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“Yan Pei-Ming” Au nom du père, au Musée Unterlinden, Colmar, du 02 avril au 06 septembre 2021, (prolongée jusqu’au 11 octobre 2021)

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“Yan Pei-Ming”
Au nom du père

au Musée Unterlinden, Colmar

du 02 avril au 06 septembre 2021 (prolongée jusqu’au 11 octobre 2021)

Musée Unterlinden


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© Sylvain Silleran, voyage et présentation presse, le 1er avril 2021.

Yan Pei-Ming, L’homme le plus perspicace, père de l’artiste, 1996. Huile sur toile , 200 x 235 cm . Collection particulière, Belgique. Mentions obligatoires : Photographie : André Morin . © Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2021.
Yan Pei-Ming, L’homme le plus perspicace, père de l’artiste, 1996. Huile sur toile , 200 x 235 cm . Collection particulière, Belgique. Mentions obligatoires : Photographie : André Morin . © Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2021.
Yan Pei-Ming, Autoportrait No 3, 2000. Huile sur toile, 235 x 200 cm. Collection : Musée des Beaux-Arts, Dijon. Mentions obligatoires :  Photographie : André Morin . © Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2021.
Yan Pei-Ming, Autoportrait No 3, 2000. Huile sur toile, 235 x 200 cm. Collection : Musée des Beaux-Arts, Dijon. Mentions obligatoires : Photographie : André Morin . © Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2021.
Yan Pei-Ming, International Landscape by Night, 2011. Huile sur toile, 300 x 400 cm. Collection : Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris. Mentions obligatoires : Photographie : André Morin . © Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2021.
Yan Pei-Ming, International Landscape by Night, 2011. Huile sur toile, 300 x 400 cm. Collection : Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris. Mentions obligatoires : Photographie : André Morin . © Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2021.
Yan Pei-Ming, Pandémie, 2020. Diptyque, Huile sur toile, 400 x 560 cm. Mentions obligatoires : Photographie : Clérin-Morin. © Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2021.
Yan Pei-Ming, Pandémie, 2020. Diptyque, Huile sur toile, 400 x 560 cm. Mentions obligatoires : Photographie : Clérin-Morin. © Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2021.

Texte de Sylvain Silleran

Ceci n’est pas une rétrospective, laissons-les aux défunts et aux vieillards. Yan Pei-Ming est lui bien vivant : le demi cigare au bec, l’œil malicieux, il tient son pinceau d’une poigne bien ferme. Des travaux de jeunesse, des dessins d’étudiant sont sortis d’une longue hibernation. Ces autoportraits classiques au fusain montrent un visage changeant, amaigri ou plus rond au gré des fortunes d’un jeune artiste. Puis la gouache noire comme de l’encre libère la main, la peinture s’annonce geste, danse sur le papier en larges griffures sèches grises. Des taches sombres comme des brûlures y trouent des yeux, une bouche audacieuse. De la brume rembrandtesque émerge un visage, brossé par le puissant courant d’une rivière, l’eau emportant l’identité et les souvenirs. Dans un autoportrait nu debout, un long pinceau à la main, Yan va à l’essentiel, jeune, mais saisi d’une urgence de peindre vite, le temps est déjà compté.

Les portraits de Mao lui ont offert la célébrité. Cette figure du père symbolique, omniprésente, obligatoire, laisse place au père, le vrai, celui de l’artiste. Le portrait du père sert à exprimer les  multiples facettes de l’humanité : le courage, la droiture, la force, la maladie. A travers les âges de sa vie le fils regarde son père différemment. L’enfant, l’ado rebelle, l’adulte devenu père à son tour peignent l’homme le plus doux, le plus paresseux, le plus faible, le plus respectable… jusqu’à la mort annoncée par un gisant. Le visage répété se brise, se fragmente et se recompose, son identité multiple devient source d’une nouvelle narration.

La peinture ressemble au résultat calciné d’un incendie; du charbon de bois noir au blanc des cendres, le feu a créé une nouvelle palette de couleurs. Les fleurs noires disparaissent dans la nuit, les fleurs blanches se noient dans la lumière, toutes parlent de la même mort. Le feu apparait jusque dans l’eau de l’aquarelle ; le papier est trempé jusqu’à ce que les contours des taches grises le brûle, y imprimant le relief des visages, ses ombres et ses reflets. Revenant à l’autoportrait, Yan modèle son visage comme de la glaise humide et luisante, dieu créateur de lui-même. La lumière vient de droite ou de gauche, d’en bas, mettant en scène l’intensité d’un regard, d’une moue. La tête cadrée si serrée qu’elle est condamnée, décapitée, tête de criminel. Le noir et blanc de une de journal, d’archives policières, raconte quelque chose de dramatique, un moment terrible et historique. Les âges de l’artiste se succèdent, de l’enfance au profil agonisant, jusqu’au crâne, l’os vide final. L’image de la mort et l’éternelle vanité.

La tension arrive à son comble dans le triptyque Nom d’un chien ! Un jour parfait. Yan Pei-Ming vêtu d’un jean flotte en lévitation, les bras ouverts comme une figure christique. Le sacrifice n’est pourtant pas un abandon chrétien. L’artiste serre les poings, muscles bandés. Après le calme silencieux des portraits de Bouddha, le divin revient, boxeur, guerrier. Il y a dans cet homme s’élevant une force de vie qui refuse d’abandonner, et face à la mort, le défi de serrer les poings, prêt à rendre les coups. 

Où trouver la paix alors ? Dans la nature, le paysage ? Une forêt de pins, des troncs bien droits dont les sommets sont si hauts qu’ils sont sortis du cadre depuis longtemps. Les arbres comme une foule strient la nuit d’innombrables verticales. La neige au sol monte le long des troncs comme les assauts d’une mousse, si blanche qu’elle devient lumière. Shanghai sous une pluie nocturne est une Gotham luisante, un rêve de néons et un cauchemar d’ombres. Les paysages universels sont tout aussi vivants et animés de passions que les hommes.

Sur la surface de la toile il reste de coulures, des petites épaisseurs de matière, des éclats, comme les traces d’un combat, d’une guerre. Un sol lunaire jonché de petites roches, des météorites, mille impacts. Le visage démesuré qui nous regarde bien en face, la mère, le père ou le fils, ne cache rien de ce combat. Le trait large, brutal n’oublie aucun détail de ce qu’est un homme, aucune arrogance de la jeunesse, aucune ride de la vieillesse n’échappe à la brosse. L’âme est nue: La fierté d’une mère, la maladie d’un père, les ambitions du fils s’écrivent dans ce noir et blanc intemporel.



Sylvain Silleran


Extrait du communiqué de presse :

 

 

Commissaire de l’exposition :



Frédérique Goerig-Hergott, Conservatrice en chef, Musée Unterlinden

Au printemps 2021, le Musée Unterlinden à Colmar consacre une importante exposition à l’artiste Yan Pei-Ming, peintre contemporain mondialement reconnu pour ses tableaux de taille monumentale, souvent monochromes, brossés à large coups de pinceaux.

En écho au célèbre Retable d’Issenheim, chef-d’oeuvre de ses collections, le musée présente une lecture inédite de l’oeuvre de l’artiste dont l’esprit et le travail coïncident avec les thèmes de la filiation, du sacré et du sacrifice, traités par Grünewald cinq siècles plus tôt.

Cette exposition intitulée « Yan Pei-Ming – Au nom du père », invite le visiteur à parcourir quatre décennies de la carrière du peintre. Elle rassemble de façon exceptionnelle en France plus de cinquante tableaux majeurs et une douzaine de dessins et aquarelles issus d’institutions publiques et de collections privées européennes, ainsi que du fonds personnel de l’artiste.

À travers ce projet, Frédérique Goerig-Hergott, conservatrice en chef au Musée Unterlinden, propose de porter un nouveau regard sur l’oeuvre de Yan Pei-Ming.




Mot de la commissaire –
Frédérique Goerig-Hergott, conservatrice en chef au Musée Unterlinden

L’exposition du Musée Unterlinden trouve son origine en 2012 dans la découverte du triptyque Nom d’un chien ! Un jour parfait (2012) de Yan Pei-Ming au musée des Beaux-arts de Nantes.

Ce triptyque, premier autoportrait peint en pied, apparaissait dans sa fulgurance, sa frontalité et sa verticalité comme la manifestation spectaculaire d’un relèvement, d’une affirmation de soi. Cette nouvelle représentation christique et monumentale de Yan Pei-Ming résonnait à l’autre bout de la France et cinq siècles après Grünewald, comme un écho aux panneaux peint du Retable d’Issenheim (1512-1516), chef-d’oeuvre de l’histoire de l’art et du Musée Unterlinden.

Je n’ai depuis jamais pu oublier ma rencontre avec cette oeuvre, ni calmer mon désir d’en savoir davantage sur cet artiste de renommée internationale exposé au Louvre en 2009 et que je croyais connaître.

En effet, malgré sa reconnaissance acquise dans le monde de l’art dès la fin des années 1980 et son parcours marqué par de nombreuses et importantes expositions, une question restait en suspens : qui est Yan Pei-Ming ?

La volonté du musée était de s’intéresser à Yan Pei-Ming, artiste d’origine chinoise incontournable dont l’oeuvre figuratif et expressif, prenant parfois la forme de polyptyque, coïncide avec les thèmes de filiation, de sacré et du sacrifice, traités dans le Retable d’Issenheim. Il s’agissait également ici de répondre à la question de l’identité du peintre dont la double culture donne à son oeuvre un caractère universel.

Cette exposition propose ainsi une lecture inédite de ses quatre décennies de carrière artistique grâce à une cinquantaine de tableaux majeurs et une douzaine d’oeuvres graphiques issues d’institutions publiques et de collections privées. Elle s’intéresse au regard que Yan Pei-Ming porte sur lui-même et sur son oeuvre tout en évoquant son évolution stylistique et sa place dans l’histoire de l’art. À travers son oeuvre dominé par les portraits et les autoportraits, elle interroge le rapport de l’artiste avec ses origines, de Mao à la figure du père, en passant par celles de Bouddha et de la mère, sans oublier les Paysages internationaux et ceux de Shanghai. L’omniprésence de la figure paternelle dans son parcours, ainsi que la quête identitaire qui sous-tend son oeuvre ont imposé le sous-titre de l’exposition « Au nom du père » comme une évidence.

L’exposition s’achève par une oeuvre inédite réalisée par Yan Pei-Ming pour l’exposition du Musée Unterlinden comme le pendant contemporain de la Crucifixion du Retable d’Issenheim.

Un catalogue bilingue (français-anglais) est édité aux éditions Hazan accompagne l’exposition. Il est illustré de l’ensemble des oeuvres exposées et inclut des textes de Christian Besson et Éric de Chassey, ainsi qu’un entretien de Frédérique Goerig-Hergott avec Yan Pei-Ming.




L’exposition

Un parcours réunissant plus de 60 tableaux et dessins, dont un ensemble d’oeuvres inédit  Dans la galerie du Musée Unterlinden (cabinet d’art graphique) qui relie le bâtiment ancien et l’extension contemporaine, l’exposition est introduite par un ensemble inédit de dessins de jeunesse de Yan Pei-Ming réalisé à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Le parcours se développe ensuite de façon magistrale par la présentation des peintures monumentales de Yan Pei-Ming déployées sur les deux niveaux de l’Ackerhof (la nouvelle aile du musée, réalisée par le cabinet d’architecture Herzog & de Meuron). Six sections chrono-thématiques illustrent plusieurs sujets récurrents et emblématiques du travail de l’artiste – 1. Mao / 2. Le Père / 3. Bouddha / 4. L’homme de Shanghai / 5. Paysage international / 6. Autoportraits –





Extraits du texte « Arrêt sur image – La force de la peinture »
Entretien avec Yan Pei-Ming par Frédérique Goerig-Hergott Dijon, 19 novembre 2020

Frédérique Goerig-Hergott

Contrairement à tes expositions précédentes où tu produisais les oeuvres présentées, celle du Musée Unterlinden emprunte tes tableaux et tes dessins aux collections publiques et privées, ainsi qu’au fonds de ton atelier. L’objectif est en effet différent puisqu’il s’agit ici, dans la galerie et sur deux niveaux de l’Ackerhof du Musée Unterlinden, de s’intéresser à ton parcours artistique et à ton identité, en écho au célèbre Retable d’Issenheim. Que représente pour toi l’exposition « Au nom du père » ?

Yan Pei-Ming

Tu es venue me voir avec une idée forte et surprenante. J’avoue avoir été troublé car tu me demandais, sans le savoir, de sortir de ma zone de confort. C’est la première fois que je collabore avec une conservatrice qui, dès le début, a une vision aussi claire de son exposition. J’ai plus l’habitude de répondre à une commande, alors qu’ici il fallait construire, proposer une lecture de mon oeuvre et donc exprimer un point de vue. Pourtant, je n’ai pas hésité. J’ai tout de suite accepté ta proposition. J’ai senti qu’il était temps, que cette démarche devenait nécessaire, je me suis dit : « Ouais allez, on y va ! Il faudra bien le faire un jour et autant le faire quand je suis encore vivant. »  J’aime beaucoup le titre de l’exposition, « Au nom du père » ! On peut penser que c’est une exposition sur la religion, alors que cela n’a rien à voir ; j’aime cette ambiguïté, ce pas de côté. L’exposition montre une large part de mon travail et de ma production, de mes débuts à maintenant : il y a des dessins et des gouaches qui datent de ma jeunesse, certains précèdent même mon arrivée en France, il y a des oeuvres qui sont dans des collections privées depuis plus de vingt ans et qui n’ont jamais été exposées, ainsi que de magnifiques prêts de musées. C’est assez troublant de revoir ses oeuvres de jeunesse, ces autoportraits, le portrait de ma grand-mère… Je pense que cela aidera à changer le regard des gens sur mon oeuvre, ils vont se rendre compte du travail accompli depuis toutes ces années. Tu sais, beaucoup pensent encore que je ne fais que des portraits de Mao alors que ce n’est plus le cas depuis longtemps.

F. G.-H.

Pendant toute l’élaboration de ce projet, j’ai en effet ressenti chez toi ce mélange d’enthousiasme lié à l’intérêt et au regard particulier qui t’est porté, en même temps qu’une certaine crainte de te dévoiler, comme une forme de pudeur. Peux-tu l’expliquer ?

Y. P.-M.

C’est la première fois que quelqu’un s ’intéresse à ma biographie et me demande de parler de mon passé de manière aussi précise. C’est assez intime quand même. Et puis, je ne voulais pas que ça soit vu comme une rétrospective, je ne suis pas prêt. Je ne vais avoir QUE soixante ans ! Soixante ans, c’est important, ce n’est pas jeune, mais ce n’est pas vieux non plus. Il y a beaucoup d’artistes qui peuvent faire des rétrospectives à cinquante ou soixante ans. Pour moi, ce n’est pas encore d’actualité. Quarante ans de travail, ce n’est pas rien, mais je me considère comme un artiste en milieu de carrière. Ce qui m’a plu surtout, c’est que tu proposais de parler de mon histoire et de mon parcours à travers mes oeuvres. Et puis, c’est un peu angoissant de se pencher sur autant d’années, c’est une sorte de synthèse ; j’avais peur de me rendre compte que cela ne tenait pas, que le bilan n’était pas assez bon. Surtout dans un musée comme celui d’Unterlinden qui a le Retable d’Issenheim, qui a exposé Georg Baselitz, Otto Dix, des peintres que j’aime énormément. Finalement, en revoyant mes anciens dessins ou même le travail fait aux Beaux-Arts, je me suis dit : « Ah si, ça tient parfaitement. C’est solide. » Cela m’a redonné confiance, il n’y avait pas de raison d’être timide, j’ai bien fait d’être aussi tenace.

[…]

F. G.-H.

Parlons de l’oeuvre Pandémie que tu es en train de faire spécifiquement pour l’exposition et sur laquelle tu travailles depuis le début du mois de novembre. Tu tenais à te confronter au Retable d’Issenheim en le réinterprétant dans le contexte actuel, comme l’a fait Otto Dix en 1932 dans son triptyque de La Guerre8. Tu as choisi la forme du diptyque, comme dans la Crucifixion de Grünewald. Comment est née l’idée de ce sujet ?

Y. P.-M.

Je n’avais jamais vu le retable en vrai avant notre rencontre. Je l’ai découvert avec toi lors de ma première visite au musée9. C’est une peinture magnifique. Elle parle de l’ergot de seigle, cette maladie du XVIe siècle qui a causé en son temps une terrible épidémie. Nous sommes en 2020, en pleine pandémie de Covid-19, et cette peinture faite il y a maintenant cinq siècles est d’une actualité troublante. J’avais prévu de créer spécialement pour l’exposition une oeuvre qui aurait été installée dans le même espace que le Retable d’Issenheim, mais je n’avais pas encore défini le sujet. Puis le monde s’est arrêté, nous sommes entrés dans un second confinement et j’ai souvent repensé au retable. Le sujet est subitement devenu clair. Il était important de créer une oeuvre en réponse à cette peinture mais qui témoigne de notre époque. Finalement, elle sera installée dans la salle du haut [2e étage de l’Ackerhof] en conclusion de mon exposition. Ce n’est pas plus mal car mon tableau parle de maintenant, c’est une peinture d’actualité, mais un jour, comme le retable, il appartiendra à l’histoire.