une année largement consacrée au paysage ?Approfondissement, plutôt, comme si ses paysages d’Île-de-France trouvaient là leur destin monumental.

Le spectacle du monde (1952-1953)
L’attrait de Nicolas de StaĂ«l pour le paysage se prolonge dans une fascination pour tout ce qui constitue le spectacledu monde. Entre un concert, un ballet et un match de football, nulle hiĂ©rarchie, mais autant d’occasions de seconfronter Ă  la vie comme Ă  un jeu de matières colorĂ©es et en mouvement. StaĂ«l, qui dessinait jusque dans l’obscuritĂ©des salles de cinĂ©ma, peint en spectateur passionnĂ©, recevant sans cesse de nouvelles sensations visuelles, tactiles etauditives. En 1951, dĂ©jĂ , il dĂ©clarait : « L’individu que je suis est fait de toutes les impressions reçues du mondeextĂ©rieur depuis et avant ma naissance […]. Les choses communiquent constamment avec l’artiste pendant qu’il peint,c’est tout ce que j’en sais. » Sous cet oeil ultrasensible, un jardin prend l’allure d’un dĂ©cor de théâtre, tandis que desbouteilles semblent danser un ballet. Au mois de mars 1953, StaĂ«l est Ă  New York pour prĂ©parer son exposition Ă  la Knoedler Gallery. L’expositionremporte un franc succès, tant critique que commercial. Ă€ son retour, le peintre achève trois compositionsmonumentales, dont deux sont prĂ©sentĂ©es dans l’exposition. En juin, StaĂ«l signe un contrat avec le puissant galeristePaul Rosenberg, qui le pousse Ă  produire davantage pour rĂ©pondre Ă  la demande des collectionneurs amĂ©ricains.

L’atelier du Sud (1953)
« Tous les départs sont merveilleux pour le travail », écrit Staël en mai 1953. Sur le conseil de René Char, cet été-là, lepeintre et sa famille s’installent à Lagnes, un village proche d’Avignon. Ce séjour en Provence engendre deux chocs : celuide la lumière éclatante, et celui de la rencontre avec une jeune femme, Jeanne Polge. Pour décrire ce double coup defoudre, le peintre écrit à Char, qui lui a présenté cette femme et ce paysage : « Quelle fille, la terre en tremble d’émoi,quelle cadence unique dans l’ordre souverain. Là-haut au cabanon chaque mouvement de pierre, chaque brin d’herbevacillait […] à son pas. Quel lieu, quelle fille. » Une liaison passionnelle se noue à partir de l’automne.
Le peintre, dont la palette devient éclatante comme la lumière provençale, multiplie les sujets d’atelier : portrait de sa filleAnne, « nus dans les nuages », natures mortes. L’intensité charnelle des sensations vécues par cet homme se diffuse danstoute chose, jusque dans la texture d’une nappe rose posée sur une table.

Lumières (1953)
Le peintre, après tant d’autres, connaît la fascination pour le Sud et sa lumière : la Provence lui apparaît comme « leparadis, tout simplement, avec des horizons sans limites ». Il rêve de transformer en un point fixe ce qui ne seraqu’une halte entre deux départs et, en novembre 1953, achète une demeure austère et délabrée à Ménerbes – leCastelet. En Provence, le peintre remet son art en jeu tout en renouant avec le petit format et les joies de la peinture sur lemotif – ce qu’il appelle ses « paysages de marche ». Les tableaux du Midi exigent une réinvention : la lumière éclatantedu Sud implique un nouveau regard, et donc une nouvelle manière de faire. Au plus près du monde, Staël peint alorsles silhouettes alignées des cyprès, les champs labourés, la façade d’une maison, le soleil éblouissant au-dessus del’horizon. Sculpté par le vent, son Arbre rouge se fait explosion lumineuse. Ici, Staël cherche, à tâtons, en peintre qui n’aque le travail comme possible recours : « Je suis dans un brouillard constant, ne sachant où aller, que faire […],bouffant ces paysages à longueur de journée de quoi en avoir une nausée définitive, ému malgré tout chaque fois. »

Sicile (1953-1954)
En août 1953, Nicolas de Staël, qui s’est acheté une camionnette, embarque sa famille dans un voyage en Italie,direction la Sicile. Il y a là sa femme Françoise, enceinte de Gustave, ses enfants, Anne, Laurence et Jérôme, mais aussiJeanne Polge et Ciska Grillet, une amie de René Char. En Sicile, il dessine au feutre les ruines antiques d’Agrigente et Syracuse : « À part la nage dans toutes les mers, je nefais rien, sinon quelques croquis », écrit-il alors. La peinture viendra plus tard, comme en écho différé à cetteexpérience vécue. En 1951, déjà, il affirmait : « On ne peint jamais ce qu’on voit ou croit voir, on peint à mille vibrationsle coup reçu. » C’est donc en Provence, où il retourne seul, après l’Italie, que Staël peint ses tableaux siciliens. À Jacques Dubourg, son marchand parisien, il confie : « Aussi atroce que soit la solitude, je la tiendrai parce qu’il [mefaut] prendre une distance que je n’ai plus à Paris aujourd’hui et que je veux pour demain. » Les paysages d’Agrigente etSyracuse sont le fruit de cette mise à distance. Radicalisation de la palette et des contrastes, construction réduite àl’élémentaire : Staël invente son paysage.

Sur la route (1954)
L’année 1954 est marquée par de constants déplacements : toujours à la recherche de sensations nouvelles, Staël seremet en route. Alors qu’il vient d’emménager à Ménerbes, son quotidien est rythmé de diverses incursions à Uzès,Marseille, ou encore à Martigues, sur les bords de l’étang de Berre, comme autant de détours propres à engendrerdessins et tableaux. Il retourne aussi rue Gauguet : « J’ai commencé à travailler dans le Midi, écrit-il, mais je viens àmon atelier de Paris régulièrement, cela me change de lumière et renouvelle un peu la conception des choses. » Ildessine alors sur les bords de Seine, et peint des paysages parisiens. Il séjourne également quelque temps sur la merdu Nord, dessinant sur le motif avant de peindre plusieurs tableaux évoquant le phare de Gravelines ou la plage deCalais.
 
Staël travaille « plus que jamais » : l’exposition chez Paul Rosenberg à New York en février 1954 est un succès, etl’artiste prépare pour juin une nouvelle exposition parisienne chez Jacques Dubourg, la première depuis trois ans.Dans cette urgence, sa peinture s’allège, renonçant à l’épaisseur au profit de la fluidité. Dans ses dessins, nombreuxen ces temps de voyage, l’artiste va vers l’épure, donnant toujours plus d’importance, et de présence, au blanc dupapier.

Antibes (1954-1955)
En septembre 1954, pour se rapprocher de Jeanne Polge, Nicolas de Staël s’installe seul dans une maison sur lesremparts d’Antibes, face à la mer. La vie s’organise autour de son atelier et de sa liaison passionnelle, bouleversante.Alors que Jeanne prend peu à peu ses distances, Staël travaille avec acharnement : « Les tableaux foncent, écrit-il, ilfaudra bien leur donner tout ce que j’ai, le reste m’est odieux à présent. » Cherchant la fluidité et la transparence, le peintre utilise du coton et des tampons de gaze pour étaler la couleur.Marines et natures mortes se succèdent, Staël peignant alternativement les bateaux zébrant la Méditerranée ou lesobjets de l’atelier. Ses tableaux accueillent la vie – sa quotidienneté, son intimité, son immensité. Si l’homme privé estdésespéré par un amour impossible, l’artiste demeure, dans sa peinture, intact malgré tout. Les tableaux d’Antibestémoignent de la permanence de son émerveillement devant le monde. Le 16 mars 1955, Staël se tue en se jetant du toit-terrasse de son atelier, laissant derrière lui de nombreux tableauxen cours. Dans la lettre qu’il laisse à son marchand, Jacques Dubourg, il écrit : « Je n’ai pas la force de parachever mestableaux. »