đ âNĂ©o-Romantiquesâ au musĂ©e Marmottan Monet, Paris, du 8 mars au 18 juin 2023
âNĂ©o-Romantiquesâ
Un moment oubliĂ© de lâart moderne 1926-1972
au musée Marmottan Monet, Paris
du 8 mars au 18 juin 2023
PODCAST – Interview de Ărik DesmaziĂšres, artiste graveur, acadĂ©micien et directeur du musĂ©e Marmottan Monet,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 8 mars 2023, durĂ©e 15â09.
© FranceFineArt.
(photo : © Gilles Kraemer, Le Curieux des Arts)
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat :
Patrick MauriĂšs, Ă©crivain, Ă©diteur et critique culturel.
Le musĂ©e Marmottan Monet prĂ©sente du 8 mars au 18 juin 2023, lâexposition « NĂ©o-Romantiques, Un moment oubliĂ© de lâart moderne 1926-1972 ». PrĂšs dâune centaine dâoeuvres, issues de collections privĂ©es et publiques seront rĂ©unies pour faire (re) dĂ©couvrir lâun des premiers mouvements post-modernes fondĂ© sur la remise en cause de lâabstraction et sur le retour Ă la figure. Sous le commissariat de Patrick MauriĂšs, lâexposition mettra Ă lâhonneur les artistes ayant participĂ© Ă ce courant, tels que le français Christian BĂ©rard (1902-1949), les russes Pavel Tchelitchew (1898-1957), EugĂšne (1899-1972) et LĂ©onide Berman (1898-1976) et le hollandais Kristians Tonny (1907-1977). Dâabord rĂ©unis Ă Paris, dans les annĂ©es 1920, ces derniers vont participer Ă la scĂšne artistique amĂ©ricaine, anglaise et italienne crĂ©ant des ponts entre Picasso, le surrĂ©alisme, les figuratifs du XXe siĂšcle et les arts vivants pour lesquels ils crĂ©Ăšrent des spectacles mĂ©morables.
En fĂ©vrier 1926, une exposition Galerie Druet Ă Paris fut lâĂ©vĂ©nement artistique et mondain de la saison. Elle prĂ©sentait un groupe de jeunes peintres qui prenaient acte de lâĂ©puisement de lâabstraction moderniste, et proposaient un retour vers une nouvelle forme de figuration. On peut y voir le premier mouvement post moderne en quelque sorte de lâhistoire. Il sâagissait des français Christian BĂ©rard (1902-1949) et ThĂ©rĂšse Debains (1897-1975), des russes Pavel Tchelitchew (1898-1957), EugĂšne (1899-1972) et LĂ©onide Berman (1898-1976), du hollandais Kristians Tonny (1907-1977).
Le critique Waldemar George, qui prit immĂ©diatement conscience du sens que revĂȘtait cette exposition baptisa les peintres ainsi rassemblĂ©s du nom de « nĂ©o-romantiques » ou « nĂ©o-humanistes ».
James Thrall Soby, important collectionneur et figure de lâart moderne aux USA, publia, dix ans plus tard, le seul livre, au demeurant fondamental, qui leur ait jusquâĂ prĂ©sent Ă©tĂ© consacrĂ© : After Picasso. Titre significatif car il met au centre de leur dĂ©marche Ă la fois la figure et lâinfluence formidables de Picasso (en particulier dans ses pĂ©riodes bleue et rose) et la volontĂ© (ou lâimpossibilitĂ©) de le dĂ©passer, de dĂ©gager de nouvelles voies. Il serait de ce point de vue plus judicieux de voir en eux des « nĂ©o-maniĂ©ristes », comme le proposa AndrĂ© Chastel, dressant le parallĂšle avec la problĂ©matique des peintres qui durent assumer lâhĂ©ritage Ă©crasant de LĂ©onard et Michel-Ange.
Quoique liĂ©s dâamitiĂ©, ces divers artistes ne furent pas rĂ©unis dans lâunitĂ© dâun mouvement, et suivirent ensuite, en particulier Ă cause de la guerre, des trajets divers. Si BĂ©rard resta Ă Paris, oĂč il devait mourir prĂ©maturĂ©ment, les frĂšres Berman et Tchelitchew partirent pour les Etats-Unis oĂč ils restĂšrent de longues annĂ©es avant de revenir en Europe, Ă Rome singuliĂšrement, oĂč Tchelitchew et EugĂšne Berman finirent leur carriĂšre.
ConsĂ©quence de ce cosmopolitisme assumĂ©, lâhistoire du « nĂ©o romantisme » implique des figures aussi diverses que celles de Gertrude Stein (qui en parle dans lâAutobiographie dâAlice B Toklas), Alfred Barr, Lincoln Kirstein, George Balanchine, le musicien Virgil Thompson, Chick Austin du Wadsworth Atheneum, George Platt Lynes, Joseph Cornell et le galeriste Julian Levy aux Ătats-Unis ; Edward James, Cyril Connolly, Edith Sitwell, Cecil Beaton, Peter Watson, mais aussi deux dĂ©butants –Lucian Freud et Francis Bacon — en Angleterre.
Berman et Tchelitchew furent aussi des figures importantes de la scÚne artistique italienne dans les années soixante, retrouvant de Chirico, qui avait été une figure majeure de leurs débuts, et son frÚre Alberto Savinio.
Enfin, figures de la mondanitĂ© de lâĂ©poque, ces peintres furent liĂ©s Ă des figures telles que celles de Christian Dior (qui organisa leur seconde exposition), Marie Laure de Noailles, Marie Blanche de Polignac (fille de Jeanne Lanvin), Elsa Schiaparelli ou Helena Rubinstein (dont Tchelitchew dĂ©cora lâappartement de lâĂźle Saint-Louis). Marginal en apparence seulement, ce chapitre mĂ©connu de lâhistoire de lâart moderne fait non seulement le lien entre Picasso, le surrĂ©alisme et les grands figuratifs du XXe siĂšcle (auxquels ajouter Balthus) â mais aussi entre les diffĂ©rentes formes dâart : peinture, opĂ©ra et ballet, auxquelles ils sâintĂ©ressĂšrent et pour lesquels ils crĂ©Ăšrent des spectacles mĂ©morables.
Parcours de lâexposition â extrait
Il est plutĂŽt rĂ©confortant de penser que lâhistoire de lâart moderne, dont on imagine connaĂźtre les moindres dĂ©tails, recĂšle encore des zones dâombre et des terres inexplorĂ©es. Câest que le grand rĂ©cit de cette histoire de lâart au cours du XXe siĂšcle se paie de silences et dâomissions que le temps contribue Ă rĂ©parer. Tel est le cas du courant nĂ©o-romantique restĂ© dans les marges des mouvements artistiques, tout en jouissant dâune rĂ©putation discrĂšte et du soutien de personnalitĂ©s aussi fameuses que Gertrude Stein, Julien Green ou Jean Cocteau.
La prĂ©sente exposition est la seule dâune telle ampleur Ă ĂȘtre consacrĂ©e Ă ce mouvement depuis son apparition en 1926. Elle rassemble Ă nouveau, Ă prĂšs de cent ans dâĂ©cart, les participants de la manifestation initiale qui, organisĂ©e Ă lâimproviste par de jeunes artistes liĂ©s dâamitiĂ©, devait cristalliser une nouvelle sensibilitĂ© et trouver un Ă©cho non seulement en France mais en Europe et aux Ătats-Unis jusque dans les annĂ©es 1970.
Une académie imaginaire
Artiste excentrique et touche-Ă -tout, Sir Francis Rose (1909-1979), dont on retrouvera un ensemble dâoeuvres dans le parcours de lâexposition, passa son adolescence dans le sud de la France et frĂ©quenta trĂšs tĂŽt un milieu dont sa mĂšre, particuliĂšrement fantasque, Ă©tait familiĂšre : dâIsadora Duncan Ă Jean Cocteau, Christian BĂ©rard ou Max Jacob. Il sâinstalla Ă Paris entre 1929 et 1936, se forma auprĂšs de Francis Picabia et, bizarre binĂŽme, JosĂ© Maria Sert, avant de se voir chaperonnĂ© par Gertrude Stein qui lui tĂ©moigna dâune indĂ©fectible amitiĂ©. Jamais Ă court dâentregent, il mena dĂšs les annĂ©es 30 une carriĂšre internationale entre Paris, Londres et New York. La toile imposante que lâon prĂ©sente ici, composĂ©e en 1938, fut exposĂ©e au Petit Palais lâannĂ©e suivante et revient aujourdâhui Ă Paris pour la premiĂšre fois⊠Elle rassemble des figures aussi diverses que lâhistorien Henry-Russel Hitchcock, le danseur Serge Lifar, le galeriste Georges Maratier, lâĂ©crivain Louis Bromfield, le musicien Virgil Thomson ou la poĂ©tesse Natalie Clifford Barney ; ils entourent Christian BĂ©rard, Pavel Tchelitchew, Jean Cocteau, Gertrude Stein ou Alice B. Toklas dans ce que lâon peut considĂ©rer comme une sorte dâacadĂ©mie imaginaire du NĂ©o-Romantisme.
« Picasso et aprÚs ⊠»
âŠOu « dâaprĂšs Picasso » ?… le double sens du titre du premier ouvrage consacrĂ© aux NĂ©o-Romantiques en 1935 par leur ami, critique et collectionneur amĂ©ricain, James Thrall Soby (1906-1979), donne une clef de lecture essentielle du mouvement. « AprĂšs Picasso » : comme les maniĂ©ristes du XVIe siĂšcle italien, qui eurent Ă sâaffirmer devant les oeuvres Ă©crasantes de LĂ©onard, RaphaĂ«l ou Michel-Ange, BĂ©rard, Tchelitchew et les frĂšres Berman se trouvĂšrent confrontĂ©s Ă la crĂ©ation dĂ©jĂ immense et multiple de Picasso et durent trouver une façon dây rĂ©pondre. « DâaprĂšs Picasso » : ils le firent en partie en retournant pour ainsi dire cette Ćuvre contre elle-mĂȘme, et en sâappuyant sur la thĂ©matique mĂ©lancolique, le chromatisme contenu des pĂ©riodes rose et bleue pour tracer une nouvelle voie face Ă celles du cubisme et de lâabstraction dans lesquelles Picasso Ă©tait alors engagĂ© et qui dominaient la scĂšne artistique, au risque de se figer en un nouvel acadĂ©misme. On ne saurait Ă©videmment rĂ©duire lâapproche nĂ©o-romantique Ă cette seule clef de lecture : le premier surrĂ©alisme, lâoeuvre de Giorgio de Chirico, la peinture « MĂ©taphysique » italienne — que les jeunes artistes dĂ©couvraient alors chez des galeristes influents comme Paul Guillaume, les oeuvres des frĂšres Le Nain, de Degas, Manet ou Vallotton comptent aussi parmi les sources dâinspiration puissantes du nouveau « climat » nĂ©o-romantique qui apparaĂźt au tournant des annĂ©es 20.
Lâexposition de 1926 Galerie Druet, Rue Royale, 1926
Fin fĂ©vrier 1926, quelques jeunes artistes, tout juste sortis de lâacadĂ©mie Ranson oĂč ils avaient suivi les cours dâEdouard Vuillard, Felix Vallotton et Maurice Denis, profitĂšrent des liens de lâun dâentre eux, Pierre Charbonnier (1897-1978), avec la galerie pour organiser un accrochage de fortune. Outre ce dernier, artiste encore largement sous-estimĂ©, il sâagissait de Christian BĂ©rard (1902-1949) et ThĂ©rĂšse Debains (1897-1974), dâun jeune prodige hollandais, Kristians Tonny (1907-1977) et de trois jeunes russes ayant fui la rĂ©volution de 1917 : Pavel Tchelitchew (1898-1957), EugĂšne Berman (1899-1972) et son frĂšre LĂ©onide (1896-1976). Ils se distinguaient Ă quelques traits : le retour Ă la figuration dans le contexte du cubisme triomphant, une certaine prĂ©dilection pour la reprĂ©sentation du visage et celle de paysages plutĂŽt fantomatiques, une pĂąte souvent Ă©paisse et granuleuse, le refus des contrastes de valeurs au profit dâinfimes variations tonales dont rĂ©sultait une surface picturale sombre, Ă la limite parfois du monochrome. CâĂ©tait une peinture de la mĂ©lancolie, de lâexil et de la nostalgie. Aussi discrĂšte et improvisĂ©e quâelle fĂ»t, cette exposition prĂ©cipita un sentiment et une attente diffuse et fut considĂ©rĂ©e par des personnalitĂ©s aussi diverses que Gertrude Stein, le critique Waldemar-George puis lâauteur, quelques annĂ©es plus tard, dâun livre fondateur, James Thrall Soby, comme la manifestationdâun nouvel esprit du temps qui devait passer dans lâhistoire sous le terme de NĂ©o-Romantisme.
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