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🔊 “Homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie” au Mémorial de la Shoah, Paris, du 17 juin 2021 au 6 mars 2022 (prolongée jusqu’au 22 mai 2022)

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“Homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie“

au Mémorial de la Shoah, Paris

du 17 juin 2021 au 6 mars 2022 (prolongée jusqu’au 22 mai 2022)

Mémorial de la Shoah

Interview de Sophie Nagiscarde, responsable du service des activités culturelles du Mémorial de la Shoah et coordinatrice de l'exposition, par Anne-Frédérique Fer, enregistrement réalisé par téléphone, entre Paris et Paris, le 22 juillet 2021, durée 29'22". © FranceFineArt.

PODCAST –  Interview de Sophie Nagiscarde, responsable du service des activités culturelles du Mémorial de la Shoah et coordinatrice de l’exposition,

par Anne-Frédérique Fer, enregistrement réalisé par téléphone, entre Paris et Paris, le 22 juillet 2021, durée 29’22.
© FranceFineArt.

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©Anne-Fréderique Fer, visite de l’exposition, le 23 juillet 2021.

Affiche en langue allemande représentant la classification des insignes portés par les détenus dans les camps de concentration. Allemagne, 1933-1945. Coll. Mémorial de la Shoah.
Affiche en langue allemande représentant la classification des insignes portés par les détenus dans les camps de concentration. Allemagne, 1933-1945. Coll. Mémorial de la Shoah.
Triangle rose. Coll. United States Holocaust Memorial Museum (Washington), don de la National Archives and Records Administration.
Triangle rose. Coll. United States Holocaust Memorial Museum (Washington), don de la National Archives and Records Administration.
Soirée costumée à l’Institut für Sexualwissenschaft [Institut de sexologie]. À droite sur l’image, Magnus Hirschfeld, tenant la main de son amant de l’époque, Karl Giese. Berlin. 1920. Coll. Magnus-Hirschfeld-Gesellschaft e.V., Berlin.
Soirée costumée à l’Institut für Sexualwissenschaft [Institut de sexologie]. À droite sur l’image, Magnus Hirschfeld, tenant la main de son amant de l’époque, Karl Giese. Berlin. 1920. Coll. Magnus-Hirschfeld-Gesellschaft e.V., Berlin.
Des étudiants allemands de la Deutsche Hochschule fuür Leibesübungen (DHfL) [Université allemande d’éducation physique] défilent devant l’Institut de sexologie avant le pillage du bâtiment. Berlin. 6 mai 1933. Coll. United States Holocaust Memorial Museum (Washington), courtesy of National Archives and Records Administration, College Park.
Des étudiants allemands de la Deutsche Hochschule fuür Leibesübungen (DHfL) [Université allemande d’éducation physique] défilent devant l’Institut de sexologie avant le pillage du bâtiment. Berlin. 6 mai 1933. Coll. United States Holocaust Memorial Museum (Washington), courtesy of National Archives and Records Administration, College Park.
Pillage de la bibliothèque de Magnus Hirschfeld, directeur de l’Institut de sexologie de Berlin, par des étudiants allemands et des membres de la SA. Berlin. 6 mai 1933. Coll. United States Holocaust Memorial Museum (Washington), courtesy of National Archives and Records Administration, College Park.
Pillage de la bibliothèque de Magnus Hirschfeld, directeur de l’Institut de sexologie de Berlin, par des étudiants allemands et des membres de la SA. Berlin. 6 mai 1933. Coll. United States Holocaust Memorial Museum (Washington), courtesy of National Archives and Records Administration, College Park.
Klaus Mann (1906-1949) et sa soeur Erika Mann (1905-1969). Photo Lotte Jacobi. 1930. Coll. Monacensia im Hildebrandhaus - Literaturarchiv. KM F 295. Avec l’aimable autorisation de Frido Mann.
Klaus Mann (1906-1949) et sa soeur Erika Mann (1905-1969). Photo Lotte Jacobi. 1930. Coll. Monacensia im Hildebrandhaus – Literaturarchiv. KM F 295. Avec l’aimable autorisation de Frido Mann.
Chawa Złoczower et Hella Olstein en France, 1934. Lieu inconnu. © Collection privée Daniel Olstein.
Chawa Złoczower et Hella Olstein en France, 1934. Lieu inconnu. © Collection privée Daniel Olstein.

Extrait du communiqué de presse :





commissaire scientifique de l’exposition :
Florence Tamagne, Maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Lille, Spécialiste de l’histoire de l’homosexualité.

 




« Enjeu de mémoire, le destin des “triangles roses” a longtemps été invisibilisé. Cette exposition entend rendre compte, grâce à de nombreux documents originaux, du sort des homosexuels et des lesbiennes sous le régime nazi, entre stigmatisation, persécution et lutte pour la reconnaissance. » Florence Tamagne, commissaire scientifique de l’exposition

En 2021, pour la première fois en France, un musée d’histoire retrace de manière chronologique et thématique l’histoire de la persécution des homosexuels et lesbiennes sous le Troisième Reich en s’appuyant sur une riche sélection de documents pour la plupart jamais présentés en France.

Longtemps tabou, le destin des “triangles roses”, s’il est, depuis une trentaine d’années, l’objet de recherches historiques de premier plan, reste encore méconnu du grand public. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, rares furent les hommes et femmes homosexuels à témoigner du sort qui fut le leur sous le régime nazi. En Allemagne, ils se virent nier le statut de victimes, du fait notamment du paragraphe 175 du Code pénal allemand, criminalisant les relations sexuelles entre hommes, qui resta en vigueur après 1945.

Ce n’est qu’à la faveur du mouvement de libération gay et lesbien des années 1970 que le sujet commença à être débattu, soulevant de nombreuses questions, constituant autant d’enjeux mémoriels : quelle fut la nature des persécutions ? Combien de personnes furent touchées ? Tous les homosexuels furent-ils visés ? Quel fut le sort des lesbiennes ? Quels furent les territoires concernés par la répression, notamment en France ? Comment honorer le souvenir des victimes ?

S’appuyant sur une variété de documents, la plupart jamais présentés en France, cette exposition se propose de répondre à ces multiples interrogations en replaçant la persécution des femmes et des hommes homosexuels sous le régime nazi dans un cadre géographique large – même si l’Allemagne et la France seront privilégiées – et dans le temps long.

Si le début du XXe siècle avait vu l’épanouissement d’une subculture homosexuelle dans les grandes capitales européennes (comme Berlin et Paris) et la naissance des premiers mouvements militants, les préjugés homophobes, relayés notamment par les discours religieux et médicaux, étaient fortement ancrés et de nombreux pays pénalisaient l’homosexualité masculine – plus rarement féminine. Le discours nazi prit racine sur ce terreau fertile, avant de trouver sa concrétisation dans la mise en place d’un système répressif de plus en plus radical et foisonnant.

Les femmes et les hommes homosexuels ont connu des destins hétérogènes. Certains choisirent l’exil, d’autres menèrent une double vie. Sur près de 100 000 homosexuels fichés par le régime, 50 000 environ firent l’objet d’une condamnation ; entre 5 000 et 15 000 furent envoyés en camp de concentration, où la plupart périrent, même si leur sort put varier considérablement en fonction du camp lui-même, mais aussi de leur date d’internement. Les lesbiennes restaient quant à elles hors du champ de la loi, sauf dans certains territoires, comme l’Autriche, et certaines furent déportées comme “asociales” ou “communistes”. Le paragraphe 175 ne s’appliquait qu’aux ressortissants du Reich, allemands et habitants des territoires annexés, comme par exemple l’Alsace-Moselle. Dès lors, le sort des homosexuels dans les pays alliés de l’Allemagne, comme l’Italie, ou occupés par elle, a pu différer de manière sensible.

Des parcours de vie permettront de saisir ces questions dans toute leur complexité, alors que des femmes et des hommes homosexuels étaient aussi selon les cas, juifs, résistants, voire sympathisants du régime nazi. Une section rendra compte du lent processus de reconnaissance, depuis les projets de monuments et de plaques à la mémoire des victimes, qui se sont multipliés depuis les années 1980, jusqu’aux mesures institutionnelles, qui ont enclenché un processus de réhabilitation et d’indemnisation de celles-ci.

Un cycle de conférences, en prolongement de l’exposition, permettra d’approfondir ces différentes thématiques.

 

Parcours de l’exposition



Le parcours de cette exposition s’organise autour de quatre parties au sein desquelles les cas allemands et français sont volontairement privilégiés.

Débutant par l’évocation des premiers mouvements homosexuels de la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1930, l’exposition aborde ensuite la persécution des homosexuels, principalement sous le régime nazi et dans un cadre européen et présente un panorama des répressions dans d’autres pays européens tels que l’Italie, l’Autriche et la France, pour se terminer sur les questions de mémoire et de reconnaissance depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’aux périodes le plus récentes.

À l’intérieur de chaque partie, des parcours de vie témoignent du destin hétérogène des hommes et des femmes homosexuels durant cette période, alors qu’ils étaient parfois aussi juifs, résistants, voire sympathisants du régime.





PARTIE 1 : Homosexuels et lesbiennes dans les années 1920



L’espoir d’une émancipation

Les premiers mouvements homosexuels se créent en Allemagne à la fin du XIXe siècle, à l’instar du Comité scientifique humanitaire (Wissenschaftlich-humanitäres Komitee, 1897) de Magnus Hirschfeld, qui demande l’abrogation du §175. Ils publient des journaux (Die Freundschaft, Die Freundin…), organisent des conférences, font signer des pétitions, sans succès probant. En France, la revue Inversions (1924) est rapidement censurée. Durant les années folles, homosexuels et lesbiennes se retrouvent dans des salons privés, comme celui de la poétesse américaine Natalie Barney à Paris, mais aussi dans des bars, des cabarets, tels l’Eldorado à Berlin ou Le Monocle à Paris, ainsi que dans de grands bals travestis comme celui de Magic-City à Paris. La visibilité homosexuelle s’affirme également dans l’art (Christian Schad, Jeanne Mammen…), la littérature (André Gide, Corydon, 1924 ; Klaus Mann, Der fromme Tanz, 1926 ; Radclyffe Hall, The Well of Loneliness, 1928 ; Colette, Ces plaisirs, 1932 ; Christopher Isherwood, Goodbye to Berlin, 1939…) et le cinéma (Richard Oswald, Anders als die Andern, 1919 ; Leontine Sagan, Mädchen in Uniform, 1931). Pour une majorité d’hommes et de femmes, la discrétion reste cependant de mise. Certains contractent des mariages de raison (voire des mariages blancs) et mènent une double vie. L’usage de codes (mots d’argot, couleurs affichées, comme le violet ou le mauve) permet de lier des relations dans une société encore majoritairement hostile.



Le poids de l’homophobie

En 1791, la France abroge l’ancien crime de sodomie, passible de la peine de mort, y gagnant une réputation durable de tolérance. Si certains pays, comme l’Italie ou la Belgique, font de même sous l’influence du Code pénal napoléonien, d’autres continuent de pénaliser les relations sexuelles entre hommes d’une peine de prison (Allemagne, Grande-Bretagne…), plus rarement entre femmes (Autriche, Suède, certains cantons suisses…) car le lesbianisme reste invisibilisé. Néanmoins, même dans les pays qui ne condamnent pas l’homosexualité, les lieux de drague homosexuels, tels les urinoirs, les jardins publics ou les bars, font l’objet d’une surveillance policière, et il est possible d’être poursuivi pour outrage public à la pudeur, ou dans le cadre d’affaires impliquant des mineurs. De plus, alors que l’homosexualité est considérée par beaucoup comme un péché, nombre de médecins y voient une forme de dégénérescence ou une perversion qui pourrait, sous certaines conditions, être « guérie ». Les stéréotypes dominent : « l’inverti » serait efféminé ; la lesbienne, parfois confondue avec la « garçonne », masculine. Les homosexuels, qui formeraient une « franc-maçonnerie du vice », sont vus comme des traîtres en puissance, d’autant que l’homosexualité est présentée comme une importation étrangère (le « vice allemand » en France). Les lesbiennes, quant à elles, noyauteraient les mouvements féministes. Tous seraient responsables d’une « corruption de la jeunesse ».





PARTIE 2 : Homosexualité et nazisme : discours, formes et étapes de la répression



Des discours ambigus et contradictoires

Le positionnement du NSDAP – le parti nazi – sur l’homosexualité resta longtemps ambigu. Les organisations nazies, telles que la SA, la SS, ou les Jeunesses hitlériennes, valorisaient l’amitié entre hommes, selon le principe du Männerbund, l’État viril. Ernst Röhm, chef de la SA, était lui-même un homosexuel notoire. Le régime nazi usait par ailleurs d’une esthétique homoérotique, bien visible par exemple dans les sculptures monumentales d’Arno Breker ou celles de Joseph Thorak, ou dans la production cinématographique de Leni Riefenstahl. La propagande communiste, à partir de 1934, associa ainsi l’homosexualité à une « perversion fasciste », cliché repris par les exilés allemands, et qui perdura jusqu’après la guerre (Luchino Visconti, Les Damnés, 1969). Certains dirigeants nazis, en premier lieu Heinrich Himmler, développèrent cependant très tôt une rhétorique homophobe radicale, dénonçant l’homosexualité comme une conséquence du mélange des races. Le NSDAP s’était opposé, en 1927 et 1928, à l’abrogation du §175 et Magnus Hirschfeld, lors de ses meetings à Munich, fut à plusieurs reprises victime d’agressions. Dans la perspective nazie, l’homosexuel n’avait pas de valeur sociale. S’il refusait de se plier aux exigences de la nation allemande (se marier, faire des enfants), dans un contexte d’angoisse démographique et de lutte pour la conquête de l’espace vital, il devait être mis au pas, « guéri », « rééduqué », sinon éliminé.



Une mise en oeuvre différenciée

Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir, en février 1933, lesrevues homosexuelles sont interdites, les clubs fermés, les mouvements militants dissous. La répression touche d’abord Berlin, la province étant inégalement et parfois tardivement touchée. Suite à un décret du 10 février 1934, les arrestations visent alors en priorité les prostitués, travestis, « corrupteurs de la jeunesse » et récidivistes, d’abord incarcérés à la Columbia-Haus, à Berlin- Tempelhof. Certains sont ensuite envoyés en camp de concentration (Lichtenburg, Dachau…), parfois sans avoir été jugés. La Nuit des longs couteaux (29-30 juin 1934), avec l’élimination de Röhm, marque un tournant. Le 1er septembre 1935, un nouveau §175, remanié, entre en vigueur. Tout acte sexuel, ou même toute expression de désir entre hommes, tombe désormais sous le coup de la loi. Les cas les plus graves sont passibles de dix ans de travaux forcés. Le 10 octobre 1936, sur ordre d’Himmler, est créé au sein du bureau de la police criminelle du Reich (Reichskriminalpolizeiamt, RKPA) l’Office central du Reich pour combattre l’homosexualité et l’avortement (Reichszentrale zur Bekämpfung der Homosexualität und Abtreibung), avec pour mission d’enregistrer et de ficher tous les cas d’homosexuels qui lui sont rapportés. Il est dirigé par l’Obersturmführer Josef Meisinger, également à la tête du bureau spécial de la Gestapo chargé de ces affaires. La surveillance des lieux de rencontre est renforcée, les dénonciations encouragées, la répression accentuée.





PARTIE 3 : Les « triangles roses » et la déportation homosexuelle



Le sort des triangles roses dans les camps

Les condamnés au titre du §175 connurent des destins hétérogènes. Si une majorité d’entre eux subit une peine de prison, une minorité fut envoyée en camp de concentration, avant ou après avoir purgé sa peine, afin d’y être « rééduquée » par le travail. Certains, jugés « guéris », furent ensuite intégrés à la Wehrmacht. D’autres furent envoyés en hôpital psychiatrique, et parfois « euthanasiés ». Ceux qui étaient condamnés par les tribunaux militaires étaient exécutés ou envoyés dans des missions suicides. D’autres, en revanche, furent exceptionnellement relâchés. Il ne fut cependant jamais question d’« exterminer » les homosexuels dans leur ensemble. Dans les camps, les triangles roses durent affronter des conditions de détention inhumaines. Ils étaient fréquemment assignés à la compagnie disciplinaire et aux tâches les plus difficiles, comme dans la carrière d’argile à Sachsenhausen. Certains furent castrés, d’autres soumis à des expériences médicales. Ces tortures étaient accentuées par l’isolement. Les triangles roses ne constituaient, au maximum, que 1 % de l’effectif global des camps, et ils étaient souvent isolés dans des blocs à part, par crainte de la « contagion », alors que les autres détenus, qui les assimilaient aux kapos qui extorquaient des faveurs sexuelles aux prisonniers, leur étaient souvent hostiles. Ils étaient de fait, à certaines périodes, au plus bas de la hiérarchie des camps, juste au-dessus des Juifs.



Le cas des lesbiennes

Phénomène jugé secondaire et facilement contrôlable par le régime nazi, le lesbianisme ne fut pas criminalisé lors de la refonte du §175. Si les lesbiennes virent leur subculture détruite, la majorité d’entre elles échappa à la répression, à condition de rester discrètes et de se conformer aux normes de genre en vigueur. Dans ce climat hostile, certaines s’exilèrent ou contractèrent un mariage blanc. Les femmes arrêtées le furent souvent sous un autre prétexte, même si leur homosexualité put constituer une circonstance aggravante. En Autriche, qui pénalisait le lesbianisme, la période après l’Anschluss vit une forte hausse des condamnations. Déportées, ces femmes ne portaient pas le triangle rose, mais étaient enregistrées selon les cas comme juives, politiques, asociales et/ou criminelles. On ne trouve que de rares traces de leur présence dans les camps, où elles furent souvent victimes d’humiliations et de viols ; certaines furent forcées de se prostituer dans le bordel du camp, sous la promesse d’être ensuite libérées. Dans les camps, par exemple à Ravensbrück, si des amitiés homosexuelles purent se nouer entre femmes, elles étaient sévèrement punies si découvertes. Les prisonnières lesbiennes pouvaient également souffrir de l’ostracisme de la part de leurs codétenues, d’autant que les femmes kapos et certains triangles noirs (« asociales ») ou verts (« droits communs ») étaient elles-mêmes virilisées (« julots ») et accusées d’être homosexuelles (Germaine Tillion, Le Verfügbar aux enfers, 1944-1945).



L’Europe nazie

Le sort des homosexuels dans les pays alliés de l’Allemagne, annexés ou occupés par elle, a pu différer de manière sensible. Le §175 ne s’appliquait ainsi qu’aux ressortissants du Reich, allemands et habitants des territoires annexés. Les nazis voyant l’homosexualité comme une forme de dégénérescence, sa présence dans des populations jugées « inférieures » était indifférente, sinon bénéfique. Dans l’ancien Empire austro-hongrois, la situation était très complexe : le §175 s’appliquait dans les Sudètes annexées, mais le protectorat de Bohême-Moravie, créé en 1939, prenait en compte, selon les zones, mais aussi l’ethnicité, les droits allemand, autrichien ou hongrois – moins sévères –, voire le droit polonais, qui ne pénalisait pas l’homosexualité. Aux Pays-Bas, le §175 fut introduit en 1940, aux côtés de la Section 248 bis du Code pénal néerlandais qui pénalisait déjà les relations homosexuelles avec des mineurs, mais il ne fut pas appliqué de manière systématique. En Italie, où l’homosexualité n’était pas pénalisée, l’exil d’une centaine de « pédérastes passifs » vers les îles Tremiti fut néanmoins organisé à partir de 1938. Certains virent leur peine commuée en 1940, d’autres furent évacués en juillet 1942. Chez les alliés, la Grande-Bretagne, les États-Unis, l’URSS (depuis 1934), entre autres, pénalisaient aussi les relations sexuelles entre hommes. Trois pays neutres, l’Islande, en 1940, la Suisse, en 1942 (sauf dans l’armée), et la Suède, en 1944, dépénalisèrent alors les relations homosexuelles entre adultes consentants.



La France

La situation française est complexe. Le 6 août 1942, le régime de Vichy met en place une loi fixant l’âge de la majorité sexuelle à 21 ans pour les relations entre personnes de même sexe, contre 13 ans pour les relations hétérosexuelles, mais son impact reste alors limité. Une vie homosexuelle clandestine se poursuit sur le territoire, notamment à Paris, autour de bars, de clubs, et dans l’entourage de certaines personnalités (Jean Cocteau, Suzy Solidor…). Si les milieux de la collaboration fustigent les « invertis », jugés avec d’autres responsables de la défaite, la Résistance impose après-guerre la figure du collaborateur homosexuel (Abel Bonnard, dit « la Gestapette », Robert Brasillach, Maurice Sachs, Violette Morris…), invisibilisant dès lors la présence d’homosexuels et de lesbiennes dans ses propres rangs (Roger Stéphane, Pascal Copeau, Daniel Cordier, Claude Cahun…). En France occupée, seule la justice militaire allemande peut poursuivre au titre du §175. En Alsace-Moselle, annexée au Reich, le Code pénal français continue d’être appliqué jusqu’en 1942, même si le §175 est introduit progressivement à partir de 1941. Les procès sont donc rares jusqu’en 1942, même si les poursuites peuvent être rétroactives et les peines sévères. Pour autant, la répression extrajudiciaire de l’homosexualité est intense dès l’été 1940 en Alsace : fichage ; expulsion d’homosexuels vers la France « de l’intérieur » ; détention au camp de sûreté de Schirmeck. Certains sont libérés, d’autres expulsés, d’autres, enfin, envoyés en camp de concentration après une peine de prison.





PARTIE 4 : Une longue quête de reconnaissance



Des témoignages ignorés, une répression continue

Au lendemain de la guerre, rares sont les homosexuels à témoigner du sort qui fut le leur sous le régime nazi, même si certains témoins, comme Eugen Kogon (L’État SS, 1946), évoquent la présence des triangles roses dans les camps, et si des revues homophiles, à l’instar d’Arcadie (1954- 1982) en France, y font ponctuellement allusion. C’est qu’en Allemagne les homosexuels se voient non seulement nier le statut de « victimes du nazisme », mais ils sont toujours susceptibles d’être condamnés au titre du §175, en vigueur jusqu’en 1969 en RFA, et jusqu’en 1968 en RDA. En Angleterre, la dépénalisation a lieu en 1967, après des années de répression (suicide d’Alan Turing en 1954). En France, la loi de 1942 n’est abrogée qu’en 1982. La psychiatrisation de l’homosexualité s’accroît, à l’Ouest comme à l’Est. Il faut attendre les années 1970 pour que la déportation pour motif d’homosexualité soit ouvertement débattue, sous l’influence des mouvements de libération gay et lesbien. Les chiffres, incertains, sont alors souvent exagérés. Le témoignage d’Heinz Heger (1972), triangle rose autrichien, fait date, comme plus tard, en France, celui de Pierre Seel (1994). Avec Bent (1979), pièce de Martin Sherman portée au cinéma en 1997, la déportation homosexuelle commence à être connue du grand public. Le triangle rose, parfois inversé, s’impose comme un référent identitaire LGBT, utilisé par exemple par Act Up dans la lutte contre le sida.



Le temps long de la reconnaissance officielle

Dès 1975, à Dachau, en RFA, et dès 1983, à Buchenwald, en RDA, des associations homosexuelles tentent de déposer des gerbes à la mémoire des triangles roses. En mai 1985, le président ouest-allemand Richard Von Weizsäcker reconnaît publiquement la persécution des homosexuels sous le régime nazi. Le 17 mai 2002, le Bundestag vote finalement la réhabilitation – pour beaucoup posthume – des hommes condamnés au titre du §175 durant la période nazie, ouvrant la voie à leur indemnisation. En France, lors des cérémonies du Souvenir de la Déportation, les associations homosexuelles se heurtent aux associations d’anciens combattants, dans un climat parfois tendu. Il faut attendre le discours de Lionel Jospin du 26 avril 2001, confirmé par celui de Jacques Chirac, du 24 avril 2005, pour amorcer le début d’une reconnaissance officielle. Aujourd’hui, des monuments (Homomonument, Amsterdam, 1987 ; Tiergarten, Berlin, 2008…) et des plaques (Neuengamme, Hambourg, 1985 ; Natzweiler-Struthof, 2010…) honorent la mémoire des victimes homosexuelles du nazisme. Des documentaires (Paragraphe 175, de Rob Epstein et Jeffrey Friedman, 2000) relaient la parole des survivants. La recherche scientifique s’est emparée du sujet, proposant des analyses du cas allemand, et de plus en plus des pays alliés et occupés. En France, les travaux se sont multipliés depuis les années 2000, permettant de préciser la nature et l’ampleur de la répression sur son territoire.