🔊 “Autour du monde” au musée départemental Albert-Kahn, Boulogne-Billancourt, du 2 avril au 13 novembre 2022 (prolongation jusqu’au 31 décembre 2022)
“Autour du monde“
La traversée des images, d’Albert Kahn à Curiosity
au musée départemental Albert-Kahn, Boulogne-Billancourt
du 2 avril au 13 novembre 2022 (prolongation jusqu’au 31 décembre 2022)
Musée départemental Albert-Kahn
PODCAST – Interview de Magali Mélandri, directrice déléguée à la conservation au Musée départemental Albert-Kahn et co-commissaire de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Boulogne-Billancourt, le 30 mars 2022, durée 19’14.
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :
Commissaire de l’exposition :
Magali Mélandri, directrice déléguée à la conservation au Musée départemental Albert-Kahn
Clément Poché, chargé d’exposition au Musée départemental Albert-Kahn
Le musée départemental Albert-Kahn présente à sa réouverture une exposition temporaire inédite qui donne le ton d’une programmation dynamique, ouverte et pluridisciplinaire. Pour cette exposition inaugurale, c’est le thème du voyage, si cher à Albert Kahn, qui s’est naturellement imposé. Sous le commissariat de Magali Mélandri, directrice déléguée à la conservation et de Clément Poché, chargé d’exposition, Autour du monde « La traversée des images, d’Albert Kahn à Curiosity » propose une exploration des représentations du voyage depuis le début du XXe siècle à nos jours. Les visiteurs sont embarqués dans un périple aux origines des « Archives de la Planète », pour découvrir la diversité d’un monde en mutation, marqué par l’irruption de la modernité industrielle et financière et l’essor des déplacements. Collections patrimoniales répondent à des oeuvres contemporaines, pour parcourir, en 400 photographies et films, plus d’un siècle d’images de voyage.
L’exposition se déploie autour d’un noyau historique de la collection, le « Voyage autour du monde », réalisé par Albert Kahn entre 1908 et 1909 accompagné de son chauffeur-mécanicien, Albert Dutertre, formé spécialement à la photographie et au cinéma. Environ 3 500 plaques stéréoscopiques – prises de vues en noir et blanc ou en couleur permettant de restituer le relief –, 2 000 mètres de pellicule – soit 1 h 30 de film – sont aujourd’hui conservées de ce périple. À partir de cet axe, trois séquences thématiques explorent successivement les modes de représentations du voyage – de l’image – mémoire au cliché – , les manières d’expérimenter ce rapport au monde et de se découvrir soi-même, et enfin les transformations des pratiques comme des images, liées à l’abolition des distances grâce à l’évolution des moyens de communication. Dans chacune de ces séquences, le parcours d’exposition établit un dialogue entre des images peu connues, voire inédites des collections du musée et les travaux de photographes et d’artistes contemporains. Ces rebonds photographiques entre XXe et XXIe siècle soulignent toute l’actualité des collections du musée départemental Albert-Kahn.
Au commencement… Le Voyage autour du monde, 1908-1909
L’expérience du voyage est fondatrice dans le projet documentaire d’Albert Kahn. Après de multiples voyages, principalement pour affaires, dès 1888 en Afrique, puis en Égypte et en Amérique, Albert Kahn crée en 1898 les bourses Autour du Monde destinées à envoyer à travers le monde de jeunes agrégés, durant quinze mois, dans le but de prendre « réellement contact avec la vie ». C’est à la suite d’un tour du monde à visée professionnelle, réalisé en 1908- 1909 en compagnie de Maurice Lévy, son chargé d’affaires à la banque, et d’Albert Dutertre qui saisit en images l’itinéraire de leur voyage, qu’Albert Kahn lance son projet de documentation visuelle du monde, les Archives de la Planète. Le récit de cette traversée depuis la France vers les continents américain (États-Unis) puis asiatique (Japon, Chine) nous est connu grâce au journal de route qu’ Albert Dutertre rédige quotidiennement entre le 13 novembre 1908 et le 11 mars 1909. L’accumulation des vues stéréoscopiques et des films opérées par Dutertre témoigne d’un regard en construction, celui d’un amateur se prenant tant au jeu du voyage, comme expérience sensible de l’altérité. Entre description des choses vues et regard sociologique ou ethnographique, ce double témoignage écrit et visuel restitue les atmosphères, les rencontres et les découvertes qui jalonnent ces cinq mois. Il constitue le fil conducteur de la visite de l’exposition, réparti en cinq espace-temps du voyage : de la traversée de l’Atlantique, aux visites des États-Unis, du Japon, de la Chine, et d’un chemin du retour à travers la Malaisie, le Sri Lanka, le canal de Suez jusqu’aux rivages méditerranéens.
« La Fabrique des imaginaires » : collecter et partager les images du monde
Dans le sillage du Grand Tour l’avènement de la photographie permet de créer un inventaire visuel des sites remarquables. Cette première séquence montrera comment les images circulent alors via les cartes postales et albums, et créent un imaginaire de l’ailleurs qui accompagne la naissance du tourisme. L’Égypte, par exemple, s’ouvre très tôt aux circuits organisés à destination des Européens et ses icônes architecturales constitueront les premiers clichés des albums-souvenirs. L’exposition déploie une brève histoire des représentations des pyramides de Gizeh, motif photographique par excellence, depuis le voyage en Orient de Maxime Du Camp et Gustave Flaubert en 1849-1951 ou le recensement patrimonial de Beniamino Fachinelli (1873-1895). Les opérateurs des Archives de la Planète n’ont pas manqué de saisir ce monument sous bien des angles tandis que le photographe Cyrille Robin (2015) traite de la fabrication des souvenirs photographiques – en relief – au prisme du voyage touristique. La dimension esthétique, immersive et spectaculaire des voyages est cultivée lors de conférences d’images projetées qui surprennent et émerveillent les spectateurs, en donnant le goût de l’exotisme tout en restant dans son fauteuil. Parmi ces présentations d’un genre nouveau, les spectacles autochromes « Visions d’Orient » du voyageur-photographe Jules Gervais-Courtellemont éblouirent Albert Kahn dès 1909, et influencèrent incontestablement les choix techniques des Archives de la Planète ainsi que leurs modes de monstration.
Se trouver, se perdre
Le voyage est pour tout un chacun un moment de découverte et de construction personnelle. « On voyage pour que les choses surviennent et changent ; sans quoi on resterait chez soi. » (Nicolas Bouvier, L’usage du monde, 1963). C’est cette valeur initiatique et identitaire, matériau privilégié des récits de voyage et autres carnets de route, écrits ou visuels, qui fait l’objet de la seconde séquence. Les images et les écrits des boursiers Autour du Monde – Lucien Bourgogne (1899), du peintre Mathurin Méheut (1914), ou encore d’Alain Petit (1928-1929) –, les récits mouvementés des opérateurs – Frédéric Gadmer en Irak, en Perse (1927) et en Afghanistan (1928) –, seront présentés au côté de récits de voyageurs écrivains comme Nicolas Bouvier. La présentation inédite de vues stéréoscopiques de la géographe Mariel Brunhes-Delamarre, initiée à la photographie par son père Jean Brunhes, directeur scientifique des Archives de la Planète, évoquera la dimension émancipatrice et libératrice de la croisière de jeunesse qu’elle effectue en 1925 aux côtés de l’archéologue Marthe Oulié et des aventurières en devenir, Ella Maillart et Hermine de Saussure. Autre époque, autre route : après avoir arpenté le globe à la recherche de territoires inconnus, de nouvelles approches photographiques et cinématographiques privilégient le « temps long du voyage », celui de la contemplation et l’expérimentation, comme le road-trip de Bernard Plossu au Mexique (1965-1966) ou les photographies-récits de Max Pam (1990) le donneront à voir dans l’exposition.
Un tout petit monde
Cette dernière séquence plus prospective, s’intéresse aux transformations liées à l’accélération des moyens de communication et à la prolifération des images qui en résulte. L’évolution des voyages depuis la naissance de l’industrie touristique abolit la distance, géographique comme photographique. Les transformations techniques des transports au début du XXe siècle – l’essor de la voiture et des réseaux routiers, la première traversée en avion de l’Atlantique en solitaire de Charles Lindbergh en 1927 – bouleversent la perception du voyage et participent aux prémices de la mondialisation d’aujourd’hui. La collection des Archives de la Planète illustre particulièrement cet essor. Cette mise en mouvements est aussi un terrain fécond d’expériences photographiques, comme le montrera Der Magie der Schiene (la Magie du rail), série photographique de vues de train saisie par René Groebli en 1949. Enfin, les flux de transports et d’individus amènent à repenser le voyage dans un monde sans distance. La série Belvédère (2013-2016) de Catherine Hyland rétrécit le monde en une unité de lieu tandis que les Wuhan Radiography (2021) de Simon Vansteenwinckel présentent des images hallucinées prises depuis son écran d’ordinateur grâce à l’utilisation d’une pellicule destinée à la radiographie pulmonaire nous ramènent à l’étrange expérience de nos récents voyages empêchés. Tim Davis (Colosseum – The new Antiquity, 2009) et Corinne Vionnet (avec sa série au long cours Photo Opportunities) témoignent de la prolifération des clichés d’un même lieu touristique, d’une mémoire collective associée à la standardisation des voyages, soulignant l’omniprésence des images et leur consommation. L’exposition se clôturera sur la mélancolie futuriste de l’oeuvre du photographe Marcus DeSieno. Sa série Untitled mars abolit les repères spatiaux et temporels en réinterprétant, selon le procédé photographique ancien du collodion, les images de Mars prises par le robot Curiosity.
Une expérience esthétique sensible
Pour accompagner la découverte des collections, le studio de scénographie BGC convoque un univers formel respectueux de l’architecture imaginée par Kengo Kuma, construisant un paysage abstrait favorisant tour à tour la contemplation, le partage, l’étude ou l’émotion. Le récit de l’exposition est structuré par les images du Voyage autour du monde qui guident le cheminement des visiteurs dans les pas d’Albert Dutertre, le long d’une longue frise. La forme du leporello qui se déploie en accordéon évoque les cartes dépliées des premiers guides de voyage et la vision panoramique. L’approche muséographique se veut documentaire et sensible, simultanément vecteur d’informations et source d’une fascination esthétique constante face à un corpus visuel extrêmement diversifié, constitué de procédés anciens et récents de la photographie. Ce «matériau» fécond et porteur d’émerveillement se décline dans ses modes de diffusions et de représentations, créant une dynamique dans l’accrochage par des compositions sérielles, des vues rétroéclairées, des assemblages autour d’un même motif photographique, des compositions audiovisuelles scénarisées et mises en musique et en récit. La nouvelle salle des expositions temporaires du musée départemental Albert-Kahn se pare pour son ouverture d’une scénographie élégante et maîtrisée, grâce à un vocabulaire simplifié de mobiliers, de couleurs sombres et vives, et de jeux de lumières. Cette théâtralité se met au service des œuvres du parcours et valorise le nouveau projet muséal d’une institution à la fois ouverte sur le monde et favorisant le rapport d’intimité avec ses publics.
Le catalogue « Autour du monde » ouvrage collectif sous la direction de Magali Mélandri, Clément Poché, Serge Fouchard et Fabienne Maillard , accompagne l’exposition.