âLe Chant des ForĂȘtsâ
L’Ă©cho d’un monde qui pousse
au MAIF Social Club, Paris
du 1er octobre 2022 au 22 juillet 2023

PODCAST –Â Interview de Lauranne Germond, COAL, commissaire de lâexposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 28 septembre 2022, durĂ©e 14’39.
© FranceFineArt.
Texte de Sylvain Silleran






Les murs se recouvrent d’une mousse vĂ©gĂ©tale, un organisme vivant, odorant, qui grimpe le long des piliers, tombe du haut des murs comme une chevelure lourde. La nature envahit le MAIF Social Club; la forĂȘt, lieu de contes et de lĂ©gendes, lĂ oĂč se rĂ©fugient les exclus et les brigands, théùtre de luttes, de dĂ©couvertes, reprend ses droits sur la ville.
Carbon catcher de Thierry Cohen, photographie d’une forĂȘt primaire de Pologne, livre ses couleurs sous la forme de la bande-son de l’audionaturaliste Fernand Deroussen. Ses enregistrements des chants des oiseaux de la forĂȘt de BiaĆowieĆŒa emplissent l’espace et le rendent plus lumineux. Parfaite ambiance pour respirer les couleurs de chlorophylle de la CanopĂ©e d’Emilie FaĂŻf. Ses cimes d’arbres en bandes de tissus, chutes textiles soigneusement triĂ©es et recyclĂ©es forment un mini labyrinthe de onze petits poufs souples et Ă©lastiques sur lesquels on voudrait rebondir moelleusement. Les gammes de vert vont du sombre, terne un peu bleutĂ© aux verts tendres, vifs et juvĂ©niles. Les motifs Ă fleurs, Ă rayures et Ă pois laissent Ă©clore une floraison.
Il faut regarder dans des petits tubes pour voir quelques planches de l’Atlas racinaire des chercheurs de l’universitĂ© de Wageningen. Ces dessins des rĂ©seaux de racines de milliers de plantes et d’arbres ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s, classĂ©s et archivĂ©s pendant prĂšs de quarante ans. (http://images.wur.nl/digital/collection/coll13). Puis on change d’Ă©chelle avec, accrochĂ©e au mur, l’araignĂ©e gĂ©ante de Florian Mermin construite en sapins de NoĂ«l abandonnĂ©s. Elle est susceptible d’effrayer les plus Ă©motifs, car se promener dans la forĂȘt n’est pas de tout repos. Entrer dans la cabane de Tatiana Wolska, passer sous ce mikado de branches dont le sommet nous Ă©chappe nous fait pĂ©nĂ©trer dans une forĂȘt enchantĂ©e, un monde baignĂ© dans l’obscuritĂ©, une nuit aux fragrances d’humus, de champignons. On y trouve une maison de contes de fĂ©es en cĂ©ramique, celle de Hansel et Gretel, qui commence dĂ©jĂ Ă se laisser engloutir par des plantes, des tentacules vĂ©gĂ©tales. DisposĂ©s dans un halo de lumiĂšre, une paire de mains griffues, des gants de pattes de loup-garou. Le bronze patinĂ© de Florian Mermin ressemble Ă du cuir un peu malĂ©fique, une erreur gĂ©nĂ©tique ayant engendrĂ© un monstre entre homme et animal.Â
AprĂšs la fiction, la forĂȘt-chantier du collectif Fibra nous rend Ă la rĂ©alitĂ©. Des sculptures en cosses de maĂŻs et son de blĂ©, remplies de mycĂ©lium, de spores de pleurotes sont pendues Ă des fils. MĂ©gaphones, tĂ©lĂ©phones, radios et ordinateurs, microphones, enceintes sont les outils des bĂ»cherons qui dĂ©forestent ce coin de forĂȘt pĂ©ruvienne. Mais ces mĂȘmes outils servent dĂ©sormais aux dĂ©fenseurs de l’Ă©cosystĂšme. Ces objets Ă l’aspect terreux, comme s’ils avaient subi quelques saisons enfouis dans la terre rappellent que les champignons forment un rĂ©seau de communication souterrain entre les arbres. Les technologies de communication servent dĂ©sormais aux peuples autochtones Ă dĂ©fendre leur territoire, leur habitat.
Romain Bernini ne peint pas les arbres comme Ă©lĂ©ments d’un paysage mais en fait le portrait sur des toiles immenses. Le violet vire au turquoise, des reflets roses, des ombres rouges, carmins dressent une ambiance nocturne, une nuit amĂ©ricaine de cinĂ©ma. Le fond liquide coule comme une pluie acide, une lumiĂšre fluorescente un peu inquiĂ©tante. L’arbre-sujet montre un caractĂšre, une personnalitĂ© Ă la fois paisible et trouble, la possibilitĂ© d’un climat qui se ferait dangereux. La vie et la mort, voilĂ bien l’enjeu. ForĂȘt de plumes de Thierry Boutonnier clĂŽture cette traversĂ©e. Une clairiĂšre apparait au sortir d’une forĂȘt de troncs de feutre noir. Sur un Ă©lĂ©gant tapis de plumes blanches se dresse une montagne dorĂ©e. C’est chic et glamour comme une piĂšce montĂ©e de mariage, mais il s’agit d’une accumulation Ă©cĆurante de nuggets de fast food, une production industrielle sortie de grands sacs surgelĂ©s. La beautĂ© de la nature, sa sauvagerie, sa libertĂ© sont soudain assassinĂ©s. Il ne reste qu’une pile de nourriture qui ressemble plus Ă un dĂ©bordement de dĂ©chets. Une abondance en forme de tombe, de monument funĂ©raire.
De la naissance, des petits papiers contenant des graines que l’on est invitĂ©s Ă cueillir dans un panier, Ă la mort, c’est tout un cycle de vie que l’on a ainsi parcouru. Le chant des forĂȘts rĂ©sonnera encore longtemps.Â
Sylvain Silleran
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat :
Lauranne Germond, COAL
Les artistes :
Romain Bernini / FĂ©lix Blume / Thierry Boutonnier / Thierry Cohen / Fernand Deroussen / Ămilie FaĂŻf / FIBRA / Beya Gille Gacha / Florian Mermin / Tatiana Wolska
Comme une polyphonie, Le Chant des ForĂȘts donne Ă entendre les voix de la forĂȘt, celles des vivants qui la composent et la dĂ©composent, celles des rites et des cultes qui la traversent depuis la nuit des temps, mais aussi celles des humains qui lâhabitent et luttent pour les protĂ©ger.
Ă la fois chaĂźne et maillon de lâĂ©cosystĂšme planĂ©taire, source dâoxygĂšne et puits de carbone, aĂ©rienne et souterraine, la forĂȘt est vitale pour lâĂ©quilibre global des Ă©cosystĂšmes, pour la biodiversitĂ© et pour les sociĂ©tĂ©s humaines qui, depuis des millĂ©naires, comptent sur ses ressources. Lieu de vie pour de nombreux peuples autochtones qui luttent aujourdâhui pour dĂ©fendre un autre rapport Ă la nature et au vivant, le « bois » est aussi ce lieu politique, refuge historique pour les libertaires et les rĂ©sistants. Toutes sortes de crĂ©atures, dieux, fĂ©es, elfes, sorciĂšres, monstres et dĂ©mons y cohabitent Ă©galement et hantent lâimaginaire de la forĂȘt, des mythes dâAmazonie aux lĂ©gendes de BrocĂ©liande. Objet de crainte ou havre de paix, la forĂȘt vĂ©hicule une multitude de rĂ©cits et de savoirs qui nous renvoient aux confins de lâhumanitĂ©.
Pourtant, la forĂȘt est devenue en quelques dĂ©cennies le symbole et le point de convergence des convoitises, des catastrophes environnementales et des luttes qui agitent le monde contemporain en crise. Treize millions dâhectares de forĂȘts disparaissent chaque annĂ©e sous la pression du surpĂąturage, de lâexploitation du bois, de lâurbanisation et surtout de lâagriculture intensive dâhuile de palme et de soja Ă destination de lâĂ©levage industriel. Des pans entiers de forĂȘt brĂ»lent aux quatre coins de la planĂšte, tandis que dâautres meurent sous lâeffet du rĂ©chauffement climatique, privant la faune et la flore de leur habitat naturel.
Les forĂȘts parlent, elles chantent et nous enchantent. Elles crient aussi. Elles appellent et interpellent. Les dix artistes de lâexposition Le Chant des ForĂȘts nous invitent Ă composer ensemble cet appel du vivant pour le droit au merveilleux et Ă la beautĂ© du monde, depuis la forĂȘt-refuge, lĂ oĂč germent les rĂ©sistances et oĂč bourgeonnent les expressions en marge, lĂ oĂč fleurit cette libertĂ© sauvage et furtive qui sâexerce loin des regards, loin de la ville et de lâagitation du monde, lĂ oĂč se plante le monde de demain.
Lauranne Germond, commissaire