🔊 “Apocalypse” Hier et demain, à la BnF François Mitterrand, du 4 février au 8 juin 2025
“Apocalypse” Hier et demain
à la BnF François Mitterrand, Paris
du 4 février au 8 juin 2025

PODCAST – Entretien avec Jeanne Brun, directrice adjointe du MusĂ©e national d’Art moderne – Centre Pompidou – en charge des collections, et commissaire gĂ©nĂ©rale de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 3 février 2025, durée 15’48,
© FranceFineArt.

Anne Imhof (Née en 1978), Sans titre, 2022. Huile sur toile imprimée. Pinault Collection, Paris. Courtesy of the artist, Sprüth Magers and Galerie Buchholz. Photographie Timo Ohler.
Extrait du communiqué de presse :
![Robert Herlth, Friedrich Wilhelm Murnau, Carl Hoffmann, Album de photographies / Faust - Eine deutsche Volkssage [Bible de Faust] Les 4 cavaliers de l’Apocalypse 1926. Cinémathèque française - Musée du Cinéma, Paris, France, 2024.](https://im-francefineart.com/agenda/icono-3501-3650/3589_Apocalypse_1.jpg)
Robert Herlth, Friedrich Wilhelm Murnau, Carl Hoffmann, Album de photographies / Faust – Eine deutsche Volkssage [Bible de Faust] Les 4 cavaliers de l’Apocalypse 1926. CinĂ©mathèque française – MusĂ©e du CinĂ©ma, Paris, France, 2024.
![Tacita Dean (née en 1965), The Book End of Time [Le Livre fin du temps], 2013. Courtesy the artist, Frith Street Gallery, London and Marian Goodman Gallery, New York / Paris. Photographie Pinault Collection, Paris.](https://im-francefineart.com/agenda/icono-3501-3650/3589_Apocalypse_2.jpg)
Tacita Dean (née en 1965), The Book End of Time [Le Livre fin du temps], 2013. Courtesy the artist, Frith Street Gallery, London and Marian Goodman Gallery, New York / Paris. Photographie Pinault Collection, Paris.

Apocalypse de Saint-Victor, Normandie, 1er quart du XIIIe siècle. Manuscrit peint sur parchemin. BnF, département des Manuscrits.

Henri Rousseau (1844-1910), La Guerre, Vers 1894. Huile sur toile. Musée d’Orsay, Paris, 2012. Tony Querrec / RMN-GP.

Fritz Lang (1890-1976), Metropolis,1927. Photographie de plateau de Horst von Harbou. CinĂ©mathèque française – MusĂ©e du CinĂ©ma, Paris, France.
Commissariat général
Jeanne Brun, directrice adjointe du MusĂ©e national d’Art moderne – Centre Pompidou en charge des collections, avec la collaboration de Pauline CrĂ©teur, chargĂ©e de recherche auprès de la directrice adjointe du MusĂ©e national d’Art moderne – Centre Pompidou
Commissariat
François Angelier, journaliste et essayiste
Charlotte Denoël, cheffe du service des Manuscrits médiévaux et de la Renaissance, département des Manuscrits, BnF
Lucie Mailland, cheffe du service Philosophie, religion, département Philosophie, histoire, sciences de l’homme, BnF
La Bibliothèque nationale de France propose la première grande exposition consacrée à l’apocalypse. L’apocalypse ? Un mot obscur, qui fait peur, un mot qui parle de la fin du monde. Il n’en finit pas de résonner depuis deux mille ans dans notre culture et nos sociétés occidentales quand survient une catastrophe majeure, et aujourd’hui encore, en fond de nos angoisses climatiques. Et pourtant… L’étymologie de ce mot d’origine grecque signifie révélation, dévoilement, une signification reprise par les chrétiens. Dans le livre de l’Apocalypse qui clôt le Nouveau Testament, saint Jean parle d’un voile se levant sur le royaume intemporel qui réunira les croyants dans la Jérusalem céleste. Un mot porteur d’espoir, fait pour déjouer nos peurs profondes ?
Du Moyen Âge à notre époque, l’exposition traverse cet imaginaire en montrant certains des plus prestigieux manuscrits de l’Apocalypse de Jean, des fragments rarement présentés de la célèbre tenture d’Angers, et la fameuse suite de gravures de Dürer consacrées au texte, mais aussi de nombreux chefs-d’oeuvre, peintures, sculptures, photographies, installations, livres rares, extraits de films, venant des collections de la Bibliothèque comme des plus grandes collections françaises et européennes, publiques et privées (Centre Pompidou, musée d’Orsay, British Museum, Victoria and Albert Museum, etc.).
Parmi ces quelque 300 pièces, des oeuvres de William Blake, Odilon Redon, Vassily Kandinsky, Ludwig Meidner, Natalia Gontcharova, Otto Dix, Antonin Artaud, Unica Zürn, jusqu’à Kiki Smith, Tacita Dean, Miriam Cahn et Anne Imhof.
Ouvrant le parcours de l’exposition sur les deux galeries du site François-Mitterrand, la section « Le Livre de la Révélation » plonge le spectateur dans l’Apocalypse, le texte apocalyptique le plus célèbre de l’Occident. Elle offre des clés d’interprétation des représentations liées aux différents épisodes qui le composent, des sept sceaux au Jugement dernier, en mettant en lumière le sens originel du récit : le sens positif d’une révélation plutôt que d’une fin tragique. En explorant ce texte complexe et infiniment riche, et en exposant ses visions ainsi que les récits multiples qui s’y entremêlent, l’exposition cherche à renouer avec la compréhension de ce message chrétien et de cette mise en garde vieille de 2000 ans. Manuscrits enluminés flamboyants et oeuvres majeures — peintures, sculptures, dessins, vitraux et tapisseries — témoignent de l’importance et de la diffusion de ce texte et de son iconographie au Moyen Âge, tout en montrant comment cet imaginaire s’est consolidé et continue d’influencer notre époque.
La seconde partie de l’exposition, intitulée « Le Temps des catastrophes », est consacrée à la fortune de l’Apocalypse dans les arts, de Dürer à Brassaï, en passant par le sublime apocalyptique anglais et l’expressionnisme allemand. Elle rappelle que le texte a donné naissance à des oeuvres qui comptent parmi les chefs-d’oeuvre de l’histoire de l’art, illustrant ainsi la fascination tenace et persistante des artistes — et à travers eux, de l’humanité — pour ce récit qui mêle les fléaux et la fin des temps à l’espoir et à l’attente d’un monde nouveau.
Loin de se limiter à une vision catastrophiste de l’apocalypse, véhiculée par le genre post-apocalyptique dans la littérature, le cinéma et la bande dessinée, et revenant à son sens originel, l’exposition accorde une large place au « Jour d’après ». Cette section présente un ensemble d’oeuvres contemporaines, dont certaines de format monumental (Otobong Nkanga, Abdelkader Benchamma, etc.), qui esquissent ce jour d’après, marqué par la « colère » divine ou celle des éléments. C’est autour de ce jour d’après que se construisent les fictions et représentations les plus inventives, qui, d’une certaine manière, restent fidèles à l’Apocalypse, en concevant la catastrophe comme le prélude à un nouvel ordre du monde.
![William Blake (1757-1827), Death on a Pale Horse [La Mort sur son cheval pâle], 1800. Aquarelle, lavis et encre sur papier Cambridge, The Fitzwilliam Museum. Photo © Fitzwilliam Museum / Bridgeman Images.](https://im-francefineart.com/agenda/icono-3501-3650/3589_Apocalypse_5.jpg)
William Blake (1757-1827), Death on a Pale Horse [La Mort sur son cheval pâle], 1800. Aquarelle, lavis et encre sur papier Cambridge, The Fitzwilliam Museum. Photo © Fitzwilliam Museum / Bridgeman Images.

Fragment de la Tapisserie de l’Apocalypse : Quatrième flacon versé sur le soleil. Carton de Hennequin de Bruges (actif de 1368 à 1381), dans l’atelier de Nicolas Bataille (actif vers 1373-1400), par le lissier Robert Poincon (actif à la fin du XIVe siècle). Paris, vers 1373-1380. Tissage en fils de laine. Propriété de l’État, Direction régionale des affaires culturelles des Pays-de-Loire. © Bernard Renoux / Centre des monuments nationaux.

Yüksel Arslan (1933-2017), Arture 385. L’Homme XXVI. Hallucinations, 1988. Techniques mixtes. Collection Antoine de Galbert, Paris, 2009. © ADAGP, Paris, 2025.
![Pieter Claesz Soutman (1593-1657) [La Chute des damnés], 1642, d’après Rubens. BnF, département des Estampes et de la photographie.](https://im-francefineart.com/agenda/icono-3501-3650/3589_Apocalypse_9.jpg)
Pieter Claesz Soutman (1593-1657) [La Chute des damnés], 1642, d’après Rubens. BnF, département des Estampes et de la photographie.
Parcours de l’exposition
Qu’est-ce que l’Apocalypse ? L’apocalypse est d’ordinaire associée à un imaginaire de la catastrophe. Apocalypse guerrière, nucléaire, écologique, nous nommons ainsi toute catastrophe qui nous semble s’apparenter à une fin du monde. Cette interprétation est surprenante quand on revient à la lettre et à l’esprit du récit biblique qui clot le nouveau testament : l’apocalypse, c’est littéralement, en grec, la « révélation », le « dévoilement » ; et le texte de Jean, s’il fait apparaître la menace de multiples fléaux, est surtout l’annonce du Royaume de Dieu, symbolisé par la Jérusalem céleste. Il faut comprendre de la même manière la dimension eschatologique du texte (du grec eschatos, « fin », mais aussi « seuil ») : l’Apocalypse décrit la fin d’un monde, pour mieux dessiner les contours de l’ordre nouveau qui doit lui succéder. C’est à ce titre que ce récit a connu et connaît dans l’histoire des arts, jusque dans nos sociétés laïcisées, une fortune remarquable. La puissance de ses images, mise au service d’un message à la fois menaçant et consolateur, a cristallisé les peurs mais aussi la soif de justice de différentes époques, et donné corps à l’idée d’une réparation du Mal, sinon dans le présent, du moins dans l’avenir. L’Apocalypse demeure ainsi, depuis deux mille ans l’un des plus grands récits symboliques de l’épreuve et de l’espérance ; il est un arrière-plan et un horizon, une invitation à « nous souvenir de l’avenir ».
Introduction – Jean, prophète et voyant. L’identitĂ© de l’auteur de l’Apocalypse a fait l’objet de diverses thĂ©ories. Dès les premiers temps du christianisme, il est ainsi confondu avec saint Jean l’évangĂ©liste, son contemporain. Cette attribution – qu’on retrouve par exemple chez Gustave Moreau – est de nos jours discutĂ©e et considĂ©rĂ©e par certains comme erronĂ©e. L’auteur de l’Apocalypse est aujourd’hui souvent dĂ©signĂ© simplement comme Jean de Patmos dit aussi le Visionnaire. Son importance rĂ©side en effet dans son rĂ´le symbolique de tĂ©moin et prophète : Ă l’écart du monde, Jean est celui qui peut voir les vĂ©ritĂ©s cachĂ©es et les rĂ©vĂ©ler. D’Arthur Rimbaud Ă Antonin Artaud, d’Unica ZĂĽrn Ă Laurent Grasso, poètes et artistes ont souvent repris, au sein ou hors du contexte religieux, cette position de vigie ou de voyant, au-delĂ du monde voilĂ© des apparences. Les oeuvres ici rassemblĂ©es ont pour point commun leur facultĂ© de faire voir ce qui est et ce qui advient. La qualification de l’auteur de l’Apocalypse comme saint Jean, retenue dans la première partie de l’exposition (consacrĂ©e au texte originel), renvoie Ă la façon dont il a Ă©tĂ© identifiĂ© dès les premiers temps du christianisme avec l’apĂ´tre et Ă©vangĂ©liste saint Jean. Si l’auteur du texte de l’Apocalypse reste sujet Ă des interrogations et Ă diffĂ©rentes hypothèses, les Eglises chrĂ©tiennes continuent d’attribuer ce texte Ă l’apĂ´tre Jean et reconnaissent sa canonicitĂ©. Dans la Bible, l’Apocalypse fait partie du Nouveau Testament.
Le livre de la rĂ©vĂ©lation – Le texte de saint Jean. Dernier livre du Nouveau Testament, l’Apocalypse a Ă©tĂ© composĂ©e vers la fin du Ier siècle de notre ère par un auteur judĂ©o-chrĂ©tien nommĂ© Jean. Ce texte renferme une succession de prophĂ©ties annonçant la fin d’un monde corrompu par le Mal et l’avènement sur terre du Royaume de Dieu sous la forme de la JĂ©rusalem cĂ©leste. Loin de toute linĂ©aritĂ©, passĂ©, prĂ©sent et futur s’entremĂŞlent dans ces prophĂ©ties traversĂ©es par un âpre et violent combat entre le Bien et le Mal, que structurent le chiffre 7 et diverses figures et objets symboliques.
Le fort ancrage allégorique du récit, la dramaturgie spectaculaire des visions et le substrat eschatologique (relatif à la fin des temps) du message font de l’Apocalypse une sorte de cinquième Évangile du futur. La fascination qu’elle a suscitée est à la mesure de son étrangeté et de son hermétisme. Très tôt, les médiévaux, théologiens comme artistes, se sont emparés de ce texte et de ses tableaux visionnaires pour en faire le grand récit symbolique du destin de l’humanité.
Le livre de la révélation – La vision préparatoire et les sept sceaux. L’Apocalypse s’ouvre avec la Révélation que Dieu transmet par l’intermédiaire d’un ange à saint Jean sous la forme d’un livre. La première vision, saisissante, est celle du Fils de l’Homme au milieu de sept chandeliers d’or : la chevelure blanche comme neige, les yeux flamboyants, la bouche transpercée d’une épée à deux tranchants. De lui, saint Jean reçoit le commandement d’écrire ce qu’il verra aux sept Églises d’Asie Mineure. Dans les spectaculaires visions suivantes, apparaissent les grandes figures qui traversent le récit : Dieu sur son trône, adoré par les vingt-quatre Vieillards, les quatre Vivants, le livre aux sept sceaux que seul l’Agneau parvient à briser. L’ouverture des quatre premiers sceaux libère successivement les Quatre Cavaliers, celle du cinquième révèle les martyrs, celle du sixième déclenche un violent tremblement de terre et une succession de calamités. L’ouverture du septième sceau initie un nouveau cycle, celui des sept trompettes.
Le livre de la révélation – Les sept trompettes. À la suite de l’ouverture du septième sceau, les anges reçoivent de Dieu sept trompettes dont le retentissement déclenche de nouveaux fléaux qui préfigurent la victoire du Bien sur le Mal. Les deux premières trompettes entraînent une pluie de grêle et de feu qui ravage la terre, puis changent le tiers de la mer en sang. La troisième précipite sur la terre l’étoile Absinthe, qui transforme les fleuves en eaux amères et mortelles. Avec la quatrième trompette, les ténèbres envahissent un tiers du jour, de la nuit et des astres, tandis qu’un aigle prophétise les malheurs encore à venir. La cinquième libère les locustes, sauterelles monstrueuses à queue de scorpion, qui, conduites par l’Ange de l’abîme, viennent tourmenter les habitants de la terre. Un tiers d’entre eux sont exterminés par les deux cents millions de cavaliers cuirassés de feu qui déferlent au son de la sixième trompette.
Le livre de la rĂ©vĂ©lation – Le combat contre le dragon. Lorsqu’enfin retentit le son de la septième trompette, une grandiose apparition survient dans le ciel : une femme enveloppĂ©e du soleil, la lune sous ses pieds, la tĂŞte ceinte de douze Ă©toiles, donne naissance Ă un enfant mâle. AussitĂ´t, celui-ci est attaquĂ© par un Ă©norme dragon Ă©carlate Ă sept tĂŞtes et dix cornes, figure par excellence de l’AntĂ©christ. Tandis qu’un ange sauve l’enfant-nĂ© et le remet Ă Dieu, un terrible combat oppose Michel et ses anges au dragon et Ă ses cohortes infernales : ce combat, symbole de l’affrontement entre les puissances divines et le Mal, est l’un des Ă©pisodes de l’Apocalypse les plus repris dans l’art. Vaincu, le dragon se lance Ă la poursuite de la femme qui lui Ă©chappe.
Le livre de la rĂ©vĂ©lation – Les deux bĂŞtes. Furieux d’être vaincu, le dragon transmet Ă la bĂŞte de la mer sa puissance et ses pouvoirs malĂ©fiques. Semblable Ă une panthère, un ours et un lion, dotĂ©e de sept tĂŞtes, dix cornes et dix diadèmes, la bĂŞte commet d’épouvantables blasphèmes et convainc les habitants de la terre entière de l’adorer. Rapidement, elle est secondĂ©e par une deuxième bĂŞte qui surgit de la terre, le faux prophète. Cette bĂŞte Ă deux cornes parle comme un dragon, accomplit toutes sortes de prodiges et somme les peuples de rejoindre la bĂŞte de la mer, sous peine de mort. Ceux-ci sont alors marquĂ©s du nom de la bĂŞte ou de son « nombre d’homme », 666 : chiffre qui a suscitĂ©, et continue encore de susciter, toutes sortes d’interprĂ©tations.
Le livre de la rĂ©vĂ©lation – Les sept coupes et la chute de Babylone. Le processus de purification du monde souillĂ© par le pĂ©chĂ© dĂ©bute lorsque sept anges reçoivent du temple sept coupes remplies de la colère divine. Les trois premières coupes de sang sont versĂ©es sur la terre, la mer et les sources, la quatrième sur le soleil qui s’embrase, la cinquième sur le trĂ´ne de la bĂŞte dont le royaume est alors plongĂ© dans les tĂ©nèbres. La sixième coupe rĂ©pandue sur le fleuve Euphrate fait, quant Ă elle, surgir des gueules du dragon, de la bĂŞte et du faux prophète trois esprits impurs, Ă l’aspect repoussant de grenouilles, qui rassemblent les rois de la terre pour partir en guerre. Ă€ la bataille d’Armageddon succède la septième coupe qui provoque la destruction de la citĂ© de Babylone, demeure des dĂ©mons, et le jugement de la grande prostituĂ©e, mère de toutes les abominations, montĂ©e sur la bĂŞte Ă©carlate Ă sept cornes et dix tĂŞtes.
Le livre de la rĂ©vĂ©lation – Le Jugement dernier. Après la mise Ă mort de la grande prostituĂ©e et l’apparition du Christ sur son cheval blanc, le dragon est enfermĂ© dans l’abĂ®me d’abord pour mille ans – Ă©chĂ©ance qui donnera lieu aux plus vives spĂ©culations sur la date du retour de Satan – puis pour l’éternitĂ©, dans l’étang rougeoyant des Enfers oĂą il rejoint la bĂŞte et le faux prophète. C’est alors que survient le Jugement dernier, grand jour de colère, qui inaugure l’instauration d’un nouvel ordre divin. Le juge suprĂŞme rĂ©partit entre le camp des Ă©lus et celui des damnĂ©s les morts de tous les temps, selon leurs oeuvres. La sobriĂ©tĂ© avec laquelle saint Jean Ă©voque ce thème contraste avec l’iconographie foisonnante qu’il a suscitĂ©e Ă partir du Moyen Ă‚ge central, les artistes se plaisant Ă figurer la terrifique vision de la gueule de l’Enfer, lieu des supplices Ă©ternels des pĂ©cheurs.
Le livre de la rĂ©vĂ©lation – La JĂ©rusalem nouvelle. Au Jugement dernier succède la vision, lumineuse et apaisante, de la JĂ©rusalem nouvelle, symbole de rĂ©demption, dont la description minutieuse occupe l’ensemble de l’avant-dernier chapitre de l’Apocalypse. Faite d’or pur, transparente comme le cristal, la citĂ© cĂ©leste resplendit des mille feux des douze pierres prĂ©cieuses qui ornent ses remparts. Un ange mesure ses proportions carrĂ©es parfaites, douze anges en gardent les douze portes, et ses douze fondations portent les noms des douze apĂ´tres. La qualitĂ© d’image mentale, visionnaire, de cette citĂ© hors du temps, a donnĂ© lieu Ă une iconographie riche et complexe qui se rejoint autour d’un mĂŞme dĂ©fi : reprĂ©senter avec des moyens sensibles l’incorporel, l’immatĂ©riel de la citĂ© Ă©ternelle. Encore aujourd’hui, elle demeure un lieu de projection fantasmatique oĂą se rejoue Ă l’infini l’avenir de notre monde.
Le livre de la rĂ©vĂ©lation – Le Beatus de Saint-Sever. L’une des plus riches et somptueuses Apocalypses qu’a lĂ©guĂ© le Moyen Ă‚ge est un manuscrit rĂ©alisĂ© au XIe siècle dans l’abbaye de Saint-Sever en Gascogne. CommandĂ© par l’abbĂ© GrĂ©goire de Montaner (1028-1072), cet imposant manuscrit renferme un ensemble de textes en latin et d’images organisĂ© autour du rĂ©cit de saint Jean. De la centaine d’enluminures qu’il renferme, l’une des plus spectaculaires est cette reprĂ©sentation de l’ouverture des quatre premiers sceaux. RĂ©unissant sur une mĂŞme double page les cavaliers de l’Apocalypse sur fond de couleurs vives et tranchĂ©es, elle oppose le Christ victorieux sur son cheval blanc Ă trois cavaliers, dont le dernier, de couleur verdâtre, symbolise la mort. La fascination que ces images exercent est encore immense : nombreux sont les artistes et les Ă©crivains qui s’en sont nourris.
Le livre de la rĂ©vĂ©lation – L’Apocalypse selon DĂĽrer.L’Apocalypse d’Albrecht DĂĽrer (1471-1528), qui comprend 15 grandes xylographies (gravures sur bois), est Ă©ditĂ©e par l’artiste lui-mĂŞme, en dehors de toute commande.ComposĂ©e autour de 1498, c’est une oeuvre de jeunesse, dont la virtuositĂ© technique et l’inventivitĂ© formelle en ont fait le succès immĂ©diat, apportant Ă son auteur richesse et notoriĂ©tĂ©. Faire-valoir de son art, l’ouvrage privilĂ©gie pour la première fois l’image, Ă laquelle la place noble est rĂ©servĂ©e, par rapport au texte, renvoyĂ© au verso. DĂĽrer en a Ă©ditĂ© une version en allemand et une autre en latin, dans une visĂ©e internationale. Le sens du dĂ©tail et le foisonnement iconographique des planches, leur diffusion très large, ont fait de cette oeuvre une source d’inspiration pour de très nombreux artistes jusqu’à nos jours.
Le livre de la rĂ©vĂ©lation – L’Apocalypse au cinĂ©ma. De Éruption volcanique Ă la Martinique, court mĂ©trage d’une minute de Georges MĂ©liès (1902) Ă Melancholia (Lars von Trier, 2011), en passant par les films catastrophes ou les rĂ©cits de fin du monde, le cinĂ©ma s’est constamment nourri du rĂ©cit et de l’imaginaire apocalyptiques : jouant sur la puissance incantatoire du terme (Apocalypse now, Francis Ford Coppola, 1979), Ă©voquant la lecture pieuse du texte (Le Septième Sceau, Ingmar Bergman, 1957), ou figurant les plus populaires de ses figures tels les quatre cavaliers (Ingram, 1921 ; Murnau, 1926 ; Minnelli, 1962), la grande prostituĂ©e (MĂ©tropolis, Fritz Lang, 1927) ou le dragon (Godzilla, IshirĂ´ Honda, 1954). Ă€ ces films citant clairement le texte biblique sont venus se joindre des films d’esprit catastrophiste, de La Fin du monde d’Abel Gance (1931) aux blockbusters post-apocalyptiques contemporains.
Le temps des catastrophes – La RĂ©vĂ©lation Ă l’épreuve de la raison. Ă€ l’exception de certains motifs dont le succès perdure, tel le Jugement dernier, la reprĂ©sentation du rĂ©cit de l’Apocalypse semble cĂ©der du terrain Ă l’époque moderne. Certaines luttes, religieuses et sociales (guerres confessionnelles, rĂ©voltes millĂ©naristes), en usent pour nourrir l’espoir d’un proche horizon rĂ©volutionnaire. Mais au-delĂ de ces contextes particuliers, la pĂ©riode est moins propice aux angoisses eschatologiques : la stabilisation des pouvoirs de l’Église et des États et l’avènement d’une forme de rationalisme contribuent Ă apaiser les angoisses et Ă©loigner les visions hallucinĂ©es de Jean.
Pourtant, lorsque la réalité des événements apparaît incommensurable (malheurs de la guerre, catastrophes naturelles, phénomènes cosmiques), les images de l’Apocalypse réapparaissent, comme en filigrane, pour leur donner sens.
Les fléaux, hécatombes, atrocités apparus en vision à Jean se retrouvent ainsi dans les « tristes pressentiments » des Désastres de Goya. D’une lecture stricte de l’Apocalypse émerge alors une compréhension apocalyptique de la catastrophe.
Le temps des catastrophes – Retrait des dieux et sublime apocalyptique. Le rationalisme et le triomphe de nouveaux grands récits éclairant le futur, en premier lieu celui du progrès scientifique et de l’évolution humaine, auraient dû sonner le glas de l’Apocalypse. À rebours de ce constat, le XIXe siècle s’affirme comme une période profondément apocalyptique, dans le sillage notamment de la sensibilité romantique. De nouveaux cycles iconographiques complets (Redon), des motifs spécifiques (cavaliers, grande prostituée, anges aux trompettes), et plus généralement une atmosphère de sublime à la fois fascinante et terrifiante (nuées, déchaînement des éléments), en témoignent.
Alors que triomphent la mécanisation, l’industrialisation, l’urbanisation, et un matérialisme effréné, le récit biblique rappelle que tout n’est pas à la mesure du genre humain. Il fait apparaître la menace – ou l’espérance – de l’effondrement d’un monde corrompu et le retour à une harmonie rêvée.
Le temps des catastrophes – Apocalypse sans Royaume. Le XXe siècle est celui des grandes catastrophes : les guerres, dans leur technicité nouvelle, sans cesse plus destructrices jusqu’à l’absolu de l’arme nucléaire ; les génocides et en premier lieu la Shoah (littéralement « catastrophe ») anéantissant toute valeur morale ou humaine ; l’effondrement écologique qui offre la perspective concrète d’une disparition prochaine de l’humanité.
Malgré le recul de la culture religieuse, l’Apocalypse semble conserver sa place de grand récit symbolique susceptible de répondre au besoin de comprendre les épreuves du temps présent. De nombreux artistes puisent dans le texte et ses images un matériau pour témoigner de la vie sur Terre devenue enfer. D’autres se souviennent que l’Apocalypse, originellement, promet un « à -venir ». Dans leurs compositions, où le monde se disloque, perd sa forme, ils cherchent la possibilité d’un après, fût-ce une Révélation sans Royaume.
Le temps des catastrophes – Les images mytiques de la guerre Natalia Gontcharova. Natalia Gontcharova réalise ses premières lithographies au début de la Première Guerre mondiale. Elle y mêle icônes religieuses et éléments de la guerre moderne, art folklorique russe et motifs apocalyptiques. Depuis 1910 environ, l’Apocalypse occupe une certaine place dans le travail de l’artiste qui considère, dans un esprit proche de celui de Kandinsky, que la société matérialiste doit laisser place à une plus grande spiritualité. Ainsi, dans ses planches, des anges aident les Russes en combattant des avions ennemis, tandis que l’archange Michel, figure du Bien, combat le Mal représenté par la femme sur la bête.
Le temps des catastrophes – Le Chant du monde : La Fin de tout Jean Lurçat. À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, Jean Lurçat découvre à Angers la tenture de l’Apocalypse qui lui fait l’effet d’une révélation. Presque vingt ans après, en pleine guerre froide, il en réalise une version contemporaine : Le Chant du monde, un cycle composé de dix tapisseries. La Fin de tout, représentant une rose brisée sous une pluie de cendres comme autant de « germes de mort », vient clore la première partie du cycle qui dénonce les conflits armés et le risque atomique. Avec la seconde section du Chant du monde, Lurçat fait renaître l’espérance quant au sort de l’humanité.
Le jour d’après – Tout le récit de l’Apocalypse de Jean avait pour point de mire l’instauration du Royaume divin. Aujourd’hui, derrière les catastrophes que nous traversons peine à se dessiner une quelconque Révélation. C’est pourtant sur ce jour d’après que se forgent encore les plus inventives fictions et représentations.
Hantée par les erreurs de l’humanité (course à l’armement nucléaire, délire technologique, destruction des mondes naturels) intensifiées depuis la Seconde Guerre mondiale, la vision de cet « à -venir » se décline souvent en images sombres, véhiculées par le genre post-apocalyptique dans la littérature, au cinéma et dans la bande dessinée, ou aboutissant, chez de nombreux artistes, à la vision d’un monde renaissant sans nous. D’autres auteurs et artistes commencent à imaginer les possibilités d’une « nouvelle alliance » dans un monde où la place de l’humain serait radicalement repensée. Le temps apocalyptique que nous vivons constituerait alors bien un kairos, un moment de saisie de l’histoire, nous invitant, dans un monde en ruine, à ajuster les conditions de notre existence.
Le jour d’après – Atombombe [Bombe atomique] Miriam Cahn. Militante antinucléaire, Miriam Cahn réalise la série des Atombombe dans un paysage international marqué par la fin de la guerre froide, la guerre Iran-Irak et les prémices de la première guerre du Golfe. Les couleurs vives employées pour ces aquarelles matérialisent l’ambivalence des émotions suscitées par la bombe atomique, entre fascination et terreur, dualité au coeur même du concept de sublime. Cette dichotomie du sublime, intensifiée par la présentation de l’oeuvre à hauteur du regard, participe d’une suspension du temps, de ce moment juste avant la révélation de la dévastation.
Le jour d’après – Infinito [L’Infini] Luciano Fabro. D’une apparente simplicité, cette sculpture renferme une complexe dualité. Faite de marbre – matériau naturel, ancien et lumineux – et d’acier – alliage industriel, moderne et sombre – Infinito est aussi élémentaire que monumental. D’une grande fragilité, elle n’en est pas moins ancrée au sol. Les morceaux de marbre, susceptibles de troubler la course perpétuelle du symbole infini dessiné par le câble, permettent aussi de le maintenir en place. Infinito incarne la permanence des cycles du vivant qui demeureront, avec ou sans l’humanité.
Le jour d’après – Earth [Terre] Kiki Smith. Dans une version personnelle du jardin d’Éden, Kiki Smith figure une Eve qui n’a plus honte de sa nudité et entretient une relation apaisée avec le serpent. Cette scène paisible invite à une nouvelle concorde, une union renouvelée de l’humanité avec le monde vivant dont elle fait partie. Chez Kiki Smith, cet Éden retrouvé, devenu nouvelle Jérusalem, n’a pas de hautes murailles, elle est ouverte et continue, elle n’accueille pas que les élus mais aussi le serpent, elle ne vient pas du ciel mais s’ancre dans la terre, elle est la Terre.
Catalogue de l’exposition – Apocalypse. Hier et demain Ouvrage collectif sous la direction de Jeanne Brun, avec la collaboration de Pauline CrĂ©teur. Avec des essais de Camille Adnot, François Angelier, FrĂ©dĂ©ric Boyer, Jeanne Brun, Emanuele Coccia, Charlotte DenoĂ«l, Georges Didi-Huberman, Sophie Goetzmann, RaphaĂ«lle GuidĂ©e, Marielle MacĂ©, Sabine Maffre, Lucie Mailland dit Baron, Vanessa Selbach, ValĂ©rie Sueur-Hermel, Caroline Vrand.
Aujourd’hui associée à un imaginaire de la catastrophe, l’Apocalypse fut d’abord le récit biblique de la Révélation. À travers des images puissantes – cavaliers de l’Apocalypse, dragon, grande prostituée de Babylone, Jugement dernier – le texte, à la fois menaçant et consolateur, évoque la traversée de fléaux pour mieux nourrir l’espoir d’un avenir lumineux. Le présent ouvrage offre une synthèse illustrée du texte de Jean, servie par une nouvelle traduction de Frédéric Boyer, et de nombreux essais qui éclairent les motifs et les concepts apocalyptiques, du Moyen Âge à nos jours. Richement illustré, il déploie les visions saisissantes de Jean, qui ont engendré une tradition iconographique et littéraire immense en Occident. Des enluminures du Beatus de Saint-Sever et de la tenture d’Angers aux aquarelles de William Blake ou aux tapisseries de Kiki Smith, du Patmos de Friedrich Hölderlin à L’Apocalypse arabe d’Etel Adnan, les oeuvres rassemblées ici permettent de comprendre comment l’Apocalypse a largement dépassé sa dimension religieuse pour s’ériger en grand mythe collectif de la fin des temps.