đ âAnne Marie Laureysâ Bise, Ă La VerriĂšre â Fondation dâentreprise HermĂšs, Bruxelles, du 17 mai au 29 juillet 2023
âAnne Marie Laureysâ Bise
Ă La VerriĂšre â Fondation dâentreprise HermĂšs, Bruxelles
du 17 mai au 29 juillet 2023
Fondation d’entreprise HermĂšs
PODCAST –Â Interview de Anne Marie Laureys,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 16 mai 2023, durĂ©e 15â27,
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat :
Joël Riff, chargé de la programmation de La VerriÚre
Avec Amélie Lucas-Gary, Maude Maris et Auguste Rodin
DeuxiĂšme exposition de JoĂ«l Riff en tant que commissaire de La VerriĂšre, « Bise » Ă©veille la vigueur dâun souffle. Tout sâanime dans des bourrasques visuelles, qui naissent dâun tourbillon entre les mains. LâĂ©vĂ©nement marque la premiĂšre exposition personnelle Ă Bruxelles de lâartiste belge Anne Marie Laureys, et propose de donner une visibilitĂ© inĂ©dite Ă sa production de cĂ©ramiste tout en lâassociant Ă trois autres personnalitĂ©s : Maude Maris, AmĂ©lie Lucas-Gary et Auguste Rodin. Articulant oeuvres existantes, nouvelles productions et prĂȘt exceptionnel dâun objet historique, lâaccrochage affirme une dynamique sculpturale sous la bienveillance de la peinture. Cette Ă©tape de la nouvelle programmation de La VerriĂšre sâautorise Ă inventer sa propre temporalitĂ©, Ă prendre son temps, avec certaines invitations qui se dĂ©ploient dans la durĂ©e, aussi bien dans lâespace dâexposition que dans la publication.
La bise est un vent du Nord qui balaie lâEurope. Elle est froide et sa caresse peut sembler clinique. Elle apporte pourtant le beau temps. Elle nous touche, en une pĂ©riode oĂč le contact nâest plus dâusage. Aussi, oĂč que lâon soit, lâorigine des choses relĂšve dâun façonnage insufflĂ© de vie par des gestes de dĂ©miurge. Dâailleurs ce mot en grec ancien signifie artisan. Le potier gonfle depuis toujours des poumons dâargile. Anne Marie Laureys, depuis plus de quatre dĂ©cennies, tourne la terre. Ses formes retiennent leur respiration. Et ici, une autre expire infiniment.
« BISE »
Anne Marie Laureys modĂšle des chairs sans figure. Elle fait naĂźtre dâun souffle ses crĂ©atures, entre ses paumes, Ă partir dâune motte bien centrĂ©e. Sur un axe, des volumes sont tournĂ©s puis dĂ©formĂ©s et assemblĂ©s. Ils sont monstres. Lâartiste bouscule la pratique ancestrale de la poterie, exploitant sa dextĂ©ritĂ© en la matiĂšre pour mĂ©tamorphoser le gabarit dâune vaisselle bien faite en une lignĂ©e dâectoplasmes. Pour cela elle Ă©ventre et dĂ©visage avec pour objectif de soulever une harmonie alternative. Câest la cuisson qui permet de tenir dâimprobables Ă©quilibres sans quoi la terre sâaffaisserait. Des organes gonflĂ©s Ă lâĂ©piderme tendrement poudrĂ© patientent, tenant la pose, dans leur envolĂ©e. Leur voltige sâimmortalise. Ce façonnage implique une double rotation, diffĂ©rĂ©e, avec dâabord celle de lâargile sur sa girelle, puis celle du public autour de lâobjet terminĂ©. Ăa sâappelle la rĂ©volution.
Lâexposition « Bise » cĂ©lĂšbre le contact et le mouvement, deux principes fondateurs de la terre tournĂ©e. Les doigts accompagnent ainsi la substance mise en animation pour guider les contours et Ă©lever les contenances. Les cĂ©ramiques dâAnne Marie Laureys demeurent des rĂ©cipients. Elles contiennent ses humeurs, les conservent ou les dĂ©versent. Sur son tour, elle fait la pluie et le beau temps. Son rĂ©pertoire aĂ©rien Ă©veille tout un lexique mĂ©tĂ©orologique. Rafales voire cyclones font virevolter la souplesse des pans. En sa fabrique, lâartiste contrĂŽle les tempĂȘtes dont rĂ©sultent ses nuages. Et dans lâatmosphĂšre, la bise dĂ©signe traditionnellement un vent du Nord qui balaie lâEurope en traversant la Belgique. Contrairement Ă nombre de phĂ©nomĂšnes bien ancrĂ©s dans leur territoire, elle vient toujours dâailleurs, et nâappartient Ă personne. Alors elle souffle indiffĂ©remment, et fait tout tourbillonner.
Lâexposition « Bise » nâest pas un baiser. Câest une autre chorĂ©graphie de corps qui se joue lĂ pour exprimer une amabilitĂ© et manifester la communautĂ© que lâon compose par ce geste dâacceptation qui encadre la relation sociale. Des surfaces se touchent. Il sâagit dâaffirmer une adhĂ©sion, alors quâen 2023 le savoir-vivre se cherche de nouvelles politesses. Ă Bruxelles, la bise est unique, particuliĂšrement appuyĂ©e car câest la seule. On y met tout. Lâensemble de lâoeuvre dâAnne Marie Laureys exalte une dimension tactile. On devine encore lâempreinte de ses phalanges dans la glaise fraĂźche dessinant dans le modelĂ© des anneaux semblables aux mĂ©tamĂšres du lombric, ces segments articulĂ©s qui permettent au tube sa mobilitĂ©. Lâoccasion aussi de sâenthousiasmer de lâhomonymie entre peau et pot.
Anne Marie Laureys offre un arrĂȘt sur image, une pause dans le cours des choses. Et leur poids est une fatalitĂ© que lâhumain travaille Ă dĂ©samorcer ou du moins relativiser, notamment par lâexpĂ©rience de la sculpture et de la danse. Le contraste est dâautant plus saisissant que ses Ćuvres nâĂ©voquent pas des objets cois, mais des silhouettes fougueuses altĂ©rĂ©es par une soudaine bourrasque.
Lâendroit de lâenvers, le dedans du dehors ne se distinguent plus clairement, et rappellent la fameuse figure du Ruban de Möbius, noeud sans fin nâayant ni intĂ©rieur ni extĂ©rieur. Le fond se retrouve paroi. Tout est renversĂ©. Comme un vĂȘtement en boule, le linge froissĂ© semble avoir Ă©tĂ© portĂ©. Le tissu ici est derme. Et câest en chirurgienne quâAnne Marie Laureys oeuvre en greffant Ă la barbotine de nouveaux Ă©lĂ©ments au tronc originel pour former des compositions complexes. Il existe des formes que lâobservation seule ne rĂ©ussit pas Ă Ă©lucider, tant leur fabrication paraĂźt sophistiquĂ©e. De son atelier situĂ© en pleine campagne wallonne, entre Tournai et Courtrai, sortent des solides aĂ©riens dont la fascination est renforcĂ©e par une mystĂ©rieuse application de la couleur. Les apparences affichent une palette de velours. Quâelles Ă©voquent des phĂ©nomĂšnes atmosphĂ©riques, des prĂ©cipitĂ©s dans une solution aqueuse, des volutes de fumĂ©e et autres exhalaisons encore, ces formations parviennent Ă figer le vaporeux dans toutes ses variations. Elles en concrĂ©tisent les tempĂ©raments.
Lâexposition « Bise » consiste en un accueil chaleureux de la production dâAnne Marie Laureys, une inscription volontaire de son travail au sein du monde de la sculpture, dans le sillage immĂ©diat et sans dĂ©tour dâAuguste Rodin, tout simplement. Donner simultanĂ©ment Ă voir une piĂšce du maĂźtre autorise un raccourci flagrant. La gestion des masses conduit Ă une mallĂ©abilitĂ© des corpulences. Ă La VerriĂšre se manifestent les lois de la pesanteur. Toutes les terres cuites dĂ©collent, quand le bronze expire. Ces matĂ©riaux tĂ©moignent des conditions terrestres, que lâon sâen Ă©chappe ou en approuve la gravitĂ©. Et plus haut que lâhorizon, on retrouve la peinture de Maude Maris. Ă rebours des usages, sa prĂ©sence renouvelĂ©e contredit le dĂ©filement du calendrier. Persistons. Ainsi, sa visibilitĂ© transversale invite Ă nous attarder, Ă poursuivre une conversation, Ă intensifier une complicitĂ©. Cette continuitĂ© de compagnonnages au long court se vĂ©rifie dans la publication, qui sâouvre avec une nouvelle contribution dâAmĂ©lie Lucas-Gary invitĂ©e Ă dĂ©ployer un rĂ©cit en feuilleton.
Joël Riff, commissaire des expositions de La VerriÚre
Biographie de lâartiste
Anne Marie Laureys sculpte des nuages de terre. NĂ©e en 1962 Ă Beveren prĂšs dâAnvers en Belgique, elle se forme Ă la LUCA School of Arts de Gand dâoĂč elle sort diplĂŽmĂ©e en 1985, et ne sâest pas arrĂȘtĂ©e de tourner depuis. Lâensemble de sa production rĂ©sulte de cet outil ancestral quâest le tour, dont la force hypnotique lui permet de dĂ©velopper un lexique intarissable. Elle perfectionne sa pratique en rĂ©alisant des sĂ©ries limitĂ©es dâobjets de commande, avant de se consacrer Ă la sculpture Ă partir des annĂ©es 2000. Elle intĂšgre alors des collections musĂ©ales en Europe, en Asie et aux Ătats-Unis, dont rĂ©cemment le Metropolitan Museum of Art (New York).