âAlsaceâ
RĂȘver la province perdue
au Musée national Jean-Jacques Henner, Paris
du 6 octobre 2021 au 7 février 2022
Musée national Jean-Jacques Henner

PODCAST – Interview de Maeva Abillard, conservatrice en chef du musĂ©e national Jean-Jacques Henner et co-commissaire de l’exposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 6 dĂ©cembre 2021, durĂ©e 21â40.
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :



![Henner donnant à manger à des cigognes, [sans date], photographie, Paris, musée national Jean-Jacques Henner. © Ursula Held.](https://im-francefineart.com/agenda/icono-3051_3200/3174_Alsace_4.jpg)

Commissariat dâexposition :
Maeva Abillard, conservatrice en chef du musée national Jean-Jacques Henner
Marie Pottecher, conservatrice en chef du patrimoine, Cheffe dâĂtablissement du musĂ©e Alsacien
Assistées de Candice Runderkamp-Dollé, adjointe à la conservatrice du Musée Alsacien, chargée des collections, et de Marie Vancostenoble, assistante de conservation au musée national Jean-Jacques Henner.
Le musĂ©e national Jean-Jacques Henner, en partenariat avec le musĂ©e Alsacien de Strasbourg, propose du 6 octobre 2021 au 7 fĂ©vrier 2022, une exposition sur le mythe de « lâAlsace, province perdue », apparu aprĂšs la guerre franco-prussienne de 1870-1871. Sâappuyant sur des oeuvres dâartistes alsaciens, dont le peintre Jean-Jacques Henner (1829-1905), lâexposition, croisant des approches Ă la fois historique, culturelle et artistique, interroge la maniĂšre dont se construit et se diffuse depuis la capitale lâimage de lâAlsace entre 1871 et 1914.
La Province perdue
Ă la suite de la guerre de 1870-1871, la France est contrainte de cĂ©der lâAlsace et une partie de la Lorraine Ă lâAllemagne. Durant quarante sept ans, ces territoires, dĂ©signĂ©s dĂ©sormais comme les « Provinces perdues », vont faire lâobjet en France dâun culte du souvenir. Ă lâoccasion du 150e anniversaire du traitĂ© de Francfort (10 mai 1871), lâexposition retrace la maniĂšre dont sâest construite durant prĂšs dâun demi-siĂšcle, lâimage de ce territoire « arrachĂ© Ă la mĂšre-patrie ». Partant de Jean-Jacques Henner, et de son tableau iconique, LâAlsace. Elle attend (1871), lâexposition offre un regard inĂ©dit sur cet imaginaire, peuplĂ© de reprĂ©sentations pittoresques, historiques et patriotiques, qui a inspirĂ© les artistes et marquĂ© la culture visuelle française de la fin du XIXe et du dĂ©but du XXe siĂšcles. Ă travers peintures, sculptures, objets dâarts, affiches, gravures, bijoux, qui montrent la fĂ©conditĂ© de ce thĂšme, le visiteur est invitĂ© Ă dĂ©couvrir la silhouette mĂ©lancolique de lâAlsace au grand noeud noir, mais Ă©galement Ă sâinterroger sur la part de mythe, voire de propagande, que cette figure incarnait alors.
LâAlsace intime de Jean-JacQues Henner
Jean-Jacques Henner est originaire de Bernwiller, petit village du Sundgau situĂ© entre Mulhouse et Thann. Il est le sixiĂšme et dernier enfant dâune famille de cultivateurs dont il fera de nombreux portraits, parmi lesquels Alsacienne ou EugĂ©nie Henner en Alsacienne tenant un panier de pommes. Câest en Alsace quâil dĂ©bute sa formation, tout dâabord au collĂšge dâAltkirch, auprĂšs de Charles Goutzwiller, puis Ă Strasbourg avec Gabriel GuĂ©rin, avant de poursuivre ses Ă©tudes Ă Paris grĂące Ă une bourse du dĂ©partement du Haut-Rhin. Chaque annĂ©e, lâartiste revient chez lui Ă Bernwiller. Il y retrouve les paysages de son enfance quâil dessine inlassablement. La VallĂ©e de Munster aprĂšs lâorage est emblĂ©matique de ces paysages caractĂ©risĂ©s par une Ă©tendue dâeau situĂ©e au pied dâun bosquet dâarbres se dĂ©tachant sur un pan de colline et une trouĂ©e de ciel Ă la tombĂ©e du jour. On reconnaĂźt parfois Bernwiller grĂące Ă la silhouette de lâĂ©glise, mais le plus souvent il sâagit dâun paysage alsacien idĂ©al, sans notation topographique prĂ©cise, dont les lumiĂšres crĂ©pusculaires sont une source dâinspiration inĂ©puisable. Ces dessins et peintures constituent une partie intime de son oeuvre car jamais exposĂ©e du vivant de lâartiste. BouleversĂ© en tant quâAlsacien par la perte de sa province natale, Jean-Jacques Henner prend une part active dans lâentretien de ce souvenir par lâentremise de son chef dâoeuvre, LâAlsace. Elle attend, commandĂ© Ă lâinitiative de lâĂ©pouse dâun industriel de Thann et offert Ă LĂ©on Gambetta. Ce tableau, qui lui apporte la gloire, devient rapidement emblĂ©matique de la souffrance de lâAlsace, rĂ©elle ou supposĂ©e.
Lâimaginaire collectif
« Pensons-y toujours, nâen parlons jamais », LĂ©on Gambetta La phrase de Gambetta, prononcĂ©e lors de son discours de Saint-Quentin en novembre 1871, traduit parfaitement lâattitude de la France au lendemain de la perte de lâAlsace et dâune partie de la Lorraine. En effet, la dĂ©faite de 1871 et ses consĂ©quences engendrent dans lâopinion publique un vĂ©ritable traumatisme. Les provinces, que lâon qualifie dĂ©sormais de « perdues », deviennent un emblĂšme autour duquel se forge une conscience nationale. Dans le domaine artistique, la vision pittoresque de lâAlsace se double dĂ©sormais dâune image de douleur et de recueillement qui convoque les mĂȘmes Ă©lĂ©ments iconographiques incontournables : la figure de lâAlsacienne coiffĂ©e du grand noeud (devenu uniformĂ©ment noir en signe de deuil), Ă laquelle sont adjoints des symboles patriotiques et rĂ©publicains tels que la cocarde ou le coq. Lâespoir du retour de lâAlsace-Lorraine dans le giron national est Ă©galement entretenu jusquâau dĂ©but du XXe siĂšcle par une importante production dâobjets qui, plus encore que les oeuvres, participent Ă la diffusion et Ă lâentretien du souvenir (bustes dâAlsaciennes, jouets, manuels scolaires, cartes postales, etc.).
Les Alsaciens de Paris
Quâils y rĂ©sident de longue date ou quâils aient « optĂ© » pour la France en 1871, les Alsaciens de Paris nouent pour la plupart des liens de sociabilitĂ© dont lâimpact culturel, politique et Ă©conomique est trĂšs fort. Du point de vue politique, le parti rĂ©publicain sâorganise autour de LĂ©on Gambetta, Auguste Scheurer-Kestner et Jules Ferry. Dans le domaine industriel, les familles Herzog et Siegfried conservent encore des entreprises en Alsace mais vivent pour partie dans la capitale. Certaines personnalitĂ©s font partie de la loge maçonnique Alsace-Lorraine, inaugurĂ©e en 1872, rattachĂ©e au Grand Orient de France et conservatoire des valeurs patriotiques. Artistes et Ă©crivains se retrouvent lors des dĂźners de lâEst et des dĂźners de lâAlsace Ă table. Tout ce petit monde frĂ©quente Ă©galement lâAssociation gĂ©nĂ©rale dâAlsace-Lorraine, fondĂ©e en 1871, qui organise, via son comitĂ© des Dames, le traditionnel Arbre de NoĂ«l des Alsaciens-Lorrains de Paris.
Un esprit de revanche ?
Enfin, lâexposition interroge aussi la notion de Revanche et la part quâaurait eue, ou non, le souvenir de lâAlsace-Lorraine dans la conscience nationale en France et dans lâescalade des tensions qui conduisirent au dĂ©clenchement de la PremiĂšre Guerre mondiale.
![Jean-Jacques Waltz, dit Hansi, LâAlsace Heureuse. La grande pitiĂ© du pays dâAlsace et son grand bonheur racontĂ©s aux petits enfants par lâoncle Hansi : avec quelques images tristes et beaucoup dâimages gaies, Paris, Floury, [1919], « La Belle au Bois dormant », livre illustrĂ©, Strasbourg, BibliothĂšque des musĂ©es de Strasbourg. © MusĂ©es de Strasbourg, M. Bertola.](https://im-francefineart.com/agenda/icono-3051_3200/3174_Alsace_10.jpg)



Le parcours de lâexposition
La premiĂšre section de lâexposition interroge les reprĂ©sentations pittoresques de lâAlsace qui ont Ă©clos avant la guerre de 1870, dĂšs les annĂ©es 1850-1860. Le dĂ©veloppement du tourisme est possible grĂące aux avancĂ©es du chemin de fer. Les expositions internationales et universelles permettent de diffuser les Ă©lĂ©ments du pittoresque, en premier lieu le costume, mais aussi les symboles de la province : cigogne, cathĂ©drale, colombage, choucroute, coiffe⊠Y est Ă©galement prĂ©sentĂ©e la vision intime de lâAlsace de Jean-Jacques Henner. Lorsquâil retourne dans son pays natal, le Sundgau, Henner reprĂ©sente ses proches restĂ©s « au pays » et vit en contact avec la nature, dessinant inlassablement les paysages qui lâentourent. Ce sont ces mĂȘmes paysages alsaciens quâil peint ensuite, de mĂ©moire, dans son atelier parisien et quâil utilise comme arriĂšre-plan de ses grandes compositions idylliques.
La deuxiĂšme section dĂ©veloppe la construction de lâimage de la province perdue. En partant dâune reprĂ©sentation spectaculaire de la guerre de 1870, La charge de Reichshoffen dâĂdouard Detaille, cette partie Ă©voque les Ă©tats dâĂąme suscitĂ©s par la perte de lâAlsace-Lorraine, notamment Ă travers le souvenir quâen ont perpĂ©tuĂ© les peintres de guerre. Au deuil de la « petite patrie » succĂšde le choix entre lâoption ou la rĂ©sistance Ă lâenvahisseur, puis lâentretien du souvenir par lâespoir du retour de ces provinces dans le giron de la RĂ©publique française.
La troisiĂšme section Ă©voque les rĂ©seaux de sociabilitĂ© des Alsaciens de Paris (politiques, financiers, Ă©conomiques et artistiques), rĂ©seaux qui se retrouvent Ă lâEcole alsacienne, dans les brasseries oĂč lâon peut lire les journaux alsaciens, pour le traditionnel Arbre de NoĂ«l des Alsaciens-Lorrains de Paris, ou encore lors du fleurissement de la statue de Strasbourg place de la Concorde…
Dans la quatriĂšme section est questionnĂ©e la notion de revanche qui anime lâopinion dâune partie de la population, mais qui nâest pas partagĂ©e par tous. Cet Ă©tat dâesprit â dâabord sentiment patriotique, puis pur revanchisme â, Ă©volue selon les crises politiques que traverse la IIIe RĂ©publique naissante.
La cinquiĂšme section, une salle spĂ©cifique dite « lâautel alsacien », est consacrĂ©e Ă la diffusion de lâimage de la province perdue dans la culture populaire Ă travers – des oeuvres reproduites en sĂ©rie ou objets dĂ©coratifs, des objets de la vie quotidienne (presse, cartes postales, publicitĂ©âŠ), et des jeux-jouets et ouvrages scolaires.
Enfin, la sixiĂšme section est consacrĂ©e Ă Jean-Jacques Henner qui est originaire de Bernwiller, petit village du Sundgau. Bien que menant une carriĂšre parisienne, ce dernier entretient des liens indĂ©fectibles avec sa rĂ©gion natale. TrĂšs affectĂ© par lâannexion de lâAlsace, lâartiste sây ressource auprĂšs des siens un Ă deux mois par an. Il y retrouve une sorte dâArcadie Ă travers les paysages chers Ă son coeur, quâil transcrit minutieusement dans ses nombreux carnets Ă dessins, puis quâil peint en atelier. Cette production atypique sâĂ©loigne de la veine pittoresque de ses compatriotes ThĂ©odore Lix, Gustave Brion ou Camille Pabst.