đ âAlberto Giacometti / Ali Cherriâ Ă lâInstitut Giacometti, du 23 janvier au 24 mars 2024
âAlberto Giacometti / Ali Cherriâ Envisagement
Ă lâInstitut Giacometti, Paris
du 23 janvier au 24 mars 2024

PODCAST – Interview de Romain Perrin, attachĂ© de conservation Ă la Fondation Giacometti et commissaire de lâexposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 22 janvier 2024, durĂ©e 21â19,
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat : Romain Perrin, attachĂ© de conservation Ă la Fondation Giacometti et commissaire de lâexposition
Lâexposition « Envisagement » prĂ©sentĂ©e Ă lâInstitut Giacometti met en dialogue les oeuvres du plasticien et vidĂ©aste libanais Ali Cherri et celles dâAlberto Giacometti, un des grands maĂźtres de lâart moderne.
Partageant avec Giacometti un intĂ©rĂȘt particulier pour la reprĂ©sentation de la tĂȘte humaine, lâartiste explorera la notion dâ« envisagement », terme faisant Ă la fois rĂ©fĂ©rence Ă lâaction dâenvisager quelque chose, mais Ă©galement Ă lâĂ©vocation du visage. Ce double sens trouve un Ă©cho particuliĂšrement marquant dans les sculptures et les peintures de Giacometti oĂč la face humaine est le motif dâune recherche incessante autant quâune rĂ©alisation en devenir. La scĂ©nographie de lâexposition, originale et crĂ©ative, offre une lecture de lâespace inĂ©dite.
Cette exposition dĂ©voilera de nouvelles crĂ©ations dâAli Cherri conçues spĂ©cialement pour lâexposition, pour la plupart dâentre elles. Ces oeuvres inĂ©dites entreront en rĂ©sonance avec la riche sĂ©lection de peintures, sculptures et dessins dâAlberto Giacometti, issus de la collection de la Fondation.
Un catalogue richement illustrĂ©, en Ă©dition bilingue français / anglais, coĂ©ditĂ© par la Fondation Giacometti, Paris, et FAGE Ă©ditions, Lyon, accompagne lâexposition.
Introduction – Romain Perrin, commissaire
Carte blanche proposĂ©e Ă lâartiste plasticien et cinĂ©aste libanais Ali Cherri, lâexposition « Envisagement » prĂ©sente des oeuvres inĂ©dites de lâartiste, quâil a conçues et installĂ©es en rĂ©sonnance avec une sĂ©lection de sculptures et de peintures dâAlberto Giacometti. Cherri a travaillĂ© avec les collections de plusieurs musĂ©es (National Gallery de Londres, MusĂ©e des Beaux-Arts de Marseille), en sâintĂ©ressant Ă lâhistoire des objets et en interrogeant les diffĂ©rentes façons dont ils sont exposĂ©s. Ă lâInstitut Giacometti, il met en scĂšne un dialogue avec Giacometti autour de la reprĂ©sentation de la tĂȘte humaine, thĂ©matique centrale dans leurs oeuvres. Cherri partage Ă©galement avec Giacometti une passion pour lâart des civilisations anciennes, notamment mĂ©sopotamiennes, dans lequel tous deux viennent puiser une part de leur inspiration. En rapprochant leurs imaginaires, Cherri nous invite Ă dĂ©passer les frontiĂšres culturelles et temporelles pour rĂ©aliser ce que Giacometti Ă©crivait en 1965 : « Tout lâart du passĂ©, de toutes les Ă©poques, de toutes les civilisations surgit devant moi, tout est simultanĂ©, comme si lâespace prenait la place du temps ». Conçue comme un traveling autour dâune assemblĂ©e de tĂȘtes sculptĂ©es, la scĂ©nographie permet dâexplorer de maniĂšre originale et dynamique la notion dâ« envisagement ». Ce terme, qui vient du verbe « envisager », dĂ©crit le fait de considĂ©rer ou de prĂ©voir quelque chose, mais Ă©voque aussi lâaction de regarder le visage. Ce double sens trouve un Ă©cho particuliĂšrement fort dans les sculptures et les peintures de Giacometti, la reprĂ©sentation de la face humaine Ă©tant pour lui le motif dâune recherche incessante.
Une scĂ©nographie originale conçue pour lâInstitut
Cherri a apprĂ©hendĂ© lâespace dâexposition de lâInstitut en cinĂ©aste et a cherchĂ© Ă proposer au spectateur une expĂ©rience de visite inĂ©dite. Le parcours nâest pas organisĂ© en sections suivant une logique de progression ou de narration, mais plutĂŽt comme diffĂ©rentes sĂ©quences, toutes liĂ©es entre elles par le thĂšme de lâenvisagement et que le visiteur est libre de traverser dans lâordre quâil souhaite. Deux trĂšs longues tables prĂ©sentent ainsi une assemblĂ©e de tĂȘtes, certaines rĂ©alisĂ©es par Giacometti et dâautres par Cherri, autour desquelles il est possible de tourner Ă la maniĂšre dâun travelling. La perspective de cette enfilade de tĂȘtes donne au spectateur la sensation dâĂȘtre dĂ©visagĂ© par les sculptures, inversant le rapport habituel de perception dâune oeuvre dâart. La projection du film Retrouver la face, sur un miroir vient crĂ©er une autre distorsion du regard : celui qui sâattend Ă voir apparaĂźtre dans la glace son propre reflet, se retrouve face Ă celui dâun acteur ou dâune actrice auquel a Ă©tĂ© superposĂ© la face dâune sculpture de Giacometti.
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Ali Cherri, Errance, 2022. Buste acĂ©phale en grĂšs de Saint Jean Baptiste (France, fin XIe) ; tĂȘte en albĂątre (France, XVIIIe); pieds votifs en terre cuite ; laiton. 47 x 32 x 22 cm. Collection de lâartiste. © Ali Cherri.

Ali Cherri, L’Homme aux larmes, 2023.TĂȘte en pierre XIV-XVe siĂšcle, en pierre sculptĂ©e au yeux plats et lisses pour Ă©voquer lâancienne tradition de dĂ©poser une piĂšce de monnaie sur les yeux des morts, argent patinĂ©, plĂątre, acier, 49 x 41 x 31 cm. Collection de lâartiste.

Ali Cherri, Buffle dâeau â 2023. Buffle dâeau en terre cuite pĂ©riode Han ; bois, acier, laiton, enduit, grĂšs Ă©maillĂ©. 42 x 29 x 12 cm. Collection de lâartiste. © Ali Cherri.

Alberto Giacometti, TĂȘte du colonel Rol-Tanguy sur double socle, c. 1946. PlĂątre, 27,7 x 13,1 x 13,1 cm. Fondation Giacometti. © Succession Alberto Giacometti / ADAGP, Paris 2024.

Alberto Giacometti, TĂȘte de femme (Rita), c. 1935. Bois et crayon, 17,5 x 7 x 8,6 cm. Fondation Giacometti. © Succession Alberto Giacometti / ADAGP, Paris 2024.
De la tĂȘte au visage . Sculpter. Retravailler. RĂ©vĂ©ler.
Pour Giacometti, lâart est affaire de regard, un moyen pour mieux comprendre ce quâil voit, mĂȘme si restituer la complexitĂ© du visage humain lui semblait inatteignable. Lâartiste Ă©tait cĂ©lĂšbre pour les longues sĂ©ances de pose, au cours desquelles il scrutait ses modĂšles. Dans ses oeuvres, le regard de la sculpture est trĂšs prĂ©sent et retient lâattention du spectateur. Giacometti, qui modĂšle ses sculptures en terre, aimait en tirer des modĂšles originaux en plĂątre, retravaillĂ© au canif, Ă la peinture ou au crayon. Pour Cherri, qui a sĂ©lectionnĂ© uniquement des tĂȘtes et des bustes originaux en plĂątre de Giacometti, ces incisions et lignes peintes rĂ©vĂšlent le passage de la tĂȘte au visage, dâun volume gĂ©nĂ©rique Ă une reprĂ©sentation individualisĂ©e. Il note combien les dĂ©tails des visages sont le fruit dâun travail continu sur lequel Giacometti revient sans cesse, comme si la vision quâil avait de son modĂšle Ă©voluait en permanence, ses sculptures ne semblant jamais tout Ă fait achevĂ©es mais plutĂŽt en devenir.
Poétique des corps fragiles
Dans ses propres oeuvres en partant dâune tĂȘte, Cherri combine des Ă©lĂ©ments hĂ©tĂ©rogĂšnes provenant de diffĂ©rentes cultures et qui exercent sur lui une Ă©trange fascination, pour former de nouvelles compositions. Utilisant des fragments qui formaient autrefois un objet achevĂ©, il rĂ©vĂšle leur potentiel au sein de ces nouvelles compositions quâil appelle « hybrides » ou « greffes ». Cherri a grandi au Liban pendant la guerre civile (1975-1990). Sa sensibilitĂ© Ă la fragilitĂ© des corps et des objets, ainsi quâaux fragments, lui vient de cette expĂ©rience. Il retrouve cette fragilitĂ© dans les oeuvres de plĂątre que Giacometti considĂšre comme des oeuvres Ă part entiĂšre, au mĂȘme titre que les bronzes. Parmi les Ćuvres de Giacometti quâil a sĂ©lectionnĂ©es, certains fragments conservĂ©s par lâartiste font pendant Ă ceux que lui-mĂȘme acquiert, assemble et retravaille pour leur redonner vie dans de nouvelles sculptures.
Retrouver la face, une vidĂ©o inĂ©dite dâAli Cherri
Au principe de superposition de lignes peintes, dessinĂ©es ou incisĂ©es que pratique Giacometti sur ses sculptures, Cherri rĂ©pond en superposant des images de ces oeuvres Ă des sĂ©quences de films anciens. Les tĂȘtes sculptĂ©es de Giacometti viennent alors modifier et dĂ©former celles des acteurs rendus mĂ©connaissables, proposant ainsi une nouvelle lecture du film. De la mĂȘme maniĂšre que les sculptures de Cherri sont assemblĂ©es avec des Ă©lĂ©ments hĂ©tĂ©rogĂšnes, les sĂ©quences ainsi retravaillĂ©es nous paraissent Ă la fois familiĂšres et Ă©trangĂšres. Ali Cherri.
Tree of life : une sculpture ouvrant sur un imaginaire commun
Giacometti et Cherri ont en commun une passion pour lâart de lâAntiquitĂ© archaĂŻque. Le musĂ©e du Louvre, que Giacometti a visitĂ© avec assiduitĂ© toute sa vie, conserve les dĂ©corations mĂ©sopotamiennes du palais du roi Sargon II (VIIIe siĂšcle av. J.-C.), dĂ©couvertes au milieu du XIXe siĂšcle sur le site de Dur-Sharrukin, en Irak actuelle. Parmi les nombreux motifs, celui du « GĂ©nie portant une fleur de pavot devant un arbre de vie » captive Cherri jusquâĂ lâobsession. Il en retient le motif de lâarbre de vie quâil reproduit dans une grande sculpture en ronde bosse, Tree of life, rĂ©alisĂ©e en bronze pour lâexposition. Une sculpture de Giacometti, Grande Femme (1958), semble sâapprocher de cet arbre pour le regarder. Cet ensemble rappelle le motif des portes en bronze que Giacometti a rĂ©alisĂ© en 1958 pour le tombeau de lâhomme dâaffaires amĂ©ricain Edgar J. Kaufmann, dans lesquelles on observe deux figures chacune au pied dâun arbre. Comme pour les reliefs de ces portes, Tree of life convoque les symboles de diffĂ©rents mythes (arbre de vie, de la connaissance, du monde), ouvrant lâimaginaire en permettant Ă chacun de puiser dans ces rĂ©fĂ©rences communes.

Alberto Giacometti, TĂȘte dâIsabel, c.1937-1939. PlĂątre et crayon, 21,6 x 16 x 17,4 cm. Fondation Giacometti. © Succession Alberto Giacometti / ADAGP, Paris 2024.

Alberto Giacometti, TĂȘte dâenfant (Simon BĂ©rard), 1917-1918. PlĂątre peint, 22,7 x 12,6 x 16,4 cm. Fondation Giacometti. © Succession Alberto Giacometti / Adagp, Paris 2024.

Ali Cherri, Tree of life, 2023. Bronze. 240 x 83 x 74 cm. Collection de lâartiste. © Ali Cherri.