🔊 “Trésors en noir & blanc” au Petit Palais, Paris, du 12 septembre 2023 au 14 janvier 2024
“Trésors en noir & blanc”
Dürer, Rembrandt, Goya, Toulouse-Lautrec …
au Petit Palais, Paris
du 12 septembre 2023 au 14 janvier 2024
PODCAST – Interview de Clara Roca, conservatrice du patrimoine, chargée des collections d’arts graphiques après 1800 et de photographies, et co-commissaire de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 11 septembre 2023, durée 16’02,
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :
Francisco de Goya y Lucientes, Manière de voler, série Les Disparates, planche 13, 1816-1823. Eau-forte et aquatinte sur vélin, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris © Paris Musées / Petit Palais.
Rembrandt (Rembrandt Harmensz van Rijn, dit), Le Coquillage, 1650. Eau-forte, pointe sèche et burin sur papier filigrané, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris © Paris Musées / Petit Palais.
Jacques Callot, Les Deux Pantalons, vers 1616-1617. Eau-forte, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris © Paris Musées / Petit Palais.
Antonio Pollaiuolo, Les Gladiateurs. Combat d’hommes nus, vers 1460-1475. Burin, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris © Paris Musées / Petit Palais.
Albrecht Dürer, Les Armoiries de la Mort, 1503. Burin, Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris © Paris Musées / Petit Palais.
Edgar Chahine, Le Tombereau, 1905. Eau forte, vernis mou, pointe sèche et aquatinte sur papier japon, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. © Paris Musées / Petit Palais.
Commissariat :
Annick Lemoine, directrice du petit Palais et commissaire générale
Anne-Charlotte Cathelineau, conservatrice en chef du patrimoine, chargée des collections d’arts graphiques avant 1800 et des sculptures.
Clara Roca, conservatrice du patrimoine, chargée des collections d’arts graphiques après 1800 et de photographies.
Joëlle Raineau-Lehuédé, collaboratrice scientifique au département des arts graphiques.
Le Petit Palais met à l’honneur son riche cabinet d’arts graphiques à travers une sélection de près de 200 feuilles de grands maîtres de l’estampe comme Dürer, Rembrandt, Callot, Goya, Toulouse-Lautrec, entre autres… L’estampe tient une place prépondérante dans la collection du Petit Palais. Elle est le reflet du goût de ses illustres donateurs, les frères Auguste et Eugène Dutuit, et du conservateur Henry Lapauze, à l’origine du musée de l’Estampe moderne, créé en 1908 au sein même du Petit Palais. En suivant le fil de l’histoire des collections et en découvrant leurs trésors, l’exposition propose un panorama inédit de l’estampe du XVe au XXe siècle.
La première partie de l’exposition présente une sélection des plus belles feuilles de la collection Dutuit qui en comprend 12 000, toutes dues aux plus grands peintres-graveurs de leur temps. Ces oeuvres, rassemblées sous l’impulsion d’Eugène Dutuit, se caractérisent par leur qualité, leur rareté et leur pedigree. En témoigne La Pièce aux cent Florins de Rembrandt, exceptionnelle de par sa taille (près de 50 centimètres de large) et de par son histoire puisqu’elle appartint à Dominique-Vivant Denon, premier directeur du Louvre. Parmi les 45 artistes présents dans cette exposition, quatre d’entre eux, aux univers extrêmement puissants, ont donc été choisis pour illustrer ce « goût Dutuit » : Dürer, Rembrandt, Callot et Goya.
Le Petit Palais possède 264 estampes originales d’Albrecht Dürer (1471-1528). La sélection présentée permet de retracer l’ensemble de sa carrière, à la fois sa production religieuse comme Adam et Ève et L’Apocalypse mais également des sujets profanes comme Melencolia et La Grande Fortune ou plus singuliers comme Le Rhinocéros. En parallèle, deux gravures exceptionnelles sont présentées, l’une d’Antonio Pollaiolo, la plus grande gravure du Quattrocento, qui nourrit plusieurs oeuvres de Dürer, l’autre de Marcantonio Raimondi dont la figure principale reprend directement le motif de La Sorcière de l’artiste allemand.
Le parcours s’arrête ensuite sur Jacques Callot (1592-1635), célèbre maître nancéen de l’eau-forte dont le musée détient plus de 700 estampes. Les oeuvres exposées montrent à quel point cet artiste brilla par son imagination débridée et son caractère fantasque mais également par sa capacité à créer dans ses minuscules estampes un véritable microcosme fourmillant d’une multitude de détails et de personnages.
L’exposition se poursuit avec Rembrandt (1606-1669), sans doute l’artiste qui fascina le plus Eugène Dutuit. Ce dernier collecta un fonds exceptionnel de 375 estampes du maître pendant plus de cinquante ans. La collection comprend des pièces majeures et rares qui permettent d’embrasser toute la carrière du peintre-graveur hollandais et de retracer son évolution stylistique, iconographique et technique.
Enfin, le parcours présente un ensemble exceptionnel d’estampes de Goya (1746-1828) dont des épreuves d’état de la Tauromachie et un remarquable album des Caprices.
Grâce aux frères Dutuit, la place de l’estampe au sein des collections du Petit Palais est assurée dès 1902, mais elle doit encore s’ouvrir à la création contemporaine. Henry Lapauze en est la cheville ouvrière. En 1908, son travail est consacré par l’inauguration du musée de l’Estampe moderne au sein du Petit Palais. Pour le constituer, Lapauze sollicite de nombreux dons de marchands et collectionneurs comme Henri Béraldi qui offre au musée 100 portraits d’hommes d’État, de savants ou d’artistes dont plusieurs sont présentés dans l’exposition.
Il obtient également des dons d’artistes et de familles d’artistes qui saisissent cette opportunité rare et neuve de faire entrer l’estampe contemporaine dans un musée. Les noms égrainés indiquent bien le succès de cette collecte : Buhot, Bracquemond, Chéret, Steinlen, Toulouse-Lautrec… Tous ont marqué l’histoire de l’estampe et dessinent le visage de la gravure contemporaine, essentiellement parisienne, des premières années du XXe siècle. Les oeuvres rassemblées offrent un panorama d’un Paris 1900 aussi spectaculaire, effervescent que socialement inégalitaire.
Henri Lapauze accueille également les estampes commandées et éditées par la Ville de Paris dont l’exposition présente un très bel exemple, Le Triomphe de l’Art d’après Bonnat, accompagné de son dessin préparatoire et de sa matrice gravée.
En contrepoint de ce parcours en noir et blanc, l’estampe en couleurs vient clore l’exposition, bien représentée notamment par un bel ensemble de paysages acquis grâce au soutien du marchand d’art et éditeur Georges Petit. Enfin, une sélection des dernières acquisitions, dont des estampes d’Auguste Renoir, Anders Zorn et Odilon Redon, montre le dynamisme de la politique d’acquisition du Petit Palais.
Tout au long du parcours, plusieurs dispositifs de médiation permettent de se familiariser avec les différentes techniques de l’estampe : la gravure sur bois, l’eau-forte et l’eau-forte en couleurs, le burin et la lithographie. En fin d’exposition, après avoir visionné une démonstration filmée de réalisation d’une eau-forte, le visiteur expérimente lui-même ce processus créatif grâce à une table numérique ludique afin de créer une oeuvre qu’il peut recevoir par e-mail et partager sur les réseaux sociaux.
#Catalogue – Trésors en noir et blanc. Estampes du Petit Palais, de Dürer à Toulouse-Lautrec. Textes d’Anne-Charlotte Cathelineau, Joëlle Raineau-Lehuédé et Clara Roca. Éditions Paris Musées.
Parcours de l’exposition
Le parcours de l’exposition se divise en 7 sections thématiques où les planches d’artistes récents dialoguent avec des chefs-d’oeuvre de la collection consacrés par l’Histoire. Le regard propose donc non pas une chronologie, mais une approche libre et sensible qui tend à favoriser les affinités entre maîtres anciens et créateurs contemporains, ceci pour rappeler que les interrogations formelles et les ambitions techniques se répondent depuis toujours d’oeuvre en oeuvre et transcendent le temps.
L’ESTAMPE AU SERVICE DU LIVRE. LA BIBLE
Depuis son apparition comme moyen de multiplication des images, l’estampe est étroitement liée à l’édition de livres. Les vignettes gravées et insérées dans les premiers ouvrages imprimés remplacent, dès le milieu du XVe siècle, les délicates enluminures des manuscrits médiévaux. De cette manière, la parole, et notamment la parole religieuse, est relayée par l’image et peut être diffusée auprès d’un public illettré. Dürer a réalisé dans ce contexte de nombreuses compositions en relation avec les textes sacrés : Vie de la Vierge, Passion de Jésus-Christ, représentations de scènes de l’Ancien Testament et de l’Apocalypse qui accompagnent des éditions en petit ou en grand format. Un siècle et demi plus tard, Rembrandt interprétera à son tour, mais à l’eau-forte, les passages les plus significatifs du Nouveau Testament. On peut aisément comprendre pourquoi le pasteur William Cuendet a collectionné toute sa vie ces images qui viennent illustrer sa méditation d’homme de foi.
LE VÉDUTISME. ROME ET VENISE
Dès le XVIe siècle, la gravure a largement contribué à l’élargissement des connaissances scientifiques et de la géographie. Très vite d’imposants atlas et cosmographies contiennent de nombreuses vues de ville, des ca
SECTION 1 – LE GOÛT DUTUIT
Eugène Dutuit, célèbre collectionneur d’estampes du XIXe siècle, a acheté ses premières gravures dès les années 1830. Cet autodidacte a su construire son savoir en nouant des liens de confiance avec différents marchands et experts. Grâce à sa persévérance, l’amateur a réuni l’intégralité de l’oeuvre gravé des plus grands artistes, dont Albrecht Dürer et Jacques Callot. Sa passion pour Rembrandt l’a amené à rassembler plus de 350 eaux-fortes du maître d’une qualité exceptionnelle. Le collectionneur a toujours souhaité rendre ses collections accessibles au plus grand nombre. En 1845, il fait ainsi don d’un ensemble remarquable de plusieurs centaines de gravures à la bibliothèque municipale de Rouen. En 1869, il organise une exposition de grande envergure en collaboration avec l’Union centrale des beaux-arts appliqués à l’industrie, afin de partager avec le public l’aboutissement de plusieurs années de collecte acharnée aux quatre coins de l’Europe. Au-delà de sa passion pour l’estampe et de sa volonté de démocratisation, Eugène Dutuit poursuivait une visée pédagogique. À travers sa collection, il souhaitait réunir la matière nécessaire pour écrire une histoire de la gravure et de ses principaux représentants. Il est devenu un spécialiste reconnu de la gravure grâce à deux publications majeures, le Manuel de l’amateur d’estampes (1881-1888) et L’OEuvre complet de Rembrandt (1883), auxquelles il a travaillé durant les vingt dernières années de sa vie.
Albrecht Dürer, « le grand maître de l’école allemande »
Eugène Dutuit se passionne très tôt pour les estampes d’Albrecht Dürer (1471-1528), qu’il acquiert à partir des années 1830, majoritairement dans les grandes ventes publiques. Il parvient ainsi à rassembler la quasi-totalité de l’oeuvre gravé de l’artiste allemand, en se focalisant sur des épreuves de très bonne qualité et d’origine prestigieuse, comme le célèbre Rhinocéros, La Grande Fortune ou encore les séries de L’Apocalypse et des Entrelacs, issues de la collection du comte Harrach. Collectionneur érudit, Dutuit était très au fait des dernières recherches sur Dürer, qui fit l’objet de plusieurs publications au cours des années 1860 et 1870. Le critique d’art et amateur Émile Galichon publie notamment, en 1860, dans la Gazette des beaux-arts, une série d’articles dans laquelle il explique que les gravures de l’artiste ne sont pas extrêmement rares, mais qu’il est difficile de trouver de belles épreuves. On mesure ainsi l’intérêt de la collection Dutuit, dont tous les tirages se caractérisent par leur excellence. Eugène possédait d’ailleurs quelques feuilles ayant appartenu à Galichon, dont le fameux Le Chevalier, la Mort et le Diable (1513).
Jacques Callot, « le poète des fêtes populaires »
À l’époque d’Eugène Dutuit, le graveur lorrain Jacques Callot (1592-1635) occupait une place de choix dans les cabinets des collectionneurs, aux côtés de Rembrandt et de Dürer, dont il était considéré comme le successeur et le prédécesseur direct. Homme de son temps, Eugène Dutuit ne pouvait qu’être séduit par les estampes de Callot, qui partageait une communauté d’inspiration avec son graveur fétiche, Rembrandt. L’ensemble réuni par Eugène à partir des années 1830 est proche de l’exhaustivité : à l’exception des Bossus, on y trouve les suites et planches emblématiques de Callot : Gueux, Bohémiens, Balli di Sfessania… Toutes les épreuves se caractérisent par leur pedigree, leur qualité et leur rareté, permettant d’apprécier la virtuosité de l’aquafortiste, qui perfectionna la technique de l’eau-forte par le recours au vernis dur. Dutuit s’enorgueillit, dans son manuscrit du Manuel de l’amateur d’estampes, de détenir les deux séries des fameux Caprices, l’une gravée à Florence, la seconde à Nancy. Il possédait en outre de très rares épreuves du premier état des Grandes Misères de la guerre, ainsi que de La Tentation de saint Antoine, de La Foire de Gondreville et de La Foire d’Impruneta.
Rembrandt, « la magie du clair-obscur »
Eugène Dutuit considérait l’oeuvre de Rembrandt Harmenszoon van Rijn (1606-1669) comme le joyau de sa collection. Avec des oeuvres de qualité exceptionnelle rassemblées au fil des ans, la collection de plus de 350 estampes de l’artiste était réputée comme l’une des plus remarquables de son temps. Dutuit découvre les eaux-fortes de Rembrandt lors d’un voyage en Hollande à l’âge de 19 ans et depuis lors, achète de nombreuses estampes aux enchères et chez des marchands d’estampes renommés. Ses achats spectaculaires, parmi lesquels le huitième et dernier exemplaire existant sur le marché de La Pièce aux cent florins, étaient connus de tout le milieu des amateurs. Sa collection était souvent mentionnée dans les journaux de l’époque. Collectionneur passionné, Eugène Dutuit a grandement contribué à la connaissance de l’artiste en France. Lors de l’exposition de sa collection, en 1869 au palais de l’Industrie, il présente cinquante oeuvres de Rembrandt sur 467 estampes exposées. Son nom est resté associé à l’étude de l’oeuvre de l’artiste. En 1883, à l’âge de 76 ans, l’amateur publie un catalogue de l’oeuvre gravé de Rembrandt en deux volumes illustrés d’héliogravures, considéré comme une référence pour les études sur l’artiste.
Goya, des rêves obscurs
Eugène Dutuit était fasciné par les techniques de gravure à l’eau-forte et à l’aquatinte utilisées par Francisco de Goya (1746-1828). C’est pourquoi la série sur la tauromachie, qui réunit ces deux techniques, constitue l’essentiel de son fonds. Sur les soixante-quatre estampes qu’il possédait, soixante et une appartenaient à cette suite. Dutuit était fier de posséder des tirages faits par Goya lui-même, ainsi que des épreuves d’essai qui différaient par la coloration de l’aquatinte. Elles lui permettaient de suivre les essais de Goya pour obtenir l’effet souhaité et pénétrer le processus créatif de l’artiste. Dans son Manuel de l’amateur d’estampes, Dutuit décrit trente-trois estampes de la série, dont de très rares épreuves d’eau-forte pure, des épreuves d’essai, des variantes et huit pièces inédites. Le collectionneur n’a pas cherché à réunir l’ensemble de l’oeuvre gravé de Goya, mais il possédait des estampes rares, comme Les Ménines d’après Vélasquez et des pièces uniquement tirées par Goya lui-même, tel que l’album des Caprices.
SECTION 2 – LE MUSÉE DE L’ESTAMPE MODERNE
Les frères Dutuit ont assuré la place de l’estampe ancienne au Petit Palais dès 1902, mais pas celle de la création contemporaine. C’est Henry Lapauze (1867-1925), conservateur puis directeur du Petit Palais, qui s’en fait le champion. Le 27 juin 1908, il inaugure le « musée de l’Estampe moderne ». Ce nouvel espace est aménagé au rez-de-chaussée du Petit Palais, le long de l’avenue des Champs-Élysées, face à la galerie du Cours-la-Reine qui accueille les estampes de la collection Dutuit. Que cette entreprise soit initiée par un musée révèle un fort regain d’intérêt pour l’estampe contemporaine à la fin du XIXe siècle. Quelques jours après l’ouverture, plusieurs revues annoncent que sur les 3 000 estampes modernes réunies, pas moins de 1 500 sont exposées. La constitution en un temps record d’un tel ensemble est un véritable tour de force. C’est une collecte qui en est à l’origine. Lapauze sollicite en effet les artistes eux-mêmes, leurs familles et amis, les collectionneurs ainsi que les marchands et éditeurs d’estampes. La démarche est une réussite. Grâce à la force de conviction de Lapauze et à la bonne volonté de tous, une somme considérable d’estampes variées, d’artistes célèbres ou depuis oubliés, est réunie. Ce fonds s’enrichit d’un lot d’estampes éditées par la Ville de Paris, puis par des libéralités et des achats ultérieurs. Il constitue encore aujourd’hui le noyau des collections d’estampes modernes du Petit Palais.
Don de collectionneur. La galerie des portraits d’Henri Béraldi
Henri Béraldi (1849-1931) est le premier donateur du musée de l’Estampe moderne auquel Henry Lapauze rend hommage. Il est en effet une personnalité à mettre en avant : historien de la gravure, auteur notamment de l’ouvrage de référence qu’est Les Graveurs du XIXe siècle. Guide de l’amateur d’estampes modernes (1885-1892). Il est aussi l’un des plus grands collectionneurs d’estampes et bibliophiles de son temps. Béraldi offre cent portraits de grands noms du XIXe siècle pour le musée de l’Estampe moderne. Cet ensemble considérable est mis en avant au centre de la grande salle, alors réservée au musée de l’Estampe moderne. Il y constitue une petite galerie de personnalités, particulièrement appréciée des visiteurs qui se plaisent à y reconnaître d’illustres visages. Les oeuvres ainsi réunies sont pour l’essentiel des estampes d’interprétation comprenant quelques gravures d’après de très célèbres portraits peints par des grands noms de l’histoire de l’art, tels Maurice-Quentin de La Tour et Jean-Auguste-Dominique Ingres. S’y ajoutent de nombreuses gravures d’après des portraits de grands artistes du XIXe siècle, essentiellement français, qui offrent un panorama artistique partiel de cette période.
Dons d’artistes. Paris 1900
La majorité des dons pour le musée de l’Estampe moderne consiste en de petits lots, voire en des feuilles isolées. Ces « dons personnels », comme les appelle Henry Lapauze, émanent souvent d’artistes, d’amis d’artistes, de veuves ou autres ayants droit. Ils témoignent de l’intérêt de ceux-ci pour un musée qui consacre l’estampe contemporaine en lui accordant un espace d’exposition conséquent. Y placer une ou plusieurs oeuvres est donc un moyen de se faire connaître et de construire sa postérité.Dépendants de la bonne volonté des participants, ces dons dessinent un visage nécessairement incomplet de l’estampe contemporaine. Pour autant, de nombreux noms importants y figurent : Edgar Chahine, Jules Chéret, André Devambez et Théophile Steinlen donnent eux-mêmes, Félix Buhot entre dans les collections grâce à sa veuve Henrietta Johnston, Henri de Toulouse-Lautrec est présenté grâce au don de son ami, le peintre et graveur Adolphe Albert. Ces artistes sont chacun à leur manière les chroniqueurs d’un Paris en pleine métamorphose, aussi effervescent et fantasmatique qu’inégalitaire. La capitale, qui regorge de lieux de divertissement, devient elle-même un spectacle à part entière, où Parisiennes et Parisiens – vedettes, trotteuses, terrassiers, chiffonnières et laissés-pour-compte – tiennent les premiers rôles.
Les commandes de la Ville de Paris. Le processus créatif
Les estampes éditées par la Ville de Paris avaient pour objectif d’encourager et de soutenir les graveurs contemporains. Elles interprètent des oeuvres appartenant à la Ville, par exemple des décors peints de l’Hôtel de Ville ou des mairies d’arrondissement. En 1912, soit quatre ans après l’inauguration du musée de l’Estampe moderne, le Petit Palais reçoit en dépôt le stock de ces estampes. Il conserve également les matrices correspondantes afin de les faire retirer si besoin. Dès lors, c’est par son intermédiaire que ces estampes sont données ou vendues au profit de la direction des Beaux-Arts et des Musées de la Ville de Paris. Elles sont surtout réservées à des cadeaux et à des opérations caritatives. Le Petit Palais intègre certaines de ces oeuvres à la présentation du musée de l’Estampe moderne. Si les matrices elles-mêmes ne sont pas montrées à côté des gravures correspondantes, Henry Lapauze accorde une grande attention à la démonstration du complexe processus créatif de l’estampe. Des tirages d’état ont ainsi été présentés dès les débuts de ce musée, dans une démarche pédagogique. Aujourd’hui, les matrices aussi peuvent être montrées afin de retracer les étapes de la réalisation de l’estampe, du dessin préparatoire que le musée conserve parfois, jusqu’au tirage définitif.
Don de marchand et éditeur. Georges Petit et l’estampe en couleurs
Henri Lapauze s’engage d’emblée à valoriser l’estampe en couleurs au sein du musée de l’Estampe moderne. Il défend ainsi l’intérêt d’oeuvres que l’on associait encore facilement à une production commerciale et non artistique. Il est soutenu en cela par un autre profil de donateur, en la personne du marchand et éditeur Georges Petit (1856-1920). Ce dernier développe dans ses catalogues d’éditions un véritable plaidoyer pour la couleur. Il y reprend l’argumentaire défendant l’estampe originale, conçue et exécutée par le même artiste, imprimée en un nombre de tirage limité, signée, parfois rehaussée à la main : autant d’éléments qui lui confèrent une rareté et qui l’affirment comme oeuvre d’art à part entière.Les paysages sont très bien représentés dans le don des Galeries Georges Petit pour le musée de l’Estampe moderne. Ils occupent une place importante dans le catalogue de cet éditeur, présentant un intérêt autant artistique que commercial. Ces sujets au fort potentiel décoratif sont immédiatement séduisants et démontrent merveilleusement la virtuosité des artistes. En une forme d’imitation sinon d’émulation, ces eaux-fortes et aquatintes prennent des allures d’huiles éclatantes, d’aquarelles en fin lavis ou de pastels pulvérulents.
SECTION 3 – NOUVELLES ACQUISITIONS
Si le noyau des collections d’estampes du Petit Palais s’est formé dans les sept ans suivant l’ouverture du musée, autour du legs de la collection des frères Auguste et Eugène Dutuit puis de la collecte instiguée pour la création du musée de l’Estampe moderne, il s’est continuellement enrichi depuis. Le fonds s’accroît en effet régulièrement, grâce à de nouvelles généreuses libéralités et par des achats qui visent à le compléter. Entre 2013 et 2023, ce sont 1 289 estampes qui ont rejoint le Petit Palais – dont 1 136 issues du fonds d’atelier de Pierre Roche (1855-1922), offert par la petite-fille par alliance et l’arrière-petite-fille de l’artiste en 2015. La diversité des oeuvres ainsi acquises accompagne celle du fonds déjà existant : techniques variées, artistes reconnus ou redécouvertes… Voici un infime aperçu de ces centaines de belles feuilles, par ailleurs consultables en ligne sur le portail des collections de Paris Musées et accessibles aux chercheurs sur rendez-vous.
rtes et plans topographiques. Au XVIIIe siècle, se développe en Italie la mode du védutisme qui encourage la restitution par l’image gravée, des monuments historiques et des joyaux ornant les villes visitées par les premiers touristes. Ce sont là des images libres ou reliées en volumes que les voyageurs fortunés peuvent acquérir et emporter aisément avec eux au moment de leur retour au pays. Canaletto à Venise, puis Piranèse à Rome, se révèlent vite les maîtres incontestés de ce genre qui satisfait par moments aux exigences de la vérité topographique et à d’autres répond davantage aux aspirations de la rêverie.
CLASSICISME FRANÇAIS
Grâce à l’apport de plusieurs collectionneurs, la Fondation Cuendet s’est enrichie au cours de ces dernières années d’un ensemble exceptionnel d’estampes de maîtres français du XVIIe siècle. D’une part, une série de paysages de Claude Lorrain, gravés à l’eau-forte, dans lesquels les effets de la lumière apparaissent d’une délicatesse et d’une richesse infinies en dépit de la sobriété du langage employé. À côté de cet ensemble, la collection réunit quelques portraits majeurs des personnages illustres de la cour de France dus aux burinistes Claude Mellan et Robert Nanteuil. Dans ces images emblématiques du classicisme français, la technique à la fois simple et virtuose permet de restituer à l’aide des seuls jeux du noir et blanc toutes les nuances des tissus, les subtils reflets dans les chevelures et sur les visages.
INTIMITÉS
Quand elle ne sert pas à faire circuler à travers l’Europe des interprétations de peintures, sculptures et autres oeuvres d’art ; quand elle ne reproduit pas l’effigie des grands de ce monde ; et quand elle n’est pas destinée à l’édition commerciale diffusant un peu partout en Europe l’image des monuments célèbres, la pratique de l’estampe peut rejoindre les préoccupations plus intimes et personnelles des artistes. La Fondation Cuendet contient ainsi de nombreux portraits qui témoignent de l’attrait des artistes et des collectionneurs pour l’introspection psychologique. Plusieurs planches, remontant principalement à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, témoignent également d’une passion très prononcée pour les scènes de genre, les intérieurs et les dialogues intimes avec la musique ou la poésie.
LA PASSION DU PAYSAGE
La découverte de la peinture de paysage et la relation de celui-ci avec la subjectivité revêt une importance nouvelle à la suite de Jean-Jacques Rousseau, à partir du romantisme. La plupart des artistes travaillant autour de l’Atelier de Saint-Prex sont des peintres qui se sont vivement intéressés dans leur oeuvre personnelle pour le genre en question. Il n’est donc pas étonnant de retrouver dans la collection dont ils ont le souci divers paysages réalisés par un grand nombre de maîtres appartenant à tous les siècles. À ce titre, l’ensemble des clichés-verres de Camille Corot ou des lithographies de Rodolphe Bresdin est exemplaire. Leur modèle ne fournit pas seulement le témoignage d’une extraordinaire liberté dans le maniement de l’outil mais il constitue du même coup pour certains un formidable stimulant pour renouveler leur technique et développer de nouveaux thèmes.
PROUESSES TECHNIQUES
Dans tous les ateliers de gravure, les artistes discutent volontiers des secrets de la technique et des prouesses de métier réalisées par les Anciens. Des images emblématiques sont commentées, soit en raison du mystère qui entoure encore leur fabrication, soit en raison de l’admiration générale qu’on porte à leur beauté. L’Atelier de Saint-Prex, actif aujourd’hui, interroge ainsi en permanence les grands modèles du passé pour essayer non seulement de les comprendre mais de les dépasser. Les exemples de la Sainte Face de Claude Mellan, réalisée d’un seul trait sans jamais lever l’outil de cuivre, ou celui de l’Ange anatomique de Jacques-Fabien Gautier-Dagoty qui figure parmi les premières estampes en couleurs, sont des oeuvres de référence qui ont stimulé bien des réflexions chez les graveurs travaillant à l’atelier.
L’ATELIER
Un atelier est par définition un lieu où se rencontrent de nombreuses personnalités différentes et des expressions contradictoires. Et l’Atelier de Saint-Prex n’a jamais dérogé à cette règle. Néanmoins, une certaine cohérence peut se déceler dans la réunion de ces différences : c’est d’abord un souci du beau métier, puis une connaissance étendue de l’histoire du genre, enfin un respect inconditionnel à l’égard de l’art de l’estampe et de ses procédés. Et si les discussions vont bon train, elles servent à enrichir les très nombreux angles de vue (historique, scientifique, sociologique, technique, polémique, esthétique) sous lesquelles la pratique de l’estampe peut être envisagée.
L’HÉLIOGRAVURE À GRAINS
La photographie, on l’ignore parfois encore, est née des réflexions et des expériences des graveurs autant que de celles des chimistes. Dans l’esprit des pionniers, l’idée de fixer et de multiplier l’image sensible passe très vite par la recherche d’un support capable d’affronter les grands tirages. Le procédé de l’héliogravure, qui permet d’imprimer durablement sur papier les plus fines nuances de la gamme du noir au blanc, s’impose alors comme la technique la plus fiable et, surtout, comme l’une des plus satisfaisantes sur le plan esthétique. En effet, en raison du grain d’aquatinte qui ajoute un léger relief à l’image, le procédé permet à l’oeil de percevoir la troisième dimension de la lumière. Et même si cette pratique complexe et exigeante fut très tôt supplantée par des solutions plus économiques, elle eut toujours la préférence des photographes soucieux de donner à leurs clichés un rendu fouillé et vibrant.