🔊 “Surréalisme” au Centre Pompidou, du 4 septembre 2024 au 13 janvier 2025
“Surréalisme”
au Centre Pompidou, Paris
du 4 septembre 2024 au 13 janvier 2025
Centre Pompidou
PODCAST – Entretien avec Marie SarrĂ©, attachĂ©e de conservation au service des collections modernes – Centre Pompidou, et co-commissaire de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 2 septembre 2024, durée 14’44,
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :
Suzanne van Damme, Composition surréaliste, 1943. Huile sur toile, 90 × 100 cm. RAW (Rediscovering Art by Women). Ph © Collection RAW (Rediscovering Art by Women). Droits réservés.
Dora Maar, Sans titre [Main-coquillage], 1934. Épreuve gélatino-argentique, 40,1 x 28,9 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris Achat, 1991. Ph © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Jacques Faujour/Dist. RMN-GP. © Adagp, Paris, 2024.
Victor Brauner, AndrĂ© Breton, Ă“scar DomĂnguez, Wifredo Lam, anonyme, Jacques HĂ©rold, Jacqueline Lamba, Dessin collectif, 1940-1941. Encre et crayon de couleur sur papier, 29,8 Ă— 23,9 cm. MusĂ©e Cantini, Marseille Don de Mmes Aube EllĂ©ouĂ«t-Breton et Oona EllĂ©ouĂ«t en 2008 en hommage Ă Varian Fry Ph © Ville de Marseille, Dist. RMN-Grand Palais / Jean Bernard. © Adagp, Paris, 2024.
Commissariat :
Didier Ottinger, directeur adjoint du Musée national d’art moderne, Centre Pompidou
Marie Sarré, attachée de conservation au service des collections modernes, Centre Pompidou
Retraçant plus de quarante années d’une exceptionnelle effervescence créative, de 1924 à 1969, l’exposition « Surréalisme » célèbre l’anniversaire du mouvement, né avec la publication du Manifeste du surréalisme d’André Breton.
Adoptant la forme d’une spirale ou d’un labyrinthe, l’exposition rayonne autour d’un « tambour » central au sein duquel est prĂ©sentĂ© le manuscrit original du Manifeste du surrĂ©alisme, prĂŞt exceptionnel de la Bibliothèque nationale de France. Une projection audiovisuelle immersive en Ă©claire la genèse et le sens. Chronologique et thĂ©matique, le parcours de l’exposition est rythmĂ© par 13 chapitres Ă©voquant les figures littĂ©raires inspiratrices du mouvement (LautrĂ©amont, Lewis Carroll, Sade…) et les mythologies qui structurent son imaginaire poĂ©tique (l’artiste-mĂ©dium, le rĂŞve, la pierre philosophale, la forĂŞt…).
Fidèle au principe de pluridisciplinaritĂ© qui caractĂ©rise les expositions du Centre Pompidou, l’exposition « SurrĂ©alisme » associe peintures, dessins, films, photographies et documents littĂ©raires. Elle prĂ©sente les oeuvres emblĂ©matiques du mouvement, issues des principales collections publiques et privĂ©es internationales : Le Grand Masturbateur de Salvador DalĂ (MusĂ©e Reina SofĂa, MAdrid), Les Valeurs personnelles de RenĂ© Magritte (SFMoMA, San Francisco), Le Cerveau de l’enfant (Moderna Museet, Stockholm), Chant d’amour (MoMA, New York) de Giorgio de Chirico, La Grande ForĂŞt de Max Ernst (Kunstmuseum, Bâle), Chien aboyant Ă la lune de Joan MirĂł (Philadelphia Museum of Art), etc.
L’exposition accorde une part importante aux nombreuses femmes qui ont pris part au mouvement, avec entre autres, des oeuvres de Leonora Carrington, Remedios Varo, Ithell Colquhoun, Dora Maar, Dorothea Tanning… et rend compte de son expansion mondiale en prĂ©sentant de nombreux artistes internationaux tels que de Tatsuo Ikeda (Japon), Helen Lundeberg (États-Unis), Wilhelm Freddie (Danemark), Rufino Tamayo (Mexique), entre autres.
La contestation surréaliste d’un modèle de civilisation seulement fondé sur la rationalité technique, l’intérêt du mouvement pour les cultures qui ont su préserver le principe d’un monde unifié (culture des Indiens Turahumaras découverte par Antonin Artaud, celle des Hopis étudiée par André Breton), attestent de sa modernité.
La dissolution officielle du surréalisme n’a pas marqué la fin de son influence sur l’art et la société. Il continue d’inspirer biennales d’art contemporain, productions cinématographiques, mode, bande dessinée, etc.
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Max Ernst, L’ange du foyer (Le Triomphe du surrĂ©alisme), 1937. Huile sur toile, 117,5 x 149,8 cm. Collection particulière. Ph © Vincent Everarts Photographie. © Adagp, Paris, 2024.
Grace Pailthorpe, May 16, 1941, 1941. Huile sur toile montée sur carton, 38,1 × 48,3 cm. Tate. Purchased, 2018. Ph © Tate. Droits réservés.
Claude CAHUN (Lucy SCHWOB, dite), Le Cœur de Pic, 1936. Epreuve gélatino-argentique, 15 x 19,8 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris Achat, 1995. Ph © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Georges Meguerditchian/Dist. RMN-GP. Droits réservés.
Publications – Le catalogue et l’album
Le catalogue qui accompagne l’exposition est construit autour des deux impĂ©ratifs du mouvement selon AndrĂ© Breton : « changer la vie » et « transformer le monde ». Les oeuvres sont associĂ©es Ă des textes dĂ©diĂ©s aux thèmes qui structurent le parcours de l’exposition (le monstre, la forĂŞt, la nuit…). L’engagement politique du surrĂ©alisme est Ă©voquĂ© par une sĂ©rie de textes consacrĂ©s Ă l’anticolonialisme, au « Black surrealism » et Ă la mise en cause du consumĂ©risme moderne, rĂ©digĂ©s par des chercheurs internationaux.
Le catalogue Surréalisme sous la direction de Didier Ottinger et Marie Sarré, avec deux couvertures « tête-bêche » pour deux entrées de lecture, aux éditions du Centre Pompidou.
L’album Surréalisme, autrice : Marie Sarré, aux éditions du Centre Pompidou.
Publications – Le catalogue et l’album
Le catalogue qui accompagne l’exposition est construit autour des deux impĂ©ratifs du mouvement selon AndrĂ© Breton : « changer la vie » et « transformer le monde ». Les oeuvres sont associĂ©es Ă des textes dĂ©diĂ©s aux thèmes qui structurent le parcours de l’exposition (le monstre, la forĂŞt, la nuit…). L’engagement politique du surrĂ©alisme est Ă©voquĂ© par une sĂ©rie de textes consacrĂ©s Ă l’anticolonialisme, au « Black surrealism » et Ă la mise en cause du consumĂ©risme moderne, rĂ©digĂ©s par des chercheurs internationaux.
Le catalogue Surréalisme sous la direction de Didier Ottinger et Marie Sarré, avec deux couvertures « tête-bêche » pour deux entrées de lecture, aux éditions du Centre Pompidou.
L’album Surréalisme, autrice : Marie Sarré, aux éditions du Centre Pompidou.
Chapitres de l’exposition (Parcours)
Introduction
Metteur en scène attitré des expositions surréalistes, Marcel Duchamp a voulu donner à celle de 1947 la forme d’un labyrinthe. L’étymologie du mot provient du grec labrys désignant une double hache dont chaque côté représente l’été et l’hiver. Le labyrinthe renferme un secret : il héberge le Minotaure, un être double, mi-homme mi-animal. Il est le creuset au sein duquel « la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement ». Rien d’étonnant à ce que le labyrinthe soit devenu l’emblème du surréalisme qui, de sa création en 1924 jusqu’à la fin des années 1960, a imaginé cette réconciliation des contraires. Vous, qui vous apprêtez à y entrez, laissez à sa porte toutes les idées claires que vous dicte la raison. Entre ses murs, la nature « dévore le progrès », la nuit fusionne avec le jour, le rêve se mêle à la réalité.
1 | Entrée des médiums
Le surréalisme a fait du poète un « voyant », capable de faire résonner son âme au diapason de l’univers, de retrouver l’accord antique de la poésie et de la divination. Giorgio de Chirico avait ouvert la voie en 1914 en peignant un portrait de Guillaume Apollinaire désignant l’endroit où le poète sera blessé, trois ans plus tard, par un éclat d’obus. En novembre 1922, André Breton publie dans la revue Littérature, un article intitulé « Entrée des médiums », qui rend compte des séances de sommeils hypnotiques auxquelles se livrent les futurs surréalistes. Cet abandon total à l’inconscient rejoint son intérêt pour les oeuvres d’artistes médiumniques ou pour les propos des malades psychotiques qui lui avaient inspiré en 1919, Les Champs magnétiques, écrits à quatre mains avec Philippe Soupault. L’écriture automatique, libérée du contrôle de la raison, trouve rapidement une traduction plastique avec les frottages de Max Ernst et les sables de Masson.
2 | Trajectoire du rĂŞve
Étudiant en médecine, André Breton s’était passionné pour l’ouvrage d’Albert Maury, Le sommeil et les rêves (1861) qui posait les prémisses de l’étude neurologique du rêve. En 1916, assistant au centre neuropsychiatrique de saint Dizier, il découvre les méthodes d’interprétation des rêves de malades psychotiques à des fins curatives, menées par le psychanalyste Sigmund Freud. Transposant les méthodes de la psychanalyse à des fins poétiques, les surréalistes publient leurs « récits de rêve » dans les pages des revues et cherchent à déclencher le même pouvoir d’émerveillement que les images qui s’offrent à l’esprit, à la lisière du sommeil. Dans Les Vases communicants, publiés en 1932, Paul Eluard et André Breton s’appliquent à confondre le monde réel et celui du rêve. Dans le Manifeste du surréalisme, ce dernier interroge : « Le rêve ne peut-il être appliqué à la résolution des questions fondamentales de la vie ? »
3 | Lautréamont
En 1914, la revue Vers et Prose publie le texte d’un auteur oublié, mort en 1870 à l’âge de vingt-et-un ans : Isidore Ducasse, alias le Comte de Lautréamont. « Cette lecture a changé le cours de ma vie » dira Philippe Soupault, qui transmet une édition des Chants de Maldoror à Breton, qui partage à son tour la découverte avec Aragon. Un mythe littéraire vient de naître. Les Chants ressemblent à la confession d’un génie malade. Le texte est un défi à toute construction logique, en appelle à la violence et à la destruction. Pour les jeunes surréalistes, il répond à la faillite du monde qui les a conduits dans la boucherie des tranchées. Faisant de la beauté « la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ! », Lautréamont lègue au surréalisme une définition qui vaut aussi comme principe, celui d’une esthétique du collage, qui ne doit rien aux lois de la logique et de l’harmonie.
4 | Chimères
Dans l’Illiade, Homère dĂ©crit la Chimère : « Lion par-devant, serpent par-derrière, chèvre au milieu ». La fascination durable qu’exerce Chimère sur l’imaginaire surrĂ©aliste tient Ă sa forme composite, illogique, au collage, Ă la greffe dont elle procède. Appliquant l’appel de LautrĂ©amont Ă une « poĂ©sie [faite] par tous, non par un », les surrĂ©alistes inventent en 1925 le jeu du cadavre exquis. D’abord assemblage de mots, Ă l’origine de son nom (« Le cadavre – exquis – boira – le vin – nouveau »), le jeu s’applique bientĂ´t Ă l’image. Ces crĂ©atures « inimaginables par un seul cerveau » seront jusqu’à la fin des annĂ©es 1960 l’emblème de l’activitĂ© collective surrĂ©aliste. Fille de GaĂŻa, enfant d’un âge dont la nature foisonnante ne connait pas les lois d’un dĂ©veloppement raisonnĂ©, la Chimère s’impose comme l’animal totĂ©mique du surrĂ©alisme.
5 | Alice
« C’est peut-être l’enfance qui approche le plus de la vraie vie » écrit André Breton. La gloire surréaliste d’Alice est celle de cette enfance rêvée. Elle entre au panthéon surréaliste grâce à Aragon qui rédige en 1931 un important article sur Lewis Caroll dans Le Surréalisme au service de la révolution et traduit son roman La Chasse au Snark. Incarnation du merveilleux, de l’illogisme et de l’humour, Alice subvertie les fondements rationnels de la réalité. Cet imaginaire conduit Breton à compter Caroll parmi les ancêtres du surréalisme et à l’intégrer à son Anthologie de l’humour noir (1940) : « Tous ceux qui gardent le sens de la révolte reconnaîtront en Lewis Carroll leur premier maître d’école buissonnière ». Après Arthur Rimbaud et Lautréamont, une jeune poétesse, Gisèle Parassinos, incarne le génie poétique que le surréalisme attribue à l’enfance. Ses poèmes, préfacés par Paul Eluard, sont publiés en 1934 dans la revue Minotaure.
6 | Monstres politiques
Le surréalisme a voulu répondre à la double injonction de Marx (« transformer le monde ») et de Rimbaud (« changer la vie »). Premier acte de leur engagement politique, les surréalistes se rapprochent des jeunes communistes du groupe Clarté avec lesquels il signe en 1925 un manifeste opposé à la guerre coloniale menée par la France au Maroc. Si chacun veille à rendre étanche la frontière entre création poétique et engagement politique, les tensions qui résultent de la montée des fascismes dans l’Europe des années trente incitent nombre d’artistes à reconsidérer cette imperméabilité. Le surréalisme se peuple de monstres qui font écho à la monté des totalitarismes. Un an avant l’avènement d’Adolf Hitler au pouvoir en Allemagne, le mouvement se dote d’une nouvelle revue qui se donne comme emblème une figure bestiale : Le Minotaure.
7 | Le Royaume des Mères
Les « Mères », décrites par W. von Goethe dans le second Faust (1832), constituent le mythe poétique le plus profond du surréalisme. André Breton en réactive le souvenir dans un texte qu’il consacre à l’oeuvre d’Yves Tanguy en 1942 : « Le premier à avoir pénétré visuellement dans le royaume des Mères, c’est Yves Tanguy. Des Mères, c’est-à -dire des matrices et des moules […] où toute chose peut être instantanément métamorphosée en toute autre. » L’exploration des formes, la naissance du monde ont passionné les surréalistes. Les Mères fournissent au surréalisme des formes en proie au vertige des métamorphoses. Elles sont les creusets desquels jaillit l’écriture automatique, la matrice d’où émerge le monde embryonnaire de la neurochirurgienne anglaise Grace Pailthorpe, de Jane Graverol ou Salvador Dali.
8 | MĂ©lusine
La légende de Mélusine prend forme dans les récits moyenâgeux qui décrivent une créature hybride, mi femme – mi serpent. André Breton en ressuscite le mythe dans Arcane 17 qu’il rédige pendant son exil américain. L’immensité des espaces qu’il découvre au nouveau Mexique puis dans l’est du Canada, en Gaspésie, lui inspire le grand panthéisme de son texte. Si Arcane 17 doit beaucoup à la nature américaine, le texte est aussi redevable aux temps d’une après-guerre, qui exigent une réinvention du monde et de ses valeurs. La technique, la puissance machiniste ont une fois encore démontrer leur potentiel de destruction. Breton veut croire à un âge qui, sous l’égide de Mélusine serait « en communication providentiel avec les forces élémentaires de la nature. » Sa rencontre, en terre Hopi, avec les civilisations amérindiennes, le conduit à imaginer un autre modèle de civilisation, pour lequel nature et humanité, à l’image de Mélusine, ne font qu’un.
9 | ForĂŞts
« Temple où de vivants piliers laissent parfois sortir de paroles confuses », la forêt était pour Charles Baudelaire, le cadre où se tissaient les fils des « correspondances », les relations voilées entre toutes choses. À l’aune de la psychanalyse jungienne qui analyse la crainte de la forêt comme celle des révélations de l’inconscient, elle devient pour les surréalistes le théâtre du merveilleux, la métaphore du labyrinthe et du parcours initiatique. Héritier du romantisme allemand, qui choisit la nuit contre les « lumières », d’un Novalis qui réaffirme la dimension sacrée de la nature, Max Ernst fait de la forêt l’un de ses sujets de prédilection. Lorsqu’en 1941, le peintre cubain Wifredo Lam retrouve son pays natal, ses peintures de jungles célèbrent cette nature primitive, vierge du saccage colonial. C’est cette forêt libératrice qui, dans un article de Benjamin Péret, publié dans Minotaure en 1937, prend possession d’une locomotive abandonnée, « dévore le progrès et le dépasse ».
10 | La pierre philosophale
« Les recherches surréalistes présentent, avec les recherches alchimiques, une remarquable analogie de but » écrit Breton. Dès 1923, dans la liste des personnalités dont la pensée devait inspirer le surréalisme, publiée dans Littérature, les alchimistes Hermès Trismégiste et Nicolas Flamel figurent en bonne place. De L’Amour fou à Arcane 17 d’André Breton, d’Aurora de Michel Leiris aux peintures d’Ithell Colquhoun, de Remedios Varo et de Jorge Camacho, initiés à la pratique alchimique, l’occultisme jalonne l’histoire du mouvement. Les surréalistes trouvent dans l’alchimie la voie d’une coexistence de la connaissance et de l’intuition, de la science et de la poésie. Bernard Roger, alchimiste et membre du groupe y perçoit une « science d’Amour, fondée sur la loi naturelle d’analogie par laquelle communiquent tous les règnes et tous les niveaux d’existence ». Paraphrasant les adeptes d’un savoir ésotérique, Breton se donne pour épitaphe « Je cherche l’or du temps ».
11 | Hymnes Ă la nuit
Au temps du Romantisme, dans ses Hymnes à la nuit, Novalis louait « l’ineffable, la sainte, la mystérieuse nuit ». Pour la génération symboliste, c’est Victor Hugo qui fait le choix de l’obscurité : « L’homme qui ne médite pas vit dans l’aveuglement, l’homme qui médite vit dans l’obscurité. Nous n’avons que le choix du noir ». Dans son récit Aurélia, sous-titré « le Rêve et la vie », Gérard de Nerval annonce la nuit surréaliste. Cette coïncidence des contraires inspire à André Breton son titre oxymorique La Nuit du tournesol et à René Magritte la série L’Empire des lumières. Dans son recueil Paris de nuit, le photographe roumain Brassaï en montre la puissance de métamorphose, sa puissance à transformer la ville moderne en un labyrinthe archaïque, en proie au merveilleux. Noctambules, nourris de Nosferatu et Fantômas, les surréalistes plongent dans l’obscurité l’Exposition internationale du surréalisme qu’ils organisent en 1938 à la Galerie des Beaux-arts, à Paris.
12 | Les larmes d’Eros
« Ce qui, dans leur ensemble, caractérise et qualifie les oeuvres surréalistes, ce sont, au premier chef, leurs implications érotiques » En plaçant l’érotisme au coeur du projet surréaliste, Breton rend l’« Amour fou » à sa littéralité : une passion capable de provoquer les effets de la folie. L’amour surréaliste se mue en un sentiment révolutionnaire et scandaleux. Dans cette recherche de liberté absolue, la figure du Marquis de Sade apparaît seule capable de défendre cette vision renouvelée de l’amour, affranchie de tout interdit. Il inspire à Giacometti son Objet désagréable, à Bellmer sa Poupée, à Joyce Mansour ses Objets méchants et sa poésie incandescente. Le mouvement restera durablement marqué par ce tournant licencieux : en 1959, la huitième Exposition inteRnatiOnale du Surréalisme (EROS) organisée à la galerie Daniel Cordier à Paris, est tout entière placée sous le signe de l’érotisme.
13 | Cosmos
Dans les Prolégomènes à un troisième Manifeste, ou non, André Breton reconsidère la place de l’homme au sein du cosmos : « L’homme n’est peut-être pas le centre, le point de mire de l’univers ». Le surréalisme emprunte au Moyen Âge sa conception du monde, celle d’une continuité entre microcosme (le corps humain comme image réduite de l’univers) et macrocosme, loin de la domination prométhéenne issue du rationalisme moderne. La visite d’André Breton en territoires Hopi, celle d’Antonin Artaud chez les Indiens Tarahumaras confirment leur intuition qu’une autre relation au monde, qu’une harmonie entre l’homme et la nature, sont encore possibles. La planche gravée publiée par André Masson en 1943, intitulée : « Unité du cosmos », ne dit pas autre chose : « Il n’y a rien d’inanimé dans le monde, une correspondance existe entre les vertus des minéraux, des végétaux, des astres et des corps animaux ».