âFormes vivantesâ
au musĂ©e national de cĂ©ramique â Manufacture et MusĂ©e nationaux, SĂšvres
du 9 novembre 2022 au 7 mai 2023

PODCAST – Interview de Charlotte Vignon, directrice du patrimoine et des collections Ă SĂšvres, et co-commissaire de l’exposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă SĂšvres, le 8 novembre 2022, durĂ©e 14â25.
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :




Commissariat :
Judith Cernogora – Conservatrice du patrimoine Ă SĂšvres
Charlotte Vignon – Directrice du patrimoine et des collections Ă SĂšvres
Lâexposition Formes vivantes met en lumiĂšre les liens qui unissent le monde minĂ©ral, issu de la terre et le monde du vivant, de lâorganique, animal et vĂ©gĂ©tal. Avec prĂšs de 350 oeuvres, des cĂ©ramiques de la Renaissance Ă nos jours, en regard de peintures, de piĂšces dâorfĂšvrerie ou dâobjets scientifiques avec lesquels elles sont mises en perspective, lâexposition nous interroge sur notre propre rapport au vivant. On y (re)dĂ©couvre ainsi un mĂ©dium rĂ©solument ancrĂ© dans son temps et qui inspire, aujourdâhui plus que jamais, les artistes contemporains tels que Giuseppe Penone, Johan Creten ou encore Claire Lindner. Conçue par le musĂ©e national Adrien DubouchĂ© Ă Limoges en 2019 lâexposition connaĂźt un second souffle en poursuivant sa mutation au musĂ©e de SĂšvres.
Lâexposition valorise le fonds incomparable de collections de cĂ©ramiques de SĂšvres et du musĂ©e national Adrien DubouchĂ©. Elles dialoguent avec des peintures, des piĂšces dâorfĂšvrerie ou des objets scientifiques qui les ont inspirĂ©es et Ă©clairent le propos, ce qui unit le minĂ©ral, lâanimal, lâhumain et le vĂ©gĂ©tal.
Lâexposition bĂ©nĂ©ficie de prĂȘts importants dâinstitutions prestigieuses (MusĂ©um national dâHistoire naturelle, musĂ©e du Louvre, musĂ©e dâOrsay, musĂ©e des Arts dĂ©coratifs, musĂ©e national de la Renaissance dâEcouen, musĂ©e des beaux-arts de la Ville de Paris, musĂ©e de lâĂcole de Nancy, Ăcole nationale supĂ©rieure dâart de Limoges, Verrerie de Meisenthal) et dâartistes contemporains (Arnold Annen, François Azambourg, Jean-Michel Barathon-Cadelle, Johan Creten, ValĂ©rie Delarue, Wayne Fisher, Jean Girel, Claire Lindner). Lâartiste NadĂšge Mouyssinat a quant Ă elle rĂ©alisĂ© une oeuvre spĂ©cialement pour lâexposition.
AprĂšs une introduction immersive dans un cabinet de curiositĂ©s, le parcours de lâexposition se divise en trois grandes parties : Naturalismes, Imaginaires organiques et Ă lâintĂ©rieur du vivant.
Parcours de lâexposition



NATURALISMES
Bernard Palissy et les suiveurs
Au XVIe siĂšcle, Bernard Palissy (vers 1510-1590), grand savant de son temps sâillustre par lâoriginalitĂ© de ses cĂ©ramiques ornĂ©es dâanimaux et de vĂ©gĂ©taux, souvent rĂ©alisĂ©es par la technique du moulage sur le vif. Son oeuvre, inscrite dans une Ă©poque oĂč lâopposition entre minĂ©ral et vivant nâexiste pas encore, marque lâhistoire de lâart et connaĂźt, aujourdâhui encore, une postĂ©ritĂ© florissante. La sĂ©rie des Vagues pour Palissy rĂ©alisĂ©es par Johan Creten (nĂ© en 1963) lors dâune rĂ©sidence Ă la Manufacture Nationale de SĂšvres en 2007 en est une illustration marquante. Chez Jean Girel (nĂ© en 1947), le naturalisme sâexprime moins par les effets de modelage que par les phĂ©nomĂšnes cĂ©ramiques quâil travaille de sorte Ă donner Ă ses oeuvres un aspect rappelant lâĂ©piderme des animaux.
Trompe-lâoeil et tables vivantes, le monde animal
Entre le XVIe et le XVIIe siĂšcles, les sciences naturelles se structurent, lâobservation des espĂšces et la collecte des spĂ©cimens se codifient. Une sĂ©paration Ă©merge entre lâhomme et la nature, envisagĂ©e comme objet dâĂ©tude. Au XVIIIe siĂšcle, les Ă©maux permettent de donner des couleurs vives Ă la faĂŻence, favorisant ainsi la crĂ©ation de piĂšces naturalistes, notamment sous forme de terrines zoomorphes. Les manufactures peuvent rendre de façon illusionniste le plumage des oiseaux ou lâaspect des vĂ©gĂ©taux. Les arts de la table Ă la française favorisent lâart du trompe-lâoeil. La recherche de fidĂ©litĂ© dans la reprĂ©sentation de lâanimal se rĂ©vĂšle notamment dans de nombreuses oeuvres dâart en cĂ©ramique produites Ă cette pĂ©riode, comme la mĂ©nagerie en porcelaine de la manufacture de Meissen commandĂ©e par le prince-Ă©lecteur de Saxe Auguste II dit le Fort, pour orner les murs de son Palais japonais de Dresde et dont le musĂ©e de SĂšvres conserve cinq animaux, des chefs-dâoeuvre.
Naturaliser le corps humain
Le corps humain peut paraĂźtre plus familier que lâanimal, Ă la fois incontournable et disponible pour lâartiste dĂ©sireux de restituer avec fidĂ©litĂ© des formes du vivant. Ă une Ă©poque oĂč la photographie ne permet pas encore de garder la trace du corps, de conserver lâimage de lâĂȘtre cher, le masque mortuaire connait un succĂšs croissant. Cet attrait pour le corps est Ă©galement prĂ©sent chez des artistes comme Pascal Convert (nĂ© en 1957) ou Giuseppe Penone (nĂ© en 1947), pour lesquels la technique du moulage ou du modelage permet de restituer la prĂ©sence ou lâempreinte du corps, sous une forme figĂ©e dans lâabsence par le vide ou alors animĂ©e du souffle de la vie. Plusieurs artistes abordent la reprĂ©sentation du corps fĂ©minin avec cruditĂ© et dĂ©licatesse comme Carole Deltenre (nĂ©e en 1983), avec son oeuvre Nymphes oĂč les sexes fĂ©minins deviennent objets de parure.



IMAGINAIRES ORGANIQUES
Le style rocaille
MarquĂ© par un goĂ»t pour la symĂ©trie autant que par les arabesques et les mĂ©langes dâĂ©lĂ©ments Ă©clectiques, lâesprit Rocaille est caractĂ©risĂ© par des formes aux courbes et contre-courbes marquĂ©es, par des objets dont lâesthĂ©tique est chargĂ©e, voire surchargĂ©e. Surtout, les formes rocaille trouvent leur inspiration dans le motif de la coquille, la forme vĂ©gĂ©tale comme la feuille de cĂ©leri, et de petits fruits ou lĂ©gumes formant les boutons de prise des objets en faĂŻence ou en porcelaine.
LâArt nouveau
Les artistes de lâArt nouveau cherchent lâharmonie entre la structure de lâobjet et son dĂ©cor Ă travers le vĂ©gĂ©tal, la tige, la liane dite aussi ligne « en coup de fouet ». Chez Hector Guimard (1867-1942), cette recherche sâopĂšre dâabord dans lâarchitecture avec la construction des sorties du mĂ©tro parisien ou du Castel BĂ©ranger, avant de sâappliquer Ă des oeuvres sculpturales. Les piĂšces produites en grĂšs Ă la Manufacture nationale de SĂšvres au tournant du XXe siĂšcle tĂ©moignent du goĂ»t de lâĂ©poque pour lâesthĂ©tique toute en courbe de lâArt nouveau. Directeur des travaux dâart Ă la Manufacture de 1897 Ă 1916, Alexandre Sandier redynamise les sources dâinspiration et le rĂ©pertoire dĂ©coratif de SĂšvres en vue de lâExposition universelle de 1900.
Hybridations, abstraction, biomorphisme
Dans lâhistoire des sciences, la publication en 1859 de LâOrigine des espĂšces par Charles Darwin est un bouleversement majeur qui se rĂ©percute dans lâimaginaire de la fin du XIXe siĂšcle. LâidĂ©e de la sĂ©lection naturelle sâimpose comme moteur de lâĂ©volution et soumet lâespĂšce humaine Ă la mĂȘme contrainte dâadaptation Ă son environnement, ce qui Ă©tablit une continuitĂ© inĂ©dite avec le rĂšgne animal. Cette remise en question de lâordre du monde nourrit lâimaginaire des artistes de la fin du siĂšcle, qui mettent en scĂšne ces passages de frontiĂšre entre humain et animal, animal et vĂ©gĂ©tal. La cĂ©ramique se prĂȘte notamment au jeu des hybridations Ă la fois par la transformation matĂ©rielle dont elle est issue, mais aussi par sa mallĂ©abilitĂ©. On retrouve cette dĂ©marche dans le travail dâartistes tels que Jean CarriĂšs, Wayne Fisher, Claire Lindner, Farida Le SuavĂ© ou NadĂšge Mouyssinat. NĂ© dans les annĂ©es 1930, Ă la croisĂ©e du surrĂ©alisme et de lâart abstrait, et portĂ© par des artistes tels que Joan MirĂł ou Jean Arp, le « biomorphisme » est une maniĂšre de suggĂ©rer le vivant au moyen de formes non figuratives, Ă la fois familiĂšres et Ă©nigmatiques. Aujourdâhui encore, de nombreux artistes contemporains trouvent dans la cĂ©ramique un matĂ©riau idĂ©al pour Ă©voquer plastiquement des dynamiques ou des processus organiques.


Ă LâINTĂRIEUR DU VIVANT
Anatomie, dissection, structures microscopiques
La troisiĂšme partie de lâexposition est conçue comme un zoom Ă lâintĂ©rieur du vivant, un voyage Ă travers lâinfiniment petit. Lâinvention du microscope au XVIIe siĂšcle permet la dĂ©couverte et lâobservation dâorganismes jamais vus auparavant, tels que des bactĂ©ries ou des cellules de plantes. En 1902, le biologiste allemand Ernst Haeckel (1834-1919) publie Kunstformen der Natur – Formes artistiques de la nature un livre restĂ© cĂ©lĂšbre pour ses planches rĂ©vĂ©lant lâexistence de planctons et dâĂȘtre vivants unicellulaires, dont les formes extraordinaires fascinent les artistes. La reprĂ©sentation des organes ou des mĂ©canismes internes des ĂȘtres vivants est souvent liĂ©e Ă la mĂ©decine ou Ă la biologie. Les univers visuels produits par la science attisent Ă©galement la curiositĂ© des artistes, qui sâapproprient les formes invisibles et les processus cachĂ©s du vivant comme Pierre-Adrien Dalpayrat (1844-1910) et ValĂ©rie Delarue. De la sculpture Ă la prothĂšse biomĂ©dicale en passant par le design dâobjet en cĂ©ramique imprimĂ©s en 3D, lâart et la science sâentremĂȘlent et rĂ©vĂšlent des contacts insoupçonnĂ©s entre le vivant et le minĂ©ral. Dans la cĂ©ramique sâincarnent alors diffĂ©rentes rĂ©flexions esthĂ©tiques et Ă©thiques sur la connaissance et la dĂ©finition de la vie, ses limites ou sa maĂźtrise par lâhomme, de lâĂ©chelle du corps Ă celle du gĂšne comme chez Jean-Michel Barathon-Cadelle ou Arnold Annen.
LE VIVANT Ă SĂVRES
Par Judith Cernogora, commissaire de lâexposition
Lâexposition Formes vivantes initialement créée au musĂ©e national Adrien DubouchĂ© de Limoges en 2019-2020 est reprise au musĂ©e national de CĂ©ramique de SĂšvres dans une version lĂ©gĂšrement diffĂ©rente, en y adjoignant des oeuvres conservĂ©es dans les riches collections de la CitĂ© de la cĂ©ramique de SĂšvres, comprenant les piĂšces créées Ă la manufacture de SĂšvres dĂšs le XVIIIe siĂšcle et jusquâĂ nos jours, les collections du musĂ©e, ainsi que le trĂšs important fonds documentaire, composĂ© dâouvrages, de dessins et de peintures. Lâexposition Ă SĂšvres est lâoccasion de complĂ©ter le propos initial en montrant comment, dĂšs les origines de la manufacture de SĂšvres au XVIIIe siĂšcle, puis dĂšs la crĂ©ation du musĂ©e de CĂ©ramique par Alexandre Brongniart en 1824, le lien au monde du vivant est omniprĂ©sent.
Les formes du vivant : une constante source dâinspiration
Le monde du vivant nourrit les crĂ©ations de la Manufacture de SĂšvres depuis ses origines et a donnĂ© lieu Ă des Ćuvres directement inspirĂ©es du rĂšgne animal, vĂ©gĂ©tal, minĂ©ral. Au XVIIIe siĂšcle, le mouvement rocaille sâĂ©panouit dans les arts dĂ©coratifs avec des piĂšces rĂ©alisĂ©es dans les annĂ©es 1750 Ă la manufacture de Vincennes par Jean-Claude Duplessis, dont les formes, trĂšs largement influencĂ©es par lâorfĂšvrerie, Ă©voquent des coquilles ou des coraux. OrfĂšvre de mĂ©tier, il fournit des bronzes et des dessins pour servir de modĂšle aux piĂšces de porcelaine tendre. Le goĂ»t rocaille sâexprime dans les dĂ©cors, mais aussi dans la structure mĂȘme des objets dont les formes extravagantes sâapparentent Ă de la matiĂšre en transformation.
Les services ornithologiques
Vers 1750 les premiers dĂ©cors dâoiseaux apparaissent sur les productions de la manufacture de Vincennes (1). Si les premiĂšres porcelaines produites Ă la manufacture de Vincennes comprenaient de nombreux dĂ©cors dâoiseaux, ceux-ci Ă©taient surtout issus de lâimagination des peintres et ne correspondaient Ă aucune espĂšce rĂ©elle. Des motifs dâoiseaux copiĂ©s dâaprĂšs les gravures de George Edwards (1694-1773), considĂ©rĂ© comme le pĂšre de lâornithologie britannique, marquent un tournant, fondĂ© sur lâobservation ornithologique scientifique. Ce type de dĂ©cor disparut peu aprĂšs 1770, mais le dĂ©cor ornithologique renaĂźt ensuite Ă SĂšvres dans les annĂ©es 1780, avec une sĂ©rie dâobjets dĂ©corĂ©s dâoiseaux sâinspirant des gravures de François-Nicolas Martinet (1731-1800), pour LâHistoire naturelle des oiseaux (1770-1786) de Buffon (1707-1788) (2). Offrant des reprĂ©sentations dâoiseaux exotiques accompagnĂ©es de leurs noms et de leurs pays dâorigine, ces services ornithologiques inscrivent dans la porcelaine la dĂ©marche scientifique Ă©laborĂ©e sous les LumiĂšres consistant Ă construire le savoir Ă partir de lâobservation. Avec leurs riches dessins colorĂ©s et vivants, les services ornithologiques constituent ainsi de vĂ©ritables encyclopĂ©dies sur porcelaine (3).
Alexandre Brongniart, une approche scientifique au service de la céramique
Alexandre Brongniart (1770-1847), directeur de la manufacture de SĂšvres de 1800 jusquâĂ sa mort, sâintĂ©resse trĂšs tĂŽt aux sciences naturelles. DĂšs sa nomination Ă SĂšvres, Brongniart a Ă coeur de rĂ©nover les procĂ©dĂ©s de fabrication, le choix des argiles et aussi lâiconographie. Les formes inspirĂ©es de la nature, notamment les animaux et les vĂ©gĂ©taux, constituent un motif de prĂ©dilection quâaccompagne et enrichit les avancĂ©es et dĂ©couvertes scientifiques. De nombreux artistes empruntent Ă la dĂ©marche naturaliste, faite dâobservation rigoureuse et de classification, contribuant ainsi de maniĂšre notable au renouvellement formel et iconographique des piĂšces produites Ă SĂšvres. En 1824 il fonde le musĂ©e cĂ©ramique et vitrique. GuidĂ© par une dĂ©marche scientifique, il sâattache à « chercher une classification raisonnĂ©e des produits cĂ©ramiques et le systĂšme dâun musĂ©e qui devait rĂ©unir tous les Ă©lĂ©ments de cette classification» (4). Pour enrichir les collections, il sollicite « les amateurs, les voyageurs et les fabricants» (5). Parmi les nombreux donateurs du musĂ©e, figurent en bonne position ceux que Brongniart qualifie de « naturalistes voyageurs» (6).
Lâinspiration vĂ©gĂ©tale Ă SĂšvres
Lâinspiration florale omniprĂ©sente sur les piĂšces produites par la manufacture, sâinspire de la copie de fleurs prĂ©sentes dans les jardins, mais aussi dâouvrages imprimĂ©s ou de dessins. Aujourdâhui encore ces motifs restent une source dâinspiration pour les ateliers de la dĂ©coration de la Manufacture de SĂšvres lors de la réédition de piĂšces anciennes. Pierre-Joseph RedoutĂ© (1759-1840), surnommĂ© le « RaphaĂ«l des fleurs», est sollicitĂ© Ă partir de 1804 pour donner des dessins originaux de fleurs qui serviront de sources dâinspiration pour les peintres de la manufacture (7) . Les assiettes du Service des productions de la nature créée entre 1830 et 1862 prĂ©sentent de maniĂšre trĂšs exacte des espĂšces de fleurs, fruits et coquillages, peints comme les illustrations des ouvrages dâhistoire naturelle. Les talents de coloristes, dessinateurs et peintres de la manufacture sâaccompagnent ici dâune dĂ©marche scientifique puisque les noms des espĂšces reprĂ©sentĂ©es sont inscrits Ă lâarriĂšre des assiettes, suivant en cela le principe initiĂ© avec les services ornithologiques, sept dĂ©cennies auparavant.
LâArt nouveau Ă sĂšvres : une pĂ©riode florissante
La crĂ©ation Ă SĂšvres sâillustre par une longue tradition de formes naturalistes qui connaĂźtra son plein Ă©panouissement avec lâArt nouveau Ă la fin du XIXe siĂšcle, et une apogĂ©e lors de lâExposition universelle de 1900. Ce mouvement artistique inspirĂ© des formes de la nature et caractĂ©risĂ© par des lignes sinueuses a connu une riche pĂ©riode de crĂ©ation Ă SĂšvres, sous la direction dâAlexandre Sandier entre 1897 et 1916. Celui-ci redynamise les sources dâinspiration et le rĂ©pertoire dĂ©coratif de la Manufacture, en crĂ©ant de nombreux modĂšles. Auteur dâun ouvrage sur les formes de vases, il est Ă lâorigine de nouvelles formes mais aussi de nouveaux dĂ©cors. Sandier dĂ©veloppe la technique du coulage sous vide mise au point dans les annĂ©es 1860 pour Ă©viter les dĂ©formations, et une nouvelle pĂąte de porcelaine créée en 1884 pour rĂ©aliser des piĂšces de grand format en un seul morceau, avec des formes empruntĂ©es Ă la nature.
Les oeuvres de céramistes contemporains
Au cours du XXe siĂšcle et au dĂ©but du XXIe, si les techniques et les expressions plastiques tendent Ă se diversifier, lâintĂ©rĂȘt des cĂ©ramistes pour le monde du vivant demeure, voire sâaccentue au fur et Ă mesure dâune prise de conscience de la fragilitĂ© de celui-ci. Lâaspiration Ă une harmonie avec le vivant accompagne une pratique artistique qui sâinscrit dans celui-ci en Ă©tant en prise directe avec les Ă©lĂ©ments. Pour certains artistes nordiques, le contact avec les Ă©lĂ©ments est omniprĂ©sent, dans la vie quotidienne mĂȘme, et irrigue leur travail qui emprunte aux formes de la nature. Bente SkjĂžttgaard, grande figure de la cĂ©ramique danoise, joue ainsi du matĂ©riau cĂ©ramique pour crĂ©er des oeuvres qui peuvent aussi bien Ă©voquer des racines, des concrĂ©tions rocheuses, que des organismes marins issus de planches des Formes artistiques de la nature de Ernst Haeckel. De nombreux crĂ©ateurs japonais Ă©laborent une oeuvre dans laquelle le lien au vivant est omniprĂ©sent, par lâattachement Ă une pratique trĂšs ancienne qui sâancre dans la maĂźtrise des Ă©lĂ©ments et lâobservation sensible de la nature. ProfondĂ©ment marquĂ©s par les bombardements dâHiroshima et de Nagasaki, de nombreux cĂ©ramistes ont fondĂ© leur dĂ©marche en rĂ©action Ă ce traumatisme inscrit dans les chairs et les paysages pour livrer des oeuvres qui sont autant de rĂ©flexions sensibles et inquiĂštes quant au devenir du vivant. La cĂ©ramique, dont les propriĂ©tĂ©s plastiques paraissent infinies, semble sâextraire du champ de la matiĂšre inerte auquel elle sâapparente pour poursuivre une croissance mouvante, vivante, en constante Ă©volution. Ă la croisĂ©e des rĂ©flexions et des regards propres Ă lâhistoire des arts et des sciences, la cĂ©ramique invite Ă sâinterroger sur un matĂ©riau qui permet Ă lâhomme de sâinscrire dans un vaste univers de formes. Les trĂšs riches collections du musĂ©e national de CĂ©ramique de SĂšvres, de par leur universalitĂ© et leur compagnonnage avec les formes du vivant, attestent du rapport sensible et poĂ©tique que les cĂ©ramistes ne cessent de nouer avec le vivant, portant un regard lucide et inquiet sur la fragilitĂ© et la beautĂ© infinie de notre monde.
1 Bernard Dragesco, « Les dĂ©cors dâoiseaux Ă la manufacture de Vincennes-SĂšvres au XVIIIe siĂšcle », dans Collectif, Des porcelaines et des oiseaux, Tournai, CrĂ©dit communal, 1994, p. 39
2 Voir notice pp. 84-85. Quinze services de table, communĂ©ment appelĂ©s « services Buffon », ont Ă©tĂ© produits par la Manufacture royale entre 1782 et 1796. Les dĂ©cors dâoiseaux sâaccompagnent au revers des piĂšces des noms des diffĂ©rentes espĂšces recopiĂ©s dâaprĂšs les gravures.
3 Sylvie Legrand-Rossi, Les services aux oiseaux Buffon. Une encyclopédie sur porcelaine, Gourcuff Gradenigo, 2017.
4 Alexandre Brongniart, Denis-Désiré Riocreux, Description méthodique du musée céramique de la Manufacture royale de porcelaine de SÚvres, Paris, A. Leleux, 1845, préface p. III.
5 Id., préface p. VI.
6 Id., prĂ©face p. VII : « On remarquera parmi les naturalistes voyageurs presque tous ceux que le MusĂ©um dâhistoire naturelle ou le Gouvernement ont envoyĂ©s en mission [âŠ]. »
7 Audrey Milet, « Lâinspiration vĂ©gĂ©tale Ă SĂšvres », dans Catherine de Bourgoing, Sophie Eloy et JĂ©rĂŽme Farigoule (dir.), Le Pouvoir des fleurs : Pierre-Joseph RedoutĂ©, Paris MusĂ©es, 2017, p. 95.