🔊 “Senghor et les arts” Réinventer l’universel, au musée du quai Branly – Jacques Chirac, Paris, du 7 février au 19 novembre 2023
“Senghor et les arts” Réinventer l’universel
au musée du quai Branly – Jacques Chirac, Paris
du 7 février au 19 novembre 2023
musĂ©e du quai Branly – Jacques Chirac
PODCAST – Interview de Sarah Frioux-Salgas, responsable des archives et de la documentation des collections Ă la mĂ©diathèque, musĂ©e du quai Branly – Jacques Chirac et co-commissaire de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Hauterives, le 6 février 2023, durée 16’29.
© FranceFineArt.
Extrait du communiqué de presse :
Commissaires :
Mamadou Diouf, professeur d’études africaines et d’histoire aux départements des Études sur le Moyen-Orient, l’Asie du Sud et l’Afrique (MESAAS) et d’Histoire, Columbia University (New York).
Sarah Ligner, conservatrice du patrimoine, responsable de l’unité patrimoniale mondialisation historique et contemporaine, musée du quai Branly-Jacques Chirac
Sarah Frioux-Salgas, responsable des archives et de la documentation des collections à la médiathèque, musée du quai Branly – Jacques Chirac
LĂ©opold SĂ©dar Senghor (1906 – 2001) a profondĂ©ment marquĂ© l’histoire intellectuelle, culturelle et politique du 20e siècle. Poète, prĂ©sident du SĂ©nĂ©gal de 1960 Ă 1980, il est aussi connu comme celui qui, aux cĂ´tĂ©s des intellectuels Jane et Paulette Nardal, Suzanne et AimĂ© CĂ©saire et LĂ©on-Gontran Damas, a Ă©tĂ© un des animateurs du mouvement de la NĂ©gritude, ainsi qu’un dĂ©fenseur de la francophonie.
L’exposition revient, en six chapitres, sur le parcours de Senghor, la politique et la diplomatie culturelle qu’il a mises en place au lendemain de l’indépendance (déclarée le 20 août 1960), ses réalisations majeures dans le domaine des arts, mais aussi ses limites. La pensée de Senghor n’a pas laissé indifférentes les générations nées au lendemain des indépendances : elle fut largement discutée et commentée, parfois férocement critiquée. Mais Senghor a poursuivi sa réflexion, cherchant un nouveau sens à la notion d’universel, la réinventant et la découplant de la culture occidentale, affirmant ainsi le rôle de l’Afrique dans l’écriture de son histoire et dans son commentaire sur le monde.
En 2021, Jean-GĂ©rard Bosio, ancien conseiller diplomatique et culturel auprès des prĂ©sidents LĂ©opold SĂ©dar Senghor (1960 – 1980) et Abdou Diouf (1972 – 1982), a fait don au musĂ©e du quai Branly – Jacques Chirac d’une partie de sa collection dont certaines pièces sont prĂ©sentĂ©es dans cette exposition.
Le parcours de l’exposition
« On nous dévisageait sans chercher à nous comprendre » : une écriture africaine de l’histoire
C’est à partir des années 1930 que Léopold Sédar Senghor commence son parcours intellectuel et politique, en participant à des discussions internationales qui dénoncent le racisme, la colonisation, la ségrégation et qui ambitionnent de faire « entrer les peuples noirs sur la grande scène de l’histoire » (Aimé Césaire, 1956). Parmi les voix qui nourrissent sa pensée et le mouvement de la Négritude, les martiniquaises Jane et Paulette Nardal, les africains-américains W. E. B. Du Bois et Alain Locke, le sénégalais Alioune Diop, fondateur de la revue Présence Africaine (1947), mais également l’anthropologue allemand Léo Frobenius ou encore le jésuite Pierre Teilhard de Chardin. La reconnaissance des arts d’Afrique et de sa diaspora est l’un des thèmes de ces échanges transatlantiques. En 1966, lorsque Senghor, alors président de la République du Sénégal, programme à Dakar le premier Festival mondial des arts nègres, il s’inscrit dans la continuité du deuxième Congrès des artistes et écrivains noirs (Rome, 1959) organisé par la maison d’édition Présence Africaine, qui recommandait de concevoir un festival sur le sol africain qui comporterait chants, danse, théâtre et exposition d’art pour « démontrer la vitalité et l’excellence de la culture africaine ».
« Une sève jeune et des moyens neufs ». La création contemporaine africaine, au-delà de la sculpture
Président du Sénégal de 1960 à 1980, Senghor est à l’origine d’une politique culturelle forte, fait inédit parmi les pays africains nouvellement indépendants. Plus d’un quart du budget de l’État est dévolu à l’éducation, la formation et la culture. Le Sénégal veut afficher la vitalité de sa création contemporaine. Des institutions et des infrastructures de formation, de création et de diffusion sont mises en place pour les arts plastiques et les arts vivants. Parmi ces réalisations : l’École des arts de Dakar en 1960, le théâtre national Daniel Sorano en 1965 et la manufacture nationale de tapisserie du Sénégal de Thiès en 1966.
Une civilisation de l’Universel
« Pour universaliser, il importe que tous soient présents dans l’oeuvre créatrice de l’humanité » rappelle Alioune Diop lors du deuxième Congrès des écrivains et artistes noirs à Rome en 1959. Léopold Sédar Senghor revient tout au long de sa vie sur le terme de Négritude inventé en 1936 par Aimé Césaire et façonné par leur compagnonnage intellectuel. La Négritude est, pour Senghor, un enracinement dans les valeurs et civilisations du monde noir. Toutefois, elle ne procède pas par exclusion et se nourrit de l’ouverture à d’autres cultures. Senghor proclame la Négritude « humanisme du 20e siècle » et lance un appel au métissage culturel. « Il s’agit quetous ensemble – tous les continents, races et nations -, nous construisions la Civilisation de l’Universel, où chaque civilisation différente apportera ses valeurs les plus créatrices parce que les plus complémentaires ». Des artistes venus d’Europe et d’Asie sont invités à exposer leurs oeuvres au Sénégal et illustrent l’oeuvre poétique de Senghor à l’instar de Marc Chagall, André Masson, Hans Hartung, Pierre Soulages, Zao Wou Ki…
Une diplomatie culturelle
L’histoire des institutions artistiques que LĂ©opold SĂ©dar Senghor instaure lors de sa prĂ©sidence est souvent liĂ©e Ă la diplomatie culturelle qu’il dĂ©ploie de diffĂ©rentes manières, dès le dĂ©but des annĂ©es 1960 : Ă©changes d’objets avec la France,organisation du premier Festival mondial des arts nègres, expositions d’envergure internationale et formations Ă l’étranger d’artistes, d’artisans ou d’agents culturels. Senghor considĂ©rait, par ailleurs, les artistes de son pays comme des ambassadeurs. Plusieurs temps forts diplomatiques marquent sa mandature : la version parisienne de l’exposition L’Art nègre. Sources, Ă©volution, expansion prĂ©sentĂ©e au Grand Palaisen 1966, la reprĂ©sentation de Macbeth par la troupe de Sorano au Théâtre national de l’OdĂ©on le 3 mars 1969 et l’exposition Art sĂ©nĂ©galais d’aujourd’hui en 1974 au Grand Palais Ă Paris.
Dissidences
LĂ©opold SĂ©dar Senghor dĂ©missionne de la PrĂ©sidence du SĂ©nĂ©gal fin 1980. Depuis plusieurs annĂ©es dĂ©jĂ , des dissensions politiques Ă©clatent et d’aucuns contestent son pouvoir. En 1974, l’artiste Issa Samb brĂ»le ses toiles retenues pour l’exposition Art sĂ©nĂ©galais d’aujourd’hui au Grand Palais. Il dĂ©nonce l’institutionnalisation de l’art au SĂ©nĂ©gal et refuse que ses oeuvres illustrent la NĂ©gritude et son idĂ©ologie politique. La mĂŞme annĂ©e, il fonde Ă Dakar le laboratoire Agit’Art. Attentifs aux avant-gardes internationales, les membres du laboratoire rejettent le formalisme de l’École de Dakar, prĂ´nent l’éphĂ©mère, le dĂ©cloisonnement des disciplines et la dimension collective de la crĂ©ation. Leur première performance prend pour cible le poème Chaka de Senghor. Toujours actif aujourd’hui, Agit’Art perpĂ©tue l’esprit de ses fondateurs et ne cesse d’interroger la place de l’artiste dans la sociĂ©tĂ©.
HĂ©ritage
Entre 1973 et son départ du pouvoir en 1980, Léopold Sédar Senghor entreprend de créer un vaste complexe culturel, dont le coeur aurait été un musée conçu « pour être l’une des plus importantes institutions muséographiques de l’ouest-africain ». Ce dernier grand projet senghorien devait accueillir des oeuvres du musée de l’IFAN (Institut français d’Afrique noire), et de sa collection personnelle, des prêts de musées étrangers et des nouvelles acquisitions. Senghor, très impliqué dans la définition de ce musée en devenir souhaitait y présenter « des objets d’art ancien et d’art contemporain intimement mêlés, des éléments de la préhistoire et de l’histoire de l’Afrique, enfin tous les fondements matériels de la culture traditionnelle ». Les ambitions de ce complexe culturel évoluèrent tout au long de son élaboration. D’abord appelé « musée d’art négro-africain », il est finalement dénommé « musée des civilisations noires », un nom aujourd’hui porté par un grand musée dakarois ouvert en 2018. Ce nouveau musée, héritier du projet avorté de Senghor, se veut une institution sans collection permanente qui défend la même ambition panafricaine.
* Dès les années 1920, des militants et des intellectuels africains et antillais, notamment ceux qui se réclamaient du mouvement de la négritude, se sont emparés du terme « nègre », qualification dépréciative et dégradante. Ils l’ont retournée et rechargée avec rage et élégance contre les négrophobes et les racistes. Dans l’exposition et dans le catalogue, le mot est utilisé dans une perspective strictement historique, et donc maintenu dans les circonstances de son emploi par les acteurs des événements relatés.