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“Michael Schmidt“
Une autre photographie allemande

au Jeu de Paume, Paris

du 8 juin au 29 août 2021

Jeu de Paume

Interview de Quentin Bajac, directeur du Jeu de Paume, par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă  Paris, le 7 juin 2021, durĂ©e 17’48.© FranceFineArt.

PODCAST Interview de Quentin Bajac, directeur du Jeu de Paume,

par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă  Paris, le 7 juin 2021, durĂ©e 17’48.© FranceFineArt.

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Michael Schmidt
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©Anne-FrĂ©derique Fer, prĂ©sentation presse de l’exposition, le 7 juin 2021.

Michael Schmidt, Müller-Ecke Seestraße, Berlin- Wedding, [Berlin- Wedding], 1976-78.
Michael Schmidt, Müller-Ecke Seestraße, Berlin- Wedding, [Berlin- Wedding], 1976-78.
Michael Schmidt, Sans titre Waffenruhe [ Cessezle-feu ], 1985-87.
Michael Schmidt, Sans titre Waffenruhe [ Cessezle-feu ], 1985-87.
Michael Schmidt, Sans titre Frauen [Femmes], 1997-99.
Michael Schmidt, Sans titre Frauen [Femmes], 1997-99.
Michael Schmidt, Sans titre Waffenruhe [Cessez-le-feu], 1985-87.
Michael Schmidt, Sans titre Waffenruhe [Cessez-le-feu], 1985-87.
Michael Schmidt, Sans titre Berlin-Kreuzberg. Stadtbilder [Berlin- Kreuzberg. Vues urbaines], 1981-82.
Michael Schmidt, Sans titre Berlin-Kreuzberg. Stadtbilder [Berlin- Kreuzberg. Vues urbaines], 1981-82.
Michael Schmidt, Sans titre Waffenruhe [Cessez-le-feu], 1985-87.
Michael Schmidt, Sans titre Waffenruhe [Cessez-le-feu], 1985-87.
Michael Schmidt, Sans titre Portraits [Portraits] 1987-1994.
Michael Schmidt, Sans titre Portraits [Portraits] 1987-1994.
Michael Schmidt, Sans titre Ein-heit [U-nité], 1989-1994.
Michael Schmidt, Sans titre Ein-heit [U-nité], 1989-1994.
Michael Schmidt, Sans titre Berlin-Kreuzberg. Stadtbilder [Berlin-Kreuzberg. Vues urbaines], 1981-82.
Michael Schmidt, Sans titre Berlin-Kreuzberg. Stadtbilder [Berlin-Kreuzberg. Vues urbaines], 1981-82.
Michael Schmidt, Sans titre Waffenruhe [Cessez-le-feu], 1985-87.
Michael Schmidt, Sans titre Waffenruhe [Cessez-le-feu], 1985-87.

Extrait du communiqué de presse :



Commissaire : Thomas Weski
Conseil artistique : Laura Bielau
Avec le concours de Quentin Bajac pour sa présentation au Jeu de Paume à Paris.




À l’occasion du 75e anniversaire de la naissance de Michael Schmidt, le Jeu de Paume prĂ©sente une grande rĂ©trospective de cet artiste, considĂ©rĂ© comme l’un des piliers majeurs de l’histoire de l’art allemand du XXe siĂšcle.

Hommage Ă  un grand photographe, cette exposition prĂ©sentera des originaux, des tirages de travail inĂ©dits, des projets de livre et d’autres archives illustrant l’évolution de son travail artistique. Elle veut aussi mettre en Ă©vidence le processus de reconnaissance de la photographie comme forme d’expression artistique en Allemagne et en Europe Ă  partir des annĂ©es 1970.

Comme Bernd et Hilla Becher, Michael Schmidt fait partie des photographes d’aprĂšs-guerre les plus influents. Il a inlassablement dĂ©veloppĂ© son oeuvre durant cinq dĂ©cennies. À travers les publications de ses travaux sous forme de livres et d’installations toujours en dialogue avec leur lieu d’exposition, il a mis au point diffĂ©rents types de prĂ©sentation novateurs. Par l’incessant renouvellement de son langage formel et par le choix de ses thĂšmes, Michael Schmidt a Ă©crit un volet de l’histoire de la photographie et est aujourd’hui un modĂšle pour toute une gĂ©nĂ©ration de jeunes photographes.

NĂ© Ă  Berlin le 6 octobre 1945, c’est dans cette ville qu’il vit et travaille jusqu’à sa mort en 2014. Cet autodidacte travaille comme photographe Ă  partir du milieu des annĂ©es 1970, tout d’abord exclusivement dans sa ville natale. C’est lĂ  qu’ont vu le jour les sĂ©ries consacrĂ©es Ă  Kreuzberg et Wedding – deux arrondissements de Berlin-Ouest –, lesquelles vont dĂ©jĂ  au-delĂ  de la simple description d’un quartier, prenant un sens plus large. C’est avec le projet de livre et d’exposition dĂ©veloppĂ© en collaboration avec le metteur en scĂšne et dramaturge Einar Schleef, Waffenruhe (Cessez-le feu), prĂ©sentĂ© tout d’abord Ă  Berlin en 1987, que Michael Schmidt rĂ©alise un travail indĂ©niablement artistique.

Cette sĂ©rie constituĂ©e d’images brutes, Ă  l’atmosphĂšre chargĂ©e, dessine un portrait trĂšs personnel de la ville Ă  la fin de la guerre froide – et de sa jeunesse –, une ville encore coupĂ©e en deux, peu avant le changement d’époque.

Michael Schmidt abandonne cette concentration sur l’univers thĂ©matique de Berlin avec la sĂ©rie Ein-heit (Uni-tĂ©), dans laquelle il explore les langages visuels des diffĂ©rentes formes de sociĂ©tĂ© et des diffĂ©rents systĂšmes politiques qui ont marquĂ© l’Allemagne au XXe siĂšcle. Il utilise Ă  cette occasion des images dĂ©jĂ  mĂ©diatisĂ©es qu’il mĂȘle Ă  des photographies prises par lui-mĂȘme, publiant le tout dans un livre sans texte. La premiĂšre exposition de cette sĂ©rie est orginasĂ©e en 1996 au Museum of Modern Art, Ă  New York.

Schmidt a Ă©tĂ© ainsi le premier photographe allemand depuis des dĂ©cennies Ă  bĂ©nĂ©ficier d’une exposition personnelle en ce lieu. Par la suite, il consacre d’autres travaux Ă  l’image de la femme telle que revendiquĂ©e par celle-ci, au rĂŽle des rĂ©gions et Ă  l’importance de la nature. Sa derniĂšre grande sĂ©rie, Lebensmittel (DenrĂ©es alimentaires), dans laquelle il explore la production alimentaire contemporaine, lui a valu d’obtenir le prix Pictet quelques jours seulement avant sa mort.

L’exposition « Michael Schmidt. Une autre photographie allemande» est organisĂ©e par la Stiftung fĂŒr Fotografie und Medienkunst mit Archiv Michael Schmidt et la collaboration du Jeu de Paume pour sa prĂ©sentation Ă  Paris. AprĂšs Paris, l’exposition sera prĂ©sentĂ©e au Museo Nacional Centro de Arte Reina SofĂ­a Ă  Madrid (21 septembre 2021 – 28 fĂ©vrier 2022) et au palais Albertina Ă  Vienne (24 mars – 12 juin 2022).





L’exposition


PremiÚres photographies, commandes et séries, 1965-1985

Michael Schmidt se dĂ©couvre un intĂ©rĂȘt pour la photographie alors qu’il est gendarme Ă  Berlin-Ouest. S’il adhĂšre temporairement Ă  des clubs de photographes amateurs, il se forme surtout par lui-mĂȘme. C’est du milieu des annĂ©es 1960 que datent ses premiĂšres images, qu’il ne reniera d’ailleurs pas par la suite. MalgrĂ© la variĂ©tĂ© de leurs sujets, ces clichĂ©s de jeunesse se refusent tous Ă  cette lecture rapide que l’on associe souvent au mĂ©dium photographique. De ses dĂ©buts photographiques, au milieu des annĂ©es 1960, jusqu’à la rĂ©unification, le sujet principal de Michael Schmidt reste sa ville natale, Berlin, qu’il aborde sur des modes trĂšs divers. À partir de 1973, Michael Schmidt s’installe comme photographe indĂ©pendant. La municipalitĂ© de Kreuzberg lui confie une commande pour un livre sur ce quartier, lequel paraĂźt la mĂȘme annĂ©e et connaĂźt peu aprĂšs une deuxiĂšme Ă©dition. Des commandes d’autres arrondissements et du SĂ©nat berlinois suivent. À travers la sĂ©rie Die berufstĂ€tige Frau in Kreuzberg [La femme active de Kreuzberg], il dĂ©peint ainsi la journĂ©e type de deux femmes actives, partagĂ©e entre travail et vie privĂ©e. DĂšs le dĂ©but des annĂ©es 1970, Michael Schmidt commence Ă  donner des cours de photographie dans des universitĂ©s populaires. En 1976, il crĂ©e dans celle de Kreuzberg un atelier photographique qui fonctionnera jusqu’en 1986. Il y prĂ©sente Ă©galement des photographes amĂ©ricains contemporains qui, Ă  l’époque, n’ont encore jamais Ă©tĂ© exposĂ©s en Allemagne. De 1976 Ă  1978, Michael Schmidt photographie le quartier de Berlin-Wedding et ses habitant·e·s dans un style strictement documentaire, tire ses images dans de riches gammes de gris et publie cette sĂ©rie l’annĂ©e suivante. De 1978 Ă  1980, il rapporte des vues dĂ©sertes de Friedrichstadt quartier sud de Berlin lourdement touchĂ© par la Seconde Guerre mondiale. Ces paysages urbains brossent un portrait caractĂ©ristique du Berlin-Ouest de l’aprĂšs-guerre, avec ses terrains vagues, ses friches et ses murs coupe-feu. LĂ  encore dominent les espaces vides et les immeubles administratifs que Michael Schmidt saisit sous une lumiĂšre diffuse avec une chambre de grand format. Les partis pris adoptĂ©s allient documentation et abstraction. Il ne publiera et prĂ©sentera Berlin nach 45 [Berlin aprĂšs 45] qu’en 2005, vingt-cinq ans aprĂšs la capture de ces images. En 1981, pour le compte du SĂ©nat de Berlin, Michael Schmidt suit dans leur quotidien quatre personnes atteintes de maladies chroniques et de handicaps. Avec l’ouvrage Berlin-Kreuzberg. Stadtbilder [Berlin-Kreuzberg. Vues urbaines] paru en 1983, il commence Ă  se dĂ©tacher d’un langage visuel documentaire traditionnel pour oser un regard plus personnel. Au milieu des annĂ©es 1990, Michael Schmidt perçoit dans ses archives un potentiel de rĂ©interprĂ©tation. Comme elles prennent alors Ă  ses yeux une importance croissante, il y revient rĂ©guliĂšrement pour soumettre ses images anciennes Ă  une rĂ©vision critique et en rĂ©aliser de nouveaux tirages. C’est ainsi que, Ă  la fin des annĂ©es 1990, il achĂšve un projet, Menschenbilder (Ausschnitte) [Images d’ĂȘtres humains (dĂ©tails)], Ă  partir d’une ancienne sĂ©rie de portraits recadrĂ©s. Ses interventions ont pour consĂ©quence d’arracher artificiellement les personnes reprĂ©sentĂ©es Ă  leur environnement et d’en faire des modĂšles universels de comportement humain. À la mĂȘme Ă©poque, Michael Schmidt publie aussi Selbst [Soi] une sĂ©rie d’autoportraits datĂ©s du milieu des annĂ©es 1980, dans lesquels il se prĂ©sente devant l’objectif de maniĂšre directe, sans concession, dans une attitude autocritique.


Waffenruhe [Cessez-le-feu], 1985-1987

Contrairement Ă  la sobriĂ©tĂ© assumĂ©e de ses sĂ©ries antĂ©rieures, Michael Schmidt dresse avec Waffenruhe, projet de livre et d’exposition Ă©laborĂ© au milieu des annĂ©es 1970, un tableau subjectif et protĂ©iforme d’une ville encore divisĂ©e, composĂ© de vues en noir et blanc condensĂ©es, fragmentĂ©es, contrastĂ©es oĂč alternent paysages urbains, dĂ©tails de la nature et portraits. Avec cette sĂ©rie, il tourne le dos Ă  l’ambition de trouver une correspondance photographique formelle avec la situation politiquement complexe et sans perspective de Berlin et de l’exprimer par des images Ă©vocatrices. DĂšs lors, la photographie de Michael Schmidt ne privilĂ©gie plus les moyens documentaires, mais restitue par des sĂ©quences visuelles inattendues la vision dystopique de l’existence d’une gĂ©nĂ©ration Ă  la veille de la chute du Mur. Michael Schmidt instaure un monde de ruptures et de bĂ©ances qui jamais ne prĂ©tend imposer un regard souverain. L’interaction avec le texte du metteur en scĂšne et Ă©crivain Einar Schleef imprimĂ© dans le livre engendre un regard abrupt, trĂšs personnel, sur la fragilitĂ© de la vie humaine. BĂ©nĂ©ficiant d’un financement public Ă  l’occasion de la cĂ©lĂ©bration des 750 ans de Berlin, ce projet est prĂ©sentĂ© pour la premiĂšre fois Ă  la Berlinische Galerie du Martin-Gropius-Bau qui, Ă  l’époque, jouxte le Mur. La sĂ©rie Waffenruhe permettra Ă  Michael Schmidt de percer au niveau international puisqu’elle sera acquise par le Museum of Modern Art de New York en 1988. À cette Ă©poque, grĂące Ă  des subventions extĂ©rieures Ă  Berlin, Michael Schmidt photographie Ă©galement ses concitoyen·ne·s d’origine Ă©trangĂšre.


Portraits, 1987-1994 
Natur [Nature], 1987-1997
89/90, 1989-1990
Architektur [Architecture], 1989-1991

Entre ses grands projets, Michael Schmidt entreprend d’innombrables travaux de moindre ampleur oĂč il s’autorise une libertĂ© artistique et perfectionne sa mĂ©thode et son langage photographiques. DĂ©tails importĂ©s d’autres images, faible profondeur de champ, formats dĂ©mesurĂ©s pour l’époque, telles sont les caractĂ©ristiques des travaux postĂ©rieurs Ă  Waffenruhe [Cessez-le-feu]. Michael Schmidt les consacre Ă  l’architecture et au portrait sur un mode affranchi de tout souci d’intelligibilitĂ©. En isolant les sujets de leur contexte concret – urbain ou personnel –, il en fait les symboles d’une mĂ©tropole, d’une histoire, d’une sociĂ©tĂ©. Les sĂ©ries Architektur [Architecture] et Portraits sont marquĂ©es par la prĂ©sence et la matĂ©rialitĂ© de leurs objets et par l’immĂ©diatetĂ© de la rencontre. En 1989, se tournant une derniĂšre fois vers sa ville natale, Michael Schmidt photographie les tĂ©moignages visuels de la rĂ©unification allemande. Il puise nombre de ses motifs dans l’ancienne zone frontaliĂšre du Mur et dans son no man’s land. Ce travail ne paraĂźtra lui aussi que bien plus tard, en 2010, sous le titre 89/90. De mĂȘme, les vues du paysage rural prises Ă  cette Ă©poque autour de sa rĂ©sidence de Basse-Saxe ne seront rĂ©unies que bien plus tard, Ă  savoir dans Natur [Nature], un livre d’artiste publiĂ© peu avant sa mort, tĂ©moignage de l’importance qu’il accordait au paysage durant cette pĂ©riode de sa vie.


Ein-heit [Uni-té], 1989-1994

Dans cette sĂ©rie nĂ©e durant la rĂ©unification allemande, Michael Schmidt traite de l’histoire et de la symbolique universelle des systĂšmes sociopolitiques en vigueur en Allemagne depuis 1933 (national-socialisme, socialisme et dĂ©mocratie). Dans ce contexte, l’artiste s’interroge sur le rĂŽle essentiel de l’individu dans la sociĂ©tĂ© et le parti qu’il dĂ©cide de prendre. Michael Schmidt considĂšre qu’une image publiĂ©e est un fragment du rĂ©el et mĂ©rite d’ĂȘtre photographiĂ©e au mĂȘme titre qu’un ĂȘtre humain ou un bĂątiment. Avec Ein-heit, il pousse cette dĂ©marche encore plus loin. Ses photographies de photographies, soit environ un tiers de la sĂ©rie, montrent, aux cĂŽtĂ©s de vues figuratives, des dĂ©tails fortement recadrĂ©s, parfois inversĂ©s, prĂ©levĂ©s sur du matĂ©riau photographique existant, qu’il combine avec ses propres compositions. Michael Schmidt reformule le message de ces images originelles au grĂ© de ses concepts, leur retire tout caractĂšre univoque et les enrichit de nouvelles possibilitĂ©s d’interprĂ©tation. En outre, il reprend une stratĂ©gie dĂ©jĂ  Ă  l’oeuvre dans certains travaux antĂ©rieurs, celle de la rĂ©pĂ©tition et de la variation des motifs. Ainsi agencĂ©es, ces photographies composent la grammaire d’un langage visuel tout Ă  fait singulier. Celui-ci Ă©chappe aux spectateurs habituĂ©s Ă  la rĂ©ception classique de l’image photographique, mais, s’il rĂ©siste Ă  une lecture rapide, c’est pour mieux susciter les associations. En 1996, Ein-heit est prĂ©sentĂ©e au Museum of Modern Art de New York dans le cadre d’une exposition personnelle, la premiĂšre d’un photographe allemand depuis des dĂ©cennies.


Frauen [Femmes], 1997-1999

À la fin du XXe siĂšcle, Michael Schmidt entreprend une sĂ©rie de portraits de jeunes hommes et femmes. Il finira par privilĂ©gier ces derniĂšres dont il photographie alors les visages et les corps, habillĂ©s ou dĂ©nudĂ©s. D’aprĂšs lui, la conscience qu’elles ont de leur valeur se traduit de plus en plus sur le plan de leur rapport avec leur corps. Ces images traitent du nivellement de l’individualitĂ© sous l’effet des normes et des idĂ©aux vĂ©hiculĂ©s par la sociĂ©tĂ©, une tendance qui s’exprime par le choix des vĂȘtements et des sous-vĂȘtements, mais aussi par l’apparence donnĂ©e au corps et Ă  ses parties intimes. Ce nivellement s’inscrit aussi dans le maintien et la posture ainsi que, au sens littĂ©ral du terme, dans le physique sous forme d’empreintes, de cicatrices et de lĂ©sions. Michael Schmidt voit dans ces phĂ©nomĂšnes une expĂ©rience collective marquante d’une gĂ©nĂ©ration, ce qu’il matĂ©rialise lors des expositions de la sĂ©rie Frauen en la prĂ©sentant Ă  la maniĂšre d’un bloc ou d’un tableau, en mettant donc moins en Ă©vidence l’individu que l’ensemble d’un groupe d’ñge. Ce n’est qu’aprĂšs un examen approfondi que cette sĂ©rie se dĂ©voile comme un travail explicitement politique, rĂ©vĂ©lateur chez Michael Schmidt d’une facette inĂ©dite de sa prĂ©occupation ancienne pour le rĂŽle de l’individu dans la sociĂ©tĂ©. En 2000, il publie la sĂ©rie dans un livre d’artiste Ă©ponyme (ou aussi intitulĂ© Frauen). À l’occasion de la 6e Biennale de Berlin, il en montre des extraits sous la forme d’annonces pleine page dans un quotidien national et d’affiches dans l’espace public.

Irgendwo [Quelque part], 2001-2004
Lebensmittel [Denrées alimentaires], 2006-2010

AprĂšs la rĂ©unification, Michael Schmidt ne photographie plus Berlin. Il commence Ă  s’intĂ©resser Ă  la province, Ă  ces lieux gĂ©nĂ©rateurs d’identitĂ© et pourtant interchangeables. Il achĂšte une caravane et, avec sa femme Karin, effectue seize voyages Ă  travers l’Allemagne. Cette sĂ©rie fera l’objet d’un livre d’artiste, Irgendwo [Quelque part], et sera exposĂ©e dans des institutions Ă  l’écart des grandes mĂ©tropoles. Les impressions glanĂ©es lors de ces voyages et son intĂ©rĂȘt grandissant depuis quelques annĂ©es pour la nourriture et la boisson – qui coĂŻncidait avec la croissance de la mĂȘme prĂ©occupation dans la sociĂ©tĂ© allemande – dĂ©bouchĂšrent sur la sĂ©rie Lebensmittel [DenrĂ©es alimentaires]. Pour la rĂ©aliser, Michael Schmidt s’est rendu en Allemagne, en NorvĂšge, aux Pays-Bas, en Autriche, en Italie et en Espagne, chez des fabricants de saucisses, de pĂątes et de fromage, dans des fermes piscicoles, des exploitations de fruits et de lĂ©gumes, des Ă©levages et des abattoirs, des serres, chez des producteurs d’huile d’olive, dans des fermes Ă  insectes et dans des entreprises agroalimentaires. Dans la sĂ©rie Lebensmittel [DenrĂ©es alimentaires], Michael Schmidt fait intervenir pour la premiĂšre fois la couleur parallĂšlement au noir et blanc. Ses photographies ne portant ni titre ni indication de lieu, elles ne peuvent ĂȘtre situĂ©es gĂ©ographiquement. Reprenant la mĂ©thode utilisĂ©e pour Ein-heit, il la complĂšte par des images Ă©trangement dĂ©rangeantes, constituĂ©es de deux moitiĂ©s disparates, de doublons apparents, de rĂ©pĂ©titions et de variations sur des motifs, Ă©branlant ainsi la croyance en une puissance documentaire de la photographie et en une validitĂ© universelle de l’image isolĂ©e. Souvent, on ne sait pas exactement de quels aliments il s’agit. L’identification naguĂšre encore possible des produits et leur saisonnalitĂ© ne sont plus de mise ici ; l’heure n’est plus Ă  l’individualitĂ©, Ă  la transparence et Ă  la rĂ©fĂ©rence au terroir, mais Ă  la normalisation, Ă  la dĂ©possession et Ă  l’internationalisation. Avec Lebensmittel, Michael Schmidt apporte une contribution importante au discours sur l’une des ressources les plus prĂ©cieuses de l’humanitĂ©. Quelques jours avant sa mort en 2014, il recevra pour ce travail le prestigieux prix Pictet.