âNouveaux chefs-dâoeuvre,
La dation Maya Ruiz-PicassoâÂ
et
âMaya Ruiz-Picasso, fille de Pabloâ
au Musée national Picasso, Paris
du 16 avril au 31 décembre 2022

PODCAST – Interview de Emilia Philippot, conservatrice en chef du patrimoine, cheffe du dĂ©partement des collections MusĂ©e national Picasso et co-commissaire des expositions,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 11 avril 2022, durĂ©e 18â34.
© FranceFineArt.
(Diana Widmaier-Ruiz-Picasso et Emilia Philippot)
Extrait du communiqué de presse :
Du 16 avril au 31 dĂ©cembre 2022, une double exposition consacrĂ©e Ă Maya Ruiz-Picasso, articulĂ©e en deux volets : « Nouveaux chefs-dâoeuvre. La dation Maya Ruiz-Picasso » et « Maya Ruiz-Picasso, fille de Pablo », sera lâoccasion de prĂ©senter au public lâensemble des neuf oeuvres exceptionnelles de la collection Maya Ruiz-Picasso ayant rejoint les collections nationales par dation, tout en explorant les tĂ©moignages prĂ©cieux dâune relation entre un pĂšre et sa fille.



# Nouveaux chefs-dâoeuvre. La dation Maya Ruiz-Picasso
Rez-de-chaussĂ©e de lâHĂŽtel SalĂ©
Commissariat :
Emilia Philippot, conservatrice en chef du patrimoine, cheffe du département des collections Musée national Picasso
En collaboration avec
Johan Popelard, conservateur du patrimoine, responsable des arts graphiques
Juliette Pozzo, responsable de la collection personnelle, chargée de recherches
Joanne Snrech, conservatrice du patrimoine, responsable des peintures
Virginie Perdrisot-Cassan, conservatrice du patrimoine, responsable des sculptures, des céramiques et du mobilier Giacometti au Musée national Picasso-Paris
Lâexposition cĂ©lĂšbre lâentrĂ©e dans les collections nationales de neuf chefs-dâoeuvre – six peintures, deux sculptures et un carnet de dessins – par le dispositif de la dation en paiement. PromulguĂ©e le 31 dĂ©cembre 1968, la loi sur la dation permet le rĂšglement en nature des droits de succession. Cette modalitĂ© dâacquisition exceptionnelle est au coeur de lâidentitĂ© mĂȘme du MusĂ©e Picasso, spĂ©cifiquement créé pour abriter la dation Pablo Picasso de 1979.
AcceptĂ©e par lâĂtat en 2021, la dation Maya Ruiz-Picasso, du nom de la fille de lâartiste nĂ©e en 1935 de son union avec Marie-ThĂ©rĂšse Walter, sâinscrit dans cette histoire fondatrice du musĂ©e et en prolonge lâesprit. Pluridisciplinaire et couvrant un large spectre temporel, de 1895 Ă 1971, elle constitue un enrichissement majeur pour le patrimoine français et un Ă©vĂ©nement de premier ordre pour le musĂ©e.
OrganisĂ© chronologiquement, le parcours de lâexposition est construit autour de ces neuf chefs-dâoeuvre conservĂ©s par la fille de lâartiste depuis la Succession. Ă travers un riche ensemble de peintures, sculptures et arts graphiques de Picasso, dâoeuvres issues de sa collection personnelle et une sĂ©lection de prĂȘts remarquables, lâexposition ouvre Ă©galement des perspectives dans le champ de lâart extra-occidental, de lâart ancien et de lâart moderne.
Parcours de lâexposition
DON JOSĂ RUIZ, LE PĂRE DE LâARTISTE, 1895
Peinte Ă lâĂąge de quatorze ans, la toile est lâun des premiers portraits du pĂšre connus et dĂ©montre la prĂ©cocitĂ© de Picasso dans la maĂźtrise du rendu des modelĂ©s par lâusage du clair-obscur. NĂ© Ă Malaga en 1840, le pĂšre de lâartiste mĂšne une carriĂšre de professeur et de peintre, dâabord dans sa ville natale, puis Ă La Corogne et enfin Ă Barcelone. Il Ă©pouse en 1880 MarĂa Picasso-LĂłpez, avec laquelle il aura trois enfants. Don JosĂ© joue un rĂŽle essentiel dans la vocation et la formation de son fils. Ă La Corogne, Pablo suit des cours de dessin acadĂ©mique et sâinitie Ă lâart du portrait sous sa conduite. Une douzaine de tableaux, parmi lesquels LâHomme Ă la casquette, datent de cette pĂ©riode, tous dans la veine du rĂ©alisme espagnol. Lâenvironnement familial, notamment la mĂšre de lâartiste et sa soeur Lola, fournit Ă©galement le sujet de dessins tendres qui captent des instants dâintimitĂ©.
TIKI DES ĂLES MARQUISES, XIXĂME SIĂCLE
Câest peu de temps aprĂšs avoir achevĂ© les Demoiselles dâAvignon (1907, The Museum of Modern Art, New York), que Picasso inaugure sa collection dâart africain et ocĂ©anien dont la sculpture tiki des Ăźles Marquises constitue lâune des toutes premiĂšres piĂšces. Cette acquisition rĂ©vĂšle la fascination de lâartiste pour la sculpture sur bois extra-occidentale qui est Ă lâorigine dâune rĂ©invention visuelle inĂ©dite. Figure typique de la culture polynĂ©sienne, le tiki est la reprĂ©sentation dâun ancĂȘtre divinisĂ©. Ses jambes trapues, ses coudes pliĂ©s, ses bras prĂšs du corps et ses mains « en pelles » le caractĂ©risent. La tĂȘte volumineuse, partie la plus sacrĂ©e du corps en PolynĂ©sie, Ă©voque la puissance de lâĂȘtre quâelle incarne. Cette schĂ©matisation du corps entre en rĂ©sonnance avec la production artistique de Picasso dans ces mĂȘmes annĂ©es.
ENFANT Ă LA SUCETTE SOUS UNE CHAISE, 27 JUILLET 1938
PORTRAIT DâĂMILIE MARGUERITE WALTER (DITE « MĂMà »),
ROYAN, 21 OCTOBRE 1939
En 1938, le « style araignĂ©e » que Picasso met en place joue sur les peurs primitives que sont la claustrophobie et lâarachnophobie. Des compositions saturĂ©es de lignes font naĂźtre chez le spectateur un sentiment dâangoisse et dâenfermement. Il fait Ă©cho aux fortes tensions politiques internationales, deux ans aprĂšs le dĂ©but de la guerre dâEspagne et Ă la veille de la Seconde Guerre mondiale. LâannĂ©e suivante, ce sont ses proches que Picasso prend pour modĂšles : Ămilie Marguerite Walter, la mĂšre de sa compagne Marie-ThĂ©rĂšse, ou encore Dora Maar dans la sĂ©rie des TĂȘte de femme. Ces toiles renouvellent alors le genre du portrait. Les nombreux carnets de dessins quâil remplit Ă Royan, oĂč il sĂ©journe par intermittence Ă partir de la fin de lâĂ©tĂ© 1939, tĂ©moignent de lâĂ©bullition crĂ©ative de lâartiste Ă cette Ă©poque, et notamment de ses explorations morphologiques autour de la figure humaine. Ă lâautomne 1940, Picasso rentre Ă Paris, oĂč il demeure jusquâĂ la fin de la guerre.
LA VĂNUS DU GAZ, JANVIER 1945
Créée en 1945, La VĂ©nus du gaz est nĂ©e dâune seule action, celle de dresser verticalement le brĂ»leur dâun fourneau Ă gaz. Avec ce geste, Picasso transforme un objet utilitaire en une dĂ©esse de la fĂ©conditĂ© qui Ă©voque par ses formes les statuettes fĂ©minines du palĂ©olithique. MarquĂ©e par le contexte de la guerre, cette statue constitue ainsi tout autant une Ă©vocation du dĂ©sastre quâun talisman porteur dâespoir. La mĂ©tamorphose du quotidien en oeuvre dâart sâobserve tout au long de la carriĂšre de Picasso. Lâhistorien dâart Werner Spies parle du « regard divinatoire » de lâartiste, qui parvient Ă extraire lâobjet de sa fonction pour en rĂ©vĂ©ler uniquement la forme esthĂ©tique. En tĂ©moigne Ă©galement la TĂȘte de taureau, nĂ©e de lâassemblage au printemps 1942, dâune selle et dâun guidon de bicyclette. Toutefois, La VĂ©nus du gaz est la seule oeuvre de Picasso produite par le dĂ©tournement dâun unique objet. Elle relĂšve en ce sens des readymade de Marcel Duchamp – Ă lâinstar de lâiconique Fontaine -, ces objets manufacturĂ©s Ă©levĂ©s avec provocation au rang dâĆuvre par la seule dĂ©cision de lâartiste.
EL BOBO, VAUVENARGUES, 14-15 AVRIL 1959 CARNET DâĂTUDES POUR LE DĂJEUNER SUR LâHERBE, MOUGINS, 15-17 JUIN 1962
Entre janvier 1959 et 1962, Picasso effectue plusieurs sĂ©jours au chĂąteau de Vauvenargues, imposante demeure seigneuriale situĂ©e au pied de la montagne Sainte-Victoire prĂšs dâAix-en-Provence. Les paysages environnants, rendus cĂ©lĂšbres par Paul CĂ©zanne, lui apparaissent comme une cadre propice Ă la crĂ©ation. Ce contexte favorise la poursuite dâun travail dâaprĂšs les maĂźtres dont tĂ©moignent El Bobo ou le carnet dâĂ©tudes consacrĂ© au DĂ©jeuner sur lâherbe dâĂdouard Manet. Cette « pĂ©riode Vauvenargues » est marquĂ©e, selon les mots de lâhistorien dâart Maurice Jardot, par le retour à « une Espagne toute intĂ©rieure, ardente, grave, simple et franche » dont « le ton, le timbre, le port de voix sont sans exemple dans lâoeuvre ». La palette de Picasso se compose alors aux couleurs de son pays natal oĂč les rouges, les jaunes, le vert bouteille et le noir dominent.
TĂTE DâHOMME, MOUGINS, 31 JUILLET 1971
Le 23 mai 1973, quelques semaines aprĂšs le dĂ©cĂšs de Picasso, est inaugurĂ©e lâexposition Picasso 1970-1972 au Palais des Papes Ă Avignon, oĂč sont exposĂ©es 201 toiles rĂ©alisĂ©es par lâartiste depuis septembre 1970. Cet accrochage insolite dâoeuvres sans cadres, installĂ©es sur plusieurs rangs aux murs de la chapelle, rend tangible lâextraordinaire crĂ©ativitĂ© du peintre au cours de ses derniĂšres annĂ©es. Il suscite Ă©galement une grande incomprĂ©hension parmi le public : la simplicitĂ© des compositions, lâexubĂ©rance de la couleur, la rapiditĂ© du trait dĂ©routent jusquâaux fidĂšles de Picasso. Son ami historien de lâart Douglas Cooper va mĂȘme jusquâĂ parler de « gribouillages incohĂ©rents exĂ©cutĂ©s par un vieillard frĂ©nĂ©tique dans lâantichambre de la mort ». Il faut attendre plus de dix ans pour que lâimportance de cette pĂ©riode tardive commence Ă ĂȘtre réévaluĂ©e. Choisie pour figurer sur la couverture du catalogue de lâexposition de 1973, TĂȘte dâhomme incarne ainsi Ă elle seule lâintensitĂ© de cette ultime phase de crĂ©ation.
ĂTUDE POUR UNE JOUEUSE DE MANDOLINE, 2 FĂVRIER 1932
Ătude pour une joueuse de mandoline est lâune des cent-onze toiles peintes par Picasso en 1932, annĂ©e durant laquelle la figure de Marie-ThĂ©rĂšse Walter, jeune amante de lâartiste rencontrĂ©e en 1927, envahit chacune de ses peintures. Le tableau, reprenant le motif de la mandoline reprĂ©sentĂ© par le peintre lors de la pĂ©riode cubiste, se distingue des autres toiles par son apparence inachevĂ©e et par la prĂ©sence dâannotations de couleurs dĂ©voilant le processus crĂ©atif de lâartiste. Si ces indications peuvent Ă©galement ĂȘtre observĂ©es dans de nombreux dessins et carnets de Picasso, il sâagit Ă ce jour du seul cas connu en peinture, peut-ĂȘtre destinĂ© Ă un projet de tapisserie. Bien que le fond soit entiĂšrement recouvert, un simple trait de contour au fusain sert Ă dessiner les courbes de la figure fĂ©minine et les lignes droites du fauteuil sur un support laissĂ© vierge. Par sa composition, la toile se rapproche formellement de la Femme assise dans un fauteuil rouge, créée deux jours plus tĂŽt, le 31 janvier.



# Maya Ruiz-Picasso, fille de Pablo
1er Ă©tage de lâHĂŽtel SalĂ©
Commissariat :
Emilia Philippot, conservatrice en chef du patrimoine, cheffe du département des collections Musée national Picasso
Diana Widmaier-Ruiz-Picasso, historienne de lâart
« Le 5 septembre 1935, le temps des fĂ©es Ă©tait passĂ© depuis bien des annĂ©es, cependant je peux dire quâĂ ma naissance jâai eu deux ĂȘtres merveilleux penchĂ©s sur mon berceau : mes parents ! Picasso et Marie-ThĂ©rĂšse. Deux ĂȘtres liĂ©s pour lâĂ©ternitĂ©. Unis par un mĂȘme amour de la Vie et de lâAmour ». Maya Ruiz-Picasso (Picasso intime, Collection Maya Ruiz-Picasso, 1981)
MarĂa de la ConcepciĂłn, surnommĂ©e Maya, naĂźt le 5 septembre 1935. Elle est la premiĂšre fille de Pablo Picasso et le fruit de son amour passionnel pour Marie-ThĂ©rĂšse Walter, jeune femme rencontrĂ©e en 1927. LâarrivĂ©e de cette enfant est un bouleversement pour Picasso. Dans son oeuvre, elle se traduit par la reprĂ©sentation de scĂšnes de vie intimes emplies de tendresse et la rĂ©alisation dâun ensemble exceptionnel de portraits.
Maya, qui grandit dans une pĂ©riode marquĂ©e par les conflits et les restrictions, inspire Ă©galement Ă lâartiste la crĂ©ation de jouets de fortune. Les silhouettes en papier dĂ©coupĂ© et les poupĂ©es articulĂ©es rĂ©sonnent alors avec ses prĂ©occupations plastiques du moment. Au lendemain de la guerre, alors que Picasso sâinstalle dans le sud de la France oĂč il fonde une nouvelle famille, Maya continue de partager des moments de grande complicitĂ© avec son pĂšre en participant en tant quâassistante au tournage du film Le MystĂšre Picasso.
RĂ©unissant un ensemble exceptionnel de prĂšs de 200 oeuvres, archives et objets personnels, cette exposition met en Ă©vidence lâamour unissant Picasso et sa fille tout autant que lâextraordinaire Ă©nergie crĂ©atrice que lâartiste a dĂ©ployĂ©e pour Maya. PerpĂ©tuant le profond dĂ©sir de filiation qui transparaĂźt dans lâoeuvre et la vie de Picasso, elle rĂ©vĂšle au public un volet intime de son histoire familiale, notamment au travers dâun ensemble inĂ©dit de memorabilia. DĂ©ployĂ© Ă la maniĂšre dâune mĂ©moire vivante, le parcours recompose un morceau de vie partagĂ©e, tout en portant un nouveau regard sur la crĂ©ation de lâartiste.
Parcours de lâexposition
LES ENFANTS DE PICASSO
Lorsque MarĂa de la ConcepciĂłn voit le jour en septembre 1935, Picasso est dĂ©jĂ pĂšre dâun fils de quatorze ans, Paul (surnommĂ© Paulo), nĂ© de son union avec sa premiĂšre femme, la danseuse des ballets russes Olga Khokhlova, Ă©pousĂ©e en 1918. LâarrivĂ©e annoncĂ©e de cette enfant prĂ©cipite leur sĂ©paration qui survient quelques semaines avant la naissance de Maya, en juin 1935. Elle reprĂ©sente Ă©galement pour lâartiste un bouleversement intĂ©rieur qui se traduit par un arrĂȘt temporaire de la peinture, de mai 1935 Ă fĂ©vrier 1936. De la mĂȘme maniĂšre quâil avait consacrĂ© plusieurs portraits Ă son fils au dĂ©but des annĂ©es 1920, Picasso reprĂ©sente sa fille Ă maintes reprises, avec une douceur et une tendresse manifeste. Il en sera de mĂȘme pour ses deux derniers enfants, Claude et Paloma, nĂ©s de sa relation avec Françoise Gilot Ă la fin des annĂ©es 1940.
LES PORTRAITS PEINTS DE MAYA
Entre le 16 janvier 1938 et le 7 novembre 1939, Picasso consacre Ă sa fille pas moins de quatorze portraits peints. Cette sĂ©rie est « la plus impressionnante dĂ©diĂ©e Ă un seul enfant » comme le souligne lâhistorien dâart Werner Spies. Elle se dĂ©marque de tout acadĂ©misme, permet dâapprĂ©hender la description psychologique que Picasso fait de sa fille et rend compte des qualitĂ©s de portraitiste de lâartiste : « Avec ses yeux il regardait. Avec ses mains il dessinait ou modelait. Avec sa peau, ses narines, son coeur, son esprit, ses tripes mĂȘme il ressentait ce que nous Ă©tions, ce que nous cachions, notre ĂȘtre. Câest, je pense, pourquoi il fut capable de comprendre lâĂȘtre humain, si jeune soit-il, avec tant de vĂ©ritĂ© » (Maya Ruiz-Picasso, Mon pĂšre, cet admirateur Ă©ternel des enfants, 2000).
MARIE-THĂRĂSE WALTER
Câest huit ans aprĂšs leur rencontre fortuite Ă la sortie des Galeries Lafayette Ă Paris que Picasso et Marie-ThĂ©rĂšse Walter accueillent la naissance de leur fille Maya. LâarrivĂ©e de lâenfant donne alors lieu Ă des dessins intimes aux accents parfois mythologiques ou sacrĂ©s. Dans lâintervalle, la jeune femme a inspirĂ© Ă lâartiste de nombreuses oeuvres. Toutefois, sa prĂ©sence est dâabord cryptĂ©e, en raison notamment de la nature secrĂšte de leur relation alors que Picasso est mariĂ©. SymbolisĂ©e par des guitares au monogramme « MTW » ou plus explicitement figurĂ©e dans des nus fĂ©minins aux formes voluptueuses et sensuelles, Marie-ThĂ©rĂšse est Ă lâorigine dâun jaillissement crĂ©atif sans prĂ©cĂ©dent, placĂ© tout entier sous le signe de lâamour puis de la maternitĂ©. De son cĂŽtĂ©, Maya est Ă©galement annoncĂ©e avant sa mise au monde dans la gravure Minotauromachie, vĂ©ritable chef-d’oeuvre rĂ©alisĂ© quelques mois avant sa naissance.
LES PORTRAITS DESSINĂS DE MAYA
De son plus jeune Ăąge jusquâĂ son adolescence, Picasso nâa de cesse de reprĂ©senter sa fille. Lâartiste lui consacre de nombreux dessins dans lesquels il Ă©tudie avec minutie son Ă©volution physique et psychique. De facture classique, ces portraits se rĂ©vĂšlent particuliĂšrement fidĂšles Ă leur jeune modĂšle et expriment le bonheur quâapporte la fillette Ă lâexistence du peintre. Au-delĂ de ces oeuvres, câest aussi la pratique du dessin qui unit le pĂšre et sa fille. Pour Maya en effet, mais aussi avec elle, lâartiste dessine : « Papa dessine-moi⊠» et Papa me dessinait ce que je lui demandais avec une patience incroyable ». Se prĂȘtant au jeu de son enfant qui endosse le rĂŽle de maĂźtresse dâĂ©cole, Picasso accepte Ă©galement volontiers de voir ses compositions notĂ©es, marque dâun touchant renversement des rĂŽles et de la grande complicitĂ© qui les unit.
LâENFANCE DE LâART
Durant la guerre et aprĂšs, Maya inspire Ă son pĂšre la crĂ©ation de silhouettes en papier dĂ©coupĂ©, figurines en carton, poupĂ©es ou vĂ©ritables théùtres de marionnettes. Contrairement aux quelques modĂšles de jouets conventionnels que Picasso reprĂ©sente dans ses peintures, ceux quâil façonne pour sa fille sont dâune grande inventivitĂ©. ConfectionnĂ©es Ă partir de matĂ©riaux de rĂ©cupĂ©ration glanĂ©s dans lâatelier â bois, fil de fer, ficelle, tissu, punaises, clous â ces poupĂ©es articulĂ©es traduisent les efforts de lâartiste pour Ă©gayer un quotidien obscurci par lâoccupation allemande et les restrictions. Ces objets singuliers, tĂ©moignages de lâĂ©conomie de survie qui prĂ©domine alors, sont autant de souvenirs chĂ©ris de ces temps troublĂ©s. Faits de matĂ©riaux pauvres, bricolĂ©s de maniĂšre volontairement rudimentaire, ils font preuve dâune crĂ©ativitĂ© pure et renouent avec une certaine enfance de lâart chĂšre Ă Picasso.
MEMORABILIA
La fin de la guerre voit lâĂ©loignement de Picasso et de sa fille aĂźnĂ©e, essentiellement en raison de lâinstallation de lâartiste dans le sud de la France Ă la suite de sa rencontre avec Françoise Gilot avec laquelle il aura bientĂŽt deux nouveaux enfants, Claude et Paloma. Maya reste nĂ©anmoins trĂšs prĂ©sente au sein de cette famille recomposĂ©e quâelle visite rĂ©guliĂšrement. AuprĂšs de son pĂšre, elle participe ainsi, en tant quâassistante, Ă la rĂ©alisation du film dâHenri Georges-Clouzot, Le MystĂšre Picasso. Marque de son profond attachement, Maya conserve, avec la mĂȘme dĂ©votion que sa mĂšre avant elle, les vĂȘtements mais aussi les ongles et les mĂšches de cheveux que lâartiste superstitieux envoyait rĂ©guliĂšrement Ă Marie-ThĂ©rĂšse pour ĂȘtre soigneusement prĂ©servĂ©s. Entre fascination et angoisse de la mort, Picasso multipliait les rituels pour se prĂ©munir des mauvais sorts. Ces memorabilia sont Ă la fois les tĂ©moins dâune vĂ©ritable liturgie de lâintime et les rĂ©ceptacles de cette mĂ©moire des annĂ©es de vie partagĂ©es entre la fille et son pĂšre.