đ âPascaline Marreâ Artiste photographe
âPascaline Marreâ
Artiste photographe
PODCAST –Â Interview de Pascaline Marre,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 9 dĂ©cembre 2021, durĂ©e 21â52.
© FranceFineArt.
De lâabsence Ă la matĂ©rialitĂ© photographiqueâŠ
PerchĂ© au troisiĂšme Ă©tage, dans un immeuble donnant sur cours, lâatelier de Pascaline Marre est Ă lâimage de lâartiste. BaignĂ©s dans la lumiĂšre des grandes verriĂšres, typiques des ateliers parisiens, de nombreux objets chinĂ©s, rĂ©coltĂ©s, attendent dâentrer dans ses histoires, dâĂȘtre rĂ©interprĂ©tĂ© par le geste de lâartiste, dâĂȘtre mis en scĂšne, dâĂȘtre immortalisĂ©s sur la surface sensible dâune image photographique en devenir.Â
Câest dans cette ambiance dâune matinĂ©e ensoleillĂ©e de dĂ©cembre, que je rencontre Pascaline Marre oĂč nous allons Ă©voquer ensemble son processus de crĂ©ation, ce qui anime lâartiste, son geste plastique Ă travers la matĂ©rialitĂ© photographique.
Explorant la disparition, le rĂ©el et lâimaginaire, lâhistorique ou le fantasmĂ©, et en se concentrant sur des sujets mĂ©moriels, le travail photographique de Pascaline Marre, se situant Ă la frontiĂšre du documentaire et du sociologique, est une rĂ©flexion sur la recherche des signes, de ce qui a Ă©tĂ© et qui nâest plus, de ces rĂ©cits qui peuvent ĂȘtres rĂ©vĂ©lĂ©s par lâabsence.
Pour explorer la maniĂšre dont Pascaline Marre interprĂšte les signes, sa maniĂšre dont elle fait de lâabsence, de ces vides laissĂ©s par lâhistoire, son Ă©criture et vocabulaire plastique, lors de lâentretien, nous y dĂ©roulons le fil de ses rĂ©flexions. Du projet ArmĂ©niĂe que lâartiste a menĂ© pendant dix annĂ©es, de 2004 Ă 2014 et qui cristallise dans un temps prĂ©sent le gĂ©nocide armĂ©nien, nous poursuivons jusquâĂ son dernier projet LâĂ©quilibriste oĂč en sâarticulant en quatre chapitres Les GĂ©antes, Sisyphe, Palimpseste et Atka, Pascaline Marre y questionne et replace le fĂ©minin au centre de nos sociĂ©tĂ©s.
Pour découvrir le fil du processus de création de Pascaline Marre, nous vous invitons à découvrir son interview réalisée pour FranceFineArt.
Anne-Frédérique Fer
Ă propos de LâĂ©quilibriste par lâartiste
LâĂ©quilibriste avance sur sa corde dâune confiance aveugle, dĂ©fiant les lois de la gravitĂ©, toujours sur le point de basculer.
Sur ce lien tĂ©nu, il faut regarder droit devant, tenir un point Ă lâhorizon, sâaider de nos bras, minces face aux vents contraires ou de cĂŽtĂ©s, de ceux que lâon ne voit pas arriver.
Ce projet articulĂ© en quatre volets, explore le fĂ©minin comme archĂ©type, explorant sa puissance crĂ©atrice et ses fragilitĂ©s, rĂ©vĂ©lant les points de tension entre lâintĂ©rieur et lâextĂ©rieur, la surface et lâen deçà , ce que lâon donne Ă voir et ce que lâon rĂ©vĂšle.
Je me suis inspirĂ©e des mythes fondateurs, de ceux qui nous ramĂšnent Ă la nature, et Ă lâimportance de renouer nos liens avec cet environnent qui nous constitue.
Jâen ai explorĂ© la roche, en premier lieu, comme socle primitif, la roche mise Ă nu, rĂ©vĂ©lant ses failles, ses aspĂ©ritĂ©s, ses profondeurs; la roche comme point dâancrage sur lequel sâappuyer, depuis lequel sâĂ©lever, ĂȘtre en partance vers des lieux encore inexplorĂ©s.
En lien avec cette nature primitive, jâai explorĂ© le corps ; le corps comme vĂ©hicule de nos Ă©motions, de nos aspirations, de nos doutes, de nos questionnements. Jây ai associĂ© des natures mortes, ramenĂ©es Ă leur seul objet, comme autant de points de tensions tangibles sur lesquels je pouvais laisser libre cours Ă mon imaginaire.
Les GĂ©antes
Il y a deux ans, au dĂ©tour dâun sentier surplombant la mer, mon regard fut attirĂ© par un entrelacs de rochers immenses surgissant de lâeau. Jâimaginais ces blocs lancĂ©s par des Titans qui se seraient Ă©chappĂ©s du Tartare.
Les Géantes est une exploration de la roche, comme métaphore de la femme puissante, la femme créatrice, comme allégorie du féminin dans toutes ses aspérités, ses failles, ses luttes, sa force.
Au-delĂ de lâinspiration puisĂ©e dans les personnages mythologiques, il est question ici de lâarchĂ©type fĂ©minin, ramenĂ© Ă ce socle primitif dâoĂč il peut sâĂ©lancer, engager la lutte, transformer ses maux et douleurs en espĂ©rance. Jâausculte la matiĂšre rocheuse pour en magnifier les aspĂ©ritĂ©s, la minĂ©ralitĂ©, la duretĂ© et la friabilitĂ©, rĂ©vĂ©ler sa beautĂ©, capter sa puissance, sâĂ©lever avec elle ou plonger dans ses chaos.
Sisyphe
« Il faut imaginer Sisyphe heureux »
Câest avec ces quelques mots quâAlbert Camus clĂŽt son essai, abandonnant le lecteur Ă mĂ©diter sur sa propre destinĂ©e. Le salut de lâhomme viendrait de lâacceptation de sa condition, car de lĂ naĂźtrait la possibilitĂ© de la transcender.
Jâai choisi de mâinspirer de ce mythe grec pour en donner une interprĂ©tation sensible et subjective Ă travers lâexploration du rocher, de la roche, de la terre mise Ă nu, en contrepoint du rĂȘve liquide que nous fait miroiter lâocĂ©an.
Rocs, traces de lâhomme et silhouettes sâentrecroisent dans cette sĂ©rie dâimages, donnant chair et matiĂšre Ă lâun des mythes grecs qui nous confronte au mystĂšre de lâexistence humaine. Jâentends ainsi attraper des interstices de vie, Ă travers une silhouette dĂ©fiant le rocher de Sisyphe, un mur façonnĂ© de la main de lâhomme, un rocher charriĂ© dans la nuit de lâhistoire, une pierre laissĂ©e comme testament.
Palimpseste
Palimpseste, ce mot glisse avant de sâĂ©vanouir, Ă©voque la trace de lâhomme traversant le temps, la main de lâhomme qui a grattĂ©, Ă©crit, peint.
Ici, pas dâĂ©criture ni de peinture, mais des images travaillĂ©es Ă la maniĂšre dâun palimpseste, enlevant des couches et en rĂ©vĂ©lant dâautres. La lumiĂšre est tamisĂ©e, travestie, passĂ©e au scalpel. En rĂ©sulte une image sans teint, dĂ©pourvue de temps, une image murĂ©e dans les dĂ©gradĂ©s, cloĂźtrĂ©e dans le silence oĂč le sujet photographiĂ© sâefface dans un dĂ©cor phantomatique.
Dans cette sĂ©rie, jâexplore la surface sensible de lâimage, je la tords pour en extraire les sous-couches et faire apparaĂźtre lâenvers, dans ce quâelle peut suggĂ©rer et rĂ©vĂ©ler ; ce qui ne se voit pas mais transparait.
Atka
Atka, est inspirĂ© dâun conte inuit. IntitulĂ© La femme squelette, ce conte raconte lâĂ©branlement ressenti lorsque nous sommes saisis par lâamour, oĂč les forces contraires sâentrechoquent entre Ă©merveillement et effroi, nous laissent chancelant et nous mettent Ă nu. Il faut alors apprivoiser la femme squelette, cette partie si intime de nous-mĂȘme, regarder nos peurs, nos faiblesses pour sâouvrir vers lâĂȘtre aimĂ©.
Dans ce volet, jâexplore les fĂȘlures, les errements, les manquements, la vulnĂ©rabilitĂ©, partant du corps comme point dâancrage, afin de le sonder, lâausculter, rĂ©vĂ©ler ses aspĂ©ritĂ©s, ses blessures, le temps qui lâalourdit. Jây appose des objets photographiĂ©s sobrement sur fond noir, de ceux qui mâhabitent et peuplent mon atelier et viennent en regard de ce corps en mouvement.
Dan cette mise Ă nu, la photographie mâest un alliĂ© salvateur, un moyen dâexplorer Ă tĂątons ce chemin, de lâapprĂ©hender pour mieux mâen saisir, transformer ces fĂȘlures et blessures en jeux, mâincarner en oiseau qui peine Ă prendre son envol, en amazone lĂ©gendaire ou en matadore, et me donner la possibilitĂ© de me relever.
Retour sur ArmĂ©niĂe
âPascaline Marreâ ArmĂ©niĂe
Ă la galerie binĂŽme, Paris
du 12 juin au 24 juillet 2015
Vue de lâatelier de Pascaline Marre, le 9 dĂ©cembre 2021. © Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer / FranceFineArt.com.