🔊 “L’ŒIL VÉRITÉ” Le musée au second degré, au MAC VAL, Vitry-sur-Seine, du 24 juin 2023 au 22 septembre 2024
Une histoire de l’art contemporain en France avec les œuvres de la collection du MAC VAL, 1950-1990 et un peu au-delà
au MAC VAL, musée d’art contemporain du Val-de-Marne, Vitry-sur-Seine
du 24 juin 2023 au 22 septembre 2024
PODCAST – Interview de Nicolas Surlapierre, directeur du MAC VAL,
par Anne-Frédérique Fer, à Vitry-sur-Seine, le 19 juillet 2023, durée 27’40,
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat général :
Nicolas Surlapierre, directeur du MAC VAL, musée d’Art contemporain du Val-de-Marne
Assisté de Florence Cosson, Anaïs Linares et Margaut Segui
Le MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne est le seul musée à être exclusivement consacré à la scène artistique en France depuis les années 1950. Le projet du musée se développe depuis une quinzaine d’années, suite à la création en 1982, du Fonds Départemental d’Art Contemporain. En 1998, la collection est agréée par le conseil artistique des musées et le Projet Scientifique et Culturel est validé par la Direction des Musées de France.
Ce projet est né de la conviction du Département du Val-de-Marne, qu’un soutien à la création artistique, tourné résolument vers le public, concourt au rayonnement du territoire. 2500 oeuvres de près de 400 artistes composent la collection. Parmi elles, des œuvres d’artistes incontournables de la scène artistique mais aussi des oeuvres d’artistes émergents affirmant la volonté du MAC VAL d’être au plus proche de la création contemporaine.
En résonance avec les accrochages de la collection, deux expositions temporaires sont présentées annuellement. Monographiques ou collectives, elles prennent la forme d’une invitation, naissent de la rencontre entre l’artiste et le musée. Construites comme un prolongement de la collection, les expositions offrent la possibilité d’aller plus loin dans la découverte de l’art contemporain.
L’équipe du MAC VAL met son imagination au service du public en proposant des actions innovantes et sensibles pour rendre accessible à tous la découverte de l’art contemporain en France depuis son émergence jusqu’à la création artistique la plus contemporaine.
Pour accompagner l’exposition de la collections permanente, un catalogue “L’oeil vérité. Le musée au second degré” est publié par le MAC VAL.
Avec les oeuvres de Valerio Adami, Gilles Aillaud, Arman, Geneviève Asse, Martin Barré, Gilles Charles Roger Bec, Claude Bellegarde, Robert Breer, Anne Brégeaut, Joël Brisse, Camille Bryen, Marie-Claude Bugeaud, Pierre Buraglio, Daniel Buren, Pol Bury, César, Jacques Charlier, Roman Cieslewicz, Delphine Coindet, Émile Compard, Olivier Debré, Jean Degottex, François Despatin & Christian Gobeli, Daniel Dezeuze, Erik Dietman, Robert Doisneau, Noël Dolla, Jean Dubuffet, François Dufrêne, Erró, Sylvie Fanchon, Jacques Faujour, Philippe Gronon, Raymond Hains, Hans Hartung, Jean Hélion, Pontus Hultén, Christian Jaccard, Alain Jacquet, Asger Jorn, Michèle Katz, Ladislas Kijno, Jiří Kolář, François Kollar, Jacqueline Lamba, René Laubiès, Philippe Lepeut, Alberto Magnelli, Robert Malaval, Alfred Manessier, Marino di Teana, Jean Messagier, Henri Michaux, Bernard Moninot, Jacques Monory, Bernard Pagès, Gina Pane, Pavlos, Bruno Peinado, Daniel Pommereulle, Clovis Prévost, André Raffray, Bernard Rancillac, Martial Raysse, Antonio Recalcati, Judit Reigl, Germaine Richier, Willy Ronis, François Rouan, Sarkis, Peter Saul, Antonio Seguí, Jean-Claude Silbermann, Jesús Rafael Soto, Daniel Spoerri, Peter Stämpfli, Veit Stratmann, Takis, Hervé Télémaque, Luis Tomasello, Geer van Velde, Vladimir Veličković, Claude Viallat, Jacques Villeglé, Sabine Weiss.
Un regard en 16 sections
Jacques Faujour, Bords de Marne à Saint-Maur, 1985. Tirage noir et blanc au gélatino-bromure d’argent sur papier baryté, 40 x 30 cm. Collection MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne. © Adagp, Paris 2023. Photo © Jacques Faujour.
Olivier Debré, Brune longue de Loire, 1983 – 1984. Huile sur toile, 181 x 311 x 5,5 cm. Collection MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne. © Adagp, Paris 2023. Photo © Claude Gaspari.
Anne Brégeaut, La dispute, 2006. Faïence et colle, 5 x 11 x 8,5 cm, diamètre 10 cm. Collection MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne. © Adagp, Paris 2023. Photo © Marc Domage.
Geneviève Asse, Cercle fenêtre, 1973. Huile sur toile, diamètre: 54 cm profondeur: 2,5 cm. Collection MAC VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne. © Adagp, Paris 2023. Photo © Claude Gaspari.
Les visiteuses et les visiteurs sont introduits dans la poésie un peu formelle de cette proposition par L’œil retors : comment appréhender les oeuvres des collections depuis Marcel Duchamp, au premier et deuxième degré de l’art. L’oeil abusé à la lumière d’une vraie fausse exposition de Jacques Charlier, rappelle les principaux discours sur la neutralité du regard moderne et son autonomie faisant fi du contexte. L’oeil imprévisible pose les premiers jalons de cette histoire à l’aune des fausses ruptures et continuités, L’oeil moteur parle des principaux acteurs du cinétisme, de l’art construit et du rôle joué par l’oeil. L’oeil impossible se livre à l’étrange exercice d’associer des artistes autour du souvenir de la couleur bleue, trois propositions qui interrogent la foi sans aucun prosélytisme lorsqu’elle devient un exercice formel et spirituel et invente des objets ou des postures de rituels. Le rôle de la figuration dans les années 1960 est également envisagé dans la section du parcours L’oeil biface qui relate la révolution de la figuration narrative et son influence durable sur l’art contemporain. L’oeil incompris évoque certaines évolutions issues des deux grandes tendances (figuration et abstraction) qui ont défini l’art, depuis la première oeuvre abstraite en 1911 et ont simplifié les nombreuses ambiguïtés. Sont-elles des catégories suffisantes et n’existe-t-il pas des interférences ou des porosités entre elles ? L’oeil curieux jouera de la relation que certaines artistes et certains artistes ont pour l’objet, le collage ou l’assemblage, créant au coeur du parcours un cabinet de curiosités comme un véritable bric-à-brac rétinien. L’oeil pilote réinterroge le rôle surplombant que Jean Dubuffet a pu jouer. Ses liens avec le Département du Val-de-Marne ne sont plus à démontrer, ils sont ici complétés par un dépôt exceptionnel de sa série des matériologies et des texturologies consenti par la Fondation Dubuffet. L’artiste épingle la science des appellations et « cette manie d’inventer des slogans » mais synthétise également les débats issus de l’informel et un goût pour les rapprochements insolites. L’affranchissement des clivages entre abstraction et figuration un peu trop simplificateurs et la remise en cause de l’hégémonie du regard vertical sont également des données précieuses pour mieux circuler dans l’art contemporain. Les trois cabinets de L’oeil attendri sont consacrés à la photographie humaniste et à quelques-uns de ses développements. L’oeil Restany n’est pas qu’un hommage au critique d’art, il met en espace et en forme quelques éléments essentiels du Nouveau réalisme qui, tel un chiffonnier roué, fouille dans les poubelles de l’Histoire. L’oeil libéré met en avant l’incroyable longévité dans l’histoire de la contemporanéité du mouvement Supports/Surfaces. La déconstruction du tableau et les métamorphoses du châssis trouve leur prolongement dans L’oeil périphérique qui refuse de céder au trop long impérialisme de la vision centralisée. L’oeil bobine évoque, d’une façon chorale, certains artistes de l’exposition qui, par le film, ont répondu aux mouvements qu’ils étaient censés représenter et les bénéfices et les doutes qu’ils ont su tirer de cette image-mouvement. Parce que le document, l’archive, le livre d’artiste font oeuvre et peuvent parfois les remplacer tels des doublures savantes, L’oeil fertile, en référence à Paul Eluard, leur est consacré, jouant sur la complétude des oeuvres délibérément incomplètes et infinies. Enfin L’oeil blessé synthétise, en onze plans fixes, le récit et le parcours d’une paupière irritée, celle que Sarkis a imaginée pour circuler dans les nuances entre l’histoire et la mémoire, méditation sur l’étrange parenté (presque synonymie en français) entre l’enfant et la pupille.
L’expression « au second degré » n’est pas seulement imaginée en référence à l’ouvrage de Gérard Genette, c’est aussi en pensant à l’expression qui suppose un sens plus subtil ou alors plus humoristique que la phrase, l’oeuvre ne veulent bien le faire croire. Elle est souvent utilisée dans l’humour noir ou pour faire preuve d’une certaine désinvolture face au sérieux de certaines interrogations. C’est aussi pour montrer une prise de distance face à la difficulté d’écrire une histoire de l’art contemporain et plus encore de la présenter. Celle-ci sera partiale et impartiale, sérieuse et décalée, connue et inconnue, risquée et sûre à la fois.
L’exposition est rythmée de quelques contrepoints qui, entorses au confort d’un déroulé, affirment l’importance de l’hétérochronie ou même de l’anachronisme pour fonder tout parcours historique. C’est volontairement que Veit Stratmann a inventé sept modules qui soulignent les endroits où les transitions sont les plus faillibles et les porosités les plus fortes entre des artistes qui ne sont pas censés dialoguer et les styles s’ignorer. Il serait tentant de saisir ce qui pourrait ressembler à des poignées ou des garde-corps bien qu’ils soient placés précisément à des endroits qui nient toute forme d’utilité.
« L’oeil vérité » essaye de reconstituer ce que pourrait être désormais un musée d’art contemporain modèle à moins qu’il ne soit plus juste de parler de « musée témoin » comme certains promoteurs immobiliers parlaient de « pavillons témoins », derniers vestiges d’une histoire de l’art clé en main.
Nicolas Surlapierre, Directeur du MAC VAL, commissaire de l’exposition
Parcours
1. L’oeil retors
Michel Ragon écrivait dans Chronique vécue de la peinture et de la sculpture, 1950-2000 : « L’histoire de l’art, il est vrai, se partage toujours en deux courants, qui sont la marque de deux tempéraments opposés et inconciliables. D’un côté ce que j’appellerais les architectes, et de l’autre les magiciens ». C’est un peu ces oppositions qui ont déterminé le choix des oeuvres. L’art contemporain n’est pas né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, mais s’est construit pendant vingt ans et un peu au-delà. Il est donc important de s’interroger sur sa naissance et ses conditions d’émergence. Tout aurait pu se passer normalement si Marcel Duchamp n’était pas venu contrarier ou complexifier l’art et la création. Cette figure est devenue le paradigme du second degré : comprenant qu’il aurait été un peintre moyen, il se détourne de la peinture. À partir de l’oeuvre Marcel Duchamp en douze images de André Raffray, visiteuses et visiteurs peuvent entrer dans le musée au second degré et imaginer qu’aux douze tableaux répondent les différentes sections du parcours « L’oeil vérité », pensé comme un tableau de montage.
2. L’oeil abusé
Profession : faussaire, artiste, ou les deux. En 1988, Jacques Charlier réalise à partir de quinze cadres issus de la collection de Fernand Graindorge des peintures dont l’esthétique rappelle des mouvements artistiques du XXe siècle. Censées appartenir à Sergio Bonati – un personnage créé de toutes pièces par l’artiste –, les oeuvres sont exposées tel un « dispositif immersif » intitulé Peintures – Schilderijen. Chaque toile est accompagnée d’un nom d’artiste fictif et d’une notice biographique rédigée par Jacques Charlier lui même. L’ensemble est une imposture, la caricature d’une collection. L’oeuvre fonctionne comme un dispositif subversif du musée, en tant qu’institution et système de légitimation des artistes et des oeuvres d’art. Mettre aujourd’hui l’oeuvre de Jacques Charlier en exergue d’un parcours historique retraçant l’histoire d’une collection et des mouvements artistiques, c’est accepter de devenir complice d’une vaste supercherie. C’est surtout reconnaître les difficultés inhérentes à l’historicisation ou prendre de la distance sur ce que font les musées aux récits.
3. L’oeil imprévisible
L’histoire de l’art en France depuis la Seconde Guerre mondiale ne s’est pas simplifié la tâche. Rien ne fut plus vrai et contestable à la fois que de « repartir à zéro » et plus rassurant que d’imaginer une rupture radicale. En réalité, des années plus tard, il devenait impossible de qualifier cette période parce que d’autres formes d’art étaient apparues, contredisant souvent les tentatives de catégories. Le mot est faible de dire que la situation de l’art à partir de la fin des années 1950 est contrastée entre lyrisme et intellectualisme. « L’oeil imprévisible » résume les tendances que la critique a parfois regroupées un peu trop rapidement sous le terme d’informel : le paysagisme abstrait représenté par Martin Barré et Alfred Manessier, l’abstraction lyrique par Olivier Debré, Camille Bryen et Jacqueline Lamba, puis Germaine Richier qui introduit une nuance entre observation et ressemblance. Or cette période est avide de prévisions qui prennent souvent la forme de prophéties et Camille Bryen rappelle que la question de la non-figuration dans son lien au surréalisme ne peut pas être évacuée.
4. L’oeil moteur
Cette section prend pour point de départ le dynamisme de l’art optique et cinétique qui, des murs des galeries aux salles de cinéma, de la mode au design, transporte les années 1960 dans un flux de lignes vibratoires, de jeux de lumières, de couleurs et motifs qui se répètent et s’impriment sur la rétine. Cependant, à la croisée de l’abstraction géométrique et de l’art informel, cette partie de l’exposition démontre la porosité, les continuités les influences entre ces différents mouvements, tout en mettant en relief les prémices de l’art opticocinétique à la fin des années 1950 et son héritage jusqu’au tout début des années 1990. En clôturant la section, l’oeuvre de Peter Stämpfli intitulée M 301 illustre ce croisement entre plusieurs courants : pop art, hyperréalisme, figuration narrative. Les oeuvres de Soto soulignent quant à elles l’inévitable présence du spectateur pour que s’activent divers effets optiques. Il affirme à ce sujet : « Comme moteur, je n’ai jamais utilisé que l’oeil. À aucun moment je n’ai cherché à utiliser le moteur électrique ou la mécanique. J’ai voulu mettre en oeuvre le spectateur en tant que mécanique ».
5. L’oeil impossible
Gina Pane, Philippe Lepeut et Geneviève Asse ont une approche presque métaphysique. Ils ont plusieurs points communs : donner une forme géométrique à leur vision avec le choix d’un cadre et des oeuvres fortement architecturées, la couleur bleue pour traduire les efforts de la réminiscence et la matière poreuse de l’imagination. Si l’oeil est impossible, c’est que les structures et les couleurs sont insatisfaisantes pour rendre compte d’une expérience vécue, d’un souvenir mais qu’elles sont les seuls moyens d’y parvenir. Substituer l’espace vécu par un fragment chromatique renvoie aux théories de l’art abstrait et plus largement à l’histoire des mentalités. Le ciel devient bleu et à travers lui, la lumière divine se matérialise. La portée mélancolique que l’on incombe à la couleur se rapporte davantage à un idéal inaccessible. Gina Pane cherche à rendre visible la production, quasiment au sens industriel, d’une mémoire affective tel un processus de remémoration. Geneviève Asse participe à cette tendance immatérielle, provenant de l’art conceptuel américain, qui tente de sortir du cadre. Suite Figmenta Poetica est une série de dix peintures de Philippe Lepeut qui prolonge ses réflexions autour de l’agencement d’objets.
6. L’oeil biface
« L’oeil biface » est consacré aux différentes possibilités offertes par la figuration à partir des années 1960 et jusqu’aux années 1980, couvrant un champ large, de la figuration critique et narrative à l’émergence de la figuration libre. La figuration narrative est née, entre autres, d’une réaction face à la volonté de galeries américaines d’imposer sur la scène française ou européenne le pop art. Hervé Télémaque et Bernard Rancillac avaient commencé à intégrer les principaux attributs et motifs de ce mouvement pour mieux le critiquer. À son caractère lisse, les artistes opposent des motifs issus de la peinture, et les associent à d’autres symboles ruinant leur caractère séduisant. Dès 1967, un débat apparaît et confirme l’emploi sinon la pertinence du terme de biface. La figuration narrative justifiait sa différence avec le pop art sur la notion de chaleur. Toutefois, peut-être sous l’influence de Jacques Monory et de Valerio Adami, la froideur de l’image, le jeu sur les surfaces et le refus des effets matiéristes introduisent une prise de distance pour une peinture fondamentalement critique vis-à-vis de la société de consommation.
7. L’oeil curieux
Les cabinets de curiosités se développent pour répondre aux ambitions propres à la nature humaine : comprendre et découvrir le monde. L’attrait pour l’insolite devient un véritable phénomène entre le milieu du XVIe et le début du XVIIIe siècle, avant d’être progressivement dévalorisé par les discours rationalistes des Lumières. Il faut attendre le XIXe siècle pour que le terme « bizarre » soit réhabilité par le Romantisme. Dans le champ artistique du XXe siècle, l’étrangeté devient synonyme d’une liberté dont s’emparent les dadaïstes et les surréalistes comme aucun autre mouvement. Cet esprit de transgression se poursuit dans les années 1950 et 1960, au point de presque devenir la nouvelle norme. L’oeil du regardeur est invité à passer de l’espace public à la sphère intime d’un cabinet d’un tout autre genre. Tour à tour absurdes et drôles, inquiétantes et dangereuses, les oeuvres présentées constituent une sorte d’armée hétéroclite d’ « objets 2.0 ». En s’opposant à l’art et, plus particulièrement à l’expression picturale de leur époque, ces artistes appellent aussi le public à exister d’une autre manière. Une manière où l’idée du « beau » n’a plus sa place, où tout, même ce qui est à priori « banal » ou « laid », peut susciter l’émerveillement et être promu à la dignité d’oeuvre d’art.
8. L’oeil attendri
La dignité des travailleurs, les loisirs du dimanche, les congés payés et le cadre de vie des habitants sont des sujets centraux pour la photographie humaniste qui émerge dans les années 1940 autour d’Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau et Willy Ronis. Ce regard agit à la fois comme un espoir et un exorcisme face à la montée des fascismes des années 1930, aux conséquences de la crise économique de 1929 et à la lente reconstruction d’un pays endeuillé après la Seconde Guerre mondiale. Les « lendemains qui chantent » sont ceux des sorties au bal, des ouvriers, des commerçants, mais aussi des premiers grands ensembles de logements sociaux qui bouleversent le paysage de la banlieue. Les premiers tirages acquis en 1986 par le Fonds Départemental d’Art Contemporain sont issus d’une commande du Conseil général du Val-de-Marne à Sabine Weiss, dernière représentante de la tendance humaniste française. L’année suivante, Robert Doisneau, François Despatin et Christian Gobeli, Jacques Faujour, François Kollar et Willy Ronis font leur entrée dans la collection. Les années 1980 marquent la fin d’une époque, la photographie ne peut plus faire comme si le monde ne changeait pas.
9. L’oeil incompris
Et si c’était un pari de vouloir faire tenir en une salle certaines problématiques de la peinture en France dans les années 1970 et 1980 ? Ces années sont celles d’une double crise qui touche à la fois l’art abstrait et un pan de l’art figuratif. En France, certaines expositions donnent un aperçu de l’abstraction contemporaine et de son évolution par rapport aux décennies précédentes. L’art abstrait est moins dominant et moins sûr de lui-même. Des ambiguïtés naissent entre des œuvres qui se ressemblent alors que les artistes ne partagent rien de commun. Certaines et certains s’expriment avec gravité, d’autres au contraire sous forme de boutades. Les différentes façons de combiner toiles et châssis répondent à une logique bien particulière et transforment finalement le tableau. Elles renvoient au retable et confirment que le tableau en tant que forme ne suffit plus. Dans cet esprit, Marie-Claude Bugeaud s’approprie la déconstruction du châssis tandis que les tondos de Jean Degottex et d’Émile Compard évitent le piège formaliste de la symétrie. Ils déconstruisent, dans cette figure pourtant symbole de la perfection et peut-être même du sacré, la géométrie pour lui donner un autre statut qui relève probablement du rituel.
10. L’oeil pilote
Entre 1957 et 1960, Jean Dubuffet consacre plusieurs centaines de peintures et de lithographies à la représentation du sol dans le cadre du cycle « Célébration du sol ». Il est convaincu que les choses en apparence les moins exceptionnelles sont source d’émerveillement. Contrairement aux apparences, Dubuffet utilise essentiellement des matières artificielles comme le papier mâché, le papier d’argent ou les pâtes plastiques. En 1960, il constate que cette entreprise revêt un aspect trop réaliste et s’engage dans une voie opposée. Dubuffet refuse tout système, l’infinie multiplicité et diversité est pour lui le propre de la création d’art. Si l’artiste se dédit de l’art informel, la critique continue encore aujourd’hui de taxer ses travaux de la sorte, en particulier, les oeuvres nées pendant sa période de « Célébration du sol ». Dubuffet considérait que ses peintures étaient trop réalistes car elles reposaient sur des allusions directes au monde réel. Envisagées à l’origine comme des « machines à fascination », ces peintures de sols fragmentés et de terres morcelées ont fini par perdre leur pouvoir de surprise et de choc.
11. L’oeil Restany
Critique d’art à partir de 1953, Pierre Restany s’engage auprès de certains artistes et prend part aux échanges concernant l’abstraction, participant notamment à son essoufflement. Sa rencontre avec Yves Klein constitue un tournant dans sa perception et sa compréhension de l’art. Ensemble, ils amorcent une révolution sur la scène artistique française. C’est aussi le début d’une multitude de rencontres et d’amitiés pour Restany : Arman, César, Raymond Hains, Villeglé, Martial Raysse, Daniel Spoerri, François Dufrêne, Takis… Le 27 octobre 1960, Restany rassemble son cercle d’amis et le Manifeste du Nouveau Réalisme voit le jour, officialisant la naissance du mouvement. Le travail de chacun des signataires témoigne du besoin de présenter l’objet tel qu’il est. Pierre Restany fonde avec son épouse, Jeannine de Goldschmidt, la galerie J qui devient un véritable lieu de recherche et d’expérimentation pour les Nouveaux Réalistes. D’apparence parfois simple, faisant sourire ou interpellant le visiteur, les oeuvres des Nouveaux Réalistes témoignent d’un profond bouleversement sociétal et d’une appropriation de la réalité par les artistes.
12. L’oeil libéré
La fin des années 1960 est marquée par une envie de liberté qui interroge les constituants mêmes de la peinture : couleur, châssis, toile mais aussi les modalités d’exposition. La scène américaine est également présente : les grands formats abstraits impliquent un nouveau rapport à l’oeuvre qui fascine les artistes français. Le groupe Supports/Surfaces prend son nom officiel en septembre 1970 mais les artistes partagent dès le milieu des années 1960 ces mêmes préoccupations. Nourris de ces influences, ils adoptent une démarche particulièrement engagée qui libère la peinture de la toile et du châssis. Ils s’inspirent aussi des méthodes artisanales tout en ravivant les savoir-faire industriels. Neuf mois après l’officialisation du groupe, la séparation est déjà là. La scission est nette : un pôle issu de la région niçoise se constitue autour de Claude Viallat tandis qu’un second, parisien, regroupe Louis Cane, Marc Devade et Daniel Dezeuze. Bien qu’il fut de courte durée, le mouvement a marqué durablement les années 1970 en réinterrogeant la place de l’oeuvre, de l’artiste au sein des institutions.
13. L’oeil périphérique
Les bords, les contours, les marges sont devenues des zones que les artistes ont souvent préféré investir plutôt que de s’attaquer au centre. Le rassemblement des trois artistes Pierre Buraglio, Sylvie Fanchon et Philippe Gronon pourrait commencer par l’oeuvre de Jean Hélion, artiste que Buraglio apprécie et cite dans ses écrits. « L’oeil périphérique » envisage la question du collage et de l’assemblage. Sylvie Fanchon dit aimer les traces d’adhésif car elles gardent le souvenir d’un frottement et d’un contact qui a eu lieu et dont il ne reste plus que les marques de différents moments de la contemplation. Les masquages de Buraglio ne couvrent pas, ils forcent à s’extraire du tableau et à considérer le rôle joué par le hors-champ. Les « châssis-presses » de Philippe Gronon évoquent quant à eux par leur esthétique l’histoire de la peinture abstraite. « L’oeil périphérique » n’indique pas forcément un seuil, il crée des bordures et des lignes pour échapper à la tyrannie du centre et pour finalement élargir le champ de vision.
14. L’oeil bobine
Dans les années 1950, le film expérimental constitue un espace de liberté nouveau. Ce médium prolonge les enjeux de l’art cinétique et traduit les préoccupations politiques de la période mais sans être pensé pour la salle de cinéma. Deux tendances de l’image en mouvement se dégagent : d’une part, une extension de la peinture abstraite ou figurative, et d’autre part, le contexte politique. Ces moyens d’expression se caractérisent par leur aspect fragmentaire qui tient encore beaucoup de l’esthétique du collage avant d’adopter le procédé du montage. Robert Breer est le premier à explorer avec humour et fantaisie les propriétés abstraites du film. Le passage d’une mécanique encore contrôlée par l’humain à un système d’assemblage qui s’en affranchit trouve sa correspondance chez Pol Bury et Clovis Prévost. Quelques années auparavant, Raymond Hains et Jacques Villeglé explorent le collage optique avec la liberté propre aux lendemains de guerre. Villeglé réalise son premier film abstrait Paris Saint-Brieuc (1950-1952) et intervient alors directement sur la pellicule – un procédé remontant au réalisateur Georges Méliès (1861-1938).
15. L’oeil fertile
« L’oeil fertile » est une sélection de documents provenant du fonds d’archives Raoul-Jean Moulin et de livres d’artistes. Elle témoigne de la richesse des fonds présents au centre de documentation du MAC VAL en lien avec les artistes de la collection du musée. Le fonds de livres d’artistes se veut le reflet des multiples formes et définitions autour de cette production artistique singulière, des années 1950 à nos jours : livre illustré, livre de dialogue, livre-objet, livres d’artistes pour les enfants… Reçues en don en 2007, les archives privées de Raoul-Jean Moulin constituent un autre fonds remarquable. Critique d’art aux journaux et revues Les Lettres françaises, Opus International et L’Humanité, commissaire d’exposition notamment du pavillon français à la,Biennale de Venise (1972), écrivain, directeur du Fondsdépartemental d’art contemporain (FDAC) du Val-de-Marne, Raoul-Jean Moulin (1934-2014) a été un témoin et un acteur de la scène française et internationale de l’art des années 1960 aux années 1990. L’immersion dans ces archives offre un nouvel éclairage sur le parcours atypique de cet autodidacte qui a contribué à la collection du FDAC et à la création du MAC VAL. Le livre d’artiste est une oeuvre d’art qui prend la forme d’un livre ou qui en adopte l’esprit.
16. L’oeil blessé
Les oeuvres de Sarkis naissent de « conversations » entre ce qu’il nomme les « protagonistes actifs ». En favorisant leur rencontre, l’artiste cherche à déséquilibrer les rythmes trop linéaires par un procédé de déconstruction des chronologies et des frontières spatiales. Placée au coeur de sa démarche, la mémoire est façonnée à partir d’éléments biographiques et de formes d’expressions multiples et communes : cinéma, théâtre, musique, photographie, littérature. Ce travail de métissage aboutit à la création d’une « oeuvre d’art totale » en prise directe avec la vie. Trésor de mémoire donne à voir onze photographies tirées de films réalisés entre 1927 et 1992. Grand lecteur des Cahiers du cinéma, c’est dans cette revue qu’il découpe les reproductions de photogrammes pour composer cet album cinématographique. Dans ce théâtre de la mémoire, Sarkis crée une mise en scène où les enfants occupent le premier rôle. Ils incarnent une foi irraisonnée en des lendemains, une promesse d’avenir qui s’accomplit à travers la mémoire de celles et ceux qui se souviennent. En choisissant la photographie, Sarkis éternise « un moment qui ne sera jamais plus » et soumet une représentation figée de ces personnages qui, dans nos esprits, resteront à jamais enfants.