“Le Baroque à Rome” au Cabinet des dessins Jean Bonna, Beaux-Arts de Paris, du 3 février au 24 avril 2022
“Le Baroque à Rome”
au Cabinet des dessins Jean Bonna, Beaux-Arts de Paris
du 3 février au 24 avril 2022
© Sylvain Silleran, présentation presse, le 2 février 2022.
Texte de Sylvain Silleran
La Galatée sur son char de Giuseppe Cesari, dit le Cavalier d’Arpin, trône sur un monde de douces et mœlleuses rondeurs. La sanguine et la pierre noire offrent une palette complète, des orangés aux reflets roses, des bleus, des rouges de carnations brûlantes. Car si nous sommes dans les cieux, la chair est fiévreuse, les amants s’enlacent comme si c’était la dernière fois et les chérubins sont ivres et turbulents. Son Hercule et Antée est résolument érotique. Toute sa musculature est souple, délicieusement tendue comme celle d’un amant dans une étreinte. Le mouvement converge non pas sur le visage agonisant de son adversaire, l’issue du combat, mais bien sur son fessier à la rondeur de fruit. Ce n’est qu’un instant plus tard qu’apparait la violence de la mort dans le rictus hideux d’Antée.
Suzanne et les vieillards, prise entre vice et vertu, est modelée d’un trait gourmand par Giovanni Baglione. Le charme des doux paysages de Giovanni Francesco Grimaldi laisse rêver à une Italie sensuelle comme un jardin d’Eden. Un petit croquis rapide de Pier Francesco Mola : Vénus et Adonis sous la tenture d’un arbre. La belle alanguie esquissée bien vite de quelques caresses de plume promet bien des félicités. Une superbe page de caricatures, des visages grotesques de prélats, et une intimité se crée avec l’artiste, comme un secret partagé. Ces dessins sont comme chuchotés dans le creux d’une oreille amie.
Giovanni Lorenzo Berdini réalise le portrait d’Agostino Mascardi. La figure n’est pas idéalisée, elle porte les marques de l’âge, les cheveux se clairsèment, ici et là se devinent quelques fils d’argent. Le regard est vif, intense, il exprime toute l’intelligence, la sensibilité de l’écrivain. Malgré le court temps de pose, tout est dessiné, éclairé, modelé. Le caractère est là, bien vivant, dans ces formes dont on sait la tendresse comme si on les avait caressées du doigt. Le dessin n’est pas l’étape préparatoire d’un tableau mais bien une œuvre de commande, sujet à collection.
Il Baciccio avec ses Romulus et Romus dans une scène au trait zigzaguant opère une rupture graphique avec ses aînés. Beinaschi aussi : son Adoration du veau d’or n’appartient plus à l’allégorie, au royaume des cieux ou de l’Olympe. On est bien sur terre : c’est cru et chaotique. Les hommes autrefois nus sont rhabillés, drapés dans des plis pleins de colère; les voilà perdus, livrés à l’humilité de leur condition terrestre. La foule grouillante est un océan, une vague balayant les individualités. Quel mouvement aussi dans le Saint Georges terrassant le dragon de Salvator Rosa! Le lavis balaie tout le dessin et laisse en réserve quelques taches de lumière, des éclats qui viennent s’opposer à l’ombre. Le combat est tracé d’un trait qui semble infini, comme un unique fil qui, se déroulant, s’emmêle et se démêle, serpente sans jamais hésiter, sans jamais dévier ne serait-ce qu’un instant de son sujet, de l’ici et maintenant. Une estocade dessinée d’un seul souffle. Giacinto Calandrucci fait émerger sa Décollation de Saint Jean-Baptiste d’un écheveau de sanguine légère, un chaos qui s’ordonne de quelques courbes de plume, pas grand chose, juste ce qu’il faut pour voir, sentir l’horreur devenir grâce.
Le purgatoire de Giuseppe Passeri est un enfer hurlant de flammes de gouache blanche, sèches comme de la craie. Le papier teinté de rouge se consume tel une braise. Tout est feu, un feu sombre, un feu lumineux, un dessin fait d’ombre et de lumière, d’ocre et de blanc. Au-dessus, la rédemption. La fumée devient nuage qu’un angelot étreint comme un édredon de plumes. Ce tableau sur une feuille de papier est incandescent comme un âtre, il réchauffe les âmes apeurées d’un divin espoir. Entrer dans cette intimité romaine est un ravissement, un voyage merveilleux dans un pays qu’on quitte comme le lit d’un amant, à regrets.
Sylvain Silleran
Extrait du communiqué de presse :
Commissaire : Emmanuelle Brugerolles, Conservateur des dessins de maître et des dessins d’architecture aux Beaux-Arts de Paris
La Rome du XVIIe siècle est présentée au travers de trente-quatre feuilles sélectionnées parmi les chefs-d’oeuvre de la collection des Beaux-Arts de Paris. Ces dessins permettent de mesurer l’importance du souffle baroque, autour des personnalités les plus marquantes du siècle : le Bernin, Pierre de Cortone, Salvator Rosa ou bien Carlo Maratti.
Une fois installés et protégés par des familles illustres, les artistes cherchent à imposer leur style qui se diffuse grâce à la vitalité de leurs ateliers. L’exposition met également en lumière leurs élèves et collaborateurs, qui, tels Ciro Ferri ou Giuseppe Passeri, se révèlent des dessinateurs talentueux.
Scènes religieuses ou mythologiques, paysages, projets décoratifs et architecturaux, esquisses préparatoires à des grands décors ou des tableaux de chevalet, feuilles destinées à des amateurs passionnés rendent compte de l’extraordinaire activité de ces artistes dans tous les domaines de la création.