🔊 “Mette Winckelmann” FLAGS OF FREEDOM, au Le Bicolore / Maison du Danemark, Paris, du 16 avril au 9 juin 2021
“Mette Winckelmann”
FLAGS OF FREEDOM
au Le Bicolore / Maison du Danemark, Paris
du 16 avril au 9 juin 2021
PODCAST – Interview de JĂ©rĂ´me Sans, commissaire de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, enregistrement réalisé par téléphone, entre Paris et Paris, le 21 avril 2021, durée 19’08, © FranceFineArt.
© Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, visite de l’exposition avec Gitte Delcourt, service de presse de l’Ambassade de Danemark, le 16 avril 2021.
Extrait du communiqué de presse :
Commissaire de l’exposition : Jérôme Sans
Pour sa première exposition personnelle en France à la Maison du Danemark, Mette Winckelmann déploie tout son vocabulaire aux influences abstraites et conceptuelles et livre une exposition-manifeste qui s’inscrit dans le débat sur l’équité entre les genres et les processus d’identification face à la fluidité des liens sociaux et intimes de nos sociétés contemporaines.
FLAGS OF FREEDOM fait ressurgir l’histoire troublĂ©e des discriminations en dĂ©tournant des techniques prĂ©tendument jugĂ©es fĂ©minines telles que la couture, la broderie et le patchwork, pour Ă©crire une contre-histoire paritaire de l’abstraction et revaloriser l’artisanat d’art dans le champ de l’art contemporain. Dans ses peintures, collages de tissus, drapeaux, cĂ©ramiques, sĂ©rigraphies et installations, l’artiste danoise dĂ©construit et brouille les formats et les catĂ©gories strictes de la peinture abstraite grâce Ă un système graphique – une grille mathĂ©matique – Ă partir de laquelle elle aborde l’espace, l’échelle du corps humain et la physicalitĂ© des matĂ©riaux pour en repousser les limites, les permuter et les recombiner selon un processus en constante Ă©volution. Ce langage de signes et de couleurs, empruntĂ© Ă diverses cultures, traditions et mouvements sociaux symbolise notamment des phĂ©nomènes liĂ©s aux transformations du corps social et aux mutations des identitĂ©s. La gĂ©omĂ©trie en est une colonne vertĂ©brale pour l’artiste qui voit dans les mathĂ©matiques un reflet de la matrice de la sociĂ©tĂ© et de ses lois. Entre les lignes, des zones « grises » se rĂ©vèlent comme autant d’espaces de nĂ©gociations. Ainsi, ce vocabulaire aux possibilitĂ©s infinies acte-t-il une posture engagĂ©e, traversĂ©e par l’iconographie des mouvements de luttes que partagent tous ceux qui souhaitent rĂ©inventer le monde ou s’y positionner.
Extrait de l’interview de Mette winckelmann par Jérôme Sans (2020)
Jérôme Sans : Comment décririez-vous votre travail ?
Mette Winckelmann : Mon travail est souple, flexible et ouvert. Dans ma pratique, je m’efforce sans cesse d’étirer les formats et les catégories. Pour commencer, j’essaie presque toujours de me plonger dans une matière ou un médium particulier afin d’en éprouver les propriétés et tous les possibles. Je tente d’aller au-delà des attentes et des limites liées à cette matière particulière et à ses utilisations traditionnelles afin qu’elle puisse révéler de nouvelles significations.
JS : Vos peintures sont fondées sur des associations systématiques, des formes et des couleurs imitant ou mettant en œuvre des structures et des techniques visuelles issues des traditions artisanales de diverses cultures. Comment vous est venue l’idée d’employer la grille comme système de composition? Le quadrillage ou la grille sont souvent la métaphore de la structure et des règles de la société, tandis que vous l’utilisez pour les malmener, les remettre en cause, voire les annuler…
MW : En effet, la grille me sert avant tout de point de départ pour me diriger dans le monde. Elle m’aide à déterminer l’échelle d’un espace et ma propre position par rapport aux objets et aux sujets que j’explore. Lorsque j’initie une nouvelle œuvre, il m’importe de savoir où elle commence et où elle s’arrête. Autrement dit, de trouver ses limites. Je débute toujours une œuvre en divisant la surface en moitiés, en tiers et en quarts. Je procède de la même manière lorsque je réalise des fresques murales commandées pour un bâtiment précis, une couverture de livre, une peinture ou un dessin, ou encore des œuvres pour un espace d’exposition. Je me saisis immédiatement de ma règle pour diviser l’espace ; ce n’est qu’après cette étape que j’ai mes repères et que je peux envisager de réfléchir dans l’espace et avec celui-ci. J’adhère à mes propres règles. Selon moi, les systèmes sous-tendent également des questionnements liés au sentiment d’appartenance, au désir de s’insérer dans une structure donnée et de s’y sentir en sécurité, d’avoir sa place dans l’ordre des choses. C’est une question profondément existentielle. En même temps, je reconnais que les règles, les structures et les normes excluent souvent la diversité et découragent les écarts et la transformation. C’est pourquoi il est important pour moi de mettre en mouvement cette grille et d’en repousser sans cesse les limites.
JS : Pour quelles raisons la géométrie et les systèmes mathématiques sont liés dans votre travail au corps humain et à ses mesures?
MW : La géométrie est ancrée dans le corps humain. Elle renvoie à la symétrie, aux mesures, à l’équilibre, à la taille, à l’échelle. La géométrie et les mathématiques sont liées au besoin de caractériser, de définir et de comprendre le rapport de l’individu face au collectif, ainsi que les distances qui les séparent. La géométrie est une manière de définir la société et ce qui se trouve hors de notre corps. En même temps, elle fait référence à l’intérieur du corps. Toutes les mesures concrètes associées à celui-ci, comme le nombre de doigts de la main ou de dents d’une mâchoire comprennent des irrégularités confirmant qu’il s’agit d’une matière organique et vivante, toujours en évolution.
JS : Plusieurs de vos œuvres sont composées de drapeaux. Que représente pour vous le drapeau en tant qu’objet et symbole?
MW : Les drapeaux sont souvent constitués de formes de couleur minimalistes clairement définies, ce qui les rend facilement identifiables à distance et par conséquent efficaces comme symboles identitaires. Ils donnent ainsi lieu à des sentiments d’unité et de division. En hissant un drapeau, un groupe de personnes peut déclarer : « Nous sommes reliés ensemble par ce drapeau », et ce faisant, exclure automatiquement toute chose ou toute personne considérée comme différente ou extérieur. Un drapeau est un signe, une affirmation visuelle claire et un puissant outil de communication. En même temps, les règles, les idées et les traditions liées aux drapeaux ne demandent qu’à être remises en question et perturbées par le processus artistique. Pour l’exposition à la Maison du Danemark, je crée des drapeaux de la liberté qui sont tous dans un état de transition et répètent des motifs qui deviendront quelque chose de nouveau.
JS : Quel rôle la couleur joue-t-elle dans votre travail, en particulier le rouge, le blanc et le noir? Le rouge est souvent un signe d’interdiction. Il rappelle l’histoire des révolutions, par exemple. Est-ce une manière d’aborder l’autre visage de la société et du monde?
MW : La couleur est un sujet sur lequel je suis intarissable ! Dans la série Come Undone (2016), par exemple, mon point de départ était le rouge, le noir et le blanc comme couleurs pures. La première peinture est exclusivement noire. Dans la suivante, j’ai ajouté du blanc. Dans la troisième, du rouge. À mesure que je continuais cette série, j’ai commencé à mélanger ces trois couleurs. Au fur et à mesure, s’observe le passage de couleurs nettement contrastées vers des couleurs nuancées et qui entrent dans un rapport différent dès lors qu’elles ne sont plus en opposition binaire ou en contraste […] Dans mon travail, je m’efforce toujours d’avoir conscience du fait que recourir aux couleurs revient à travailler sur des références, des associations, des sentiments, des sensations. Je déclenche une certaine atmosphère ou une ambiance, à la manière dont un accord musical peut occuper tout l’espace et éveiller un registre émotionnel chez un auditeur. C’est également ce qui m’a amenée à m’intéresser davantage aux « couleurs intermédiaires ». Contrairement aux couleurs primaires souvent affirmées et déclaratoires, les couleurs intermédiaires sont moins verrouillées et donc susceptibles de faire jouer nos sens de manières nouvelles et inattendues. Elles sont plus propices à la négociation.
JS : Votre œuvre est traversée par le mouvement féministe. Est-ce une manière de contribuer à l’écriture d’une contre-histoire de l’abstraction qui a si souvent dévalorisé ou exclu les artistes femmes et leur travail?
MW : Adopter une conception plus inclusive et politique de l’abstraction est important à mes yeux. La géométrie et les couleurs ne sont pas simplement formelles. Les couleurs et les formes ne peuvent pas être sublimes ou parfaites dans la neutralité. Elles ne sont pas fixes en termes de significations. Selon moi, cette souplesse est positive. À tout moment de l’histoire, l’abstraction dépend du regard d’un individu et des associations qu’il établit dans son esprit. Chaque forme, chaque couleur a son lot de connotations et de références. C’est l’un des domaines qui m’intéressent et que j’ai explorés intensément : quel rôle la couleur joue-t-elle dans un espace, public ou privé ? Quel type d’impact a-t-elle sur l’individu lorsqu’il pénètre dans cet espace ?
JS : Que pensez-vous de l’interaction entre l’art, la politique et le militantisme? Même si cela n’apparaît pas au premier regard, votre œuvre est militante.
MW : Oui, le militantisme est un fondement de mon travail. J’aime être en prise avec des sujets importants, même si je ne suis pas certaine de partager le même langage que la majorité des individus. Je m’exprime davantage de manière visuelle que verbale. Mon langage est une forme de militantisme visuel.
Biographie de l’artiste :
Mette Winckelmann est diplômée de l’Académie des Arts et du Design de Bratislava, en Slovaquie, (1996-1997) et de l’Académie Royale danoise des Beaux-Arts (1997-2003). Sa pratique artistique se déploie dans des manipulations conceptuelles de matières tactiles dans le cadre desquelles elle fait de l’artisanat traditionnel et de ses gestes des positions esthétiques en mouvement. Son œuvre compte notamment des ornements de lieux publics de grande envergure, des installations éphémères expérimentales, des organisations de l’espace et des objets concrets tels que des impressions sur textile, des peintures sur toile et des céramiques.
En 2019, Winckelmann a reçu une aide de trois ans de Statens Kunstfond (Fondation nationale danoise pour l’art) et elle est représentée notamment au Statens Museum for Kunst, au Danemark, au Malmö Museum of Art, en Suède, ainsi qu’en France, au Frac Auvergne