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“Bourdelle” La mémoire des objets, au Musée Bourdelle, du 3 avril au 18 août 2024

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“Bourdelle” La mémoire des objets

au Musée Bourdelle, Paris

du 3 avril au 18 août 2024

Musée Bourdelle


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©Sylvain Silleran, présentation presse, le 2 avril 2024.

Texte Sylvain Silleran

Anonyme, Quatre personnes auprès du socle du Monument aux mineurs à Montceau-les-Mines, Vers 1930. Épreuve gélatino-argentique. Paris, musée Bourdelle.

Anonyme, Quatre personnes auprès du socle du Monument aux mineurs à Montceau-les-Mines, Vers 1930. Épreuve gélatino-argentique. Paris, musée Bourdelle.

Antoine Bourdelle, Couronnes et outils du mineur (au marteau-piqueur), Monument aux mineurs de Montceau-les-Mines, étude, Vers 1924. Encre et gouache sur papier perforé à la façon d’un poncif. Paris, musée Bourdelle.

Antoine Bourdelle, Couronnes et outils du mineur (au marteau-piqueur), Monument aux mineurs de Montceau-les-Mines, étude, Vers 1924. Encre et gouache sur papier perforé à la façon d’un poncif. Paris, musée Bourdelle.

Marteau-piqueur, dit aussi Foreuse. Métal. Paris, musée Bourdelle.

Marteau-piqueur, dit aussi Foreuse. Métal. Paris, musée Bourdelle.

La mémoire des objets

musée Bourdelle

Une cloche d’alpage, un fauteuil en bois, un marteau-piqueur, une flûte de pan… Par cet étonnant inventaire, entrons dans l’atelier de Bourdelle. Ces objets ne font pas que se retrouver dans l’œuvre de Bourdelle, ils nous ouvrent les portes d’une intimité plus profonde, enracinée, familiale. Il s’agit de filiation avec l’établi de son père ébéniste, une équerre, son tampon encreur ou la commode miniature réalisée lors de ses années de compagnonnage. On voit le petit Antoine jouer avec des copeaux de bois dans un coin de l’atelier paternel. La modestie de ces objets n’est qu’apparente, ils sont lourds d’un attachement, celui de Bourdelle pour sa terre natale. Il collectionnait la littérature qui en loue la beauté, la poésie d’Auguste Quercy, ici dessiné au fusain, portrait en Don Quichotte héroïque.

Quelques livres sur des étagères, des feuillets de chansons, un harmonium pour nous rappeler qu’il aimait chanter en langue occitane. D’ailleurs le voilà qui s’est glissé dans la sculpture d’un groupe de musiciens. Le parcours fait alterner les bronzes sombres, denses, orageux et le papier lumineux, le dessin aérien des esquisses. Le papier léger qui gondole, des morceaux déchirés, salés et poivrés de notes et de griffonnages dans les coins. Des calculs, mesures, additions et soustractions posées au milieu des croquis, voilà une belle porte qui s’ouvre sur le travail d’un artiste. Sur des fragments découpés collés ensemble, un dessin à la plume représente la généalogie de l’artiste, du grand-père au béret de berger à l’oncle tailleur de pierre. Des profils graves comme sur un fronton d’église.

Dessins et lettres sont des réflexions sur la vie, sur le temps qui passe. Bourdelle se représente à 15 ans, 20, ange assoupi, artiste confirmé, jusqu’à l’au-delà même. Un autoportrait en centaure ailé servira de base pour « la Mort du dernier centaure », carton pour un projet de fresque pour le théâtre des Champs-Elysées. La mort, la voilà, l’intimité avec l’artiste est poussée jusqu’à cette extrémité. Bourdelle gisant est dessiné sur son lit de mort, voici des photographies de ses obsèques. Une statue posthume géante par Joachim Costa le présente en un imposant géant blanc, semblant indestructible dans sa blouse d’atelier. Des moulages mortuaires de son visage et de ses mains sont de tristes sculptures, aussitôt contredites par la force de son travail, la masse de bronze rocheux.

Dans un carnet de voyage réalisé pour sa nièce, l’écusson d’une ville laisse place, sur la page d’en face, à un bélier qui se dresse pour manger les feuilles d’une arbre. Au sol une flûte de pan. L’instrument du berger évoque l’intime, la solitude des collines et des montagnes, la poésie que le paysage inspire à ceux qui en goûtent le silence. L’artiste en jouait aussi. Mais cet instrument appartient à un autre champ, celui de la mythologie grecque. Dieux et faunes, centaures, béliers peuplent l’œuvre de Bourdelle, nés d’une petite mélodie à la flûte de pan.

Autre mythologie, celle héroïque figurant sur les monuments. Une mise au carreau pour un monument aux mineurs de Montceau-les-Mines, des carnets, petites études de plâtre pour bas-reliefs permettent de voir la genèse d’une œuvre. Bourdelle collectionne les outils de mineurs: piolet et marteau-piqueurs, jusqu’au panier de mine dans lequel les femmes transportaient le charbon trié. Mineurs et soldats se mêlent, ode aux vivants comme aux morts. L’étroitesse des galeries de la mine ne parvient pas à contenir cette force de vie, ces hommes se dressent malgré tout vers la lumière.

Sylvain Silleran

Myriam Mechita, Les pièges des rêves perdus, 2019/2024.Céramique et émaux. © Myriam Mechita.

Myriam Mechita, Les pièges des rêves perdus, 2019/2024.Céramique et émaux. © Myriam Mechita.

Roxane Andrès, AnatomIA, 2024. Tapisserie, textiles et broderies. © Roxane Andrès.

Roxane Andrès, AnatomIA, 2024. Tapisserie, textiles et broderies. © Roxane Andrès.

Daisy Collingridge, Lean on me (burt and hillary), 2021. Ouate et tissus. © Daisy Collingridge.

Daisy Collingridge, Lean on me (burt and hillary), 2021. Ouate et tissus. © Daisy Collingridge.


Extrait du communiqué de presse :

Commissariat général

Ophélie Ferlier Bouat, conservatrice en chef du patrimoine, directrice du musée Bourdelle

Commissariat scientifique

Valérie Montalbetti Kervella, responsable des sculptures et des collections de Bourdelle

Claire Boisserolles, chargée d’études documentaires, responsable des archives, de la bibliothèque et de la documentation, commissaire associée pour les livres et documents d’archives




L’accrochage « Bourdelle. La mémoire des objets » – déployé dans l’Aile Portzamparc – propose une immersion inédite dans l’art et la vie du sculpteur Antoine Bourdelle (1861-1929) à travers un dialogue entre ses oeuvres et les objets personnels qui les ont inspirés. Cette plongée dans les riches collections du musée Bourdelle offre un nouveau regard sur son art, par le biais de l’émotion, de l’intime, du récit…

En 2020, le bâtiment ancien du musée Bourdelle a dû être déménagé avant restauration. À cette occasion, a été retrouvé un grand nombre d’objets ayant appartenu à Antoine Bourdelle, qui a vécu et travaillé dans ces lieux pendant la majeure partie de sa vie.

Pourquoi ces objets furent-ils soigneusement conservés par Bourdelle, puis ses descendants, puis légués au musée ? Que nous racontent-ils de la vie d’atelier, de l’artiste, de ses origines, de ses goûts et bien sûr de son oeuvre ?

Ce que l’on en sait aujourd’hui est le résultat d’un long travail d’enquête, recoupant photographies, archives, textes de Bourdelle, presse de l’époque… L’intérêt de ces objets, souvent modestes, réside dans ce qu’ils racontent de la vie et de l’oeuvre de l’artiste. Souvenirs, voire reliques, ils contribuent par leur exposition à la sacralisation du grand homme. Pour la plupart inédits, les objets constituent le fil conducteur du parcours : par leur pouvoir d’évocation, ils donnent des clés pour comprendre l’oeuvre, l’art de Bourdelle.

« Bourdelle. La mémoire des objets » fait suite à l’exposition éponyme au musée Ingres Bourdelle de Montauban (7 juillet – 12 novembre 2023), co-organisée par le musée Bourdelle et le musée Ingres Bourdelle.


Le parcours de l’accrochage :

Fils d’ébéniste
Né à Montauban (Tarn-et-Garonne), Bourdelle évoque souvent ses origines régionales et familiales dans ses écrits, ses dessins, ou les interviews données aux journalistes. Il aime souligner ce que son art et sa personnalité doivent à ses racines, à ses « anciens ». L’artiste fait preuve d’une grande dévotion pour son père ébéniste. Il apprend auprès de lui l’importance de la structure, le sens de la construction, la subordination des détails à l’effet d’ensemble : autant de principes constitutifs de sa sculpture. En 1886, malgré ses maigres ressources, le jeune Bourdelle fait venir ses parents à Paris. La mère meurt bientôt. Le père poursuit une activité d’ébéniste dans une échoppe ouverte sur la rue, actuellement au numéro 16. L’établi, les outils, une commode miniature – chef-d’œuvre de compagnonnage -, le tampon encreur d’« ébéniste-sculpteur à Montauban » sont conservés au musée. Bourdelle est manifestement fier des fauteuils « néo-gothiques » réalisés par son père, placés dans ses ateliers. Il aimait se reposer sur ces sièges et y faire poser les personnalités dont il réalise le portrait, comme le président de la République argentine Marcelo de Alvear en 1922.

Une enfance pastorale
Bourdelle garde la nostalgie du monde agreste de son enfance. Dans son regard d’adulte, la campagne du Quercy se confond avec l’Hellade (la Grèce antique). Il aime évoquer son grand-père et son oncle chevriers et raconter qu’enfant, il a gardé les troupeaux. L’artiste accroche une cloche d’alpage au mur de son appartement, plus tard suspendue dans l’atelier de sculpture. Elle évoque la vie pastorale, avec laquelle Bourdelle cherche à renouer en 1908 : il passe l’été dans une ferme à Villard-de-Lans (Isère), avec sa famille. Il dessine les troupeaux et se lie d’amitié avec un bélier. Ce séjour inspire plusieurs sculptures à son retour. Bourdelle a toujours conservé la petite syrinx (flûte de Pan) avec laquelle son grand-père menait les chèvres. La musique rustique de la flûte de Pan a bercé l’enfance de Bourdelle, qui en jouait parfois. La flûte de Pan porte le nom de cette divinité champêtre aux oreilles pointues, aux pieds et aux cornes de chèvre, dont elle est l’attribut. L’instrument de musique est un véritable pont entre son Quercy natal et la mythologie grecque. Bourdelle représente souvent cet instrument de musique dans ses sculptures et dessins, il irrigue toute son oeuvre. Symboliquement, Bourdelle offre à son tour une syrinx à sa fille Rhodia, alors bébé, lors de vacances à Saint-Antonin (Tarn-et-Garonne) en 1912.

Les souffles du quercy
Bourdelle reste toute sa vie attaché à Montauban et sa région, dont il garde la nostalgie. Ses débuts sont soutenus par des personnalités montalbanaises. Il conserve des amitiés durables au pays, comme le poète Auguste Quercy et son frère Jules, ou l’ethnographe Antonin Perbosc. Il entretient avec eux une correspondance émaillée de paragraphes en langue d’oc. Bourdelle possède une bibliothèque d’ouvrages d’écrivains en langue d’oc, appelés félibres. Il relit régulièrement Césette, histoire d’une paysanne d’Émile Pouvillon, qu’il a illustré pour un projet d’édition. Occitan dans l’âme, Bourdelle dit « sculpter en patois ». De sa belle voix de baryton, il chante souvent, en langue d’oc : « Qui ne l’a pas entendu chanter ne le connait pas », affirme un ami. L’artiste s’interrompt parfois dans son travail pour chanter, tout en jouant sur son harmonium portatif. Ses improvisations sont puissantes comme les vents de sa terre natale : « Il lui semble alors que tous les souffles du Quercy gonflent sa poitrine. »

Une lampe pour monument
En 1919, Bourdelle reçoit la commande d’un monument aux morts pour la ville de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire). Après s’être imprégné des lieux et avoir visité un puits de mines, Bourdelle voit dans ce projet l’occasion, non seulement de glorifier les mineurs morts à la guerre, mais aussi de réaliser un monument à la gloire de leur travail de l’ombre. Il rend également hommage aux « cafus », les femmes employées au triage du charbon. Bourdelle s’inscrit ainsi dans la continuité des monuments au travail de la fin du XIXe et du début du XXe siècles imaginés par Jules Dalou, Auguste Rodin ou Constantin Meunier. Bourdelle donne au monument la forme d’une lampe de mine. Sur les bas-reliefs, il représente les outils des mineurs, qu’il collecte pour les rendre précisément. Le sculpteur considère les outils comme des objets nobles, symboles du travail. Rien d’étonnant pour cet ouvrier infatigable, qui se lève à quatre heures du matin et trouve son accomplissement dans le travail. Avec ce monument marqué du sceau du labeur, Bourdelle conçoit une oeuvre formellement originale, qui renouvelle le genre du monument aux morts.

Objets de la sacralisation
Bourdelle meurt le 1er octobre 1929, peu avant son 68e anniversaire. Son visage et sa main droite sont moulés, pratique alors courante pour les hommes célèbres. Ces moulages en plâtre sont placés dans l’atelier de sculpture dans une vitrine, semblable à un « reliquaire » laïc. Sa veuve Cléopâtre rapatrie son corps à Paris. Elle organise dans l’atelier de sculpture une chapelle ardente, où viennent se recueillir élèves, amis, personnalités, et une foule d’inconnus. La mise en scène est sobre et imposante, le Centaure mourant en est le point d’orgue : penchant sa tête au-dessus du cercueil, il semble pleurer son créateur. Bourdelle s’était souvent représenté en centaure, il voyait en cet être hybride mythologique « l’esprit maîtrisant la matière ». Par une sorte de transfiguration, le Centaure incarne désormais la figure du maître, sa présence dans l’atelier. Le sculpteur est dorénavant Dans le monde de l’âme, titre d’un autoportrait dessiné dans lequel Bourdelle s’élance vers le ciel, porté par deux anges. Pour lui, toute création était une tentative d’« évasion au-delà des hommes ».

Oeuvres ultimes, derniers témoins [atelier de sculpture]
À partir de l’hiver 1928, la santé de Bourdelle se dégrade, la maladie l’éloigne des chantiers et l’oblige à modeler des oeuvres de dimensions modestes. Affaibli, après l’inauguration du Monument à Mickiewicz en avril 1929, il part au Vésinet (Yvelines) dans la propriété de son ami, le fondeur Eugène Rudier. Il y meurt le 1er octobre 1929. Tous les témoins s’accordent à dire que, malgré son épuisement physique, son ardeur créatrice ne faiblit pas, comme s’il s’empressait de jeter ses idées dans la glaise avant que la mort ne l’interrompe. Au Vésinet, Bourdelle crée tout un peuple de statuettes, dont une sélection est présentée autour du moulage de la main droite qui les a modelées. Ce moulage « sur le vif » fut pris le 24 septembre, une semaine avant sa mort. Son dernier Autoportrait modelé est sans doute réalisé avec l’aide de son épouse Cléopâtre. Symboliquement, Bourdelle s’est également représenté en Asclépios, le dieu gréco-romain de la médecine, et en Cavalier de la Chimère, ce rêve qui l’a porté vers la création.