🔊 “La Haine des clans” Guerres de Religion, 1559-1610, au musée de l’Armée, hôtel des Invalides, Paris, du 5 avril au 30 juillet 2023
“La Haine des clans”
Guerres de Religion, 1559-1610
au musée de l’Armée, hôtel des Invalides, Paris
du 5 avril au 30 juillet 2023
PODCAST – Interview de LaĂ«titia Desserrières, chargĂ©e de la collection de dessins, dĂ©partement beaux-arts et patrimoine et co-commissaire de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 4 avril 2023, durée 21’44.
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat musée de l’Armée-Invalides :
Laëtitia Desserrières, chargée de la collection de dessins, département beaux-arts et patrimoine
Christine Duvauchelle, chargée des collections d’archéologie et du Moyen-Orient, département Ancien Régime
Olivier Renaudeau, conservateur en chef du patrimoine, chef du département Ancien Régime
Morgane Varin, assistante, département Ancien
RĂ©gime
La seconde moitié du XVIe siècle constitue la « part sombre » de la Renaissance, marquée en France par les querelles religieuses, les troubles civils et une profonde remise en cause du pouvoir royal : un âge de désordre et de déraison, qui, en quarante ans et huit guerres de Religion, va embraser le royaume en une succession d’affrontements, de répressions, de scandales et de massacres, bouleversant l’équilibre du pays de façon inédite. C’est aussi un moment-clef de l’histoire nationale, peut-être la plus grave crise subie par l’Ancien Régime : elle a marqué de manière indélébile notre mémoire et l’imaginaire collectif, notamment par une frénésie de violences, qui trouvent leur paroxysme dans l’épisode sanglant de la Saint-Barthélemy.
Troubles et régicides
Le musée de l’Armée consacre une exposition à l’histoire fascinante et excessive de ces guerres de Religion. Quels en sont les ressorts ? Les enjeux ? Les temps forts ? Les protagonistes ? Le parcours retrace ainsi les troubles effrénés qui ont divisé le royaume entre la mort accidentelle d’Henri II, en 1559, et l’assassinat d’Henri IV, en 1610, signant la fin du règne d’un souverain pacificateur et promulgateur de l’édit de Nantes, mais également victime, comme son prédécesseur, d’un régicide.
La haine des clans
L’un après l’autre sont convoqués tous les grands acteurs de l’époque, dont les armures sont conservées dans les collections du musée de l’Armée. De la Ligue « ultra »-catholique menée par les Guise au clan protestant conduit par les Condé, en passant par le parti plus modéré des Montmorency, les rivalités aristocratiques et politiques se mêlent aux conflits religieux. Pièces d’équipements guerriers, portraits, documents d’archives et ouvrages anciens font revivre les destins et les cheminements individuels des grands courtisans, chefs de guerre et chefs de parti, qui ont tour à tour soutenu ou combattu le pouvoir monarchique. L’exposition évoque aussi l’écho international rencontré par ces guerres de Religion, de la Pologne aux Pays-Bas et jusqu’aux éphémères colonies du Nouveau Monde.
Écho contemporain
Par bien des aspects, ce moment exacerbé de notre histoire entre singulièrement en résonance avec notre réalité contemporaine, non seulement dans ses mécanismes sous-jacents, mais aussi dans ses représentations, notamment à travers l’intense production d’images, de pamphlets, de placards qui en fait le premier conflit médiatique de l’Histoire. L’exposition offre ainsi l’occasion de s’interroger sur la place de l’image et de la rhétorique dans les conflits, sur la marche de notre société en temps de guerre civile, sur les enjeux et les limites de l’action politique, ainsi que sur la longue maturation de l’État. Car c’est aussi au cours de cette période complexe que se sont inventés, douloureusement, le vivre ensemble et nos formes modernes de gouvernement.
Parcours de l’expositionÂ
1. La Foi déchirée
Dès 1521, la publication des 95 thèses de Martin Luther trouve des échos en France, où des opuscules du moine allemand sont imprimés et diffusés. À la cour, Marguerite de Navarre, soeur de François Ier et protectrice des « évangéliques » favorables à la réforme de l’Église romaine, s’oppose au conservatisme des conseillers du roi. Le souverain oscille quant à lui entre tolérance et sévérité, lors des attentats commis contre des statues de saints ou au moment de l’affaire des placards, en 1534, qui voit des affiches contre la messe fleurir jusque dans les résidences royales. Le réformateur Jean Calvin lui dédie son Institution de la religion chrétienne en 1536. Le roi négocie volontiers des alliances avec des princes protestants opposés à Charles Quint. Depuis Genève, Calvin organise dès 1541 l’Église réformée française, mais les premières communautés se mettent en place vers 1555 et leur nombre croît considérablement à la fin du règne d’Henri II. En 1562, elles sont autour de 1 400, regroupant près de 2 millions de fidèles, soit 10 % de la population du royaume.
2. La France en ses frontières
Sous François Ier et Henri II, on assiste à un renforcement de l’autorité et à une centralisation de l’administration royale. Le royaume de France est alors le plus peuplé d’Europe, avec de nombreux atouts : des terres agricoles riches, une production manufacturière importante et un sentiment national naissant. Cependant, la fin des guerres d’Italie en 1559 marque un tournant. La banqueroute de l’État, la mort accidentelle d’Henri II sans héritier en âge de régner et les premières querelles religieuses affaiblissent le pouvoir royal. La société, confrontée à de nombreuses incertitudes, hausses de prix, disettes, retour des épidémies de peste, se tourne vers Dieu, mais parallèlement perd confiance dans ses médiateurs (Église romaine, clergé), ce qui génère une grande angoisse et un phénomène de conversions à la Réforme. Avec la signature du traité du Cateau-Cambrésis (3 avril 1559), qui consacre l’hégémonie espagnole, la France renonce à la majorité de ses possessions italiennes, mécontentant une partie de la noblesse qui se voit privée de son champ d’honneur et de richesses, tout en la questionnant sur sa position sociale. La France conforte cependant son territoire en récupérant Calais et en gardant les Trois-Évêchés (Metz, Toul, Verdun).
3. De l’art de commencer une guerre
Dès l’avènement de François II en 1560, ses oncles François de Lorraine, duc de Guise, et Charles, cardinal de Lorraine entrent au Conseil royal, où ils exercent une forte influence. La conjuration d’Amboise en 1560, menée par des protestants pour écarter les Guise du pouvoir, donne lieu à une sévère répression et contribue à accroître les dissensions. La mort de François II, le 5 décembre 1560, place sur le trône son frère Charles IX, encore mineur, ouvrant une période de régence de leur mère Catherine de Médicis, marquée par une politique de dialogue entre les partis. Mais les tentatives de conciliation (états généraux d’Orléans en 1560, colloque de Poissy en 1561 et édit de Janvier en 1562) sont toutes des échecs. Aux divisions religieuses se superposent des rivalités politiques entre les grandes familles de la noblesse et des conflits sociaux dans une période de grave crise financière. Ces tensions aboutissent au déclenchement de la première guerre civile en mars-avril 1562, accompagnée d’une vague d’iconoclasme. Pour les protestants, le massacre de Wassy, le 1er mars 1562, marque le début des hostilités, tandis que les catholiques considèrent la prise d’Orléans par Louis Ier de Condé le 2 avril comme le commencement du conflit. Cette première guerre civile marque le début d’une période de quarante ans d’affrontements armés en France.
4. Violences et massacres. La Saint-Barthélemy
La seconde moitié du XVIe siècle constitue une période de violences au cours de laquelle assassinats et tueries se multiplient. Le début des guerres de Religion est marqué par des actes d’iconoclasme et les destructions, perpétrées par les huguenots, d’objets ou d’images liés au culte. Les catholiques répondent à ces saccages par des massacres en vue d’exterminer les « hérétiques » comme à Wassy, Sens, Tours et Orange. Il faut attendre la deuxième guerre de Religion pour que des catholiques soient massacrés par des protestants (Nîmes, 1567). Ces tueries trouvent leur paroxysme dans l’épisode le plus connu et le plus violent des guerres de Religion, la Saint-Barthélemy, en août 1572. Elle débute par l’assassinat de l’amiral de Coligny et des chefs protestants présents à Paris au lendemain du mariage d’Henri de Navarre, futur Henri IV, et de Marguerite de Valois, soeur du roi Charles IX, puis dégénère en un massacre généralisé qui ensanglante Paris pendant trois jours et se répand dans d’autres villes. Le nombre cumulé de victimes est estimé à 10 000 morts. Aujourd’hui encore, les historiens s’interrogent sur le déroulement exact et les responsables de ces débordements, et l’historiographie récente tente de mettre un visage sur leurs acteurs, bourreaux comme victimes.
5. La guerre des esprits, les factions et le régicide
Les affrontements religieux et politiques se jouent aussi sur le papier : favorisés par l’essor de l’imprimerie, les pamphlets, placards et opuscules de propagande saturent les opinions, atteignant toutes les couches de la population. Cette intense « guerre des esprits » en fait le premier conflit médiatique de l’Histoire. Ces libelles ou ces traités ne reflètent pas seulement la lutte binaire entre catholiques et protestants ; le conflit religieux devient une guerre de partis, animés par des ambitions politiques ou des haines personnelles. En 1574, Les Malcontents, conduits par François d’Alençon, frère du roi, s’allient militairement avec les protestants pour contrer l’influence des Guise. En réaction, les catholiques radicaux créent une Ligue en 1576, soutenue par l’Espagne, qui durcit ses positions lorsque le protestant Henri de Navarre, futur Henri IV, devient seul héritier du trône en 1584. Le climat de haine cultivé par la Ligue aboutit à deux régicides successifs : celui d’Henri III puis celui d’Henri IV. Ces meurtres, sans précédent dans l’histoire de France, sont perçus comme des parricides et vont finir de discréditer les séditions.
6. Le monde, théâtre des guerres de Religion
La royauté française, notamment grâce à Catherine de Médicis, déploie au cours des guerres de Religion une diplomatie active avec les cours étrangères, et ce au-delà des confessions religieuses. Les projets matrimoniaux impliquant les enfants royaux sont un des aspects de cette politique extérieure. De plus, la France poursuit des desseins « ultra-marins » : dès 1555, l’amiral de Coligny initie des expéditions au Brésil et en Floride où d’éphémères colonies, perçues comme des menaces par l’Espagne et le Portugal, permettent la cohabitation entre catholiques et protestants. Les troubles qui se déroulent en France inquiètent les États européens, qui s’impliquent en faveur de l’un ou l’autre des partis. L’ancienne alliance avec les cantons suisses apporte à l’armée royale des fantassins réputés, quoique coûteux. L’Espagne soutient le roi de France contre les protestants et subventionne la Ligue quand elle s’oppose aux catholiques modérés et au calviniste Henri de Navarre, futur Henri IV. Les États protestants, comme les Pays-Bas, l’Angleterre, le Palatinat ou le Danemark, apportent aux huguenots subsides et troupes.
7. Politique en fĂŞte
Pour présenter son royaume au jeune Charles IX son fils, Catherine de Médicis organise un long tour de France de 1564 à 1566. Ce voyage valide la nouvelle politique de pacification religieuse et de rétablissement de l’ordre public entérinée par l’édit d’Amboise (1563) qui met fin à la première guerre de Religion. Ce tour de France est l’occasion de grandes festivités illustrant la culture chevaleresque : festins, bals, mascarades, naumachies et tournois. L’entrevue de Bayonne avec l’Espagne en 1565 ou les noces de Charles IX et d’Élisabeth d’Autriche le 21 novembre 1570, mêlent diplomatie et réjouissances. En 1572, les fêtes du mariage d’Henri de Navarre Armure d’enfant de la cour de France, 1560-1570 Antoine Caron, Portrait de Catherine de Médicis en veuve (détail), 1561-1574, Musée du Louvre, Paris et de Marguerite de Valois mettent en scène la concorde entre les partis par la musique, la poésie et les tournois. Pour les noces de l’« archimignon » d’Henri III, Anne de Joyeuse, avec Marguerite de Lorraine-Vaudémont (sœur de la reine Louise, épouse d’Henri III) le 24 septembre 1581, des fêtes spectaculaires ont cette fois pour but de mettre en images l’apaisement des passions, tout en assurant l’obéissance des princes lorrains. Catherine de Médicis, qui mécène poètes et peintres, a été la grande ordonnatrice de ces festivités qui faisaient de la cour le lieu de l’harmonie retrouvée et de la réconciliation autour du roi.
8. Gouverner en temps de guerre civile
Malgré les conflits militaires, les dissensions et une politique menée par à -coups, la période des guerres de Religion s’avère capitale dans la construction de l’État monarchique. À la disparition d’Henri II, l’érosion de l’autorité du souverain offre aux Grands (Montmorency, Bourbons, Guise, Chatillon) la possibilité d’afficher leurs rivalités et leur prétention à diriger le Conseil, donc le gouvernement royal. Cette présomption ne disparaît qu’avec la mort des protagonistes et les différentes réformes administratives entreprises par la Couronne, en particulier celles d’Henri III, en 1574 et 1588, Le Greco, Portrait du cardinal Charles de Lorraine (1524-1574), 1572, Zürich, Kunsthaus qui visent à renforcer l’appareil d’État avec un personnel qualifié et spécialisé, et à rétablir l’autorité du roi, à un moment où cette dernière est contestée comme jamais. Pendant quarante ans, malgré la pression des partis ou les ingérences étrangères, l’État royal tente de maintenir la paix, comme l’illustrent les tentatives de conciliation de Catherine de Médicis, avec le colloque de Poissy (1561), les convocations des états généraux, ou la promulgation d’édits de tolérance et de pacification qui garantissent aux protestants des droits politiques ou une certaine liberté de culte.
9. RĂ©conciliations ?
Dès son accession au trône, Henri IV est en butte à une très vive opposition intérieure et doit partir à la reconquête de son royaume et de ses sujets. Sa lutte passe par les armes et une propagande intensive. Cependant, le roi compte davantage sur les négociations et les concessions pour ramener ligueurs et anciens ennemis dans le parti royaliste. Sa conversion au catholicisme et son abjuration à Saint-Denis le 25 juillet 1593 représentent les véritables points de basculement multipliant les adhésions des ligueurs. Il établit également près de soixante-dix édits de pacification entre 1594 et 1598. Le dernier ligueur se soumet le 20 avril 1598. Le roi signe quelques jours plus tard l’édit de Nantes qui garantit les libertés religieuses. Le 2 mai 1598, la paix de Vervins met fin à la guerre avec l’Espagne, rétablissant ainsi la paix à l’intérieur et à l’extérieur du royaume et mettant fin à près de quarante ans de guerre civile.
10. Et après…
L’édit de tolérance de 1598 n’est cependant qu’un éphémère répit dans la longue confrontation de la monarchie catholique avec les protestants. L’édit de grâce d’Alès, signé en 1629 par le cardinal de Richelieu, garantit aux huguenots leur liberté de culte, mais leur ôte leurs privilèges politiques et leurs places de sûreté. La révocation de l’édit de Nantes en 1685 entraîne l’exil massif des huguenots et une résistance armée dans les Cévennes. L’édit de Versailles, en 1787, ouvre quant à lui la voie à leur reconnaissance civile, confirmée par l’éphémère constitution de 1791, qui leur accorde leur pleine citoyenneté. La césure définitive entre le politique et le religieux, entre l’État et la foi, est accomplie par la loi de séparation de 1905, toujours en vigueur aujourd’hui.