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“Mathilde Rosier” à la Fondation Pernod Ricard, Paris, du 16 mai au 22 juillet 2023

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“Mathilde Rosier”
Dans les champs d’intensive prospérité

à la Fondation Pernod Ricard, Paris

du 16 mai au 22 juillet 2023

Fondation Pernod Ricard


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Mathilde Rosier
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©Anne-Frédérique Fer, le 15 mai 2023.
Mathilde Rosier, Paysage avec vecteurs - 1, 2022-2023. Huile sur toile, 215 x 385 cm. Courtesy de l'artiste.
Mathilde Rosier, Paysage avec vecteurs – 1, 2022-2023. Huile sur toile, 215 x 385 cm. Courtesy de l’artiste.

Texte de Sylvain Silleran

Mathilde Rosier, Marche en forêt au printemps, avec masque, 2021-2023. Huile sur toile et carton fort, 140 x 90 cm. Courtesy de l'artiste.
Mathilde Rosier, Marche en forêt au printemps, avec masque, 2021-2023. Huile sur toile et carton fort, 140 x 90 cm. Courtesy de l’artiste.
Mathilde Rosier, Portrait en pied avec masque, 2021-2023. Huile sur toile, 213 x 150 cm. Courtesy de l'artiste.
Mathilde Rosier, Portrait en pied avec masque, 2021-2023. Huile sur toile, 213 x 150 cm. Courtesy de l’artiste.
Mathilde Rosier, Blind Swim avec masque, 2017. Huile sur toile, carton, 200 x 120cm chacune. Courtesy de l'artiste.
Mathilde Rosier, Blind Swim avec masque, 2017. Huile sur toile, carton, 200 x 120cm chacune. Courtesy de l’artiste.
Mathilde Rosier, The Chamber, 2007. Gouache sur papier, carton, lit, 170 x 180 x 170 cm. Courtesy de l'artiste et la galerie Kadel Willborn.
Mathilde Rosier, The Chamber, 2007. Gouache sur papier, carton, lit, 170 x 180 x 170 cm. Courtesy de l’artiste et la galerie Kadel Willborn.

Un soleil rouge se couche derrière les collines. Le paysage entier est un immense champ labouré, aucun interstice n’a échappé à l’homme. La nature domestiquée, aplatie, lissée, déploie sa lassitude jusqu’à l’horizon. Les sillons sont parcourus de flèches lumineuses, l’énergie de la terre court dans ses veines, ce sol épuisé par l’agriculture intensive refuse de rendre son dernier souffle. C’est cette énergie cosmique que nous montre Mathilde Rosier: l’eau, la terre, l’air, le feu du soleil que l’humanité ne sait plus voir.

Des souches tronçonnées aux coupes rouges, roses comme de la chair, l’arbre est un animal fait de viande. Dans les vagues que font l’écorce, milles yeux nous regardent, témoignent de ce que les hommes ont fait à ces forêts. Mais de ces pupilles sortent quelques jeunes pousses vertes porteuses d’un avenir. D’autres yeux en verre un peu effrayants sont des bulbes d’où des tiges transparentes naissent, annonciatrices de futures fleurs. La conscience est source de vie.

La nature s’incarne dans des personnages humanoïdes, une hybridation d’hommes-plantes aux bras de feuilles et avec un épi de blé comme tête. Mathilde Rosier manipule le papier, le carton, la toile, elle découpe, colle, greffe, bouture telle une jardinière. Il y a quelque chose d’une innocence brute dans cette liberté de juxtaposer ses toiles sans se soucier de leur alignement, d’assembler des feuilles de papier au gré de l’histoire que raconte son dessin, de rafistoler un tableaux en collant une bande de toile pour l’allonger un peu. Parfois, la toile est simplement accrochée au mur, souple, sans cadre. Par terre, le tissu brun a été cousu, formant des souches d’arbres, les fronces forment une écorce qui tombe en drapé.

Dans un décor de théâtre en carton peint, un princesse à la belle toilette regarde son reflet entre deux montagnes ocre. Une chouette veille, porteuse de nouvelles comme Hedwige, la messagère de Harry Potter. La peinture, le pastel, le crayon se mélangent, des fonds gris de terre, de poussière révèlent des empreintes à demi effacées. Les couches superposées nous font remonter dans le temps, vers le dessin d’enfant qui sait déjà tout.

Alors on écoute les histoires, les contes des forêts qui n’existent plus. Un roi et une reine, couple sorti d’un mythe, d’une tragédie dansent sur la pointe des pieds. Elle porte une robe bleue ouvragée, lui une toge couverte d’écriture, des lettres qui se répètent comme un code génétique. Le masque de tragédie grecque est un épi de blé. Deux yeux et une bouche verticale comme un sexe féminin. Et puis tous ses épis et leurs pointes comme des cornes ont un côté totémique, quelque chose de puissant, d’animal et de dangereux. La nature bien que domestiquée conserve un pouvoir immense.

C’est ce que raconte ce conte de fées écolo et païen. Mathilde Rosier le met en scène dans un théâtre de marionnettes, des formes découpées, des pleins et des vides qui se déconstruisent et se reconstruisent, qui évoluent en dansant. Le blé nourricier sur les cadavres des forêts abattues, l’énergie cosmique de la lumière, des profondeurs des racines, l’humanité toujours sauvage, cherchant à se reconnecter à la nature. L’abondance promise par le progrès n’est pas faite que de pain, elle est aussi spirituelle, elle se nourrit de vibrations, de l’harmonie avec les éléments. Il nous faut encore sentir le parfum de la terre et l’herbe fraîche.

Sylvain Silleran


Extrait du communiqué de presse :

Commissaire : Chus Martínez



Née en 1973, Mathilde Rosier peint depuis qu’elle a dix-sept ans. Elle a de longue date placé les enjeux écologiques, et ce qu’elle appelle la « perspective des plantes », au sein de sa pratique picturale et de sa réflexion plastique. Vue au Jeu de Paume en 2010, à la suite d’une invitation d’Elena Filipovic, l’exposition à la Fondation Pernod Ricard met en dialogue différentes périodes de son travail. C’est la première exposition d’envergure qui lui est consacrée à Paris.

L’exposition que nous inaugurons le mardi 16 mai à la Fondation Pernod Ricard est la première exposition personnelle de Mathilde Rosier à Paris. Elle y présente une large sélection de peintures réalisées au cours des dernières années, une installation vidéo, de nouvelles réalisations en verre et d’autres sculptures antérieures. L’ensemble constitue un environnement fertile dans lequel le·la spectateur·rice peut partager les réflexions de Mathilde sur la nature, les plantes et la coexistence des espèces. L’exposition traduit également sa conviction profonde que l’art est le langage adéquat pour informer le corps social d’une vie dotée d’intelligence, de droits, et même de spiritualité.

Depuis longtemps maintenant, Mathilde travaille sur la vie sensible et la possibilité de communiquer avec la nature, la possibilité d’être avec et dans la nature. Cette exposition permet le rapprochement inédit de motifs et d’éléments présents dans son travail depuis plusieurs années, dans une approche holistique et immersive. Occupant une place centrale dans l’exposition, les peintures et dessins côtoient aussi une nouvelle vidéo. Au fondement de ce nouveau projet, ne se trouve pas seulement une idée générique de la nature, mais plus précisément l’histoire de la domestication des plantes et de l’agriculture.

Par ses peintures Mathilde Rosier pense, et donne à penser, la complexité d’un franchissement de la barrière entre l’état de nature et un état d’être véritablement humain. Elle voit dans les champs plantés, dans les grilles créées pour produire du grain, dans l’exploitation industrielle de la terre et de certaines espèces nourricières, un état intermédiaire entre la nature et l’humain. Ces champs gigantesques, ces plantes, comme des limbes, constituent un espace entre les logiques humaines et naturelles. Notre histoire, en tant qu’espèce, est celle de nos relations avec les plantes qui nous nourrissent. Le Néolithique a vu l’apparition des premier·ères agriculteur·rices et la formation de villages sédentaires dans toute l’Europe. Au cours de cette période, un ensemble particulier de concepts s’est formé, désignant pour la première fois la maison et le foyer – sous le terme domus –, fournissant ainsi une métaphore et un mécanisme pour la transformation sociale et économique.

L’oeuvre de Mathilde nous offre un terrain de réflexion sur l’évolution des sociétés humaines vis-à-vis des multiples espèces que nous avons modifiées et transformées pour pouvoir survivre. Son travail de peinture et de vidéo offre à la fois un nouveau langage symbolique à tous ceux·celles qui sont impliqué·es dans cette transition monumentale de la nature vers quelque chose d’autre. Il est aussi un rituel, un ensemble d’actions et de gestes orientés vers l’éveil d’une pensée et d’une affection différentes envers les champs, envers la vie que nous modifions constamment au nom de nos intérêts.

Nous désignons cette nouvelle oeuvre à grande échelle comme une exposition, mais nous pourrions aussi l’appeler « chapelle » ou « grotte ». L’énergie principale de ce travail est l’invention d’un espace intérieur où nous pouvons réimaginer la coexistence et une nouvelle vie ensemble.

Chus Martínez, commissaire de l’exposition