“Boilly” Chroniques parisiennes (1761-1845), au musée Cognacq-Jay, Paris, du 16 février au 26 juin 2022
“Boilly” Chroniques parisiennes (1761-1845)
au musée Cognacq-Jay, Paris
du 16 février au 26 juin 2022
© Sylvain Silleran, vernissage presse, le 15 février 2022.
Texte de Sylvain Silleran
La galerie de portraits de Louis-Léopold Boilly est d’un joyeuse ironie, un bonheur acide certes mais très communicatif. Moins cruel que son successeur Daumier, le voilà en Jean qui rit, pointant d’un doigt hilare son père, Jean qui pleure, tordant de désespoir une serviette de table. Un autoportrait en sans-culotte, maussade, observe d’un œil suffisant son double ennemi, muscadin aux cheveux poudrés. Il va jusqu’à se représenter en vieil homme repus, somnolant déjà sur sa chaise à peine son repas fini. Il n’y a que le portrait de son fils qui échappe au bistouri de son regard si acéré, peint avec une tendresse soyeuse.
Boilly excellera dans des scènes de la vie parisienne. Aux ambiances de cafés, de cabarets où les différentes classes sociales se mêlent, succède l’atmosphère de la rue : un couple de bourgeois traverse la chaussée rendue boueuse par un orage, empruntant la planche d’un passeur, tout le monde s’observe, donnera-t-il ou pas la pièce ? La cour d’une prison est comme une scène de théâtre désertée, cour et jardin sont séparés par une ligne nette, entre ombre et lumière. La distribution de vin sur les Champs-Elysées à l’occasion de la fête du roi donne lieu à une orgie, un pugilat. Sous le regard désabusé de la maréchaussée on se bat pour un pichet, pour un seau auquel un enfant tente de subtiliser de quoi remplir son sabot, on se mord, on se griffe, on se piétine. On s’écharpe aussi à l’entrée du théâtre de l’Ambigu-Comique pour une représentation gratis. Un couple élégant prétend ne pas voir un petit mendiant, leur rejeton apeuré par tout ce tumulte se serre derrière son père. Au spectacle de Polichinelle, le public est bien plus intéressant que les marionettes. Les robes, les chapeaux, les plumes mauves, les couleurs de la belle société parisienne lui donnent vie et mouvement. Comme dans la peinture anglaise si délicieuse, les chiens omniprésents commentent ce théâtre comme des spectateurs assidus.
Après leur quotidien, ce sont les visages des parisiens qui sont documentés, peints. Cinq mille portraits de petit format, toujours avec le même cadrage, le buste un peu de côté. En standardisant le procédé, Boilly brosse ses portraits en deux heures de pose. Il réalise un instantané de la nouvelle bourgeoisie de la capitale, ce que feront les studios des photographes un siècle plus tard. En face de ces tableaux, une série de lithographies en est le reflet grimaçant. Des caricatures montrent l’envers du décor : l’envie, l’orgueil, des antiquaires avides, des ivrognes, des gendarmes moustachus, les chamailleries de médecins, les travers de l’époque ont ce grotesque qui les rend familiers. Finalement ces trognes déformée par des vices qui ne sont que les nôtres sont plus réelles que celles de la belle peinture.
La belle peinture, Boilly la maitrise jusque dans le Trompe-l’œil. Il peint des dessins, des estampes, des liasses de papiers s’échappant d’une vitrine brisée. Sa virtuosité est telle que les exposants d’une de ses toiles doivent installer une barrière pour empêcher le public de venir la toucher. Il peint une carte de visite dans son tableau, comme glissée dans le cadre, afin d’amener des clients à son atelier, intégrant avec dérision la publicité dans son art.
L’arrivée de la diligence donne lieu à de folles embrassades d’époux. Les voilà saisis dans un baiser passionné, indifférents au monde comme à leur marmaille qui se presse à leurs basques. Cette sensualité révolutionnaire est suggérée plus loin par le Doux réveil d’une jeune femme, qui ne serait pas si doux si les vêtements d’un amant sur la chaise ne venaient trahir sa présence. Des scènes galantes, un saphisme délicat et tendrement polisson, quelques curieux importuns… Après l’acidulé, le sel, le vin râpeux, on trouve un peu de sucre. Le Paris de Boilly est une fête.
Sylvain Silleran
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat général :
Annick Lemoine, directrice du musée Cognacq-Jay
Sixtine de Saint-Léger, attachée de conservation du musée Cognacq-Jay
Commissariat scientifique :
Étienne Bréton, historien de l’art, directeur d’un cabinet de conseil et d’expertise en art
Pascal Zuber, historien de l’art, directeur d’un cabinet de conseil et d’expertise en art
Étienne Bréton et Pascal Zuber sont les auteurs du catalogue raisonné Boilly. Le peintre de la société parisienne de Louis XVI à Louis-Philippe, publié à Paris, chez Arthéna en 2019.
Artiste virtuose, prolifique et inclassable, Louis-Léopold Boilly (1761-1845) se fait le chroniqueur enthousiaste de Paris pendant soixante ans, d’une révolution à l’aube d’une autre (1789 et 1848). Il est à la fois le portraitiste des Parisiens, le peintre de scènes urbaines, l’inventeur de trompe-l’œil saisissants et l’auteur de caricatures piquantes.
Cette exposition monographique explore la carrière foisonnante de Boilly au travers de 130 œuvres qui invitent à découvrir la singularité de l’artiste, son brio, son humour et son inventivité. Elle présente plusieurs chefs-d’œuvre inédits ou exposés pour la première fois en France.
Originaire du Nord de la France, Boilly part à la conquête de la capitale à l’âge de 24 ans, en 1785, pour ne plus jamais la quitter. Peu intéressé par la grande histoire de Paris, il est fasciné par la modernité de la ville, son effervescence et ses spectacles. Boilly, en chroniqueur de la vie quotidienne, dresse le portait intime d’une génération.
L’artiste aime scruter les lieux comme les visages de Paris. Il s’illustre dans l’art du portrait en fixant les visages des Parisiens et des Parisiennes sur des petits formats qui deviennent sa marque de fabrique. Le portraitiste se double volontiers du caricaturiste, posant sur ses concitoyens un regard amusé, voire mordant. Son goût pour la provocation comme pour la virtuosité technique se retrouve dans ses Trompe-l’œil, à l’éblouissante qualité illusionniste.
L’exposition dévoile également le jeu raffiné auquel se livre l’artiste pour se mettre lui-même en scène. Il brosse des autoportraits pleins de dérision, multiplie les signatures et se glisse parmi les protagonistes de ses scènes de foule, à l’image d’un Alfred Hitchcock dans ses films. Ces stratagèmes instaurent une relation complice entre l’artiste et le spectateur. Tout au long du parcours de l’exposition, le visiteur est invité, dans un jeu de piste ludique, à retrouver le visage ou les indices de la présence de Boilly.
Organisée dans le prolongement de la publication du catalogue raisonné de l’artiste rédigé par Etienne Bréton et Pascal Zuber (édition Arthena, 2019), cette exposition sera l’occasion de découvrir plusieurs chefs-d’œuvre présentés pour la première fois en France et provenant de prestigieuses collections particulières, dont l’une des plus importantes, aujourd’hui conservée au Ramsbury Manor Foundation, au Royaume-Uni.
Le parcours de l’exposition prend une ampleur supplémentaire en se déployant dans huit salles du musée, à l’image de l’exposition passée « L’Empire des sens, de Boucher à Greuze ».
Salles 1 & 2 – Boilly en scène
Salles 3 – Chroniques parisiennes
Salles 4 – Le spectacle des boulevards
Salles 5 – Les visages des Parisiens
Salles 6 – Les paris de Boilly
Salles 7 – Illusions d’optique
Salles 8 – Des boudoirs aux boulevards
Catalogue
Le catalogue de l’exposition édité par Paris Musées invite à découvrir Boilly au travers d’essais thématiques rédigés par les experts français et internationaux de l’artiste, accompagnés par un riche cahier d’images mettant en lumière les détails les plus singuliers et savoureux de ses compositions.
Auteurs : Etienne Bréton, Sixtine de Saint-Léger, Côme Fabre, Martial Guédron, Charlotte Guichard, Annick Lemoine, Susan L. Siegfried, Anne-Laure Sol, Francesca Whitlum-Cooper, Pascal Zuber
Direction d’ouvrage : Annick Lemoine, Sixtine de Saint-Léger