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“Un Ă©clat de soleil“
Art des ßles Féroé

Le Bicolore – Maison du Danemark, Paris

du 14 janvier au 13 mars 2022

Le Bicolore


Interview de Kinna Poulsen, commissaire de l'exposition,  par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă  Paris, le 13 janvier 2022, durĂ©e 32’08. © FranceFineArt.
(avec l'aimable traduction de Charlotte Montiel)

PODCAST –  Interview de Kinna Poulsen, commissaire de l’exposition,

par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă  Paris, le 13 janvier 2022, durĂ©e 32’08.
© FranceFineArt.
(avec l’aimable traduction de Charlotte Montiel)

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Extrait du communiqué de presse :



Ingålvur av Reyn, Intérieur, printemps, 1947Huile sur toile, 90 x 65 cm. Photo © Listasavn FÞroya.
Ingålvur av Reyn, Intérieur, printemps, 1947Huile sur toile, 90 x 65 cm. Photo © Listasavn FÞroya.
Hansina Iversen, Sans titre, 2021. Huile sur toile, 140 x 190 cm. Photo Finnur Justinussen.
Hansina Iversen, Sans titre, 2021. Huile sur toile, 140 x 190 cm. Photo Finnur Justinussen.
RannvĂĄ Kunoy, Sans titre, 2021. Pigments, acrylique et dispersion sur toile, 210 x 140 cm. Photo Ben Westoby.
RannvĂĄ Kunoy, Sans titre, 2021. Pigments, acrylique et dispersion sur toile, 210 x 140 cm. Photo Ben Westoby.
Zacharias Heinesen, Paysage libre, 1993. Huile sur toile, 150 x 200 cm. Photo © Listasavn FÞroya.
Zacharias Heinesen, Paysage libre, 1993. Huile sur toile, 150 x 200 cm. Photo © Listasavn FÞroya.

Commissaire de l’exposition  : Kinna Poulsen


Du 14 janvier au 13 mars 2022 une importante exposition sera prĂ©sentĂ©e Ă  Paris, au Bicolore Ă  la Maison du Danemark, sur les Champs-ÉlysĂ©es. Elle permettra d’offrir au public un regard sur la lumiĂšre, son importance et son Ă©volution dans l’art fĂ©roĂŻen des 20e et 21e siĂšcles Ă  travers les oeuvres figuratives et abstraites des artistes :IngĂĄlvur av Reyni (1920-2005), Zacharias Heinesen (nĂ© en 1936), Hansina Iversen (nĂ©e en 1966) et RannvĂĄ Kunoy (nĂ©e en 1975). L’exposition sera accompagnĂ©e d’une riche programmation de musique, littĂ©rature, cinĂ©ma, design, gastronomie et art traditionnel




Le contexte

Relativement isolĂ©es aux confins de l’ocĂ©an Atlantique nord pendant des siĂšcles, les Ăźles FĂ©roĂ© gardent de vieilles traditions restĂ©es vivaces encore aujourd’hui. CaractĂ©ristique de la sociĂ©tĂ© fĂ©roĂŻenne, ce mĂ©lange unique en son genre de culture traditionnelle et contemporaine se manifeste Ă  la fois dans l’existence d’une communautĂ© locale forte et l’ouverture de cette nation nordique mondialisĂ©e. L’art contemporain des FĂ©roĂ© s’ancre fortement dans un patrimoine culturel singulier, façonnĂ© par les conditions de vie et l’environnement naturel dans ces latitudes septentrionales. Cependant, les FĂ©roĂŻens ont Ă  toutes les Ă©poques largement accueilli les courants et les inspirations venant de l’extĂ©rieur, et notamment de la France.



L’exposition

Le titre de cette exposition fait Ă©cho au cantique Comme l’éclat du soleil au point du jour* Ă©crit par le poĂšte baroque danois Thomas Kingo, Ă©voquant le soleil perçant les tĂ©nĂšbres. Le recueil de cantiques de Kingo a une histoire et une importance toutes particuliĂšres aux Ăźles FĂ©roĂ©, oĂč il a prĂ©dominĂ© pendant de nombreuses annĂ©es. Ses hymnes Ă©taient chantĂ©s non seulement dans les Ă©glises et lors de cĂ©rĂ©monies, mais aussi pendant la pĂȘche et les autres activitĂ©s du quotidien. La notion de chant Kingo dĂ©signe Ă©galement une solide tradition fĂ©roĂŻenne quant Ă  la maniĂšre de chanter, sans accompagnement instrumental, avec une grande diversitĂ© selon les villages et les chanteurs.

Avec des oeuvres de quatre peintres fĂ©roĂŻen.ne.s, l’exposition Un Ă©clat de soleil prĂ©sente l’art fĂ©roĂŻen sous l’angle du traitement de la lumiĂšre dans la peinture contemporaine et les courants plus classiques, allant des interprĂ©tations postimpressionnistes de la lumiĂšre dans la nature aux aplats de couleurs pures de l’art abstrait ainsi qu’à des tableaux qui semblent en soi saisir et rĂ©flĂ©chir la lumiĂšre.

La lumiĂšre joue un rĂŽle essentiel dans l’art fĂ©roĂŻen depuis l’avĂšnement tardif de ce dernier, au dĂ©but du 20e siĂšcle. DĂšs les tout premiers paysages empreints de romantisme national, rĂ©alisĂ©s par des peintres autodidactes, l’art fĂ©roĂŻen a Ă©tĂ© baignĂ© de lumiĂšre, ce qui ne saurait Ă©tonner au regard de l’environnement naturel des FĂ©roĂ© et de leur localisation gĂ©ographique dans les latitudes arctiques. En fait, la grande luminositĂ© et la vivacitĂ© des couleurs dans la peinture fĂ©roĂŻenne sont Ă©galement le fruit des influences de l’art français, enseignĂ© Ă  l’AcadĂ©mie des beaux-arts de Copenhague. Au MusĂ©e national d’art des FĂ©roĂ©, il est difficile de ne pas remarquer l’inspiration tirĂ©e de CĂ©zanne, Matisse, Picasso, Braque, Monet, etc. La ville mĂȘme de Paris, Ă  la fois centre et berceau des mouvements de l’art moderne, occupe une place de premier plan dans l’histoire de l’art fĂ©roĂŻen. MalgrĂ© la richesse de leur vie culturelle, les FĂ©roĂ© n’ont en effet jamais eu d’acadĂ©mie de beaux-arts sur leur territoire. Les peintres et sculpteurs fĂ©roĂŻens ont donc traditionnellement suivi leurs Ă©tudes Ă  l’étranger, et s’agissant des premiĂšres gĂ©nĂ©rations, c’est Ă  l’AcadĂ©mie des beaux-arts de Copenhague que la plupart d’entre eux se sont formĂ©s. C’est lĂ  qu’ils ont commencĂ© Ă  s’intĂ©resser Ă  Paris, oĂč leurs professeurs et les artistes danois se rendaient en pĂšlerinage pour Ă©tudier leurs modĂšles français. Parmi eux se trouvait le professeur Aksel JĂžrgensen qui, s’inspirant de l’impressionnisme et en particulier des idĂ©es de Paul CĂ©zanne, dĂ©veloppa les fondements thĂ©oriques d’une peinture coloriste en aplats. Celle-ci influa Ă©normĂ©ment sur l’art fĂ©roĂŻen naissant et jeta les bases d’un colorisme Ă©tincelant qui continue d’animer la peinture fĂ©roĂŻenne.

*Som den gyldne sol frembryder, Thomas Kingo (1634-1703)

Les artistes

INGÁLVUR AV REYNI nourrissait une vĂ©ritable passion pour Paris. Ses racines artistiques remontent notamment Ă  CĂ©zanne et Matisse, ce qu’il mentionne dans Svartur Sannleiki (VĂ©ritĂ© noire), film documentaire de 1999 qui lui est consacrĂ© et dans lequel il dĂ©ambule dans Paris tout en exprimant combien cette ville lui est importante. Ce portrait, prĂ©sentĂ© dans l’exposition, est toutefois construit autour d’une crise artistique : le film nous fait rencontrer un IngĂĄlvur av Reyni vieillissant frappĂ© par le doute quant Ă  sa propre oeuvre, peut-ĂȘtre en particulier pour ce qui concerne sa partie la plus lumineuse, influencĂ©e par le colorisme impĂ©tueux et contrastĂ© qu’Aksel JĂžrgensen enseignait Ă  ses Ă©lĂšves de l’AcadĂ©mie des beaux-arts de Copenhague. Dans l’histoire de l’art fĂ©roĂŻen et danois, on a eu nettement tendance Ă  s’aligner sur les opinions de Reyni et en particulier Ă  mettre en avant ses toiles abstraites et noires de la fin du siĂšcle ainsi que ses toutes derniĂšres oeuvres monumentales du dĂ©but des annĂ©es 2000. Dans la prĂ©sente exposition consacrĂ©e Ă  l’importance de la lumiĂšre, nous avons choisi d’aller Ă  rebours de ce point de vue en osant affirmer qu’IngĂĄlvur av Reyni a peint de belles oeuvres durant toutes ses pĂ©riodes, ce qui inclut ses toiles figuratives et lumineuses des annĂ©es 1940 et 1950.

ZACHARIAS HEINESEN est le grand old man de l’art fĂ©roĂŻen. InterrogĂ© dans une revue, il y a quelques annĂ©es, sur ses modĂšles artistiques, il mentionnait Paul CĂ©zanne, dont on sent l’influence surtout dans ses premiĂšres productions, avec la dĂ©composition en facettes de la surface picturale. Il a ensuite dĂ©veloppĂ© et trouvĂ© son propre style, cultivant en particulier le motif du petit village des FĂ©roĂ© au bord du vaste ocĂ©an. Figure centrale de la peinture fĂ©roĂŻenne, Heinesen a profondĂ©ment marquĂ© l’histoire de l’art fĂ©roĂŻen. Ses compositions aux montagnes et rochers anguleux et aux maisons de couleurs vives ont quasiment fait Ă©cole dans l’art des FĂ©roĂ©. Bien qu’il saisisse la nature sous diffĂ©rentes lumiĂšres, comme les impressionnistes et les postimpressionnistes, Zacharias Heinesen a créé son propre langage pictural dans une veine abstraite. Le paysage semble parfois servir de prĂ©texte pour peindre des couleurs selon un motif prĂ©cis. Les couleurs primaires se juxtaposent souvent Ă  leurs opposĂ©es, les touches de jaune et de rouge illuminant les aplats bleus et verts superposĂ©s en couches.

HANSINA IVERSEN peint des toiles non figuratives presque surchargĂ©es d’aplats de couleur de formes organiques. Mais ici aussi, la lumiĂšre Ă©tincelle en teintes primaires et secondaires rendant tout le tableau incandescent, d’une maniĂšre trĂšs physique. Ces oeuvres sont trĂšs sensuelles et charnelles – y compris dans la maniĂšre dont la peinture est apposĂ©e sur la toile, en touches laissant deviner les mouvements de l’artiste. Hansina Iversen ne rĂ©alise pas d’esquisses ou d’études avant de peindre. Lors d’interviews, elle a expliquĂ© qu’elle passe parfois beaucoup de temps devant la toile, trĂšs concentrĂ©e, en quelque sorte prĂȘte Ă  bondir telle une athlĂšte attendant le coup de feu sur la ligne de dĂ©part. Si l’on perçoit la fougue et le mouvement dans les touches de pinceau et les dĂ©tails, les toiles sont minutieusement composĂ©es avec une superposition de couches plus ou moins transparentes, donnant ainsi une impression d’ondulation et de variation dans la composition en fonction du point d’observation du spectateur.

RANNVÁ KUNOY Regarder et ressentir ces toiles, c’est un processus en constante Ă©volution : il est donc difficile, voire impossible, d’en rendre compte par la photographie. Depuis de nombreuses annĂ©es, RannvĂĄ Kunoy est animĂ©e par le souhait de transcender la matiĂšre physique. Il en rĂ©sulte pour le moment des toiles qui, malgrĂ© leur caractĂšre physique, semblent prĂ©senter une substance presque immatĂ©rielle. Le marquage irrĂ©gulier des bords de l’oeuvre donne l’impression d’un cadre entourant un immense espace pictural. La toile foisonne de signes et de marques, comme si quelque chose allait disparaĂźtre ou advenir. Au lieu de reprĂ©senter ou de reflĂ©ter la lumiĂšre, les peintures de Kunoy semblent former Ă  elles seules une sorte de lumiĂšre rĂ©sultant d’un pigment cristallin particuliĂšrement irisant qui change de couleur en fonction de la lumiĂšre prĂ©sente dans la salle d’exposition. Pour mieux ressentir l’oeuvre, le spectateur se dĂ©placera devant les toiles et verra celles-ci changer de couleurs et de caractĂšre. Les toiles acquiĂšrent ainsi un effet performatif remettant en cause l’un des principes selon lesquels la peinture est fixĂ©e dans le temps et l’espace.


Commissariat
Kinna Poulsen, diplĂŽmĂ©e en danois et en histoire de l’art, critique d’art et commissaire d’expositions, vit et travaille Ă  TĂłrshavn, dans les Ăźles FĂ©roĂ©. Autrice de multiples ouvrages en fĂ©roĂŻen sur l’art, elle a Ă©tĂ© l’organisatrice et la commissaire de nombreuses expositions aux FĂ©roĂ© et ailleurs. Depuis 1997, Kinna Poulsen contribue Ă  divers mĂ©dias, revues et catalogues dans les domaines de l’art et de la littĂ©rature, et est rĂ©dactrice sur son propre site culturel listaportal.com. Elle est Ă©galement membre du Bureau de l’AICA-Danemark