âUn Ă©clat de soleilâ
Art des ßles Féroé
Le Bicolore – Maison du Danemark, Paris
du 14 janvier au 13 mars 2022

PODCAST –Â Interview de Kinna Poulsen, commissaire de l’exposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 13 janvier 2022, durĂ©e 32â08.
© FranceFineArt.
(avec l’aimable traduction de Charlotte Montiel)
Extrait du communiqué de presse :




Commissaire de lâexposition  : Kinna Poulsen
Du 14 janvier au 13 mars 2022 une importante exposition sera prĂ©sentĂ©e Ă Paris, au Bicolore Ă la Maison du Danemark, sur les Champs-ĂlysĂ©es. Elle permettra dâoffrir au public un regard sur la lumiĂšre, son importance et son Ă©volution dans lâart fĂ©roĂŻen des 20e et 21e siĂšcles Ă travers les oeuvres figuratives et abstraites des artistes :IngĂĄlvur av Reyni (1920-2005), Zacharias Heinesen (nĂ© en 1936), Hansina Iversen (nĂ©e en 1966) et RannvĂĄ Kunoy (nĂ©e en 1975). Lâexposition sera accompagnĂ©e dâune riche programmation de musique, littĂ©rature, cinĂ©ma, design, gastronomie et art traditionnelâŠ
Le contexte
Relativement isolĂ©es aux confins de lâocĂ©an Atlantique nord pendant des siĂšcles, les Ăźles FĂ©roĂ© gardent de vieilles traditions restĂ©es vivaces encore aujourdâhui. CaractĂ©ristique de la sociĂ©tĂ© fĂ©roĂŻenne, ce mĂ©lange unique en son genre de culture traditionnelle et contemporaine se manifeste Ă la fois dans lâexistence dâune communautĂ© locale forte et lâouverture de cette nation nordique mondialisĂ©e. Lâart contemporain des FĂ©roĂ© sâancre fortement dans un patrimoine culturel singulier, façonnĂ© par les conditions de vie et lâenvironnement naturel dans ces latitudes septentrionales. Cependant, les FĂ©roĂŻens ont Ă toutes les Ă©poques largement accueilli les courants et les inspirations venant de lâextĂ©rieur, et notamment de la France.
Lâexposition
Le titre de cette exposition fait Ă©cho au cantique Comme lâĂ©clat du soleil au point du jour* Ă©crit par le poĂšte baroque danois Thomas Kingo, Ă©voquant le soleil perçant les tĂ©nĂšbres. Le recueil de cantiques de Kingo a une histoire et une importance toutes particuliĂšres aux Ăźles FĂ©roĂ©, oĂč il a prĂ©dominĂ© pendant de nombreuses annĂ©es. Ses hymnes Ă©taient chantĂ©s non seulement dans les Ă©glises et lors de cĂ©rĂ©monies, mais aussi pendant la pĂȘche et les autres activitĂ©s du quotidien. La notion de chant Kingo dĂ©signe Ă©galement une solide tradition fĂ©roĂŻenne quant Ă la maniĂšre de chanter, sans accompagnement instrumental, avec une grande diversitĂ© selon les villages et les chanteurs.
Avec des oeuvres de quatre peintres fĂ©roĂŻen.ne.s, lâexposition Un Ă©clat de soleil prĂ©sente lâart fĂ©roĂŻen sous lâangle du traitement de la lumiĂšre dans la peinture contemporaine et les courants plus classiques, allant des interprĂ©tations postimpressionnistes de la lumiĂšre dans la nature aux aplats de couleurs pures de lâart abstrait ainsi quâĂ des tableaux qui semblent en soi saisir et rĂ©flĂ©chir la lumiĂšre.
La lumiĂšre joue un rĂŽle essentiel dans lâart fĂ©roĂŻen depuis lâavĂšnement tardif de ce dernier, au dĂ©but du 20e siĂšcle. DĂšs les tout premiers paysages empreints de romantisme national, rĂ©alisĂ©s par des peintres autodidactes, lâart fĂ©roĂŻen a Ă©tĂ© baignĂ© de lumiĂšre, ce qui ne saurait Ă©tonner au regard de lâenvironnement naturel des FĂ©roĂ© et de leur localisation gĂ©ographique dans les latitudes arctiques. En fait, la grande luminositĂ© et la vivacitĂ© des couleurs dans la peinture fĂ©roĂŻenne sont Ă©galement le fruit des influences de lâart français, enseignĂ© Ă lâAcadĂ©mie des beaux-arts de Copenhague. Au MusĂ©e national dâart des FĂ©roĂ©, il est difficile de ne pas remarquer lâinspiration tirĂ©e de CĂ©zanne, Matisse, Picasso, Braque, Monet, etc. La ville mĂȘme de Paris, Ă la fois centre et berceau des mouvements de lâart moderne, occupe une place de premier plan dans lâhistoire de lâart fĂ©roĂŻen. MalgrĂ© la richesse de leur vie culturelle, les FĂ©roĂ© nâont en effet jamais eu dâacadĂ©mie de beaux-arts sur leur territoire. Les peintres et sculpteurs fĂ©roĂŻens ont donc traditionnellement suivi leurs Ă©tudes Ă lâĂ©tranger, et sâagissant des premiĂšres gĂ©nĂ©rations, câest Ă lâAcadĂ©mie des beaux-arts de Copenhague que la plupart dâentre eux se sont formĂ©s. Câest lĂ quâils ont commencĂ© Ă sâintĂ©resser Ă Paris, oĂč leurs professeurs et les artistes danois se rendaient en pĂšlerinage pour Ă©tudier leurs modĂšles français. Parmi eux se trouvait le professeur Aksel JĂžrgensen qui, sâinspirant de lâimpressionnisme et en particulier des idĂ©es de Paul CĂ©zanne, dĂ©veloppa les fondements thĂ©oriques dâune peinture coloriste en aplats. Celle-ci influa Ă©normĂ©ment sur lâart fĂ©roĂŻen naissant et jeta les bases dâun colorisme Ă©tincelant qui continue dâanimer la peinture fĂ©roĂŻenne.
*Som den gyldne sol frembryder, Thomas Kingo (1634-1703)
Les artistes
INGĂLVUR AV REYNI nourrissait une vĂ©ritable passion pour Paris. Ses racines artistiques remontent notamment Ă CĂ©zanne et Matisse, ce quâil mentionne dans Svartur Sannleiki (VĂ©ritĂ© noire), film documentaire de 1999 qui lui est consacrĂ© et dans lequel il dĂ©ambule dans Paris tout en exprimant combien cette ville lui est importante. Ce portrait, prĂ©sentĂ© dans lâexposition, est toutefois construit autour dâune crise artistique : le film nous fait rencontrer un IngĂĄlvur av Reyni vieillissant frappĂ© par le doute quant Ă sa propre oeuvre, peut-ĂȘtre en particulier pour ce qui concerne sa partie la plus lumineuse, influencĂ©e par le colorisme impĂ©tueux et contrastĂ© quâAksel JĂžrgensen enseignait Ă ses Ă©lĂšves de lâAcadĂ©mie des beaux-arts de Copenhague. Dans lâhistoire de lâart fĂ©roĂŻen et danois, on a eu nettement tendance Ă sâaligner sur les opinions de Reyni et en particulier Ă mettre en avant ses toiles abstraites et noires de la fin du siĂšcle ainsi que ses toutes derniĂšres oeuvres monumentales du dĂ©but des annĂ©es 2000. Dans la prĂ©sente exposition consacrĂ©e Ă lâimportance de la lumiĂšre, nous avons choisi dâaller Ă rebours de ce point de vue en osant affirmer quâIngĂĄlvur av Reyni a peint de belles oeuvres durant toutes ses pĂ©riodes, ce qui inclut ses toiles figuratives et lumineuses des annĂ©es 1940 et 1950.
ZACHARIAS HEINESEN est le grand old man de lâart fĂ©roĂŻen. InterrogĂ© dans une revue, il y a quelques annĂ©es, sur ses modĂšles artistiques, il mentionnait Paul CĂ©zanne, dont on sent lâinfluence surtout dans ses premiĂšres productions, avec la dĂ©composition en facettes de la surface picturale. Il a ensuite dĂ©veloppĂ© et trouvĂ© son propre style, cultivant en particulier le motif du petit village des FĂ©roĂ© au bord du vaste ocĂ©an. Figure centrale de la peinture fĂ©roĂŻenne, Heinesen a profondĂ©ment marquĂ© lâhistoire de lâart fĂ©roĂŻen. Ses compositions aux montagnes et rochers anguleux et aux maisons de couleurs vives ont quasiment fait Ă©cole dans lâart des FĂ©roĂ©. Bien quâil saisisse la nature sous diffĂ©rentes lumiĂšres, comme les impressionnistes et les postimpressionnistes, Zacharias Heinesen a créé son propre langage pictural dans une veine abstraite. Le paysage semble parfois servir de prĂ©texte pour peindre des couleurs selon un motif prĂ©cis. Les couleurs primaires se juxtaposent souvent Ă leurs opposĂ©es, les touches de jaune et de rouge illuminant les aplats bleus et verts superposĂ©s en couches.
HANSINA IVERSEN peint des toiles non figuratives presque surchargĂ©es dâaplats de couleur de formes organiques. Mais ici aussi, la lumiĂšre Ă©tincelle en teintes primaires et secondaires rendant tout le tableau incandescent, dâune maniĂšre trĂšs physique. Ces oeuvres sont trĂšs sensuelles et charnelles â y compris dans la maniĂšre dont la peinture est apposĂ©e sur la toile, en touches laissant deviner les mouvements de lâartiste. Hansina Iversen ne rĂ©alise pas dâesquisses ou dâĂ©tudes avant de peindre. Lors dâinterviews, elle a expliquĂ© quâelle passe parfois beaucoup de temps devant la toile, trĂšs concentrĂ©e, en quelque sorte prĂȘte Ă bondir telle une athlĂšte attendant le coup de feu sur la ligne de dĂ©part. Si lâon perçoit la fougue et le mouvement dans les touches de pinceau et les dĂ©tails, les toiles sont minutieusement composĂ©es avec une superposition de couches plus ou moins transparentes, donnant ainsi une impression dâondulation et de variation dans la composition en fonction du point dâobservation du spectateur.
RANNVĂ KUNOY Regarder et ressentir ces toiles, câest un processus en constante Ă©volution : il est donc difficile, voire impossible, dâen rendre compte par la photographie. Depuis de nombreuses annĂ©es, RannvĂĄ Kunoy est animĂ©e par le souhait de transcender la matiĂšre physique. Il en rĂ©sulte pour le moment des toiles qui, malgrĂ© leur caractĂšre physique, semblent prĂ©senter une substance presque immatĂ©rielle. Le marquage irrĂ©gulier des bords de lâoeuvre donne lâimpression dâun cadre entourant un immense espace pictural. La toile foisonne de signes et de marques, comme si quelque chose allait disparaĂźtre ou advenir. Au lieu de reprĂ©senter ou de reflĂ©ter la lumiĂšre, les peintures de Kunoy semblent former Ă elles seules une sorte de lumiĂšre rĂ©sultant dâun pigment cristallin particuliĂšrement irisant qui change de couleur en fonction de la lumiĂšre prĂ©sente dans la salle dâexposition. Pour mieux ressentir lâoeuvre, le spectateur se dĂ©placera devant les toiles et verra celles-ci changer de couleurs et de caractĂšre. Les toiles acquiĂšrent ainsi un effet performatif remettant en cause lâun des principes selon lesquels la peinture est fixĂ©e dans le temps et lâespace.
Commissariat
Kinna Poulsen, diplĂŽmĂ©e en danois et en histoire de lâart, critique dâart et commissaire dâexpositions, vit et travaille Ă TĂłrshavn, dans les Ăźles FĂ©roĂ©. Autrice de multiples ouvrages en fĂ©roĂŻen sur lâart, elle a Ă©tĂ© lâorganisatrice et la commissaire de nombreuses expositions aux FĂ©roĂ© et ailleurs. Depuis 1997, Kinna Poulsen contribue Ă divers mĂ©dias, revues et catalogues dans les domaines de lâart et de la littĂ©rature, et est rĂ©dactrice sur son propre site culturel listaportal.com. Elle est Ă©galement membre du Bureau de lâAICA-Danemark