âGiacometti et lâĂgypte antiqueâ
Ă lâInstitut Giacometti, Paris
du 22 juin au 10 octobre 2021

PODCAST – Interview de Thierry Pautot, attachĂ© de conservation, responsable des archives et de la recherche Fondation Giacometti et de Romain Perrin, attachĂ© de conservation, Fondation Giacometti, commissaires de lâexposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 23 juin 2021, durĂ©e 39â40.
© FranceFineArt.
(Ă gauche Thierry Pautot, Ă droite Romain Perrin, premiĂšre prise de parole)


Extrait du communiqué de presse :
Commissariat :
Thierry Pautot, attaché de conservation, responsable des archives et de la recherche Fondation Giacometti
Romain Perrin, attaché de conservation, Fondation Giacometti
Marc Etienne, conservateur en chef, département des antiquités égyptiennes, Musée du Louvre
LâInstitut Giacometti prĂ©sente du 22 juin au 10 octobre 2021, en collaboration avec le musĂ©e du Louvre, une exposition exceptionnelle sur la relation dâAlberto Giacometti Ă lâart Egyptien.
Cette exposition proposera un parcours thĂ©matique qui met en dialogue des oeuvres emblĂ©matiques de Giacometti et des prĂȘts exceptionnels dâoeuvres du musĂ©e du Louvre.
Alberto Giacometti a toujours Ă©prouvĂ© une fascination pour les oeuvres de lâĂgypte antique, quâil a dessinĂ©es tout au long de sa carriĂšre. Cette inspiration de lâart Ă©gyptien est rĂ©guliĂšrement prĂ©sente, par ailleurs, dans la sculpture et la peinture, Ă la fois comme un rĂ©pertoire de formes et comme une composante essentielle de sa conception esthĂ©tique.
Cette exposition invite Ă prolonger et Ă approfondir cette relation du sculpteur Ă lâart Ă©gyptien. Ă partir de recherches inĂ©dites sur les sources utilisĂ©es par lâartiste, lâexposition propose un parcours thĂ©matique fait de dialogues entre des oeuvres de Giacometti et des figures Ă©gyptiennes, notamment celle du scribe, lâart de la pĂ©riode amarnienne ou encore les portraits du Fayoum.
En confrontant des sculptures, des peintures ainsi que de nombreux dessins inĂ©dits Ă une sĂ©lection dâoeuvres issues des collections du musĂ©e du Louvre, cette exposition offre un regard renouvelĂ© sur lâart de Giacometti Ă travers le prisme de lâĂgypte antique, une source de lâart moderne qui reste encore Ă explorer.
Un catalogue en co-Ă©ditions la Fondation Giacometti, Paris et FAGE Ă©ditions, accompagne lâexposition.



Parcours de lâexposition
Parmi les nombreuses oeuvres dâart qui ont inspirĂ© Alberto Giacometti, celles de lâĂgypte antique tiennent une place Ă part. Les statues, la peinture et les bas-reliefs Ă©gyptiens reviennent rĂ©guliĂšrement tant dans ses propos que dans les copies quâil a dessinĂ©es tout au long de sa vie. Il sâagit sans aucun doute de la pĂ©riode de lâhistoire de lâart qui a le plus marquĂ© son oeuvre. Au-delĂ de la fascination quâil pouvait Ă©prouver devant la capacitĂ© des Ă©gyptiens Ă retranscrire leur vision du monde, Giacometti trouve dans leur art un rĂ©pertoire de formes et un moyen de questionner son rapport Ă la reprĂ©sentation.
Lâexposition se dĂ©ploie en quatre thĂ©matiques sculpturales et picturales et un cabinet dâarts graphiques prĂ©sentant de nombreux dessins inĂ©dits dâaprĂšs des reproductions dâoeuvres Ă©gyptiennes. Le principe de la mise en regard permet de rĂ©vĂ©ler des dialogues originaux entre les sculptures de Giacometti et celles de lâĂgypte antique. Cette exposition permet, enfin, une relecture de la modernitĂ© des oeuvres de Giacometti face Ă une source historique encore peu analysĂ©e dans le dĂ©veloppement des avant-gardes.
FIGURES HIERATIQUES / FIGURES DE LA MARCHE
Les sculptures de Giacometti ont Ă©tĂ© rapprochĂ©es par la critique de la statuaire Ă©gyptienne en raison dâune grande proximitĂ© dans les poses et les attitudes. Le regard que le sculpteur porte sur cet art ne cherche pas Ă imiter mais Ă en retenir certains principes formels. Femme qui marche semble ĂȘtre une transcription directe des statues Ă©gyptiennes reprĂ©sentĂ©e dans lâattitude de la marche comme Porteuse dâoffrandes. Les pieds collĂ©s au sol et la jambe gauche lĂ©gĂšrement avancĂ©e tĂ©moignent dâune volontĂ© de signifier lâacte de marcher plus que de reprĂ©senter le mouvement de la marche. Par la suite, les sculptures de figures fĂ©minines en pied de Giacometti seront, en raison de leur pose hiĂ©ratique, les bras collĂ©s le long du corps et les pieds joints, formellement trĂšs proches des statues Ă©gyptiennes. Le caractĂšre archaĂŻque de Figurine au grand socle est renforcĂ© par le traitement de la base tout Ă fait analogue celui de la statuette polychrome de la Dame Henen.
AMARNA
Si Giacometti regarde toutes les pĂ©riodes de lâĂgypte antique, de lâAncien Empire Ă lâĂ©poque romaine, il semble nourrir un intĂ©rĂȘt particulier pour la 18Ăš dynastie et le rĂšgne dâAmĂ©nophis IV-Akhenaton. Bouleversant la religion en instaurant un culte exclusif au disque solaire Aton, le jeune AmĂ©nophis IV prend le nom dâAkhĂ©naton, quitte ThĂšbes et fonde Akhet-Aton, une citĂ© nouvelle sur le site de Tell el-Amarna en Haute-Ăgypte. Quelques annĂ©es suffisent Ă modifier le canon Ă©gyptien sans pour autant que les artistes renoncent aux tendances traditionnelles comme la frontalitĂ© et lâĂ©quilibre.Les artistes introduisent davantage de souplesse et exagĂšrent volontairement les traits du visage, ce qui accentue les particularitĂ©s que tendaient Ă estomper les styles antĂ©rieurs. Giacometti y voit surtout lâĂ©cart entre la crĂ©ation et la rĂ©alitĂ© visible. Le visage en triangle et la projection du cou vers lâavant dans TĂȘte dâIsabel nâest pas sans rappeler les traits des statues royales que Giacometti a copiĂ©es dĂšs les annĂ©es 1920. Buste mince sur socle semble, par son profil et lâaccentuation des lĂšvres, du nez et du cou, ĂȘtre encore plus directement inspirĂ© par la figure du pharaon.
LE SCRIBE ET LE TYPE DE LA FIGURE ASSISE
La position assise est une caractĂ©ristique de la reprĂ©sentation Ă©gyptienne qui participe de lâintense frontalitĂ© ressentie devant les sculptures de pharaons ou de dignitaires. Parmi celles-ci, les statues reprĂ©sentant des scribes ont particuliĂšrement intĂ©ressĂ© Giacometti qui les a copiĂ©es Ă plusieurs reprises. Buste dâhomme, rĂ©alisĂ© dâaprĂšs son ami, le photographe Ăli Lotar, adopte la mĂȘme position quâune statue de scribe accroupi : son buste est droit, ses bras posĂ©s sur les cuisses et son attitude calme et sereine. Il semblerait que le sculpteur ait trouvĂ© dans le scribe, par son activitĂ© intellectuelle, un double sous les traits duquel il se reprĂ©sente dans un autoportrait de 1929. Les muscles pectoraux mis en valeur par la gĂ©omĂ©trisation volontaire des formes du corps, Ă©voquent la physionomie idĂ©alisĂ©e des statues Ă©gyptiennes. Sous les traits du visage de lâartiste, impassible comme ceux du scribe, apparaissent les contours du crĂąne qui rappellent que ces sculptures, aussi vivantes quâelles puissent ĂȘtre, avaient une fonction funĂ©raire.
PORTRAITS
Depuis le milieu des annĂ©es 1930, aprĂšs sa rupture avec AndrĂ© Breton et les surrĂ©alistes, Giacometti cherche Ă rĂ©aliser une tĂȘte qui soit ressemblante. Or la ressemblance constitue un point dâachoppement quâil sâagit de dĂ©passer en captant quelque chose de la vie, non pas celle intĂ©rieure du modĂšle, mais quelque chose qui rende la tĂȘte vivante. Câest cette caractĂ©ristique quâil loue dans la statuaire Ă©gyptienne de lâĂ©poque pharaonique et quâil retrouve aussi dans les effigies des momies de la pĂ©riode romaine. Ses portraits de petit format, peints entre la fin des annĂ©es 1940 et la fin des annĂ©es 1950, montrent des tĂȘtes qui surgissent dâun fond sombre et captent lâattention par un puissant effet de prĂ©sence. Ils reposent sur un mĂȘme principe de concentration sur le regard que les « portraits du Fayoum ». Giacometti tente de matĂ©rialiser ce regard en peignant des yeux sur certaines sculptures, comme le faisaient les artistes Ă©gyptiens. Ce geste, Ă une pĂ©riode marquĂ©e par le modernisme et la stricte sĂ©paration des mĂ©diums, renoue avec la tradition ancienne de la statuaire polychrome.