đ âAnouk Kruithofâ au Centre Photographique dâĂle-de-France, Pontault-Combault, du 3 juin au 6 aoĂ»t 2023 (prolongation du 3 au 16 septembre 2023)
âAnouk Kruithofâ
Tentacle togetherness
au Centre Photographique dâĂle-de-France, Pontault-Combault
du 3 juin au 6 août 2023 (prolongation du 3 au 16 septembre 2023)
Centre Photographique d’Ăle-de-France
Anouk Kruithof
PODCAST – Interview de Anouk Kruithof,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 26 mai 2023, durĂ©e 17â01,
© FranceFineArt.
(avec l’aimable traduction de Nathan Magdelain)
Extrait du communiqué de presse :
Plurielle, la pratique dâAnouk Kruithof procĂšde dâun mouvement irrĂ©sistible dâaccumulation dâintuitions, de rencontres, dâimages, de matiĂšres⊠Ses recherches se dĂ©veloppent de façon tentaculaire, selon une logique de rĂ©seau dessinant un champ de rĂ©flexion aux frontiĂšres mouvantes. Lâartiste sâintĂ©resse notamment Ă la relation entre humain et non-humain, Ă lâenvironnement, au vivre-ensemble mais Ă©galement aux Ă©tats dâĂąme individuels, Ă la profusion dâimages et Ă leurs usages. Autant de thĂšmes dont elle rĂ©vĂšle lâinterconnexion profonde.
Ă cette absence de cloisonnement fait souvent Ă©cho lâhybridation du medium. Sculptures Ă la « peau dâimages » ou qui « transpirent », tirages-prothĂšses ou organiques, troublent les frontiĂšres acquĂ©rant un statut incertain. PolysĂ©miques, ces piĂšces nous incitent Ă dĂ©construire les catĂ©gories sur lesquelles est bĂątie notre pensĂ©e â telles que nature, culture, technologie â aussi bien quâĂ interroger les notions de photographie et sculpture.
Le travail dâAnouk Kruithof intĂšgre souvent une forte dimension collaborative. Un dialogue collectif se tisse alors en dehors de lâatelier, parfois mĂȘme dans le monde virtuel dâInternet. Les participant·es sont ainsi appelé·es, de façon joyeuse, au partage et Ă la prise de conscience au sein dâun espace relationnel dĂ©pourvu de barriĂšres.
RĂ©unissant des productions allant de 2013 Ă 2022, lâexposition au Centre Photographique dâĂle-de-France est la premiĂšre monographie dâenvergure dâAnouk Kruithof en France. Conçue comme une totalitĂ© organique alliant images, sculptures, performances et installations, cette proposition fait Ă©tat dâune dĂ©marche foisonnante oĂč dimensions sensible et conceptuelle fusionnent, suggĂ©rant dâautres façons dâapprĂ©hender le monde.
Cette exposition sâinscrit dans le programme Les PrĂ©cipitĂ©s (#7). Elle fait suite Ă la participation de lâartiste Ă la rĂ©sidence internationale du CPIF en 2022, avec le soutien de lâInstitut Français et de la CitĂ© Internationale des Arts.
Anouk Kruithof est une artiste néerlandaise née à Dordrecht en 1981. Actuellement, elle vit et travaille entre Bruxelles (Belgique) et Botopasi (Suriname), elle est représentée par la galerie Valeria Cetraro (Paris).
Artiste de renommĂ©e internationale, Anouk Kruithof a bĂ©nĂ©ficiĂ© de nombreuses expositions individuelles et collectives Ă travers le monde, notamment au MoMA (New York), au Stedelijk Museum et au FOAM (Amsterdam), ainsi quâau Centro de la Imagen (Mexique). En 2020, son travail a Ă©tĂ© notamment montrĂ© au CPIF dans la cadre de lâexposition collective La Photographie Ă lâĂ©preuve de lâabstraction.
Lâexposition
Sweat-Stress / 2013-2015
Avec Sweat-Stress, Anouk Kruithof invite Ă envisager le phĂ©nomĂšne de la gĂȘne, de la nervositĂ© ou du stress. Par une subversion des conventions de non-reprĂ©sentation, elle met Ă lâhonneur lâune des manifestations tangibles de ces Ă©tats dâĂȘtre, Ă savoir la transpiration. Sâattachant Ă attribuer une valeur esthĂ©tique Ă ce phĂ©nomĂšne, lâartiste nous confronte aux normes sociales qui imposent de dissimuler nos fragilitĂ©s. Sweat-Stress est le fruit dâune sĂ©ance de prise de vue menĂ©e dans le cadre dâune performance collective, Ă un « workshop de transpiration » auquel vingt-cinq personnes ont Ă©tĂ© invitĂ©es Ă participer. Tandis que le thĂšme abordĂ© relĂšve de la psychologie collective, les choix esthĂ©tiques opĂ©rĂ©s – le recours Ă des gros plans, le cadrage serrĂ© et la fascination pour les couleurs vibrantes – semblent troubler la valeur indicielle de la photographie. Ces rĂ©flexions sont par ailleurs prolongĂ©es avec les Sweaty Sculptures qui, par la multiplicitĂ© des points de vue et lâinstabilitĂ© du regard, viennent bousculer le statut de lâimage fixe.
Facade / 2014
Facade (Façade) est une sculpture photographique se nourrissant du regard quâAnouk Kruithof porte sur New-York. Cumulant jeux de reflets, altĂ©rations chromatiques, multiplication dâimages et de points de vue, cette piĂšce Ă©voque lâanonymisation propre Ă la grande ville, ainsi que les possibles failles de lâidentitĂ© sociale derriĂšre laquelle se cache lâindividu – ici des personnes du monde de la finance. Association dynamique dâimages photographiques et de matĂ©riaux de construction, Facade est le fruit dâune relation ambivalente au medium photographique, qui oscille entre fascination et scepticisme.
#Evidence / 2015
InspirĂ©e par lâouvrage Evidence* (Larry Sultan et Mike Mandel, 1977), Anouk Kruithof en renouvelle les questionnements Ă une Ă©poque oĂč la photographie est incessamment partagĂ©e Ă lâĂ©chelle du globe. En 2015, elle mĂšne un travail de rĂ©appropriation dâimages issues des comptes Instagram dâinstitutions, dâagences gouvernementales et dâentreprises Ă©tasuniennes. RĂ©alisĂ©es Ă des fins promotionnelles, celles-ci acquiĂšrent, une fois rĂ©activĂ©es, des significations inĂ©dites par la recontextualisation, le dĂ©coupage ou autres altĂ©rations. Pour le projet #Evidence, Anouk Kruithof souhaite avant tout explorer et cĂ©lĂ©brer lâimage digitale des nouveaux mĂ©dias en tant que source dâinspiration inĂ©puisable et emblĂšme de la curiositĂ© humaine. Tirant profit de lâomniprĂ©sence de la photographie, cette recherche propose par ailleurs un utile contrepoint Ă sa consommation acritique en invitant les visiteur·ses Ă questionner les politiques de crĂ©ation et diffusion de lâimage.
* PubliĂ© en 1977, les photographes Larry Sultan (1946â2009) et Mike Mandel (nĂ© en 1950) publiĂšrent un livre qui transforma radicalement Ă la fois la photographie et le livre photographique. Parmi des milliers dâimages issues de laboratoires industriels, Ă©ducatifs, scientifiques ou Ă©tatiques, Sultan and Mandel ont opĂ©rĂ© un choix privilĂ©giant celles considĂ©rĂ©es comme « transparentes » ou « instrumentales ». Lâouvrage Evidence (titre pouvant ĂȘtre traduit par « preuve » ou « Ă©vidence ») constitue un exemple liminaire de la photographie conceptuelle.
Neutrals / 2015 â 2018
Dans la continuitĂ© de #Evidence, Anouk Kruithof dĂ©veloppe Neutrals Ă partir dâincursions sur le compte Instagram de lâAdministration Ă©tasunienne pour la SĂ©curitĂ© des Transports (TSA). Les images diffusĂ©es par la TSA font Ă©tat de la saisie dâobjets illĂ©galement dĂ©tenus, principalement des armes. RĂ©alisĂ©es dans un but de documentation, ces photographies donnent Ă voir aussi bien lâobjet saisi quâun document dâidentitĂ© du ou de la responsable de lâinfraction. Pour des raisons de confidentialitĂ©, lors de la publication, les visages sont floutĂ©s. Poursuivant sa pratique de rĂ©appropriation, Anouk Kruithof se concentre ici sur ce qui reste de ces photographies dâidentitĂ©, Ă savoir des halos de couleur dont elle rĂ©alise des impressions sur du PVC, du vinyle ou du plastique. Les tirages obtenus sont ensuite posĂ©s sur des structures mĂ©talliques se dressant comme autant de corps aux postures variĂ©es. Des ĂȘtres dâun nouveau type, nĂ©s de la rencontre entre lâhumanitĂ© et la technologie. PolysĂ©miques, les sculptures photographiques issues de Neutrals touchent autant Ă la crise de la dichotomie « humain / technologie » quâaux relations entre politiques de lâimage et du contrĂŽle social.
Stonewall, Squabble, Huff, Puff, Folly et Petrified sensibilities / 2017
Ă partir de vues aĂ©riennes de dĂ©sastres environnementaux, Anouk Kruithof rĂ©alise des tirages sur du latex. Ces surfaces molles, auxquelles elle intĂšgre des masques mĂ©dicaux et des tubes Ă oxygĂšne, sont ensuite accrochĂ©es au mur. Informes, certaines dâentre elles sont posĂ©es au sol, parfois sur des volumes rappelant des rochers ou bien sur des prothĂšses. RĂ©activĂ©es par lâartiste, ces images sâaffirment dĂ©sormais en tant quâobjets hybrides, attrayants et repoussants, susceptibles de problĂ©matiser Ă la fois lâambivalence du progrĂšs technique de lâhumanitĂ© et le statut de lâimage web : seule trace, seule preuve dâune rĂ©alitĂ© catastrophique, celle-ci finit par devenir le rĂ©el en soi.
Ice Cry Baby et Gloss Over / 2017
Ice Cry Baby se prĂ©sente comme une succession dâeffondrements de glaciers. TrouvĂ©es sur la plateforme Youtube, les vidĂ©os sĂ©lectionnĂ©es nâapportent en rĂ©alitĂ© aucun Ă©clairage sur le dĂ©rĂšglement climatique, dont elles donnent pourtant Ă voir lâune des manifestations les plus marquantes. Sensible aux risques environnementaux, lâartiste rĂ©active une fois de plus les ressources du web au service dâune tentative de prise de conscience de la consommation superficielle de celles-ci mĂȘmes. Confronté·es Ă un enchaĂźnement de sĂ©quences dâeffondrements, les visteur·ses ont alors lâopportunitĂ© de sâinterroger Ă la fois sur la banalisation et la spectacularisation dâĂ©vĂ©nements tragiques. Des questionnements du mĂȘme ordre animent la vidĂ©o Gloss Over oĂč des photographies de glaciers sont intĂ©grĂ©es Ă des modĂ©lisations en trois dimensions. Les objets de synthĂšse ainsi obtenus Ă©veillent la curiositĂ© des spectateur·rices et rĂ©vĂšlent par la mĂȘme occasion le pouvoir de fascination exercĂ© par les images partagĂ©es grĂące aux nouveaux mĂ©dias.
Trans Human Nature / 2019 â 2021
Anouk Kruithof rĂ©side plusieurs mois par an Ă Botopasi, village de lâAmazonie surinamienne. Si la vie semble sây dĂ©rouler en symbiose avec le milieu naturel, la technologie occupe une place grandissante dans le quotidien de sa communautĂ©. Câest Ă partir de ce simple constat que lâartiste dĂ©veloppe le projet Trans Human Nature. Lâartiste glane tout dâabord sur Internet des images de fiction technologique dont elle rĂ©alise des tirages sur des tissus ou du PVC. Au cours de dĂ©placements sur la riviĂšre Suriname et au sein de la forĂȘt tropicale, ceux-ci sont notamment immergĂ©s dans lâeau ou partiellement occultĂ©s derriĂšre des feuillages pour ĂȘtre ensuite photographiĂ©s. Câest ainsi que de nouvelles figures apparaissent laissant prĂ©sager des synergies inattendues et soulignant la prĂ©caritĂ© des sĂ©parations entre lâhumain, la technologie et la nature. TournĂ© vers un futur en construction, le projet nâest pas sans Ă©voquer les dangers liĂ©s au progrĂšs.
Universal Tongue / 2018 â 2022
Universal Tongue est un projet participatif autour de la danse, ainsi que de son omniprĂ©sence dans la culture mĂ©diatique globale notamment sur le web. Avec la collaboration de cinquante-deux chercheur·ses du monde entier, Anouk Kruithof a recueilli 8 800 vidĂ©os de danses de tous types publiĂ©es sur YouTube, Instagram et Facebook. Ă partir de cette base de donnĂ©es, elle a dĂ©veloppĂ© une oeuvre transmĂ©dia qui sâarticule autour dâun site internet (www.universaltongue.com), dâun ouvrage et de plusieurs installations vidĂ©o â dont celle prĂ©sentĂ©e au CPIF. Par cette accumulation de sources, Universal Tongue cĂ©lĂšbre la nature universelle de la danse en tant que forme dâexpression et vecteur de « self-empowerment ». Lâabolition de toute sorte de classification usuellement basĂ©e sur lâorigine gĂ©ographique, le contexte culturel de rĂ©fĂ©rence ou le style – fait par ailleurs Ă©cho Ă certains concepts qui, pour Anouk Kruithof, dĂ©finissent notre Ă©poque, Ă savoir la fluiditĂ©, lâinterconnexion et lâhybriditĂ©.
Perpetual Endless Flow / 2021
Perpetual Endless Flow exprime les inquiĂ©tudes profondes causĂ©es par la globalisation, la surconsommation et la pollution. TrouvĂ©s sur le web, des milliers de visuels faisant allusion aux urgences environnementales et sociales habitent la surface de plusieurs sculptures photographiques et collages. Il est possible de reconnaĂźtre des glaciers en danger, des bactĂ©ries, des dĂ©chets spatiaux, des images de protestations⊠autant de cris dâalarme semblant sâĂ©lever de toutes parts. Cette couche dâimages reprĂ©sente par ailleurs ce que les psychologues anglo-saxons appellent « emotional skin » : une barriĂšre nous protĂ©geant des critiques et dĂ©finissant notre identitĂ©. Pour ce projet, Anouk Kruithof a souhaitĂ© utiliser principalement des matĂ©riaux de recyclage. Ainsi, ces sculptures photographiques sont notamment constituĂ©es de cales en polystyrĂšne issues dâemballages de produits Ă©lectroniques. Fusion ultime entre lâhumanitĂ© et ses dĂ©chets, ces silhouettes sont susceptibles dâĂ©veiller des sentiments discordants de familiaritĂ© et dâĂ©trangetĂ©.