🔊 “Black Indians de La Nouvelle-Orléans” au musée du quai Branly – Jacques Chirac, Paris, du 4 octobre 2022 au 15 janvier 2023
“Black Indians de La Nouvelle-Orléans“
au musée du quai Branly – Jacques Chirac, Paris
du 4 octobre 2022 au 15 janvier 2023
PODCAST – Interview de Steve Bourget, responsable de collections Amériques au musée du quai Branly – Jacques Chirac et commissaire de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 3 octobre 2022, durée 24’42.
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :
Commissaire principal :
Steve Bourget, responsable de collections Amériques au musée du quai Branly – Jacques Chirac.
Commissaire associée :
Kim Vaz-Deville, professeur, Xavier University of Louisiana, La Nouvelle-Orléans.
Avec pour sujet principal les réalisations culturelles les plus spectaculaires de la communauté africaine-américaine dans les domaines carnavalesques, musicaux et artistiques, l’exposition Black Indians de La Nouvelle-Orléans constitue un vibrant témoignage de l’histoire et du vécu des Africains en terre louisianaise et en Amérique du Nord.
Si la violence scande tous les moments saillants de l’histoire louisianaise des Africains-Américains – violence de leur capture et de leur déracinement, de la traversée et du débarquement à La Nouvelle-Orléans, de l’esclavage, de la guerre de Sécession, de la ségrégation et du racisme – elle façonne leur parcours protéiforme, entraînant des stratégies de résistance et un processus fort complexe de résilience, de réorganisation sociale et de créativité culturelle et artistique.
L’exposition, conçue en collaboration avec les représentants des communautés des Black Indians, s’organise en six tableaux consécutifs selon un parcours à la fois géographique, de l’« Ancien Monde » au « Nouveau Monde », et chronologique, des débuts de la présence européenne en Louisiane à la période contemporaine. Elle vise à documenter cette histoire et célébrer cette créativité avec, pour axe central, le carnaval du Mardi gras de La Nouvelle-Orléans, l’une des plus flamboyantes démonstrations de résilience et d’affirmation culturelle et artistique.
Derrière les éblouissants costumes des Africains-Américains de Louisiane, tels que ceux des Black Indians, l’exposition révèle une culture singulière, construite par plus de trois siècles de résistance contre les assauts répétés de la domination sociale et raciale, tant sous la colonisation française qu’après l’indépendance américaine.
Définition de Black Indians
Les Black Indians sont des groupes d’Africains-Américains organisés en « tribes » qui défilent chaque année au carnaval du Mardi gras de La Nouvelle-Orléans avec des costumes inspirés des tenues cérémonielles amérindiennes. Une tradition qui remonte à la deuxième moitié du 19e siècle, née de la résistance aux interdits ségrégationnistes, parallèlement au carnaval officiel de La Nouvelle-Orléans dominé par la communauté blanche – et dont les Africains-Américains étaient largement exclus. Les Black Indians constituent l’expression la plus flamboyante des performances culturelles et carnavalesques de la communauté africaineaméricaine de La Nouvelle-Orléans. Ils incluent également les « Second Line », les « Baby Dolls » et les « Skull and Bone Gangs ».
Pour retrouver toute la programmation autour de l’exposition : https://m.quaibranly.fr/fr/expositions-evenements/au-musee/expositions/details-de-levenement/e/black-indians-de-la-nouvelle-orleans
#ExpoBlackIndians
Parcours de l’exposition
La découverte d’un nouveau monde
La première section présente la région de la Louisiane, ses premiers habitants amérindiens, puis son entrée dans la sphère d’influence européenne. Les aventuriers anglais établis en Nouvelle-Angleterre, depuis la première moitié du 17e siècle, infligent aux peuples autochtones de la région du Mississipi la violence de la poussée colonisatrice européenne et les affres des razzias, de la capture et de l’esclavage. À partir de la colonisation française et la fondation de La Nouvelle-Orléans en 1718, le débarquement immédiat de captifs africains vise à reproduire le modèle économique d’exploitation et de production de Saint-Domingue, qui requiert une quantité sans cesse grandissante de main-d’œuvre servile, les esclaves autochtones ne suffisant plus. Dans un contexte commun de servitude et d’oppression, les Amérindiens tissent des liens durables et respectueux avec les Africains nouvellement arrivés. Au cours du 19e siècle, l’imaginaire, les modes de vie, les croyances et les costumes amérindiens deviennent source d’inspiration pour les tout premiers Black Indians.
Le triangle de fer : Europe, Afrique et Amérique
La section suivante évoque la colonisation de la Louisiane, l’établissement de La Nouvelle-Orléans et la mise en place d’une société esclavagiste avec l’arrivée de la frégate Aurore dans le golfe du Mexique en 1719. Durant la période française, près de 6000 esclaves débarquent dans la ville. En 1731, environ 30% des habitants de La Nouvelle-Orléans sont d’origine africaine. Le Code noir édicté par Colbert (1685), qui fixe le statut juridique des esclaves et impose leur christianisation, est appliqué en Louisiane à partir de 1724. La religion catholique leur interdisant de travailler la terre le dimanche, des esclaves africains de diverses origines, des métis et des Amérindiens se réunissent aux environs de 1750 en un lieu dit « place des Nègres », plus tard appelée « place Congo ». Ils s’y retrouvent pour commercer, danser, jouer de la musique et échanger des stratégies de survie. Ce temps hors de la servitude favorise une forme de résilience, qui se traduit par des expressions culturelles, artistiques et religieuses renouvelées comme la langue créole et le vaudou. Au rythme des tambours, la danse, la musique et le chant façonnent l’identité de La Nouvelle-Orléans.
La transition vers un nouveau pays
La troisième section évoque le passage de l’administration européenne de l’Amérique vers la création des États-Unis d’Amérique en 1776. Le traité de Paris, en 1763, met fin à la guerre des Sept Ans entre la France, l’Espagne et la Grande-Bretagne. Par ce traité, la France cède à la Grande-Bretagne les territoires coloniaux de la Nouvelle France, entraînant le déplacement forcé des Acadiens vers la Louisiane et les Antilles. Ce « Grand Dérangement » met en germe l’apparition de la culture cadjine. Incapable de conserver tout le territoire de la Nouvelle-France, la France conclut un pacte secret avec son allié espagnol afin de soustraire au contrôle britannique la partie occidentale de la Louisiane, incluant La Nouvelle- Orléans. La région sera rétrocédée par l’Espagne à la France en 1800. L’année 1803 marque un tournant dans l’aventure française en Amérique et éteint définitivement les espoirs d’y fonder un empire colonial. Appauvri par les coûteuses campagnes militaires européennes, la main forcée par les pères de la jeune Amérique, Napoléon Bonaparte décide de vendre la colonie française de Louisiane et de mettre fin aux visées impérialistes françaises dans le Nouveau Monde. La vente de cet immense territoire constitue l’événement le plus structurant de la création du nouveau pays des États-Unis d’Amérique. Représentant près d’un quart de la superficie actuelle des États-Unis, la cession de la Louisiane, qui correspond à quatorze États américains actuels, permet l’unification du territoire de l’Atlantique au Pacifique.
Les États-Unis d’Amérique et la question raciale
Si les empires européens se sont en grande partie enrichis grâce à l’esclavage des Africains, l’édification de la jeune Amérique a reposé sur la force de travail de ces mêmes populations. Affranchi de la tutelle britannique, ce pays nouveau n’abandonna officiellement ces formes d’exploitation qu’au prix d’une sanglante guerre civile et de l’assassinat du Président Abraham Lincoln en 1865. L’idéologie suprémaciste selon laquelle une race supérieure, blanche et protestante, aurait été divinement choisie pour exploiter des hommes dont la couleur de peau indiquerait leur état de subordonné, voire leur infériorité intellectuelle, ne s’éteint pas avec les derniers feux de camp de la guerre de Sécession. Elle se perpétue surtout dans les États du Sud avec l’établissement des lois ségrégationnistes Jim Crow, la formation de groupes suprémacistes tels que la White League de la Louisiane, le Ku Klux Klan et la pratique du Convict Leasing, système de servitude qui consiste à louer le travail des prisonniers condamnés. Afin de hâter la Reconstruction d’après-guerre, des dizaines de milliers d’Africains-Américains, au prétexte d’offenses aussi dérisoires que cracher par terre ou marcher sur le gazon, sont poursuivis, avec la complicité du système judiciaire de nombreux États du Sud, et condamnés au labeur forcé dans des fermes, des mines, ou encore des compagnies de chemin de fer.
Le passage de l’ouragan Katrina le 29 août 2005 marque un tournant décisif dans l’histoire de La Nouvelle-Orléans. D’une rare violence, ce désastre, tant météorologique que socio culturel, frappe par-dessus tout la communauté africaine-américaine qui, dans une dynamique urbaine caractérisée par une ségrégation spatiale, occupe les quartiers les plus vulnérables aux ouragans. La plupart des quartiers à majorité noire sont inondés lors de la tempête, en raison notamment de la rupture des digues mal entretenues. Après avoir été abandonnés à leur sort par la puissance publique ou dispersés aux quatre coins de la Louisiane et des États voisins, les résidents entreprennent rapidement la laborieuse reconstruction de leurs quartiers et de leur communauté. Dès l’année suivante, avec le carnaval de 2006, les groupes de Black Indians paradent démontrant ainsi leur extraordinaire capacité de résilience et réaffirment l’importance de cette forme d’expression culturelle.
Art, spectacle et spiritualité
Au travers de costumes, d’objets, de vidéos et de bandes sonores, la dernière section de l’exposition célèbre les principales traditions culturelles et festives des Africains-Américains de La Nouvelle-Orléans. Outil fédérateur puissant, source de fierté et d’identité collective, le carnaval des Black Indians constitue le point d’orgue de ces riches traditions. En s’appropriant la rue et en investissant l’espace public, le carnaval affirme la présence et l’importance des communautés africaines-américaines de et dans la ville. Parmi les plumes, les sequins et les perles multicolores, au travers des chants, de la musique et du rythme saccadé des corps se cachent ou s’expriment ouvertement des valeurs spirituelles profondes – des valeurs et des croyances puisées dans les religions africaine, vaudoue, catholique, islamique, ainsi que dans l’imaginaire amérindien ou tout simplement dans l’imaginaire personnel. Cette tradition, qui remonte à la place Congo, illustre de façon éclatante la force de résilience des Black Indians, creuset de cultures déracinées devenues composantes à part entière de la culture américaine.