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“Chefs-d’oeuvre de la Galerie Borghèse” Les Belles Images, au Musée Jacquemart-André, du 6 septembre 2024 au 5 janvier 2025

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“Chefs-d’oeuvre de la Galerie Borghèse”

au Musée Jacquemart-André, Paris

du 6 septembre 2024 au 5 janvier 2025

Musée Jacquemart-André


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©Sylvain Silleran, vernissage presse, le 5 septembre 2024.

Texte Sylvain Silleran

Raphaël, La Dame à la licorne, vers 1506, huile sur toile appliquée sur panneau, 67 x 56 cm, Galleria Borghese, Rome. © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen.

Raphaël, La Dame à la licorne, vers 1506, huile sur toile appliquée sur panneau, 67 x 56 cm, Galleria Borghese, Rome. © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen.

Michele di Ridolfo del Ghirlandaio, Léda, vers 1565-1570, huile sur panneau, 78 x 51 cm, Galleria Borghese, Rome. © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen.

Michele di Ridolfo del Ghirlandaio, Léda, vers 1565-1570, huile sur panneau, 78 x 51 cm, Galleria Borghese, Rome. © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen.

Dominiquin, Sibylle, 1617, huile sur toile, 123 x 89 cm, Galleria Borghese, Rome. © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen.

Dominiquin, Sibylle, 1617, huile sur toile, 123 x 89 cm, Galleria Borghese, Rome. © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen.

Chefs-d’œuvre de la Galerie Borghèse

Musée Jacquemart André


Pour sa réouverture, le musée Jacquemart André invite la Galerie Borghèse à Paris. L’espace intimiste du musée parisien pouvait sembler quelque peu étroit pour accueillir ces imposants chefs-d’œuvre, habitués au luxe de leur palais romain. La scénographie habille les murs de motifs, de colonnes, de balcons donnant sur des jardins où bruissent les pins, évoquant ainsi en filigrane l’architecture de la Villa Borghèse et offrant aux tableaux exposés une respiration bienvenue.

La collection impressionnante de Scipion Borghèse s’étend de la Renaissance au XVIIème siècle, elle montre une personnalité aussi exigeante qu’audacieuse. Un Christ portant sa croix par Andrea Solario est tourmenté par des soldats romains aux trognes médiévales et grimaçantes. Dans un cadre resserré jusqu’à la claustrophobie, ce christ silencieux, pâle comme un suaire, rayonne de toute son innocence et sa divinité. Plus charnelle, la Vierge à l’enfant avec saint Jean-Baptiste enfant de Giulio Romano est toute de délicatesse veloutée. Les enfants sont potelés tels des chérubins, incarnés dans une chair tendre et tactile. Cette Vierge poudreuse contraste avec celle d’Andrea sel Sarto, peinte sous une lumière plus dure. Les enfants y sont modelés dans une chair plus nerveuse, le drapé y est vif, anguleux, donnant à la scène un mouvement, une étonnante turbulence.

La scène pastorale d’adoration de Jacopo Bassano a une densité chaotique de foule de bergers et d’animaux. Pourtant tout s’assemble dans la grâce ordonnée d’un ballet, une chorégraphie aérienne inattendue dans un tel tableau. Bassano signe également une étonnante cène : un Christ debout contemple le spectateur, déjà absent de cette réunion qu’il préside. L’assemblée des convives semble d’ailleurs se dissoudre dans un désordre anarchique que la symbolique des reliefs du repas disposés sur la nappe tente d’ordonner.

Parmi une galerie de portraits, un homme anonyme peint par Parmesan ose se dévoiler par un regard direct et franc. Un autre, celui-ci à l’espièglerie toute flamande quoique vêtu comme un vénitien, révèle les influences d’Antonello da Messina. Le Garçon à la corbeille de fruits, portrait de jeunesse de Caravage, est merveilleux de lascivité. Le regard en coin du jeune homme, sa moue désinvolte se font voler la vedette par la sensualité des fruits traités comme des personnages à part entière. Les transparences des grains de raisins, les imperfections d’une poire, la fatigue d’une figue ne sont pas une fin en soi, un simple étalage de technicité. Caravage utilise cette extraordinaire maîtrise pour peindre une invitation pleine de promesses et d’impertinence.

Passons des allégories mythologiques aux tableaux bibliques. Une Sybille de Dominiquin est prétexte à une rêverie sensuelle et musicale, une chasteté hésitante. Un Enlèvement d’Europe par Le Cavalier d’Arpin est immense, épique, bien plus grand que ne parvient à contenir son petit format. Zeus est un taureau massif comme une statue de bronze tandis que les lamentations du chœur résonnent et s’envolent. Les affres de Suzanne et les vieillards de Rubens s’incarnent dans une sanguinité bouillonnante tandis que le Christ flagellé de Titien s’efface dans un flou brumeux, corps se désincarnant sous un voile de cendres.

Une vierge à l’enfant sortie de l’atelier de Botticelli sera toujours un émerveillement. A côté, La Dame à la licorne de Raphaël est éblouissante d’élégance florentine, de cette grâce inégalée de la peinture que l’on trouve sur les murs des palais italiens.

Deux portraits de femmes de Michele di Ridolfo del Ghirlandaio, une Lucrèce et une Léda, portent leurs cheveux ondulants comme des fils de soie dorée, la blancheur de leur carnation se colore du rose des pétales de fleurs. Comment évoquer le divin mais avec une candeur délicieuse? Titien y parvient aussi avec sa Vénus bandant les yeux de l’Amour. La beauté poudreuse des corps, la légèreté de plume prête à s’envoler et pourtant une présence incarnée jusqu’au cœur qui bat et qui fait rosir d’émotion les peaux.

S’il faut jeter un dernier regard en arrière avant de partir, cela serait pour admirer Loth et ses filles de Giovanni Francesco Guerrieri. La lumière vient de la flamme unique d’une petite lampe à huile au sol. Sous ses rayons, les personnages émergent de l’obscurité, les soies et les ors brillent, les visages modelés par cette lumière montante se font graves, intenses. Dans cette intimité se noue un destin terrible, le silence n’est pas différent d’un cri. Cette vision hypnotique refuse de nous laisser repartir, elle porte une terrible leçon d’humanité. La peinture nous apprend donc à être, voilà donc à quoi servent les collectionneurs ?

Sylvain Silleran

Titien, Vénus bandant les yeux de l’Amour, vers 1565, huile sur toile, 116 x 184 cm, Galleria Borghese, Rome. © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen.

Titien, Vénus bandant les yeux de l’Amour, vers 1565, huile sur toile, 116 x 184 cm, Galleria Borghese, Rome. © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen.

Caravage, Garçon à la corbeille de fruits, vers 1596, huile sur toile, 70 x 67 cm, Galleria Borghese, Rome. © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen.

Caravage, Garçon à la corbeille de fruits, vers 1596, huile sur toile, 70 x 67 cm, Galleria Borghese, Rome. © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen.


Extrait du communiqué de presse :

Bernin, Autoportrait à l’âge mûr, vers 1638-1640, huile sur toile, 53 x 43 cm, Galleria Borghese, Rome. © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen.

Bernin, Autoportrait à l’âge mûr, vers 1638-1640, huile sur toile, 53 x 43 cm, Galleria Borghese, Rome. © Galleria Borghese / ph. Mauro Coen.

Commissariat :

Dr. Francesca Cappelletti est Directrice de la Galerie Borghèse à Rome.

Pierre Curie est Conservateur général du patrimoine et conservateur du musée Jacquemart-André depuis janvier 2016.


Pour son exposition de réouverture après plus d’un an de travaux entrepris sous la conduite de l’Institut de France, propriétaire du musée, le Musée Jacquemart-André présente une quarantaine de chefs-d’oeuvre de la célèbre Galerie Borghèse à Rome. Ce partenariat exceptionnel entre les deux institutions offre au public une occasion unique d’admirer à Paris un ensemble d’oeuvres majeures d’artistes célèbres de la Renaissance et de la période baroque rarement prêtées à l’étranger, du Caravage à Rubens, en passant par Raphaël, Titien, Botticelli, ou encore Véronèse, Antonello da Messina et Bernin.

La Villa Borghèse Pinciana, qui abrite aujourd’hui la Galerie Borghèse, fut construite entre 1607 et 1616 sur ordre du puissant cardinal Scipion Borghèse (1577-1633), neveu du pape Paul V (1550-1621). S’inspirant des luxueuses villas romaines, Scipion souhaitait consacrer ce palais entouré de jardins à l’exposition de ses collections d’oeuvres antiques et de peintures et sculptures modernes, évoquant un nouvel âge d’or. Doté d’un goût sûr, d’une insatiable curiosité et d’une extraordinaire capacité à déceler les chefs-d’oeuvre parmi les productions de son temps, Scipion Borghèse complétait sa collection par tous les moyens, légaux ou non. Il s’est ainsi imposé comme l’un des premiers et des plus importants collectionneurs et mécènes de l’histoire de l’art moderne, faisant de la Villa Borghèse un véritable musée avant la lettre. Selon ses dernières volontés, l’ensemble de ses collections et de ses propriétés fut transmis génération après génération sans être dispersé pendant près de deux cents ans, et les héritiers Borghèse poursuivirent l’enrichissement du patrimoine familial. Au début du XIXe siècle, plusieurs centaines de sculptures antiques furent néanmoins cédées à Napoléon Bonaparte par son beau-frère, le prince Camille Borghèse (1775-1832) ; leur absence a été progressivement comblée par de nouvelles acquisitions. La famille Borghèse finit par vendre la villa et son musée à l’État italien en 1902. La Galerie Borghèse demeure aujourd’hui un symbole de la prospérité économique, culturelle et artistique de Rome à l’époque moderne, et à ce titre une destination incontournable pour les visiteurs de la Ville éternelle.

Grâce au partenariat entre le Musée Jacquemart-André et la Galerie Borghèse – dans le contexte d’une campagne de travaux de rénovation du musée romain à l’automne 2024 – cette exposition présente une sélection d’oeuvres exceptionnelles issue de cet ensemble artistique unique au monde. Le public pourra notamment y (re)découvrir les productions de grands noms de l’art italien des XVIe et XVIIe siècle (Raphaël, Antonello da Messina, Parmesan, Lorenzo Lotto, Titien, Véronèse, Caravage, Bernin…) et de peintres nordiques ayant séjourné en Italie (Rubens, Gerrit van Honthorst…). L’exposition rendra aussi hommage à des peintres moins connus du grand public, tels qu’Annibal Carrache, Guido Reni, Le Cavalier d’Arpin et Jacopo Bassano. La présentation des oeuvres dans l’exposition éclaire à la fois l’histoire de la collection et le sens des grandes thématiques explorées par les artistes. L’exposition sera accompagnée d’un catalogue, ouvrage de référence en langue française sur la collection de peintures de la Galerie Borghèse.

Le Musée Jacquemart-André s’attache régulièrement à mettre en avant des figures de collectionneurs qui ont marqué l’histoire de l’art, à l’image du couple formé par Édouard André et Nélie Jacquemart. Ceux-ci ont constitué une riche collection de peintures, de sculptures et de mobilier italiens du Moyen-Âge au XVIIIe siècle, faisant du Musée Jacquemart-André l’une des institutions françaises de référence pour l’art de ce pays. Les chefs-d’œuvre réunis par les Borghèse seront ainsi particulièrement bien entourés au sein de ce musée presque italien au coeur de Paris.

Parcours de l’exposition

Introduction – Scipion Borghèse, un cardinal collectionneur
Scipion Caffarelli-Borghèse (1577-1633) est entré dans l’Histoire comme l’exemple du grand collectionneur et mécène. Il est issu d’une noble famille d’origine siennoise installée à Rome au XVIe siècle. Après la mort de Léon XI en 1605, son oncle maternel Camille Borghèse (1550-1621) est élu pape sous le nom de Paul V. Le jeune Scipion, alors étudiant à Pérouse, est appelé à Rome par Paul V qui le nomme cardinal et l’autorise à porter le nom des Borghèse. Scipion occupe pendant les seize années du long pontificat de Paul V la position influente de nipote, cardinal-neveu. Ressemblant à son oncle par sa corpulence, Scipion séduit par sa jovialité et ses manières courtoises qui attirent à lui de nombreux amis. Il joue un rôle dans le gouvernement pontifical, occupant des postes administratifs et diplomatiques de premier plan. Il semble que le cardinal n’utilise pas le pouvoir offert par sa position pour satisfaire des ambitions politiques, mais il s’enrichit néanmoins considérablement. Une partie de cette immense fortune est investie dans la construction de palais, d’églises et de monuments et dans la constitution d’une collection d’oeuvres d’art, autant d’efforts qui lui permettent de consolider son image et celle de la famille Borghèse. Cette exposition inédite au Musée Jacquemart-André rend hommage à l’esprit libre et intuitif du cardinal Borghèse en présentant les chefs-d’oeuvre de la collection dans une scénographie audacieuse. L’histoire de la collection est évoquée par des oeuvres choisies pour en refléter la richesse et la diversité.

Une collection dynamique et des méthodes d’acquisitions plurielles
Commencée modestement par quelques oeuvres reçues en héritage, la collection de Scipion Borghèse devient rapidement un riche ensemble constitué d’antiquités, de peintures et de sculptures des XVIe et XVIIe siècles. Non sans paradoxe, compte tenu de l’affabilité et de la timidité que lui prêtent les sources, le cardinal sait en effet se montrer d’une avidité sans pareille dès qu’il s’agit de satisfaire sa passion pour l’art, mise au service d’un certain culte des plaisirs et du divertissement. Il réalise vers 1607 ses premières vraies acquisitions. Cette année-là est marquée par la saisie de plus de cent oeuvres dans l’atelier du Cavalier d’Arpin par les soldats pontificaux, à la faveur de l’arrestation du peintre, accusé de détention illégale d’armes à feu.. Cet épisode ressemble à une trahison : le Cavalier d’Arpin travaille alors sur des commandes officielles au Vatican. Le cardinal, à qui Paul V fait immédiatement don de l’intégralité de cette collection, met ainsi la main sur un nombre très important d’oeuvres de l’un des artistes alors les plus en vue à Rome, dont l’Arrestation du Christ. Parmi les pièces les plus fameuses figurant dans cette saisie, un tableau de jeunesse de Caravage, qui fut employé par le Cavalier d’Arpin, le Garçon à la corbeille de fruits, demeure aujourd’hui l’un des chefs-d’oeuvre absolus de la collection Borghèse. À plusieurs reprises, le cardinal a même recours à la menace – jusqu’à faire emprisonner le Dominiquin – pour forcer des artistes à lui céder des oeuvres ou à travailler pour lui. La collection de Scipion Borghèse s’enrichit aussi grâce à sa position influente, qui lui permet d’être en relation avec d’autres collectionneurs (il achète des tableaux, par exemple, de la collection Sfondrato), avec d’autres grandes familles (ses liens avec les Médicis et leurs émissaires romains lui permettent probablement d’acquérir des oeuvres florentines) et avec les artistes eux-mêmes dans le contexte de l’émergence du marché de l’art. Doté d’un goût sans préjugés, Scipion est aussi à l’affût de nouveau talents et entretient des relations privilégiées avec certains artistes. Il compte parmi les commanditaires romains de Caravage – dont l’exil coïncide avec les premières années du pontificat de Paul V – et fait partie des amateurs qui s’intéressent à ses disciples, les peintres caravagesques. Il accorde aussi sa faveur à des artistes étrangers qui vivent ou séjournent à Rome.

Bernin dans la collection Borghèse
Sachant se montrer aussi généreux que despotique, Scipion Borghèse prend sous son aile le jeune Gian Lorenzo Bernini, dit Bernin, fils d’un sculpteur travaillant sur les chantiers pontificaux. Le cardinal prend immédiatement la mesure du talent de l’adolescent, dont la première sculpture connue, La Chèvre Amalthée, est présentée dans l’exposition. Bernin, dont plusieurs des chefs-d’oeuvre ornent aujourd’hui les salles de la Villa Borghèse, connaîtra une carrière florissante sous les pontificats des successeurs de Paul V. Peu avant la mort de Scipion Borghèse, il honorera son ancien protecteur par une paire de portraits en buste d’une grande finesse psychologique. Un buste du pape Grégoire XV modelé par Bernin est exposé ici. Il s’agit d’un pendant au buste de son prédécesseur Paul V conçu sur une commande de Scipion Borghèse. Ce bronze qui fit un temps partie des collections Borghèse est aujourd’hui l’une des pièces maîtresses du Musée Jacquemart-André. L’exposition présente aussi un aspect moins connu de la production du célèbre sculpteur. L’Autoportrait de Bernin, marqué par l’héritage de la tradition du portrait depuis la Renaissance est en effet un remarquable témoignage de son talent de peintre.

La collection Borghèse : une collection romaine et universelle
En 1608, Scipion Borghèse commandite le vol en pleine nuit et le transfert à Rome de la Déposition peinte par Raphaël pour la chapelle des Baglioni à Pérouse. Cette prise spectaculaire illustre le fort intérêt du cardinal pour l’art italien de la Renaissance, particulièrement bien représenté dans la collection Borghèse, tout comme la peinture vénitienne. C’est à ces deux écoles que cette partie de l’exposition rend hommage, dans l’esprit des acquisitions menées par Scipion Borghèse qui combine les maîtres vénitiens (Véronèse, Jacopo Bassano) et l’art florentin (Botticelli, Raphaël). L’approche avant tout sensible et intuitive de Scipion Borghèse témoigne de l’évolution des préférences artistiques au début du XVIIe siècle, et sa collection est à ce titre un lieu d’expérimentations. Le cardinal s’émancipe de toute théorie dogmatique ou programme préétabli dans le choix de ses oeuvres : sa galerie va célébrer le pouvoir de sa famille et mettre en valeur les collections qui la précèdent, comme celle de Pietro Aldobrandini. L’antiquité se mêle à la peinture de la Renaissance, à la peinture et à la sculpture contemporaines. Cette philosophie fait de Scipion Borghèse une incarnation du concept moderne du collectionneur de la période baroque, qui associe la grandeur de l’antiquité à la contemporanéité et qui privilégie le plaisir individuel et la liberté de sélectionner et d’associer les oeuvres selon ses propres goûts. La mode des grands cycles décoratifs de la Renaissance fait place à celle de la « galleria di quadri mobili », la collection de peintures de chevalet, que l’on peut déplacer d’une résidence à une autre au gré de nouveaux aménagements. Grâce à ses méthodes plus ou moins licites, le cardinal acquiert au cours de sa vie plusieurs centaines d’oeuvres d’art qu’il répartit dans ses différentes résidences. Selon ses dernières volontés, après sa mort en 1633, sa collection est transmise aux générations suivantes sans être dispersée. Au fil des décennies, de nouvelles oeuvres et des objets décoratifs s’ajoutent au patrimoine familial. La Dame à la licorne de Raphaël, pièce iconique de la collection Borghèse, y est ainsi probablement entrée par héritage durant la deuxième moitié du XVIIe siècle. Les oeuvres de cette salle, rarement présentées ensemble, témoignent ainsi de la longue histoire de la collection, qui a continué de s’enrichir au fil des générations.

La Renaissance magique du nord de l’Italie
Cette salle rassemble des sujets qui évoquent les mythes fondateurs de la culture occidentale moderne – avec des personnages issus de la mythologie gréco-romaine et de l’Ancien Testament. Scipion Borghèse privilégie la qualité artistique à la complexité symbolique, cherchant des oeuvres qui captivent le coeur plutôt que l’intellect. Les sujets qu’il affectionne sont variés et souvent ambigus, les interprétations religieuses, mythologiques et profanes pouvant se superposer au sein d’une même oeuvre, comme pour la Sibylle du Dominiquin. La collection Borghèse participe ainsi au développement de thèmes artistiques innovants comme la peinture de genre ou les paysages. Ces critères portent naturellement Scipion vers les grands noms de la peinture vénitienne du XVIe siècle, qui jouissaient alors à Rome d’une grande considération, tant pour leurs choix iconographiques audacieux que pour leur usage sensuel de la couleur. En 1608, Scipion Borghèse s’empare de tableaux de Dosso Dossi issus de la collection du duc de Ferrare grâce à l’aide d’un de ses intermédiaires. Les oeuvres de cet artiste de la maison d’Este, comme l’Allégorie mythologique présentée ici, caractérisées par leur atmosphère onirique et d’audacieux contrastes colorés, s’inspirent de l’art de Giorgione et de Titien. Le goût du cardinal, comme celui du pape Paul V, se porte aussi vers les peintres de l’école bolonaise, particulièrement les anciens élèves de l’Accademia degli Incamminati formée par les frères Carrache, comme le Dominiquin et Guido Reni, deux jeunes peintres en pleine ascension au début du XVIIe siècle.

Galerie de portraits
La galerie de portraits présentés dans cette salle souligne l’importance de l’art de la Renaissance dans la collection Borghèse, avec des chefs-d’oeuvre d’Antonello da Messina, de Lorenzo Lotto et de Parmesan acquis à différentes époques. Influencés par les innovations artistiques venues du Nord, les peintres italiens du Quattrocento et du Cinquecento contribuent à l’élaboration du portrait moderne, qui cherche à traduire la personnalité et l’individualité du modèle et non plus seulement son statut social.

Scipion Borghèse : un cardinal esthète
Durant le pontificat de Paul V, le paysage artistique romain est en pleine transformation en raison de la multiplication des nouvelles églises et chapelles bâties dans l’esprit de la Contre-Réforme catholique, exalté par la multiplication des congrégations religieuses et un renouveau spirituel et artistique. Les lieux de culte sont érigés et décorés dans un style grandiose et grandiloquent, de manière à impressionner les fidèles. Les chantiers, dont beaucoup sont financés par le gouvernement pontifical, attirent à Rome de nombreux architectes, peintres et sculpteurs en quête d’opportunités. Mais l’art sacré n’orne pas seulement les murs des églises. Les collectionneurs comme Scipion Borghèse font sortir les tableaux religieux des lieux consacrés pour les mêler à d’autres sujets dans leurs intérieurs sécularisés. Chez les particuliers, les peintures religieuses ne sont plus seulement appréciées dans le cadre de pratiques spirituelles, mais avant tout pour leur valeur d’art intrinsèque, leurs qualités esthétiques et stylistiques. Cette salle réunit une sélection d’art sacré de la collection Borghèse, incluant Andrea del Sarto, Giulio Romano, le Cavalier d’Arpin et Jacopo Bassano, et culminant avec la Vierge à l’Enfant avec saint Ignace d’Antioche et saint Onuphre, grand chef-d’oeuvre du peintre vénète.

Splendeurs de la Villa Borghèse
Grâce au népotisme caractérisant le pontificat de Paul V, la famille Borghèse devient rapidement propriétaire de nombreuses terres et luxueuses demeures, la principale étant l’imposant Palazzo Borghèse sur le Champ de Mars à Rome, véritable vitrine de la réussite familiale. Mais de toutes les résidences des Borghèse, celle qui reflète le mieux la personnalité de Scipion et sa manière de vivre est la Villa Borghèse à Rome. Celle-ci, une luxueuse villa all’antica, est érigée entre 1607 et 1616 sur des terres familiales, sur la colline du Pincio. Le cardinal confie sa construction à l’architecte préféré du pape, Flaminio Ponzio. Elle se distingue de loin par ses deux tours et sa façade lumineuse. Ses nombreuses fenêtres et loggias semblent exprimer la relation intime entre l’architecture et la nature du parc environnant. Au-delà de sa fonction politique et diplomatique – des réceptions y sont organisées par le cardinal-neveu en l’honneur de visiteurs prestigieux –, la Villa Borghèse est dès le départ pensée par son propriétaire pour abriter sa collection et donner aux oeuvres un cadre avantageux, une idée originale pour son époque. Dès l’achèvement de la villa en 1614, Scipion y fait transporter sa collection de sculptures. Les années suivantes, la demeure se remplit d’oeuvres au fil des acquisitions. Les statues modernes et antiques, les peintures et les objets décoratifs sont juxtaposés de façon à provoquer l’intérêt, dans un mélange d’ordre et de fausse insouciance évoquant un nouvel âge d’or. La Villa Borghèse, qualifiée de « delizia di Roma », est ainsi un lieu d’expérimentations, un musée avant la lettre, où les visiteurs et les artistes peuvent venir admirer les splendeurs de la Rome antique et de la Rome moderne. Une célèbre vue peinte en 1636 par le miniaturiste alsacien Johann Wilhelm Baur témoigne de l’effervescence autour de la villa au XVIIe siècle, au centre d’une foule composée de locaux et d’étrangers. Au cours du dernier tiers du XVIIIe siècle, sous Marcantonio IV Borghèse (1730-1800), la villa subit une modernisation complète dans le goût néoclassique. L’intérieur est réaménagé et redécoré de stucs, mosaïques, marbres polychromes et fresques réalisées par des artistes renommés de l’époque, comme Mariano Rossi, qui pour l’essentiel forment l’aspect de la Galerie Borghèse encore aujourd’hui.

Un Baroque d’après nature : le corps et ses transformations dramatiques
Alors que durant les décennies précédentes, l’art romain était dominé par un fonctionnalisme austère, le pontificat Borghèse est marqué par un intérêt renouvelé pour l’expression des émotions, les riches effets de texture et de couleur et la représentation réaliste du corps humain. Cette tendance, déjà apparente dans la production de Caravage et d’Annibal Carrache, deux précurseurs au début du XVIIe siècle, s’oppose au maniérisme académique qui dominait à la fin du XVIe siècle. Scipion Borghèse est particulièrement disposé à encourager l’imaginaire baroque qui se plaît à représenter et à susciter les émotions. Le peintre flamand Rubens, à qui Scipion Borghèse accorde sa protection lors de son deuxième séjour à Rome en 1606-1607, durant lequel il peint la Suzanne et les vieillards présentée ici, donne un exemple remarquable de cette nouvelle peinture baroque, qui puise aux sources de la statuaire antique et du colorisme vénitien pour introduire plus d’émotions dans l’art. La violence de l’époque rencontre une forme de catharsis dans la représentation des corps souffrants des héros de l’histoire religieuse. Les artistes eux-mêmes pouvaient d’ailleurs être des acteurs de cette violence, à l’instar de Caravage, connu pour son tempérament querelleur : il provoque volontiers ses confrères, jusqu’à pousser Giovanni Baglione, qui l’admirait pourtant, à lui intenter deux procès. L’oeuvre du peintre romain est représentée ici par deux chefs-d’oeuvre, une représentation dramatique de Judith et Holopherne et un Ecce Homo empli de pathos.

Amour et Eros
La dernière section, rassemblant des tableaux des écoles toscane, maniériste et vénitienne, rappelle la « Salle des Vénus », un ensemble d’oeuvres réunies à l’étage du palais Borghèse présentant des déesses dans des poses lascives et des sujets à connotation érotique plus ou moins voilée. L’évolution du goût à l’époque de Scipion Borghèse, marqué par le désir de s’ouvrir à toutes sortes d’expériences, favorise en effet les sujets profanes de nature plus frivole. Le nu féminin se fait de plus en plus présent dans les collections, encouragé par la redécouverte de statues antiques lors de chantiers exhumant des pièces archéologiques. Les représentations de Vénus, de Léda, de Lucrèce et de Suzanne, ou même des femmes contemporaines des artistes sont teintées d’un regard peu chaste, allant de l’inflexion moralisatrice de Michele del Ghirlandaio à la posture sensuelle de la Fornarina de Raphaël et au ton ouvertement érotique du tableau de Zucchi. L’exposition se clôt avec un chef-d’oeuvre de Titien rarement sorti des salles de la Villa Borghèse, Vénus bandant les yeux de l’Amour.