“HEY! CÉRAMIQUE.S” à la Halle Saint Pierre, du 20 septembre 2023 au 14 août 2024
“HEY! CÉRAMIQUE.S”
à la Halle Saint Pierre, Paris
du 20 septembre 2023 au 14 août 2024
Texte Sylvain Silleran
Pierre SGAMMA, Corail. © Zoé Forget / HEY!.
Masao KINOSHITA, Half Anatomical Woman. © Masao KINOSHITA.
Maria GUILBERT, La Sentinelle. © Bertrand Michau.
Les visages carrés façon Speedy Graphito sur écorce de porcelaine de David Cohen grimacent; le sage matériau lisse et brillant qui se décline en architectures de tours fines ne saurait rester debout bien longtemps. Une amazone chevauche une bombe: les punkettes victoriennes de Kirsten Stingle arrivent, la coiffure de Vivienne Westwood, la furie indomptable. Tout va péter, qu’on se le dise! La délicatesse poétique, un bestiaire médiéval, des totems chamaniques, animaux se métissant aux humains envahissent l’espace blanc et lumineux de la halle Saint Pierre. La céramique descendue des étagères et des guéridons, nous offre ici un univers de contes frivoles ou frissonnants
Un homme-loup de Pierre Sgamma, un homme corail, des oiseaux à tête de mort, sortis de rêves un peu doux, un peu cruels de Tim Burton croisent les jeunes filles transparentes de Christina Rothwell. Leurs bras sont couverts de fleurs et d’oiseaux, des plants de fraises ici, un envol de papillons là. Ces enfants s’évaporent en spectres lumineux, leurs doubles s’échappent comme des âmes défuntes. Sur les bols de Yurim Gough, rafistolés, cousus, des personnages queer en bas résille et corsets laissent voir sous les masques glamours leurs cœurs brisés. Ils sont accompagnés d’une cigogne à tête de lapin, de papillons à tête d’oiseau ou d’un chat au bec de canard; tout est trans, même la nature, opérée par une chirurgie dure et cruelle. Trois visages de Lidia Kostanek sont alignés sur un mur. Aveuglés par des appareillages de cuir, ils vomissent des crinières noires.
Chez Mono Cieza c’est un ballet aérien de petites femmes-louves en terre sépia un peu poudreuse. Elles s’envolent comme des super-héroïnes, pleines de délicatesse, pas du tout freinées par leurs formes généreuses. Les voilà qui s’élancent, qui hurlent à la lune, les paupières closes, le poing levé, la patte aux coussinets ronds et sensuels. Maria Guilbert crée des femmes aux robes de crinolines cages à oiseaux. Du bout de leurs doigts poussent des fleurs, d’une poitrine a germé une branche d’olivier. Cette nature enchantée, celle d’un conte de Perrault, est peuplée de princesses un peu trop sages, de reines, de femmes-centaures masquées aux jambes de percherons sur lesquelles quelques oiseaux viennent se poser.
Une Madone et un Christ tatoués de cœurs ‘maman’, couronnes d’épines, colombes et roses, tout le catalogue d’un tatoueur de marins d’un autre temps sont le monde de dévotion de Mélanie Bourget. Une iconographie désuète comme celle des amoureux très XVIIIéme siècle de Chris Antemann, s’embrassant sous le regard sirupeux de mésanges bleues. Le samourai d’Emmanuelle Not monte la garde devant les assiettes et plats de Mara Superior. Sa vaisselle est couverte de slogans politiques, électoraux, des flingues et des drapeaux américains. Une Naissance de Vénus de bande dessinée indé milite pour les abeilles, une nymphe d’après Cranach trouve l’air irrespirable, un dodo rejoint Extinction rébellion… La porcelaine de grand-mère anglaise fleure bon le kitsch délavé mais se découvre une rage d’activiste.
Chrystal Morey modèle des chimères très fines, très détaillées, une femme-chat, une femme-girafe, ou éléphante de blanc immaculé. Des présences silencieuses comme le sont les enfants de Kim Simonsson, monochromes verts, tout juste sortis des bois. Des farfadets de la forêt, habillés de feuilles de chou mais couverts d’objets, rebuts de la civilisation: brique de lego, pelle de plage en plastique, club de golf virent au cauchemar post-apocalyptique de Mad Max.
On voyage du monde aquatique de Muriel Persil, fond sous-marin coloré comme les fables écolo de Miyazaki, à la porcelaine de Delft de Handiedan. Dans ce bleu si classique sont imprimées des images de pinups, des robots pixellisés, des diagrammes encyclopédiques, fragments de timbres-postes ou de billets de banque. Quand un montage numérique Photoshop rencontre l’art si concret de la céramique la matière se plie comme de l’origami, se fragmente, finesse de dentelle flirtant avec le bug informatique.
La joie simple a toujours un parfum de danger, l’émerveillement menace de virer au cauchemar. Hey! nous propose une céramique bien vivante, équilibriste, flirtante, spectaculaire.
Sylvain Silleran
HANDIEDAN, Vector Equilibrium. © HANDIEDAN
Daphne CORREGAN, Warrior. © Zoé Forget / HEY!.
Carl Richard SÖDERSTRÖM, The Prophet. © Carl Richard SÖDERSTRÖM.
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat :
Martine Lusardy, directrice de la Halle Saint Pierre et commissaire des expositions depuis 1994
Anne Richard, fondatrice et commissaire des expositions HEY! modern art & pop culture depuis 2010, commissaire invitée
Le terme « céramique » désigne l’ensemble des objets fabriqués en terre ayant subi une transformation physico-chimique irréversible au cours d’une cuisson à haute température.
La céramique est le premier « art du feu » maîtrisé par l’Homme dès le Néolithique, avant la verrerie, l’émaillerie, la mosaïque ou le vitrail qui utilisent également la transformation d’une terre sous l’action du feu. Elle est apparue vers le Xe millénaire avant J.-C. en Extrême-Orient, au VIIe millénaire avant J.-C. au Proche-Orient, et au VIe millénaire avant J.-C. en Occident. Cependant, les pièces les plus anciennes, à vocation culturelle, comme la Vénus de Dolní Vestonice, datent de la période paléolithique. Le nom de cet art préhistorique provient du grec ancien kéramos, signifiant « terre à potier », « argile ». Témoignage matériel et marqueur culturel dans la plupart des sociétés, la terre cuite est aussi le matériau le plus abondant que l’homme ait créé.
Une céramique est un objet fabriqué d’argile cuite. Les céramiques présentent des propriétés différentes selon la nature de leurs composants et leur cuisson. On distingue par exemple les grès, les faïences, les porcelaines… – il s’agit de matériaux non métalliques et non organiques obtenus par l’action de fortes températures qui induisent, au coeur de la matière première minérale, une transformation irréversible conférant des propriétés nouvelles : solidité et résistance à l’usure, résistance à la chaleur, propriétés isolantes…
Artisans, artisans d’art, artistes : tous passent par les mêmes étapes de production (préparation de la terre, façonnage, séchage, décoration, cuisson) mais chacun crée ses propres recettes et procédés originaux de fabrication. Au sein du monde spécialisé de la céramique, ce sont ces différences techniques et leur virtuosité de réalisation qui suscitent l’admiration et fondent une réputation. Dans l’exposition HEY ! CÉRAMIQUE.S, ce sont d’abord l’univers présenté et sa représentation matérialisée qui sont envisagés.
L’exposition réunit 34 artistes de 13 pays. Pour certains d’entre eux, il s’agit d’une première présentation en Europe. Parmi les 250 oeuvres proposées, un tiers des oeuvres est produit pour l’exposition, c’est également inédit. Elles encouragent un regard nouveau sur la création contemporaine dans le domaine de la céramique.
« J’ai choisi les artistes et les oeuvres pour leur pouvoir d’émerveillement et leur force d’évocation. La sélection embrasse des céramistes s’appuyant sur l’histoire du médium comme des artistes s’en échappant pour faire appel aux techniques mixtes. Une discussion ouverte est ainsi enclenchée vers un potentiel vivant des céramiques – comme autant de gestes et de formes pluriels s’y adossant » affirme Anne Richard / HEY!.
La vocation de l’exposition n’est donc pas ici d’illustrer une histoire de la céramique ni de différencier les techniques variées et traditionnelles la traversant, mais bien de témoigner du dynamisme inédit que connait cette pratique actuellement.
La céramique, au-delà d’elle – Anne Richard, fondatrice et commissaire des expositions HEY! modern art & pop culture, commissaire invitée.
« Dernièrement, le regard général porté sur la céramique s’est modifié, et confère au medium le nouveau statut de forme d’art pertinente. L’on ne peut que se féliciter de ce qui se signale ici : ce changement annonce, selon moi, une juste réhabilitation. En effet, depuis sa création, HEY! modern art & pop culture s’attèle à la déconstruction d’une hiérarchisation des arts, et de son arbitraire devant le registre des techniques et mediums dits « modestes », déconsidérés par la pensée conformiste ou jugés inappropriés à « faire art ». Pour rétablir une célébration d’un « savoir-créer » de la main, et faire contrepoids devant l’artificialisation d’un art contemporain conceptuel ou dématérialisé, le public a toujours pu admirer, au sein des publications et expositions HEY!, la représentation de courants artistiques souterrains dans leur mixité de formes, au travers d’un florilège de mediums.
HEY! examine maintenant le domaine de la céramique à l’aune de cette reconnaissance en marche et dans toutes les sortes de convocations qui la caractérisent, au sein d’un espace artistique dynamique où se conjugue une multiplicité de partitions. Il n’est plus ici question d’unique technicité, de marginalisation d’un sujet, de la tension d’un objet vers l’oeuvre, et ce qui est désignée « la belle céramique » ne vient pas – ici – contredire l’extraordinaire plasticité du medium appréhendée par un nombre grandissant d’artistes. Dans ce contexte, je continue d’explorer le face-à-face contemporain des productions issues des arts populaires dans leur l’acuité poétique, des arts singuliers, des arts appliqués et des beaux-arts.
Je veux remercier La Fondation d’entreprise Bernardaud avec laquelle j’ai eu le bonheur de collaborer, et qui me permet de poursuivre la présentation des quatre artistes internationales Christina Bothwell, Yurim Gouth, Crystal Morey et Mara Superior. Je remercie également chaleureusement La Halle Saint Pierre qui accompagne, sans faillir, la démarche de HEY! modern art & pop culture depuis sa création en 2010. »