Archives

“Karla Hiraldo Voleau” Another Love Story, à la Maison Européenne de la Photographie, Paris, du 17 juin au 21 août 2022

Partage


“Karla Hiraldo Voleau” 
Another Love Story

à la Maison Européenne de la Photographie, Paris

du 17 juin au 21 août 2022

Maison Européenne de la Photographie


previous arrow
Karla Hiraldo Voleau
Karla Hiraldo Voleau
Karla Hiraldo Voleau
Karla Hiraldo Voleau
Karla Hiraldo Voleau
Karla Hiraldo Voleau
Karla Hiraldo Voleau
Karla Hiraldo Voleau
Karla Hiraldo Voleau
Karla Hiraldo Voleau
next arrow
Karla Hiraldo Voleau
Karla Hiraldo Voleau
Karla Hiraldo Voleau
Karla Hiraldo Voleau
Karla Hiraldo Voleau
Karla Hiraldo Voleau
Karla Hiraldo Voleau
Karla Hiraldo Voleau
Karla Hiraldo Voleau
Karla Hiraldo Voleau
previous arrow
next arrow

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 16 juin 2022.


Texte de Sylvain Silleran

Karla Hiraldo Voleau, de la série « Another Love Story », 2021. © Karla Hiraldo Voleau.
Karla Hiraldo Voleau, de la série « Another Love Story », 2021. © Karla Hiraldo Voleau.
Karla Hiraldo Voleau, de la série « Another Love Story », 2021. © Karla Hiraldo Voleau.
Karla Hiraldo Voleau, de la série « Another Love Story », 2021. © Karla Hiraldo Voleau.
Karla Hiraldo Voleau, de la série « Another Love Story », 2021. © Karla Hiraldo Voleau.
Karla Hiraldo Voleau, de la série « Another Love Story », 2021. © Karla Hiraldo Voleau.
Karla Hiraldo Voleau, de la série « Another Love Story », 2021. © Karla Hiraldo Voleau.
Karla Hiraldo Voleau, de la série « Another Love Story », 2021. © Karla Hiraldo Voleau.

« Les histoires d’amour finissent mal, en général… » chantent les Rita Mitsouko. Celle de Karla Hiraldo Voleau eut une fin aussi funeste lorsqu’elle découvrit au détour d’une conversation téléphonique que son amant – appelé ici X pour préserver son anonymat – avait une double vie. Tomber des nues, faire son deuil, et dans son téléphone, des centaines de photos prises durant cette idylle racontent un an de vie à deux. Les photos on ne peut plus banales d’un quotidien amoureux, celles que l’on s’envoie sur Whatsapp ou Messenger, qui seront aussitôt remplacées par les suivantes forment un flux continu. Elles se voient upcyclées façon boutique bobo parisienne, imprimées sur un beau papier cotonneux en un grand projet, les pages d’un grand calendrier. Les mois s’égrènent écrits au feutre bleu sur le mur : juin, juillet, août, septembre, octobre… les clichés bien alignés en rangs et en colonnes, un froid tableau Excel de chef de projet.


Karla engage un modèle – sosie de X – pour jouer son rôle et refaire toutes les photos où celui-ci figurait de face. La recréation artificielle du réel interroge celui-ci, la vie photographiée devient fiction, image lissée prête pour les réseaux sociaux. Le bel amant se trouve exclu de l’eden que lui offrait l’intimité pour devenir – chemise blanche et sourire carnassier – un profil Tinder, voire Linkedin. Le voilà qui se promène, fait la cuisine, touille une poêle vide, on se réveille dans des appartements chic, des beaux draps blancs froissés, on boit des verres en terrasse. Tout a l’air faux, l’amant artificiel a le regard éteint, la pose figée, désincarnée, ses sourires sont des rictus gênants, il trinque d’un verre vide de tout nectar, de toute félicité. Tous ces efforts pour recréer une image la vident de son contenu, la stérilisent, assassinent la spontanéité. De la vie, de la relation, il ne reste rien, rien qu’un « process » comme dit la photographe. De l’amour, où ça ? On joue à « faire semblant » comme des enfants cruels.


L’été on se baigne dans l’eau d’un joli lac, en février il y a eu beaucoup de neige. Ce fil Instagram n’est pas clinquant comme celui d’une influenceuse, les photos sont au-delà du banal, comme si l’artiste avait tenté avec une terrible ardeur de photographier en oubliant tout ce qu’elle a appris à l’école d’art. C’est accroché comme un travail scolaire, un projet d’étudiant devant ses professeurs. Elle réussit à créer une sorte d’anti-photographie. Des jeux d’ombres vus mille fois, la lumière qui entre par les voilages d’une haute fenêtre, une ombre sur le sable, une silhouette qui s’en va, se découpant sur une rue enneigée. Le vocabulaire visuel est très pauvre, ça pourrait être l’histoire d’un rouleau de film trouvé dans un appareil photo déniché sur une brocante. A se plonger si profondément dans ce que les téléphones et les réseaux sociaux ont fait de la photographie, on découvre un art mort, assassiné et dépecé par une masse consumériste.


Sur des feuilles A4 fixées au mur par quatre épingles on suit la retranscription de la conversation  que Karla Hiraldo Voleau eut avec sa rivale, l’affreuse réalisation de l’imposture, le monde qui s’écroule. La typo et la mise en page sont celles d’un scénario. Il y a même écrit au début : « Intérieur jour – mon appartement », comme dans un vrai script. Tout a l’air si faux, si creux que ça ne peut être qu’une grande mystification, après « La grande escroquerie du Rock’n’Roll » voici la grande escroquerie de l’amour, de la photographie. On commence à douter, c’est donc un coup de génie punk ? Un faux projet pour dénoncer la fausseté de nos vies sur les réseaux, la zombification de nos âmes se perdant dans nos petits écrans ?


« Intérieur nuit – mon appartement, deux semaines plus tard. »
Karla se lève et danse, chante en pyjama « I will survive » de Gloria Gaynor. Comment faire plus cliché ? Voilà une belle tarte à la crème jetée au visage de notre cynisme. Nous avons oublié comment aimer, comment regarder, comment pouvons-nous espérer créer ? Quelle tristesse que de repasser sous ces bouquets d’immortelles suspendus au plafond et ne rien ressentir d’amoureux. Le cœur serré, on se jure, mais un peu tard, qu’on ne nous y reprendra plus.



Sylvain Silleran


Communiqué de presse :

Commissaire d’exposition : Clothilde Morette



La photographe franco-dominicaine Karla Hiraldo Voleau présente, dans l’espace du Studio, son nouveau projet inédit intitulé Another Love Story, réalisé en réponse à l’invitation de la MEP, à l’occasion de la saison Love Songs. Il s’agit de la première exposition solo de l’artiste en France.

Karla Hiraldo Voleau mène un travail artistique sur l’intime comme espace critique. Le genre, la sexualité, les émotions et le corps, sont autant de sujets qu’elle aborde dans ses photographies afin de révéler ce qui se joue au-delà des apparences.

L’artiste n’hésite pas à se mettre en scène dans ses projets artistiques, mêlant ainsi récits autobiographiques et fictions. Le projet Another Love Story a pour origine une histoire personnelle ; elle y présente une série de photographies et de textes qui reconstituent et rejouent les derniers mois de sa relation avec un homme. L’artiste y mène une réflexion sur le médium photographique comme outil fictionnel et s’intéresse à la mise en scène du sentiment amoureux, montrant ainsi que nous reproduisons, souvent malgré nous, des normes et des évaluations sociales censées définir le couple.

Détaillant les derniers mois de sa relation avec un homme, que l’artiste a choisi de nommer X par soucis d’anonymat, Karla Hiraldo Voleau relate le basculement qui s’est opéré au cours de leur histoire, à savoir la découverte de la double vie de son compagnon. La révélation aura lieu lors d’une discussion, retranscrite dans l’exposition, entre l’artiste et l’autre compagne de X, elle-même ignorante de la duplicité. À partir de ce moment, un renversement s’opère. Cette découverte va profondément ébranler son identité et ébrécher ses croyances. Que faire quand on se retrouve dépossédé de son histoire ? 

Karla Hiraldo Voleau décide de se réapproprier ce récit, en rejouant différents moments de leur liaison, et reproduit, à l’identique, les clichés réalisés dans le cadre intime de son couple. Elle instaure un protocole de prises de vues pour lesquelles elle devient la directrice artistique, se rendant sur les lieux ayant servi de décor à leur relation, et engage un modèle afin d’incarner son ancien compagnon. Le choix d’une doublure est à la fois un moyen de se protéger légalement mais aussi un fabuleux dispositif permettant à l’artiste de s’émanciper de son ancien amant. À la fois performeuse et photographe, Karla Hiraldo Voleau, offre une mise en abyme de sa propre histoire et rend palpable les codes sociaux attachés au couple.

Another Love Story propose une réflexion sur le médium photographique et sa place de témoin muet de nos vies. Ici, l’image échoue à capturer la vérité d’une relation et ne fait que se plier à nos désirs, à nos souhaits, d’exposer le sentiment amoureux quand bien même celui-ci reste finalement insaisissable.



Karla Hiraldo Voleau,
née en 1992, est une artiste franco-dominicaine qui vit et travaille à Lausanne. Elle est diplômée de l’ECAL (Lausanne) avec une maîtrise en photographie en 2018. Elle fait partie de l’édition 2020 de Foam Talent et de l’Olympus Recommended Fellowship 2020. Son travail a été présenté à Paris Photo 2019, aux Rencontres d’Arles 2017, ou à Plat(t)form 2019. Son premier livre photo, Hola Mi Amol, co-publié par Self Publish Be Happy Editions et l’ECAL, a été sélectionné pour le prix Aperture First Book Award 2019.