âLĂ©on Bonvin (1834â1866)â Une poĂ©sie du rĂ©el
Ă la Fondation Custodia, Paris
du 8 octobre 2022 au 8 janvier 2023

PODCAST – Interview de Maud GuichanĂ©, assistante de conservation Ă la Fondation Custodia,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 7 octobre 2022, durĂ©e 13’39.
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :







Commissariat :
Ger Luijten, directeur de la Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris
Maud Guichané, assistante de conservation à la Fondation Custodia
Quarante ans aprĂšs lâunique rĂ©trospective qui lui avait Ă©tĂ© consacrĂ©e outre-Atlantique, la Fondation Custodia organise une importante exposition dĂ©diĂ©e Ă LĂ©on Bonvin (1834 â 1866), un artiste aujourdâhui rare et trĂšs recherchĂ© par les plus grands musĂ©es et les amateurs les plus avertis. Elle publie Ă cette occasion le catalogue raisonnĂ© de lâensemble de son oeuvre. Lâexposition et lâouvrage apportent un Ă©clairage nouveau sur la vie et lâart de LĂ©on Bonvin. Ils permettent de dĂ©voiler de nombreuses oeuvres encore inĂ©dites, dispersĂ©es dans des collections publiques ou privĂ©es, essentiellement amĂ©ricaines et françaises.
LĂ©on Bonvin ne connut pas la mĂȘme notoriĂ©tĂ© que son demi-frĂšre, François (1817 â 1887), qui Ă©tait un peintre rĂ©aliste estimĂ© au XIXe siĂšcle. Sur sa vie, de rares sources et tĂ©moignages nous sont parvenus. La plupart furent Ă©crits juste aprĂšs sa mort prĂ©coce â et souvent en rĂ©action Ă celle-ci â avant que la mĂ©moire de sa carriĂšre et de son oeuvre ne sâefface. ForcĂ© de consacrer ses journĂ©es au travail dans lâauberge familiale situĂ©e Ă Vaugirard, LĂ©on Bonvin peignit ses aquarelles loin du regard du milieu artistique et culturel parisien. Il puisa son inspiration dans son environnement immĂ©diat : bouquets de fleurs champĂȘtres, natures mortes, vues de la plaine encore rurale et ouvriĂšre de Vaugirard. La sincĂ©ritĂ© avec laquelle il reprĂ©senta la rĂ©alitĂ© de son quotidien conduisit Ă un art dâune poĂ©sie singuliĂšre.
Lâexposition ouvre sur les oeuvres de jeunesse de LĂ©on Bonvin, des dessins entiĂšrement exĂ©cutĂ©s Ă la pierre noire. Par des contrastes puissants, des ombres denses, de faibles lueurs, ou des contre-jours tranchĂ©s, lâartiste nous convie dans lâintimitĂ© de lâauberge, avec son dĂ©cor simple et rustique, ses animaux et ses alentours. LĂ©on reprĂ©senta Ă©galement les personnages qui lâanimaient et dressa notamment un portrait saisissant de son pĂšre, François-Joseph-Eustache Bonvin (1796 â 1862), dont le visage baissĂ© et grave Ă©merge de la pĂ©nombre. Comme une grande majoritĂ© des dessins « noirs » rĂ©alisĂ©s dans la seconde moitiĂ© des annĂ©es 1850, cette feuille est conservĂ©e dans les collections du musĂ©e dâOrsay, qui possĂšde un fonds consĂ©quent de dessins de LĂ©on Bonvin.
EncouragĂ© par François, LĂ©on Bonvin introduisit peu Ă peu la couleur dans son oeuvre, privilĂ©giant lâencre et lâaquarelle Ă partir de 1858. Sa technique Ă©volue mais, dans un premier temps, les thĂšmes restent les mĂȘmes. La CuisiniĂšre au tablier rouge (1862) est une feuille remarquable. Bonvin nous fait pĂ©nĂ©trer dans lâhumble cuisine de son auberge. La figure fĂ©minine â probablement sa mĂšre, ou son Ă©pouse â apparaĂźt dans dâautres oeuvres de lâartiste, occupĂ©e par ses tĂąches quotidiennes. Les lĂ©gumes, quâelle sâapprĂȘte ici Ă prĂ©parer, annoncent quant Ă eux la sĂ©rie de natures mortes que Bonvin rĂ©alisa Ă partir de 1863.
Les natures mortes de LĂ©on Bonvin Ă©taient souvent composĂ©es de lĂ©gumes, ou dâun panier de fruits, associĂ©s Ă dâautres objets que lâartiste trouvait sans peine au cabaret tels que des ustensiles, de la vaisselle, des carafes ou des bouteilles de vin. LâintĂ©rĂȘt que Bonvin portait Ă ce sujet Ă©tait bien entendu liĂ© Ă son travail, mais il peut aussi ĂȘtre associĂ© au renouveau du goĂ»t pour les natures mortes qui eut lieu dans lâart français des annĂ©es 1850 et 1860. Les peintres, au premier rang desquels figurait François Bonvin, sâinscrivaient dans une tradition hĂ©ritĂ©e des Ă©coles du Nord, relayĂ©e en France par Jean SimĂ©on Chardin au XVIIIe siĂšcle.
Non loin de ces dessins, le visiteur de lâexposition dĂ©couvre les petits bouquets de fleurs Ă lâaquarelle qui constituaient un autre sujet de prĂ©dilection pour LĂ©on Bonvin. Au symbole de vanitĂ© qui leur Ă©taient habituellement associĂ© dans la peinture, Bonvin prĂ©fĂ©ra la simplicitĂ© directe et sans fard de ces fleurs des champs, arrangĂ©es avec naturel et un plaisant dĂ©sordre dans un verre ou un vase ordinaire. DĂ©nuĂ©es de toute grandiloquence ou de prĂ©tention, ces feuilles ne dĂ©montrent pas moins lâadmirable sens de lâobservation dont LĂ©on Bonvin faisait preuve dans lâensemble de sa production.
Câest avec la mĂȘme attention quâil reprĂ©senta ces fleurs dans leur environnement. Des rosiers sauvages, des chardons ou des campanules poussaient au bord des champs de la plaine de Vaugirard et au premier plan de ses aquarelles. Sâaventurant en extĂ©rieur, sâĂ©chappant de la vie confinĂ©e du cabaret, LĂ©on Bonvin sâattacha Ă restituer aussi les variations de couleurs et de lumiĂšres aux diffĂ©rentes heures du jour et des saisons. GuidĂ© par ce quâil voyait et cherchant Ă reproduire scrupuleusement ce quâil percevait, LĂ©on Bonvin explora aussi les techniques graphiques quâil avait Ă sa disposition. Il les combina de maniĂšre personnelle, les superposa et les exploita de façon inventive pour reprĂ©senter le ciel qui sâembrase au coucher du soleil, la brume automnale qui enveloppe la nature, ou le givre de lâhiver qui recouvre tout.
Une grande partie des oeuvres prĂ©sentĂ©es Ă la Fondation Custodia est issue des collections du Walters Art Museum de Baltimore, principal prĂȘteur, dont la collaboration sâest rĂ©vĂ©lĂ©e prĂ©cieuse dans ce projet. Ce fonds abrite en effet lâensemble dâoeuvres de LĂ©on Bonvin le plus important au monde â cinquante-sept sur les cent-seize connues et repĂ©rĂ©es Ă ce jour. Il avait Ă©tĂ© constituĂ© essentiellement du vivant de lâartiste par William T. Walters, grĂące Ă lâagent amĂ©ricain George A. Lucas qui vivait Ă Paris et se portait acquĂ©reur des oeuvres pour le collectionneur de Baltimore.
Les traits de LĂ©on Bonvin qui, jeune homme, posait Ă lâoccasion de son mariage avec Constance-FĂ©licitĂ© Gaudon dans un daguerrĂ©otype prĂ©sentĂ© dans la premiĂšre salle de lâexposition, rĂ©apparaissent en fin de parcours dans un Ă©mouvant autoportrait. Acquis par la Fondation Custodia en 2016, ce dessin est un tĂ©moignage prĂ©cieux sur la vie de lâartiste. Une inscription de la main de Bonvin dĂ©dicace lâĆuvre Ă son Ă©pouse et la date du 19 janvier 1866, soit quelques jours seulement avant que lâartiste ne mette tragiquement fin Ă ses jours. Le suicide de LĂ©on Bonvin, Ă lâĂąge de 31 ans, participa pleinement Ă la crĂ©ation du mythe de lâartiste incompris et isolĂ© qui entoura bientĂŽt sa personne.
EndeuillĂ©, François Bonvin lança un appel Ă la communautĂ© artistique afin dâorganiser une vente dont les profits permettraient de venir en aide Ă la famille de LĂ©on. Le catalogue de cette vente qui eut lieu en mai 1866 est prĂ©sentĂ© dans un dernier chapitre de lâexposition, consacrĂ© aux liens familiaux comme artistiques, qui unissaient LĂ©on et François. Le rapprochement des oeuvres de chacun dâeux met en avant un certain nombre de points communs prouvant que les deux frĂšres sâĂ©taient cĂŽtoyĂ©s et avaient sans doute Ă©changĂ© sur lâart. Mais, au-delĂ des parentĂ©s techniques ou iconographiques qui lient leurs oeuvres, cette comparaison est aussi une maniĂšre de souligner la singularitĂ© de lâart de LĂ©on que lâon pourrait qualifier de rĂ©alisme intuitif, sans prĂ©jugĂ©s, dans sa forme la plus honnĂȘte et immĂ©diate. Cette singularitĂ© et cette sincĂ©ritĂ© firent de LĂ©on Bonvin un poĂšte du rĂ©el.

Catalogue
Léon Bonvin (1834-1866). Une poésie du réel Paris, Fondation Custodia, 2022
Lâexposition sâaccompagne dâun catalogue raisonnĂ© de lâoeuvre de Bonvin, publiĂ© en deux versions, anglaise et française. Celui-ci est introduit par des essais rĂ©digĂ©s par Jo Briggs, conservateur associĂ©e au Walters Art Museum de Baltimore, Maud GuichanĂ©, assistante de conservation Ă la Fondation Custodia, Ger Luijten, directeur de la Fondation Custodia, MichĂšle Quentin, historienne des jardins et Gabriel P. Weisberg, professeur Ă©mĂ©rite de lâUniversitĂ© du Minnesota.