âRĂȘve dâEgypteâ
au Musée Rodin, Paris
du 18 octobre 2022 au 5 mars 2023

PODCAST – Interview de BĂ©nĂ©dicte Garnier, responsable de la collection dâantiques de Rodin, et commissaire de l’exposition,
par Anne-FrĂ©dĂ©rique Fer, Ă Paris, le 17 octobre 2022, durĂ©e 8â53.
© FranceFineArt.
©Anne-Fréderique Fer, présentation presse, le 17 octobre 2022.
Extrait du communiqué de presse :





Commissariat :
BĂ©nĂ©dicte Garnier, responsable de la collection dâantiques de Rodin
Pour la premiĂšre fois, le musĂ©e Rodin prĂ©sente la relation de Rodin Ă lâart Ă©gyptien. Lâexposition dĂ©voilera un Rodin Ă©gyptien, se nourrissant dâune Ăgypte rĂȘvĂ©e, fantasmĂ©e puis collectionnĂ©e.
« Plus que tout, lâEgyptien mâattire. Il est pur. LâĂ©lĂ©gance de lâesprit sâenguirlande Ă toutes ses oeuvres. » Auguste Rodin, Les CathĂ©drales de France, Armand Colin, Paris, 1914.
« RĂVE DâĂGYPTE » : RODIN LâĂGYPTIEN
Cet automne le musĂ©e Rodin rĂ©vĂšle la remarquable collection Ă©gyptienne du sculpteur, composĂ©e de plus de mille oeuvres de lâĂ©poque prĂ©-pharaonique Ă lâĂ©poque arabe. Lâexposition RĂȘve dâĂgypte prĂ©sente un parcours de plus de 400 objets, tous restaurĂ©s pour lâoccasion, qui mĂȘle collection et oeuvres dâAuguste Rodin, sculptures et dessins, ainsi que des archives et photographies pour mettre en contexte ses « amis de la derniĂšre heure », comme lâartiste aimait Ă appeler les antiques quâil chĂ©rissait. Elle Ă©voque aussi la rĂ©sonnance de lâart Ă©gyptien dans lâoeuvre de Rodin, Ă travers ses recherches sur la reprĂ©sentation du corps humain, la simplification des formes, le fragment ou la monumentalitĂ© â ainsi le Monument Ă Balzac (1898) dont il disait « Le Balzac est le Sphinx de la France ». Il sâagit plus pour le sculpteur dâ« ĂȘtre Ă©gyptien » que dâĂȘtre inspirĂ© par lâart Ă©gyptien. Lâexposition bĂ©nĂ©ficie de prĂȘts majeurs du musĂ©e du Louvre, du musĂ©e dâOrsay, du musĂ©e Bourdelle et de collectionneurs privĂ©s.
UNE COLLECTION DâARTISTE MISE EN SCĂNE
Auguste Rodin nâa cessĂ© dâĂ©tudier les arts du passĂ©. Sâil regardait vers la GrĂšce, lâAsie ou le Moyen-Ăge, il sâest aussi passionnĂ© pour lâĂgypte et a rĂ©uni une collection exceptionnelle, en nombre et en qualitĂ©. Entre 1893 et 1917, Auguste Rodin rassemble dans sa villa de Meudon environ mille objets Ă©gyptiens quâil mĂȘle aux sculptures de son atelier. Ă partir de 1908, et plus encore en 1911-1912, il sâentoure dâoeuvres monumentales et prestigieuses pour les exposer dans lâhĂŽtel Biron Ă Paris, en prĂ©figuration du futur musĂ©e Rodin. Il se fournit auprĂšs dâantiquaires parisiens et de marchands installĂ©s au Caire. Lâexposition est composĂ©e de sĂ©quences alternant lâatelier Ă©gyptien de Rodin et son musĂ©e Ă©gyptien, Ă la villa des Brillants Ă Meudon puis Ă lâhĂŽtel Biron. Le parcours ouvre aussi des fenĂȘtres sur lâĂgypte ; elles font surgir des figures de passeurs, Ă©crivains, artistes, antiquaires et Ă©gyptologues, qui guidĂšrent lâartiste vers lâĂgypte en le nourrissant de sources visuelles, de rĂ©cits ou dâobjets La constitution de la collection de Rodin rĂ©vĂšle ainsi lâhistoire du marchĂ© de lâart et des antiquaires de cette Ă©poque. Cette exposition prolonge celles que le musĂ©e a consacrĂ©es aux rapports de lâartiste avec les arts du passĂ© : Rodin â La lumiĂšre de lâAntique (Arles, musĂ©e de lâArles antique, 2013), Rodin and the ancient Greece (Londres, British Museum, 2018) ou Rodin â Displacements (Copenhague, Ny Carlsberg Glyptotek, 2021). Elle sâinscrit dans le programme de commĂ©morations de lâannĂ©e Champollion, organisĂ© sous lâĂ©gide de France MĂ©moire.
LA RECHERCHE AU MUSĂE RODIN : LE PROGRAMME « RODIN ET LâART ĂGYPTIEN »
Lâexposition met en lumiĂšre une collection exceptionnelle, dĂ©sormais accessible sur un site dĂ©diĂ©. Ce site est le fruit dâun programme de recherche multidisciplinaire de quinze ans, Ă lâinitiative de BĂ©nĂ©dicte Garnier, responsable de la collection dâantiques de Rodin et commissaire de lâexposition, et Nathalie Lienhard, responsable de la bibliothĂšque du Centre de recherches Ă©gyptologiques de la Sorbonne, avec le soutien dâun comitĂ© scientifique et la participation de jeunes Ă©tudiants et chercheurs. LâĂ©tude et la publication en ligne de la collection Ă©gyptienne dâAuguste Rodin ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s en partenariat avec le Centre de Recherche Ăgyptologique de la Sorbonne (cres), le Centre de recherche et de restauration des musĂ©es de France (c2rmf), le musĂ©e du Louvre et lâUniversitĂ© de Paris-Nanterre, avec le soutien du MinistĂšre de la Culture. La collection est constituĂ©e de 87 reliefs provenant dâĂ©lĂ©ments dâarchitecture, parois de tombe, parois de temple, 14 stĂšles funĂ©raires, 288 statues et statuettes, 30 modĂšles de sculpteur, 32 Ă©lĂ©ments de sarcophages, de cercueils et masques, 144 objets divers, reliquaires, ex-voto, ouchebtis, Ptah-Sokar-Osiris, amulettes, vases canopes, etc., 143 vases en pierres et en terre cuite, 103 tissus et 283 plaquettes et objets en os. Soit 1124 objets au total.
La collection égyptienne est en open accÚs sur le site http://www.egypte.musee-rodin.fr
#Catalogue Coédition Musée Rodin/In Fine

Parcours de lâexposition
Auguste Rodin, pĂ©tri de culture grĂ©co-romaine, se passionne pour lâart Ă©gyptien assez tardivement. NĂ© en 1840, il vit Ă Paris, lâune des capitales de lâĂ©gyptomanie. Il y visite les Expositions universelles et admire, au musĂ©e du Louvre, les dĂ©couvertes de la nouvelle science de lâĂ©gyptologie. Avant 1870, lâĂgypte apparaĂźt par petites touches dans son art, avec des thĂšmes empruntĂ©s Ă lâorientalisme. Puis vers 1880, Rodin est tentĂ© par lâiconographie Ă©gyptisante vĂ©hiculĂ©e par le symbolisme. A partir de 1890, il commence Ă collectionner des antiquitĂ©s Ă©gyptiennes. Cette passion dure jusquâĂ la PremiĂšre Guerre mondiale et lâartiste rĂ©unit plus de mille objets, de lâĂ©poque prĂ©dynastique Ă lâĂ©poque arabe ; ceux-ci rejoignent sa collection personnelle, riche de six mille cinq cents « antiques ».
Dans les mĂȘmes annĂ©es, lâĂgypte transparaĂźt dans les dessins et sculptures de Rodin, par rĂ©miniscence formelle ou iconographique. Il ne sâagit pas de copier des motifs mais dâintĂ©grer peu Ă peu la leçon de lâart Ă©gyptien qui est, selon ses termes : « hiĂ©ratique, farouche et rude, Ă©lĂ©gance de lâesprit, harmonie de la forme et simplicitĂ© des lignes, accentuation des contours essentiels ou Ă©motion religieuse ». Il y trouve ce quâil recherche, « un type Ă©ternel ». Le sculpteur se veut « Ă©gyptien », comme il sâespĂšre parfois « grec » ou « japonais », dans sa quĂȘte de la nature et de la vie. En retour, ses oeuvres deviennent pour les Ă©gyptologues des exemples de comprĂ©hension de lâart Ă©gyptien, un art qui a su saisir le modĂšle en abandonnant lâidĂ©e de perspective. Lâexposition permet de dĂ©couvrir le premier musĂ©e Ă©gyptien que le sculpteur rassemble Ă Meudon, lâimpact de cet art sur sa crĂ©ation, puis, aprĂšs 1910, lâimportance grandissante de lâart Ă©gyptien dans sa collection, dans son oeuvre et dans la crĂ©ation du musĂ©e Rodin.
La premiĂšre collection Ă Meudon
Rodin dĂ©veloppe sa collection Ă©gyptienne dĂšs 1893 dans sa maison de Meudon, privilĂ©giant, jusquâen 1910, les objets de petites dimensions. Ce premier ensemble de prĂšs de 550 numĂ©ros, est exposĂ© dans toutes les piĂšces de la villa des Brillants, mais aussi dans ses diffĂ©rents ateliers, dissĂ©minĂ©s Ă travers le jardin. Les objets sont prĂ©sentĂ©s dans des vitrines, sur des sellettes ou gaines de sculpteur, Ă la maniĂšre de lâatelier, souvent mĂ©langĂ©s Ă ses autres antiques et Ă ses propres oeuvres. Pour ses visiteurs, il sort des vitrines les petits animaux de bronze ou de bois quâil aime caresser ou commenter et quâil fait photographier pour les diffuser dans des revues. Le sculpteur admire leur aspect fragmentaire et la simplicitĂ© de leur forme. Dans la solitude de lâatelier, il dialogue avec eux et les perçoit en parfaite rĂ©sonance avec la nature environnante. Les feuilles des arbres deviennent pour lui de petites momies et les images de ces objets se superposent dans son esprit Ă celles du musĂ©e imaginaire et du modĂšle vivant. Le poĂšte Rainer Maria Rilke les dĂ©couvre en 1905 : « Et tout cela, maisons, couloirs, ateliers, jardins : plein dâadmirables antiques, frayant avec ses oeuvres comme avec leurs seuls parents⊠Lui, plein de joie, caresse les belles Ă©paules, les belles joues, et dĂ©chiffre de loin, sur leurs lĂšvres, lâindicible ».
Lâatelier Ă©gyptien
DĂšs les annĂ©es 1890-1900, lâĂgypte surgit dans lâoeuvre de Rodin, non plus sous lâinfluence du symbolisme, de lâĂ©gyptomanie ou de lâĂ©gyptologie, mais plus invisible, dans le souvenir intĂ©riorisĂ© dâun savoir ancien. Dans lâatelier, ses oeuvres dialoguent dĂ©sormais avec les antiques de sa collection et de son musĂ©e imaginaire. Les mots Ăgypte, pyramide, sphinx, momie, ClĂ©opĂątre, Memnon, Isis ou adorante apparaissent sur ses sculptures et ses dessins, rĂ©alisĂ©s pourtant dâaprĂšs le modĂšle vivant et non dâaprĂšs des antiques. Ces annotations renvoient Ă sa connaissance de lâart Ă©gyptien, qui transparaĂźt par la couleur autant que le trait. Rodin sâinscrit ici dans une tradition antique que lâon reconnaĂźt. Sâil ne travaille pas dâaprĂšs un modĂšle sculptĂ©, comme lâartiste Ă©gyptien, il crĂ©e des statues ou des dessins-modĂšles quâil duplique et individualise par lâannotation et lâassemblage. En miroir des oeuvres Ă©gyptiennes vues au Louvre ou des antiques de sa collection, Rodin dĂ©cline ses recherches sur le corps, tour Ă tour invisible, repliĂ©, multipliĂ©, aux fragments assemblĂ©s, ouvert ou synthĂ©tique. Il utilise aussi des vases Ă©gyptiens en terre cuite ou en albĂątre quâil assemble Ă ses propres sculptures en plĂątre. Il associe ainsi lâimage du vase Ă celle du corps humain, reprenant une idĂ©e dĂ©veloppĂ©e depuis lâantiquitĂ© et reprise au XIXĂšme siĂšcle.
Le musĂ©e Ă©gyptien Ă lâhĂŽtel Biron
DĂšs 1909, Rodin envisage de donner Ă lâĂtat français son oeuvre, ses collections et sa villa de Meudon, Ă condition quâun musĂ©e Rodin soit créé Ă lâhĂŽtel Biron. Il se met Ă acheter avec frĂ©nĂ©sie une seconde collection Ă©gyptienne, avec des sculptures plus grandes et de meilleure qualitĂ©, au mĂȘme titre que des oeuvres asiatiques ou mĂ©diĂ©vales, pour son futur musĂ©e. Chez lui, comme chez les archĂ©ologues et historiens de lâart des annĂ©es 1910, lâantiquitĂ© grĂ©co-romaine, avec ses critĂšres de beautĂ© et de proportions, nâest plus prĂ©dominante. Rodin souhaite un musĂ©e Ă dimension universaliste et pĂ©dagogique, pour lâapprentissage des jeunes artistes, qui donne Ă voir les arts du passĂ© en rĂ©sonnance avec son oeuvre. Il place la sculpture Ă©gyptienne dĂšs la premiĂšre salle du parcours pour souligner ses sources les plus anciennes, puis la dissĂ©mine dans les autres salles oĂč sont dĂ©jĂ rĂ©unies, en 1913, plus de 450 objets Ă©gyptiens. Ce regard rĂ©trospectif de lâartiste sur lâensemble de son oeuvre Ă©claire ses derniĂšres recherches sur lâessence de la figure humaine et la simplification des formes dans les annĂ©es 1910-1914. « Tout est de Rodin. » disait le critique Julius Meier-Graefe. « Il nây a pas ici une seule forme des Anciens, aucune oeuvre qui pourrait ĂȘtre la leur. » La derniĂšre Ăgypte de Rodin sâinscrit dans le courant des modernitĂ©s, entre rĂ©miniscence, symptĂŽme et transmission, Ă cĂŽtĂ© des jeunes artistes contemporains et parfois Ă travers eux : Aristide Maillol, Henri Matisse, Constantin Brancusi ou Jacques Lipchitz. Tandis que dâautres regardent dĂ©jĂ vers les arts africains ou ocĂ©aniens, lâĂgypte est la derniĂšre passion de Rodin.