“Suzanne Husky” Prix Drawing Now 2023, au Drawing Lab, du 26 janvier au 7 avril 2024
“Suzanne Husky” Le temps profond des rivières
Prix Drawing Now 2023
au Drawing Lab, centre d’art privé dédié au dessin contemporain, Paris
du 26 janvier au 7 avril 2024
Suzanne Husky, co-pensé avec Baptiste Morizot, L’effet castor, 2023, aquarelle sur papier © Courtesy Galerie Alain Gutharc.
Suzanne Husky, Anahita, déesse des rivières de l’Avesta, 2022, aquarelle sur papier © Courtesy Galerie Alain Gutharc.
Texte Sylvain Silleran
Suzanne Husky, The setting is what the story is all about, 2019, aquarelle sur papier © Courtesy Galerie Alain Gutharc.
Suzanne Husky, Patti and the Harris brook, 2022, aquarelle sur papier © Courtesy Galerie Alain Gutharc.
Suzanne Husky, Grandfather beaver and the tree of life, 2021, aquarelle sur papier © Courtesy Galerie Alain Gutharc.
La forêt est dévastée, les arbres morts, décharnés sur la terre grise contrastent avec celle adjacente, bien verte, bien vivante, où serpentent de calmes cours d’eau. Les hommes venus en pickup ne sont pas des bûcherons, au contraire, leurs tronçonneuses servent à construire des barrages sur la rivière. Un enfant plante un sapin, un homme libère un castor, le réintroduisant dans son milieu naturel. Suzanne Husky dessine un futur où les hommes et les castors collaborent pour faire revivre, grâce aux barrages, tout l’écosystème détruit par notre civilisation.
Ses aquarelles sur papier sont à la fois un grand livre d’histoire et de géographie, un album naturaliste, une bande dessinée, un manuel scolaire, un conte enfantin. Les dessins de livre d’images empruntent à tous ces domaines, composant une grande épopée de la vie s’étalant sur 4 milliards d’années. Depuis l’apparition de l’eau sur la terre minérale, la vie invente les arbres, puis le castor, les animaux, l’homme. L’humanité cohabite avec les castors dans un grand mythe rousseauiste, les bons sauvages et le animaux anthropomorphes. C’est cette symbiose, ce paradis perdu anéanti par l’expansion des civilisations et leurs inventions que Suzanne Husky se propose de retrouver.
Dans le monde moderne, le paysage modifié, organisé, la nature domestiquée, les animaux éradiqués n’apportent que destruction et tristesse. La nuit, la seule rivière que l’on puisse écouter depuis son lit est la tuyauterie de l’immeuble qui gargouille. Il faut retrouver les rivières d’antan, leurs méandres faisant éclore la vie, la biodiversité partout, le bonheur paisible de leurs rives bruissantes. Le sauveur est là, le castor devenu géo-ingénieur, diplômé par ses 8 millions d’années d’expérience en hydrologie.
Un rouleau de 8 mètres de long vient s’inscrire dans la tradition asiatique. Tout y est raconté, Gaïa, le mythe de la terre-mère, la spiritualité amérindienne, la vie harmonieuse des hommes et des castors. Ils partagent tout, le bois, les repas au coin du feu, l’abri dans des huttes. Il s’enseignent les uns les autres la pêche ou la vannerie, vénèrent les déesses des rivières. Peu à peu l’homme s’éloigne de son ami castor, le chasse pour sa fourrure, abat la forêt pour construire de grands navires. Le commerce se développe sur une mer rouge sang, jusqu’à un contient entièrement modelé par les machines, les tracteurs et les pelleteuses, laissant ses forêts brûler. Fini l’harmonie, voici venu le temps du militantisme et des combats, Sainte Soline contre les mégabassines face à une armée de CRS. Le drapeau noir flotte façon antifa, « Mouvement d’alliance avec le peuple castor », un crâne de castor sur deux arbres croisés, les pirates d’une nouvelle ère.
Modernité oblige, ce nouveau projet s’appuie sur le merchandising: mugs, t-shirts, écussons brodés et l’inévitable tote bag. Les castors, eux, ont contribué avec un tas de branches posé au milieu de la galerie. Le monde sauvé par cette alliance des hommes avec les castors semble garder quelques corps de fermes, quelques champs sur des îles. Les cours d’eau rendus à la nature abreuvent les animaux, Les castors offrent de l’eau au bétail libéré de sa servitude. Les hommes reconnaissants pour leur libération (et sans doute végétaliens) érigent des autels à leurs amis retrouvés, y déposent quelques carottes en guise d’offrande. Ils se marieront et auront beaucoup d’enfants.
Extrait du communiqué de presse :
Commissaire d’exposition : Lauranne Germond, historienne de l’art, directrice et co-fondatrice de l’association COAL
Avant-propos – Christine Phal, Fondatrice du Drawing Lab
Nous avons le plaisir d’accueillir au Drawing Lab l’exposition de Suzanne Husky, 12e lauréate du Prix Drawing Now Fair. Depuis sa création le Prix Drawing Now, remis à l’occasion de chaque édition de la foire au Carreau du Temple, a pour but de mettre en lumière le travail d’un·e artiste en milieu de carrière ayant une pratique du dessin singulière et affirmée. Cette distinction souligne également le travail de la galerie qui accompagne l’artiste. Ici, il s’agit de la galerie Alain Gutharc, située à Paris, avec laquelle Suzanne Husky travaille depuis 2017.
L’exposition Le temps profond des rivières bénéficie d’une aide à la production d’un montant de 10 000 euros ainsi que l’édition d’un catalogue monographique aux éditions Le livre d’art – La manufacture de l’image. Durant cette exposition, les équipes du Drawing Lab se mobilisent pour accueillir le public gratuitement 7 jours/7 de 11h à 19h, assurent un service de médiation culturelle du mercredi au vendredi, des ateliers pour les enfants et des visites guidées pour tous les publics individuels ou scolaires.
Nous sommes fier·ère·s d’accompagner Suzanne Husky dans la réalisation de sa nouvelle exposition personnelle à Paris. Son univers singulier, sa sensibilité de la nature et son engagement pour les questions écologiques ne vous laisseront pas insensibles. Ainsi, le dessin prend la parole et nous invite tous à nous interroger sur notre place dans la nature et l’importance de la protéger afin qu’elle puisse s’auto-gérer. Une fois encore le Prix Drawing Now met en lumière de nouveaux sujets et fait du dessin un langage universel.
Je vous souhaite une très belle (re)découverte !
Christine Phal, Fondatrice du Drawing Lab
L’exposition – Lauranne Germond, Commissaire de l’exposition
Contenir les forces des flux des rivières et des cours d’eau en un lit simplifié, prévisible a été une obsession pour nos cultures. La ligne bleue parfaitement maîtrisée d’un bout à l’autre et qui ne déborde pas. Cette obsession qui a transformé nos rivières en canaux est l’une des causes de la sécheresse que l’on pleure : sans méandres, sans aspérités, nos eaux filent tout droit à la mer. Mais à quoi ressemble un cours d’eau en bonne santé ? Une rivière reconnectée à sa plaine alluviale, ou qui se déploie sur les lits majeurs, change son parcours, mange à sa santé, fait ses exercices, goûte aux 1 000 plantes qui la bordent et est chatouillée par les amphibiens, les alevins et les pattes verruqueuses et velus des dytiques, des nèpes, et des odonates qui la parcourent ? Quelle est la responsabilité des artistes à travers l’histoire dans ces représentations simplifiées des cours d’eau et comment l’art peut-il aujourd’hui être un agent de transformation de cette perception ? Dans la grande tradition de l’illustration naturaliste et en collaboration avec le philosophe chercheur Baptiste Morizot qui co-signe une partie des oeuvres, Suzanne Husky nous invite à reconsidérer le temps long de la rivière.
Par une pratique appliquée du dessin mêlant exactitude scientifique, et visions holistiques d’une nature réenchantée, gouaches, aquarelles, et encres font renaître le visage oublié des rivières en bonne santé, des mille et une espèces en déclin, qui peuplent d’ordinaire son écosystème, et ravive notre lien originel à la zone humide.
Lauranne Germond, Commissaire de l’exposition
Biographie – Suzanne Husky
Née en 1975 à Bazas, France. Vit et travaille à Gajac (Gironde) et San Francisco.
« Il est assez rare de rencontrer une pratique qui allie non seulement une intelligence des matériaux, des techniques et des formes, mais aussi une sincérité militante. Depuis le début des années 2000, Suzanne Husky donne une manifestation plastique et critique aux problématiques environnementales : la représentation, le traitement, l’exploitation des paysages, des animaux, la mise en lumière de pratiques alternatives, l’agriculture, la déforestation, etc. Ces problématiques mettent en évidence une déconnexion flagrante entre les humains et la nature. Sa réflexion menée sur les différentes formes d’exploitations et de destructions des ressources naturelles, s’accompagne inévitablement de questions connexes liées à l’asservissement, l’autorité, la surveillance, le pouvoir, l’inconscience, le cynisme, la responsabilité, la violence ou encore l’impuissance. À ce regard objectif et informé sur l’état de nos sociétés et de notre environnement global, l’artiste infiltre au fil des oeuvres différentes modalités et stratégies de résistances. En ce sens, elle puise les formes, les références ou encore les techniques dans l’imaginaire collectif, de l’histoire de l’art aux cultures populaires, pour en déplacer la portée. » — Julie Crenn
L’artiste franco-américaine Suzanne Husky met le lien à la terre au centre de son oeuvre. Comme une rivière qui grandit et fait son lit en embrassant la diversité des terres nourricières et des flux qui l’alimentent, l’artiste amplifie son rapport sensible au monde en renouvelant sans cesse ses pratiques, ses savoirs et savoir-faire. Elle maîtrise les arts de la main – dessin, céramique, tapisserie, sculpture, textile ; elle se forme continuellement depuis l’adolescence à ceux de la terre – horticulture, paysage, agroécologie, herboristerie – ; et fraye avec tout ce que l’on compte de penseurs, naturalistes et militants dont elle dissémine les recherches, les modes de vie et les actes, à travers ses images emblématiques. Cela pour observer les formes de dominations sur le vivant et leurs interconnections, tout en semant des futurs ou des alliances possibles, capables de revitaliser nos sols et nos vies.
Ses oeuvres peuvent prendre la forme d’un sol aggradé (régénéré), d’un·e jardin-forêt, de la recherche des savoirs de la terre présents dans les contes, d’une tapisserie sur les oiseaux et la pédogenèse (ensemble des processus qui, en interaction les uns avec les autres, aboutissent à la formation, la transformation ou la différenciation des sols) ou encore d’un impressionnant corpus de dessins naturalistes qui conte la complexité biophysique, culturelle et politique de la rivière. Elle crée en 2016 avec Stéphanie Sagot Le Nouveau Ministère de l’Agriculture, une institution fictive qui tend à démasquer les absurdités des politiques agricoles françaises et propose des solutions concrètes pour sortir d’un modèle de société extractiviste.
Diplômée de l’école des beaux-arts de Bordeaux, Suzanne Husky a régulièrement exposé aux Etats Unis : à l’aéroport international de San Francisco (2017), au De Young Museum (2010), à la Triennale Bay Area Now 5 au YBCA de San Francisco (2008), au World Financial Center de New York ou encore à Art Basel Los Angeles ainsi qu’au Headland Center for the Arts de Californie. Elle a également
exposé à la Villa Médicis, au Domaine de Chamarande (2023), à l’IAC Villeurbanne/Rhône-Alpes, au Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA à Bordeaux (2020), au Museum of Modern Art à Varsovie (2020).
Lauréate du Prix Drawing Now ! (2023) et du premier Prix de la Fondation Choi pour l’art contemporain (2021), elle a participé à la Biennale de Lyon (2022), la 16e biennale d’Istanbul (2019), celles de Timișoara et de Bordeaux Evento et a été invitée en résidence par Pollen à Monflanquin ou encore au centre d’art et de design La cuisine à Nègrepelisse.
Suzanne Husky est représentée par la galerie Alain Gutharc à Paris.