“Ken Domon” Le maître du réalisme japonais, à la Maison de la culture du Japon, Paris, du 26 avril au 13 juillet 2023
“Ken Domon”
Le maître du réalisme japonais
à la Maison de la culture du Japon, Paris
du 26 avril au 13 juillet 2023
Texte de Sylvain Silleran
Des photos de propagande militaire montrent une foule bien ordonnée de soldats, au garde-à-vous dans une disposition stricte et géométrique. L’entrainement des cadets de la marine est une chorégraphie parfaite, un ballet millimétré. Des femmes boivent du saké dans un petit bol, debout, bien droites dans leur uniforme sombre. Elles sont bien en rang, raides du protocole, pourtant la gravité de ce que signifie un départ pour le front se lit sur leurs sourcils froncés. Leurs mains trahissent l’appréhension à travers le paravent des gants blancs. Ken Domon approche son objectif des hommes jusqu’à ce que l’humanité perce la carapace qui leur est imposée.
Une jeune infirmière a le visage caché par un masque de gaze mais ses yeux noirs reflètent le fond d’encre, les ténèbres de ce monde. Il y a tant de choses que le photographe a réussi à capturer dans ce regard muet. Le passé, le présent et le futur, la tempête approche.
Dans le Japon de l’après-guerre Ken Domon développe une photographie réaliste et poétique, faisant écho au néo-réalisme européen. Un homme court sous une averse, caché sous un parapluie, dans sa hâte il lévite au-dessus du sol mouillé et brillant. Des marchands de journaux débordent de magazines glamour, des jeunes femmes profitent d’une belle journée d’été, il faut vivre maintenant. Une famille pose devant un photographe devant le sanctuaire Meiji-jingû de Tokyo, les enfants déjà distraits s’intéressent à ce qui se passe à gauche et à droite, hors du cadre, le bel alignement familial se casse. L’enfance regarde ailleurs, elle voit l’invisible, donc le poétique.
Des enfants pêchent la truite dans une rivière, ils ressemblent à des lutteurs dans l’eau glacée de la cascade, pris dans un combat homérique. L’un brandit un saumon, les bras écartés comme un boxeur victorieux sur un podium. Mais le réel nous rattrape vite. Un enfant ramasse avec peine des morceaux de charbon sur le terril d’une mine abandonnée: le cadrage fait de la colline un horizon penché, un monde anormal, tanguant jusqu’à donner la nausée. Ces « enfants sans père » survivent à peine, travaillent. Dans une rue de village, deux enfants tout sourire jouent avec des parapluies décharnés, les faisant tourner. L’enfance qui sait oublier un instant avant que les « sœurs sans mère » ne se refassent happer par le noir absolu de l’intérieur de leur maison. L’obscurité qu’est le manque de tout est un gouffre, un néant d’ou émergent des visages inoubliables.
Dans la rue, des mômes jouent à la toupie, à l’élastique, au cerf-volant, se bagarrent, dessinent sur le sol avec un bout de craie trouvé quelque part. Des poulbots japonais qui témoignent de la dureté de la reconstruction de ces années 50. Puis tout finit dans un éclat de rire, un lézard posé sur la tête.
Il y a chez Ken Domon un langage des corps. Celui des plongeurs dessinant par leur trajectoire le contour de la montagne sur l’île en arrière-plan. Celui des pêcheuses ama, bâties comme des statues, avec leur musculature de déesses. Elles ont beau être prises dans leur quotidien, leur travail, elles sont héroïques, elles appartiennent à un mythe millénaire. Des entraineuses de bar du Tokyo misérable de l’après-guerre ont le corps plein de lassitude, une fatigue que n’arrive pas à maquiller l’encadrement d’une fenêtre en forme de cœur. On pense aux dessins de Toulouse-Lautrec, à ce regard qui dénudait les âmes damnées des maisons closes.
Dans sa série sur Hiroshima, il est un des premiers à parler des vivants, des survivants. Il raconte les blessés, les irradiés, les mutilés, les recousus. Un enfant meurt dans son lit d’hôpital, sa famille autour de lui, sa mère lui tendant un esquimau glacé. La vie à laquelle on s’accroche, l’espoir comme cette petite crème glacée. Un couple s’est rencontré lors de soins, ils ont des visages terribles, marqués, mais leur petite fille rit dans leurs bras, magnifique comme une victoire. L’humanisme de Ken Domon est à cette image, un regard nécéssaire et sans concession, mais avec la force poétique d’une distraction d’enfant.
Sylvain Silleran
Extrait du communiqué de presse :
Commissariat :
Rossella Menegazzo, professeure d’histoire de l’art de l’Asie Orientale à l’Université de Milan
Avec le soutien de : Ken Domon Museum of Photography, MondoMostre
Avec le concours de : Association pour la MCJP
L’exposition du printemps-été 2023 de la Maison de la culture du Japon à Paris est la première en France consacrée à l’une des figures les plus marquantes de l’histoire de la photographie japonaise : Ken Domon (1909-1990). Elle réunit une centaine d’images de ce pionnier de la photographie réaliste, produites entre les années 1930 et 1970. Les multiples facettes de son travail sont ici révélées : son approche du photojournalisme au début de sa carrière, l’inévitable tournant vers la photographie de propagande dans les années 1930, puis sa fascination pour les anciens temples et la sculpture bouddhique, ses touchants portraits d’enfants des rues et de célébrités, et son témoignage bouleversant sur Hiroshima.
L’oeuvre de Ken Domon a durablement marqué l’histoire de la photographie au Japon en posant les bases de la création photographique contemporaine, au point d’être, aujourd’hui encore, considéré comme une référence incontournable. Domon a cherché pendant toute sa vie à obtenir les images les plus réalistes qui soient, sans verser dans un quelconque misérabilisme. Alors qu’un vent nouveau soufflait sur le Japon à la fin de la guerre, son regard, sans filtres, se posait sur la société en général et sur la vie quotidienne :
« La réalité sociale du quotidien s’impose au moins autant à moi que les traditions ou la culture antique de Nara et de Kyoto ; le point commun de mon intérêt pour ces deux sujets, c’est ma tentative de comprendre le lien que ces réalités ont avec la destinée des Japonais, leur colère, leur tristesse, leur joie. » attestait Ken Domon.
Ce réalisme qui est sa signature et qui, par définition, « dépouille de toute sentimentalité » la photographie, est incontestablement le fil conducteur de l’exposition de la Maison de la culture du Japon à Paris qui, thème après thème, s’attache à retracer l’ambitieux parcours emprunté par Domon pour saisir la culture japonaise dans son ensemble. Elle donne notamment à découvrir les deux reportages qui traduisent le plus nettement le réalisme social caractéristique de son travail, soit : Hiroshima (1958), considéré par le prix Nobel Kenzaburô Ôe comme la première oeuvre d’art contemporain inspirée par la bombe atomique à traiter des vivants et non des morts, et Les enfants de Chikuhô (1960), une série photographique qui témoigne de la pauvreté qui ronge les villages miniers du Sud du pays, en se focalisant sur la vie des enfants des rues. Ken Domon est devenu le chef de file de la photographie réaliste au Japon dans les années 1950. Il a certainement été influencé par de grands photographes occidentaux tels que Cartier-Bresson et Eugene Smith, aux côtés desquels il expose à Tokyo en 1951 et 1953.
Dans une autre section, la série Portraits révèle aux regardeurs les visages de personnalités dans différents domaines – artistique, littéraire, culturel ou scientifique – comme les écrivains Yukio Mishima et Jun.ichirô Tanizaki, les artistes Foujita, Tarô Okamoto et Yûsaku Kamekura, le réalisateur Yasujirô Ozu ou encore l’acteur Toshirô Mifune. La dernière partie de l’exposition est quant à elle consacrée à la série photographique la plus longue de Domon, Pèlerinage aux temples anciens, un recueil d’images de statues et d’architecture bouddhiques, de trésors cachés et de paysages discrets, immortalisés au cours de voyages à travers le pays alors qu’il cherchait à capter la beauté des lieux sacrés des temps anciens.
« On peut parler de l’oeuvre de Ken Domon comme d’une autobiographie, d’une documentation personnelle, plutôt que sociale, qui traduit son souci constant de fixer sur la pellicule un moment de dialogue avec le sujet. Son regard fixé sur ce dernier, qu’il s’agisse d’un paysage, d’une sculpture, d’une personne ou d’un objet, agit comme le révélateur d’une beauté universelle vue à travers un objectif qui n’ignore aucune des caractéristiques physiques de la forme représentée. » précise la commissaire, Rossella Menegazzo.
Célébré par l’ouverture en 1983 à Sakata (sa ville de naissance, dans le département de Yamagata) d’un musée dédié à une oeuvre prolifique, Ken Domon n’avait que très rarement été exposé à l’étranger : en Allemagne en 1990 et en Italie en 2016. Il n’avait jamais bénéficié d’une vitrine en France. Ce sera chose faite au printemps grâce à la Maison de la culture du Japon à Paris qui rend ainsi hommage à un créateur qui s’est attaché à dresser un portrait complet de la culture japonaise. Cet événement met en exergue le fait que Domon, avec le concours d’amis et de personnalités du milieu artistique comme Yûsaku Kamekura et Sôfû Teshigahara, a su initier dans les années 1950 une véritable transition culturelle, écartant définitivement l’esprit de défaite pour donner naissance à une esthétique contemporaine japonaise louée dans le monde entier.
Parcours de l’exposition
L’avant-guerre : du photojournalisme à la photographie de propagande
Ken Domon fait ses débuts dans la photographie à 24 ans, en 1933, lorsqu’il intègre, en qualité de simple apprenti, le studio de Kôtarô Miyauchi à Ueno (Tokyo). Il publie sa première photographie dans le numéro d’août 1935 de Asahi Camera. Le 10 octobre de la même année, sa carrière prend un tournant décisif lorsqu’il répond à l’annonce d’un studio à la recherche d’un photographe technicien. Situé dans le quartier de Ginza, le studio Nippon Kôbô a été fondé par Yônosuke Natori (1910-1962) à son retour d’Allemagne, où il a travaillé au Berliner Illustrierte Zeitung. Il importe des concepts alors inédits au Japon tels que l’editing ou le reporting, ainsi qu’un nouveau système de production basé sur la collaboration entre un photographe et un designer graphique encadrés par un directeur artistique, ce qui contribuera à la diffusion à grande échelle du photojournalisme. Domon réalise alors ses premiers reportages pour le magazine Nippon édité dans plusieurs langues afin de promouvoir la culture japonaise à l’étranger, mêlant à la fois information et propagande. Son premier reportage photographique, réalisé au sanctuaire Meiji-jingû à Tokyo avec son Leica modèle C, porte sur la fête de shichigo-san, une sorte de rite de bénédiction des enfants. Domon traitera aussi de l’artisanat, des traditions, des progrès industriels et militaires et du côté progressiste du Japon, qui, dans les années 1930, amorçait alors son virage nationaliste.
Pendant la guerre
À l’aube de la seconde guerre mondiale, la photographie n’échappe pas à la réglementation stricte imposée par les autorités militaires du Japon. Seuls quelques rares photographes professionnels se voient confier du matériel pour couvrir les sujets jugés « nécessaires » au regard de leur compatibilité avec les besoins de la propagande du gouvernement, du ministère des Affaires étrangères, de l’Agence internationale du tourisme et de la Société pour la promotion internationale de la culture. De nombreuses revues consacrées à la photographie se voient interdites de publication, ce qui a de lourdes répercussions sur la vie des photographes, d’autant plus grandes pour Domon qui doit alors nourrir une famille de sept personnes. Ce dernier vit par ailleurs dans la crainte, avec raison, de voir arriver le « bulletin rouge » de mobilisation qui l’appellerait à rejoindre le front au sein d’une équipe de photojournalistes. Domon s’éloigne alors un peu de la scène médiatique et se tourne vers la culture et les arts traditionnels, en particulier les temples bouddhiques tels que le Murô-ji et le théâtre de marionnettes bunraku. Le 8 décembre 1941, il se trouve dans les coulisses du théâtre bunraku de Yotsubashi à Osaka quand il lit dans l’édition spéciale d’un journal que le Japon déclare la guerre aux États-Unis. La taille considérable de son matériel et le temps d’exposition long sont d’importantes contraintes pour Domon qui immortalise alors des maîtres du bunraku tels que Bungorô Yoshida, Eiza Yoshida et Monjurô Kiritake. Jusqu’à la fin de son travail sur le sujet en 1943, Domon réalise pas moins de 7000 négatifs, réunis dans l’ouvrage Bunraku, publié en 1972.
L’après-guerre, l’affirmation de la photographie réaliste
Les événements tragiques de la seconde guerre mondiale et la capitulation du Japon meurtri par les atrocités de la bombe atomique révèlent la grande supercherie de la propagande de guerre. La défaite a entraîné la fin du mythe impérial et du shintoïsme d’État qui constituaient le fondement de l’idéologie militariste. Si dès la fin des années 1940 un renouveau intellectuel prodigieux conduit à une reprise rapide de la circulation d’idées au travers de magazines, de publications, d’expositions et des cercles artistiques naissants, les mots adéquats sont manquants pour exprimer cette réalité tragique. Face au besoin de narration d’un Japon en plein bouleversement, le réalisme des photographies de Domon qui documente aussi bien l’occidentalisation des moeurs à travers la ville que les les ruelles ou les groupes les plus pauvres de la population le distingue jusqu’à devenir une référence. Le mouvement réaliste connaît son apogée vers 1953, après l’organisation de deux expositions majeures à Tokyo qui, pour la première fois, mettent en regard des œuvres des plus grands photographes occidentaux avec celles d’artistes japonais. En juin 1951 est organisée dans le grand magasin Mitsukoshi de Ginza la première exposition du collectif japonais Shûdan Photos, intitulée « Photographies du Japon, de France, d’Amérique et de Grande-Bretagne ». Parmi les onze photographes japonais figurent Ken Domon et Ihei Kimura, tandis que Cartier- Bresson compte parmi les participants étrangers. Puis en 1953, le Musée national d’art moderne de Tokyo accueille l’exposition « The Exhibition of Contemporary Photography – Japan and America » dont le commissaire est Edward Steichen. Domon y expose aux côtés d’Eugene Smith, d’Ansel Adams, de Walker Evans, etc.
Les enfants
Les photographies d’enfant font partie intégrante de l’oeuvre de Ken Domon. Ses premiers reportages pour le magazine Nippon portent sur la fête de shichi-go-san, puis sur des enfants pêchant à Izu. En les photographiant, Domon saisit l’énergie du Japon propre à cette époque : dans les rues de Ginza, de Shinbashi et d’autres quartiers populaires de Tokyo, mais aussi à Nagoya ou à Osaka, notamment dans le quartier de Kôtô où il réside. En 1946, suite au décès de sa deuxième fille, Domon fait le choix d’une approche réaliste de plus en plus sociale, pour ne pas dire socialiste, se servant de l’innocence du regard des enfants pour aborder indirectement des sujets de société. Il consacre plusieurs séries à ce thème, notamment Les enfants de Chikuhô, publié en janvier 1960. Le mois de novembre suivant, il publie Le père de la petite Rumie est mort, qui montre les conditions de vie misérables des enfants dans les villages de la région minière de l’île de Kyushu et, en particulier, l’histoire de deux soeurs dont le père est décédé. Ce livre qui a ému le Japon devient un best-seller. Enfin, le recueil Enfants, miroir d’un Japon en pleine mutation, est réalisé avec son ami Yûsaku Kamekura, designer graphiste, et publié par le Nikkor Club, une association de photographes amateurs utilisant du matériel Nikon, fondée, entre autres, par Ken Domon.
Hiroshima
Publié en mars 1958, soit un an avant la première hémorragie cérébrale de Ken Domon, l’impressionnant recueil Hiroshima présente 180 photographies accompagnées de textes dans lesquels il décrit ses impressions ainsi que les situations et le contexte auxquels il a dû faire face lors des prises de vue. Treize ans après le largage des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, cette oeuvre se fait vite remarquer tant elle rappelle au monde que les blessures presque oubliées de Hiroshima sont encore bien ouvertes. Domon consigne dans son carnet son heure d’arrivée à Hiroshima à la minute près : 23 juillet 1957, 14h40. Entre cet instant et le mois de novembre, il s’y rend six fois pour un total de trente-six jours durant lesquels il réalise plus de 7 800 négatifs, dont le recueil Hiroshima n’est en réalité qu’une synthèse. Domon réalise alors qu’il ignorait jusque-là la réalité de Hiroshima mais aussi qu’il a toujours craint de découvrir ce qu’elle signifiait. Non sans émotion mais avec un regard implacable, il photographie avec son 35 mm les lieux et les personnes touchées par la bombe atomique. Il rend ainsi compte des dégâts matériels, des blessures physiques, des cicatrices, des déformations ainsi que des opérations de chirurgie plastique et des transplantations réalisées sur les victimes de la bombe. Les 14 premières pages de son ouvrage sont d’ailleurs consacrées aux avancées dans le domaine de la chirurgie reconstructrice, un véritable dossier de référence en la matière à l’époque. Le choc provoqué par la publication du recueil lui vaut d’acerbes critiques, qui ne parviennent cependant pas à entamer sa détermination à exposer la réalité. Le prix Nobel Kenzaburô Ôe, dans un article paru dans le magazine Shinchô en 1977, parle de l’ouvrage Hiroshima comme de la première oeuvre d’art contemporain inspirée par la bombe atomique à traiter des vivants et non des morts.
Portraits
La publication du recueil de photographies Portraits en 1953 vient conclure quinze années d’un travail initié en 1936 avec le premier portrait de l’écrivain Rintarô Takeda et poursuivi sans relâche durant les années de guerre. Domon rassemble dans un seul volume
85 portraits d’amis et de connaissances, de personnalités du monde du spectacle, de la littérature, du théâtre et de la politique, soulignant dans l’introduction qu’il s’agit de « […] personnes que je respecte, que j’aime, qui me sont proches. […] La sélection des personnes s’est faite de façon étonnamment subjective et aléatoire, et il n’y faut chercher aucune signification historico-culturelle particulière. » Il semble que Domon commence sa sélection des visages à faire figurer au recueil en 1948, sous la forme d’une liste de noms rédigée à l’encre sur une porte coulissante au deuxième étage de sa maison. Cette liste sera bientôt soumise aux avis et suggestions d’amis ou d’éditeurs de passage qui lui font subir un grand nombre de modifications. En compilant ces portraits de personnalités plus ou moins célèbres, Domon raconte une époque qui a marqué l’histoire du pays, celle de grands hommes de lettres comme Mishima, Kawabata et Tanizaki, des acteurs et réalisateurs du rang de Mifune et Ozu, de grands artistes, qu’il compte souvent parmi ses amis, comme le sculpteur Noguchi, le graphiste Kamekura, le fondateur de l’école d’ikebana Sôgetsu, Sôfu Teshigahara, ou encore des peintres comme Foujita, Umehara ou Okamoto. Chaque photographie est accompagnée du nom de son sujet, de la profession de ce dernier et de la date de la prise. De courts textes racontent également la relation qu’entretient Domon avec le sujet du portrait et rapportent le climat de la séance de photographie : il arrivait que l’obstination professionnelle du photographe exaspère tant son sujet que cela se transpose sur la pellicule.
Sur la route des temples anciens
Les milliers de photographies prises par Domon dans plus d’une quarantaine de temples entre 1939 et les années 1970 sont rassemblées dans Pèlerinage aux temples anciens, le chef-d’oeuvre de sa carrière, qui lui vaut aujourd’hui encore une renommée internationale. Il s’agit d’une édition en cinq volumes parus à quelques années d’intervalle (1963, 1965, 1968, 1971 et 1975) qui réunit 462 photographies couleur et 325 en noir et blanc de statues et de temples construits entre le VIIe et le XVIe siècle. En premier lieu, il s’agit évidemment d’un ouvrage qui documente la beauté de l’architecture, de la sculpture, des jardins et des paysages autour des temples et des sanctuaires, mais c’est également un précieux témoignage qui rend aussi bien compte des progrès de la technique photographique durant ces années-là que des contraintes dans le travail de Domon imposées par sa mauvaise santé. En décembre 1959, Domon est victime d’une hémorragie cérébrale qui paralyse le côté droit de son corps, ce qui, malgré une longue rééducation, l’empêche de tenir un appareil photo et le contraint à utiliser un trépied. Une deuxième hémorragie le frappe le 22 juin 1968, l’obligeant cette fois à se déplacer en fauteuil roulant. Mais il ne renonce toujours pas à la photographie : contraint à travailler à distance de ses sujets, il poursuit son travail,grâce à l’aide d’assistants. Il subit une troisième hémorragie en 1979, qui entraîne son hospitalisation prolongée jusqu’à sa mort le 15 septembre 1990.